La Vérité sur l’Algérie/03/04


CHAPITRE IV

Dès l’origine de la colonisation algérienne apparut la notion de l’Algérie pays chaud, notion qui dure encore. — Citations de Galibert. — Capitaine Rozet. — Bugeaud. — « Revue des Deux Mondes ». — Vivien de Saint-Martin. — « Dictionnaire d’économie politique ». — Reclus. — Paul Leroy-Beaulieu, — Wahl. — « Figaro ».


Donc, les gouvernements, dès le premier jour, ont eu le souci de faire constater par leurs savants de tout ordre la température de l’Algérie, pour que cette constatation d’une terre ou froide, ou tempérée, ou chaude fût la base solide, scientifique de l’œuvre colonisatrice.

Du commencement jusqu’à maintenant la constatation officielle fut celle d’une Algérie pays chaud avec nombreuses, vastes régions tempérées, l’altitude y corrigeant la chaleur.


« Un grand nombre de plantes de l’Europe tempérée vivent dans cette atmosphère qui, presque toujours chaude, et jamais brûlante, favorise extraordinairement la croissance des productions naturelles du sol. » (Capitaine Rozet, cité par Galibert en 1844.)


Le maréchal Bugeaud, cité par le même auteur, affirmait qu’il y avait partout, aussi bien sur les montagnes que sur les plaines, une « couche profonde d’excellente terre » en quoi venaient tous les produits des pays chauds et des pays tempérés.

Galibert appuyait :


« En Algérie, la nature ne s’arrête pas un instant dans le grand œuvre de la production… Sous l’influence du soleil d’Afrique, les végétaux y acquièrent d’énormes proportions… Il y a des choux-fleurs de trois pieds de diamètre… Les plantes fourragères atteignent sans culture une hauteur telle que les cavaliers disparaissent dans leurs fourrés… Pendant l’hiver, au lieu d’une nappe de neige à la teinte uniforme, on voit s’étendre sur les coteaux de riches tapis de tulipes, de renoncules, d’anémones, etc. »


Cela, dans le livre qui faisait l’opinion moyenne en 1844, dans le livre documenté par le gouvernement. Les gens butés à la conquête et à la colonisation extensives de l’Algérie « pays chaud » rendaient lyriques non seulement les vulgarisateurs de la maison Furne, mais aussi les économistes de la Revue des Deux Mondes qui écrivaient :


« … Nature dont le charme puissant rappelle toujours vers l’Algérie le cœur de ceux qui y ont une fois vécu.

« Les nuits y brillent d’une incomparable magnificence, et l’on peut jouir de leurs calmes harmonies sans aucune impression de froid. Les journées d’hiver sont si tièdes, les soirées d’été ventilées par de si fraîches brises que l’Europe et la France même paraissent longtemps inhabitables à qui s’est habitué à ce doux climat. »


Là-dessus le bourgeois qui lisait cette prose en 1849 prenait une action des cultures de pays chaud en Algérie, une de ces jolies feuilles à vignettes qu’on retrouve en nettoyant les greniers de province, aux vieux papiers.

Si l’héritier, pour se documenter sur la naïveté de l’aïeul, ouvre l’atlas Vivien de Saint-Martin de la maison Hachette, il lit : L’Algérie,


« Par sa position en latitude appartient aux climats chauds ; mais sa configuration physique sur un espace de quatre degrés, du nord au sud, lui donne toutes les températures et toutes les productions, depuis le climat des tropiques jusqu’aux hivers des pays rigoureux du Nord. »


Et il ne comprend pas que les cultures tropicales n’aient point réussi, car on ne les avait point faites dans les régions à hiver, mais dans celles auxquelles le savant géographe assigne le « climat des tropiques ».

