La Vérité sur l’Algérie/03/05


CHAPITRE V

La notion de l’Algérie pays chaud est due à la science officielle. Le danger des moyennes.


Cet « optimisme thermométrique », si différent de la réalité (la suite de ce livre va le prouver), on aurait mauvaise grâce à le reprocher aux compilateurs ou aux journalistes, lesquels ne font que mettre en œuvre les documents officiels.

Que disent ces documents ?

Ouvrez la statistique générale de l’Algérie, le volume de 1903, qui donne les chiffres de 1901.

Vous y trouvez les éléments officiels du climat officiel de l’Algérie, sous forme de tableaux de moyennes mensuelles des pressions barométriques, des températures maxima, des températures minima, des totaux mensuels des quantités de pluies recueillies en millimètres, et de l’évaporation.

Les moyennes des températures !…

Que des gens sans responsabilité devant la nation, devant le contribuable, devant le colon, comme Reclus, comme Leroy-Beaulieu, lesquels peuvent écrire en fantaisie sans risque autre que celui d’être convaincus de légèreté, contentent leur esprit de cette imagination des moyennes, cela noue pouvons à la rigueur, le comprendre. Mais des gouvernements qui, eux, vraiment sont responsables des erreurs pratiques dues à leurs théories fausses, que ces gouvernements jusqu’en 1903, pour nous renseigner sur les températures de l’Algérie, aient pu admettre cette abailardesque notion des moyennes, une de ces fameuses notions générales sur quoi repose en si grande partie notre instruction universitaire, cela se comprend moins. Nous sommes avides, gourmands de notions claires, simples, nettes, précises ; dans la complication des faits successifs, nous voulons une brève notion, et nous inventons les moyennes, la moyenne. En même temps, observons que nous ne voulons pas admettre les principes, les lois.

Qu’on utilise l’admirable invention des moyennes afin de mettre les demoiselles du monde en gavage d’instruction pour le brevet supérieur, passe encore… mais dans les publications pratiques, dans celles des économistes… non… non… c’est une plaisanterie qui a trop duré. La science — pratique ou théorique — doit être faite de précision, de réalités et non d’imaginations. La commodité du discours en suite de l’emploi des moyennes vraiment ne saurait en compenser les dangers.

On me permettra d’insister comme je le fais. Je veux que de mon livre sorte quelque bien pour mon pays. Or je n’en sais pas de plus grand que de corriger les idées. Car c’est des idées mauvaises qui dirigent la masse, que vient tout le mal dont nous souffrons dans notre nation. C’est des idées justes, adéquates aux réalités, que viendra le mieux. Il peut être nécessaire de combattre, de tuer des hommes. J’estime que ce serait un très grand bien pour notre pays si quelqu’un pouvait nettoyer la politique de chefs comme les Étienne et quelques autres. Mais c’est un bien mille fois plus précieux de nettoyer le cerveau national d’idées comme celle des moyennes et quelques autres. Tant que notre intellectualité, que notre moralité n’auront pas été modifiées on pourra renverser les hommes mauvais, d’autres succéderont qui seront peut-être pis. Ce n’est pas la force des charlatans qui fait leur succès, mais notre faiblesse, notre crédulité, lesquelles proviennent de nos idées fausses.

L’idée des moyennes est une de celles qui ont fait le plus de mal à la colonisation.

C’est des moyennes que publient les statistiques officielles du gouvernement général, pour nous apprendre que, sur le littoral, à Alger, suivant l’ordre des mois en commençant par janvier, les températures sont de : 9,9 ; 8,2 ; 10,7 ; 13,9 ; 15 ; 20,3 ; 22,2 ; 21,5 ; 20,7 ; 16 ; 13,0 ; 9,6.

Dans le Tell, au point le plus froid, à Tiaret : 1,3 ; 1 ; 2,7 ; 7 ; 8,7 ; 14 ; 15,9 ; 15,7 ; 7,7 ; 6,5 ; 4,8 ; 2,1. Au point le moins froid, Tarrout : 7,9 ; 6,8 ; 9,3 ; 11,5 ; 12,7 ; 18 ; 20 ; 19 ; 18,9 ; 14,4 ; 12,1 ; 8,6.

Sur les Hauts Plateaux, au point le plus froid, à Aïn-Sefra : 0,1 ; 0 ; pas de moyenne pour mars, serait-ce un moins ? 8,4 ; 9,3 ; 13,1 ; 16,6 ; 15,9 ; 12,4 ; 5,8 ; 4,1 ; 0,6.

Au point le moins froid (mais en hiver seulement, car il y a d’autres points où il fait plus froid en hiver et plus chaud au printemps…) à Aflou : 5,8 ; 3,5 ; 0,3 ; 1,4 ; 2,8 ; 8,6 ; 9,9 ; 9,6 ; 7 ; 3,1 ; 2,2 ; 1,4.

Dans le Sahara, à Laghouat : 1,1 ; 1,5 ; 4,1 ; 9,4 ; 11,3 ; 17,9 ; 20 ; 18,9 ; 15,4 ; 8,8 ; 5,6 ; 1,3.

Ces chiffres donnent les moyennes des minima. Il est inutile de citer ceux des maxima. Du point de vue pratique, en agriculture de colonisation algérienne ils importent moins que ceux des minima, bien qu’il ne faille pas qu’un pays chaud soit un pays trop chaud pour qu’on y puisse cultiver quelque chose. Mais le danger consiste moins à cultiver dans un pays trop chaud que dans un pays trop froid. Ce qui caractérise le pays chaud ce n’est pas seulement qu’il y fasse chaud à certains mois, à certains jours, à certaines heures, c’est qu’il n’y fasse jamais froid, c’est que le thermomètre n’y descende pas au-dessous de zéro, ou du moins qu’il n’y descende que peu et jamais pendant longtemps.

Or, nous venons de le constater, la croyance admise, la croyance officiellement répandue par les moyennes de l’administration algérienne, c’est que l’Algérie serait un pays chaud sans au-dessous de zéro.