La Vérité sur l’Algérie/03/19

Librairie Universelle (p. 57-61).


CHAPITRE XIX

En suite et sur le même propos.


Les proportions des choses semblent augmenter avec le recul dans le temps. Comme d’ailleurs nous les augmentons avec l’éloignement dans l’espace, dans la distance. Quel est celui d’entre nous qui n’a rêvé les choses des pays lointains magnifiques et superbes, immenses, plus belles et plus grandes que celles d’à côté de nous ? C’est le même phénomène dont il serait curieux d’étudier les lois de causalité en nos esprits qui nous fait voir tant de choses si grandes et si belles dans le passé, alors qu’en réalité il n’y avait que plus petit, plus laid… C’est toute l’histoire des imaginations de l’ignorant, du littérateur (id est notre journaliste, notre homme de lettres) sur la poésie du moyen âge et de la chevalerie, sur la délicatesse et la grâce des gentilles femmes du grand siècle où l’on se gorgeait de viandes, où l’on avait chaise percée dans la chambre à dormir, où l’on cultivait la teigne sous les perruques, la crasse et la gale sous les jupes, et où le fin du fin de l’esprit et de la gaieté, même pour un génie comme celui de Molière, c’était variations sur les clystères.

C’est de ce mécanisme cérébral que vient l’idée de la fertilité chananéenne de l’Afrique romaine. Cette idée ce n’est pas les Romains qui nous l’ont transmise, elle fut créée par nous, suivant la tendance sauvage de notre esprit à vouloir plus beau, plus grand, ce qui est plus éloigné. C’est la tendance au mystère… la même qui des jongleries et des escroqueries d’un charpentier juif sans ouvrage a fait les miracles du fils de Dieu… C’est les commentateurs qui ont fait la divinité du Christ, ce n’est pas le Christ.

Il en est de même pour la fertilité de l’Afrique romaine. Les Romains ne l’exagéraient pas. Lorsque leurs écrivains ont noté les secours envoyés à Rome par Massinissa, ils ont écrit que l’Afrique avait fourni 50.000 boisseaux de blé et 300.000 boisseaux d’orge. Et c’est tout. Le dey d’Alger en envoyait beaucoup plus à la Convention. Pourquoi donc nos auteurs, par exemple M. Robe, dans un « Essai sur le régime administratif » publié en 1896, lorsqu’il reproduit ces chiffres qui feraient sourire de pitié les portefaix de la Cannebière, s’enthousiasme-t-il de ces cinquante mille et de ces trois cent mille boisseaux, et en conclut-il gravement que l’Afrique ancienne avait une splendide fertilité, laquelle doit nous donner confiance en l’avenir… etc. ?…

Le grenier de Rome, il n’était pas nécessaire qu’il fût bien vaste… Rome n’était, somme toute, qu’une petite ville… Et les exportations du grenier africain, si le transport en exigeait des flottes de barques romaines, il y suffirait aujourd’hui d’un voyage de quelques bons cargos.

Il est également inexplicable que des auteurs comme M. Boissier, qui devrait cependant avoir un peu de critique, en son Afrique du Nord, se laissent enlizer dans la légende d’une Afrique romaine et plus riche, et plus fertile, et à climat meilleur. Les anciens n’ont jamais constaté cette merveille. La description de Salluste aujourd’hui encore est exacte.

Ce Romain écrivait ceci :


« La mer y est dangereuse, les rivages ont peu de bons ports, la terre est fertile en céréales, favorable aux troupeaux, contraire aux arbres, la pluie et les sources étant rares, l’eau y manque…

« Les collines sont couvertes d’oliviers sauvages, de myrtes et des autres espèces d’arbres qui poussent sur un sol aride et sablonneux…

« … Dans le Sud, la plaine est unie et sans végétation… »


Tout cela est encore vrai aujourd’hui. La région marine et les cantons à humus de la région montagneuse, les seuls où les Romains cultivaient, laissant les terrains arides aux myrtes… est toujours fertile en céréales, favorable aux troupeaux et contraire aux arbres

Quant aux plaines du Sud où nous refoulons l’indigène, elles sont toujours sans végétation.

N’insistons que sur la phrase « fertile en céréales ». Nous devons observer que le même mot a chez un homme de l’antiquité romaine et chez un homme de notre époque où les agglomérations urbaines atteignent trois et quatre millions d’habitants (la population d’un empire ancien) que le même mot, chez l’un et chez l’autre, a un sens très différent.

Cela peut être vrai entre contemporains. Quand un équarrisseur du Cantal dit de son voisin « c’est un homme riche », ce mot riche, bien qu’étant le même mot, avec le même sens absolu, n’a cependant pas du tout la même signification réelle quand à M. Boni de Castellane quelque jeune ami demande une présentation chez un homme riche d’Amérique.

Sous la plume de Salluste le mot fertile n’a pas le même sens, la même contre-partie de réalité que sous celle de M. Boissier ou de M. P. Leroy-Beaulieu.

C’est évident… En effet… Mais encore fallait-il mettre cette évidence en lumière, car on ne la voyait pas.

Revenons donc à Salluste et aux écrivains romains. Salluste nous dit la fertilité ; mais il nous dit en même temps l’observation du fait qui ramène la fertilité à des proportions réelles, du fait dominateur grâce auquel si l’on avait à l’époque romaine voulu l’Algérie fertile comme nous avons besoin qu’elle le soit aujourd’hui, on ne l’aurait pas eue non plus.

Salluste dit : « Contraire aux arbres, la pluie et les sources étant rares, l’eau y manque. » Le froid n’avait point frappé Salluste. Il ne pouvait d’ailleurs y attacher grande importance, car les froids italiens font partie de l’évolution normale des saisons agricoles d’Italie ; ces froids n’agissent pas contre la fertilité. Ce qu’il voyait essentiel, parce qu’en Italie c’est la sécheresse qui tue les récoltes et pas le froid (qui en protège les repos de germination), ce qui frappait Salluste c’est le manque d’eau dans l’Afrique, de climat « contraire aux arbres ».

Retenez bien ces mots « contraire aux arbres ». Car c’est la revision du procès fait à l’Arabe, vous savez, à l’Arabe qui tua tous les arbres… Il n’y en avait pas !

Le joyeux, le comique et l’admirable c’est que tous les gens sérieux, savants, pontifes glorieux, qui ont cité Salluste pour établir l’idée de fertilité de l’Afrique romaine sont les mêmes qui accusent l’Arabe d’avoir déboisé l’Algérie et d’en avoir ainsi fait un pays sans eau… un pays ayant perdu son ancienne fertilité.

Mais, si leur fertilité dépendait de l’eau et de l’arbre, qu’ils relisent leurs citations, elles disent très nettement : « Pays contraire aux arbres, pays sans eau. »

Et nous avons ce phénomène excessivement folâtre de l’islam destructeur, de la chèvre rongeuse, de l’Arabe déboisant un pays que les Romains nous disent n’avoir pas été boisé par la nature.

C’est à rire vraiment, à pouffer de rire… car, si l’on ne pouvait rire, nous devrions trop pleurer de voir à quel point la raison est chassée des grands courants directeurs de l’action française…