Il est vrai que, s’il est un homme politique et cherche dans le Dictionnaire général de la politique, par Maurice Block, membre de l’Institut, recueil où les parlementaires puisent leur science depuis que M. Floquet a compromis le Larousse, il verra que :


« Le climat a permis de naturaliser en Algérie le bananier et le cotonnier… que certaines cultures tropicales sont possibles à condition d’irriguer… que l’on compte utiliser les eaux pour la culture de la canne à sucre. »


Cette notion d’un « pays chaud » domine les livres les plus sérieux qui font la loi, parce qu’on les considère non pas seulement comme livres de prophètes, mais comme sacrés évangiles.

Voici un tableau de Reclus que cite M. P, Leroy-Beaulieu :


TEMPÉRATURE MOYENNE
Région des montagnes : Décembre Août Annuelle
Tlemcen 9 °,2 26 ° 16 °,8
Fort-National 10 °,1 27 ° 14 °,2
Constantine 8 °,5 26 °,9 15 °,2
Région des plateaux :
Géryville 7 °,2 25 °,3 14 °,1
Djelfa 7 °,2 27 °,6 15 °,2
Tebessa 8 °,1 27 °,7 15 °,9


« Pour Alger la chaleur moyenne annuelle n’y dépasse pas 18°,27 ; la moyenne du mois de décembre, le plus froid étant de 12°,20, et la moyenne d’août, le plus chaud, montant à 25°,54. »


Ainsi vous voyez que la notion chaleur, est bien établie, que l’Algérie est vraiment dans l’opinion des gens instruits un pays chaud.

Voici mieux. Dans le livre de M. Wahl, — un professeur qui a compilé tous les documents officiels, tous les ouvrages sérieux que l’on doit croire si l’on est écrivain sérieux, — un livre d’enseignement supérieur qui fait les idées des classes dirigeantes, dans ce livre classique, et par ailleurs intéressant, je lis :


« Le littoral jouit d’un climat tout maritime ; les écarts de température ne sont pas considérables entre les jours et les nuits, ni même entre les saisons. L’hiver est d’une douceur délicieuse ; par les temps les plus froids le thermomètre marque de 10 à 15 degrés centigrades, l’abaissement de la température coïncide toujours avec de fortes pluies ; à la première embellie on remonte à 15 et au delà : le ciel reparaît lumineux, l’air s’agite doucement sous l’haleine fraîche des brises, la végétation étale le luxe de ses couleurs vivifiées. Pour l’étranger, pour celui qui a encore dans les yeux les ciels bas, les soleils sans lumière et la nature du Nord endormie par le froid, c’est un véritable éblouissement. »


Le livre de M. Wahl est de 1897. Mais cette notion de l’Algérie, ou pour être plus exact, du littoral algérien jouissant d’un climat chaud, d’un climat où « par les temps les plus froids le thermomètre marque de 10 à 15 degrés centigrades », n’a fait que se généraliser.

Les journaux la vulgarisent à toute occasion. Quand le Figaro, par exemple, publie un numéro spécial illustré à propos du voyage présidentiel (numéro du 18 décembre 1902), on y lit :


« La température est délicieuse en hiver. Le petit tableau que voici nous en fournit suffisamment la preuve.

« C’est le relevé des moyennes observées à l’observatoire d’Alger pendant dix heures consécutives :


7 heures 3 heures 7 heures
matin. soir. soir.
Novembre 13 °,7 17 °,2 14 °,6
Décembre 12 °,3 13 °,1 11 °,3
Janvier 11 °,8 15 ° 12 °
Février 11 °,7 14 °,3 12 °,1
Mars 12 °,7 15 °,8 13 °,5
Avril 15 ° 17 °,5 15 °,2


« De tels chiffres sont trop éloquents pour qu’il soit besoin d’insister, »


Ce numéro était un numéro de publicité. Les intéressés d’Algérie veulent que leur pays soit chaud, très chaud toujours. Il y a phénomène comparable pour les températures de Monaco et pour « la mer belle aux Sanguinaires ». Il peut neiger à Monte-Carlo que les journaux, religieusement, n’en publient pas moins « beau fixe » en la station délicieuse de la roulette. Il n’y a pas de roulette à Alger… mais il y a pis…