La Transylvanie et ses habitants/Chapitre 11


Imprimeurs-unis (Tome Ip. 273-287).
chapitre XI.
Zalathna. — Traces romaines. — Vulkoj. — Les mineurs.

La route de Carlsbourg à Zalathna s’enfonce dans les montagnes que l’on a côtoyées jusqu’ici. Le chemin, quand je le parcourus, était si mauvais malgré la belle saison, que nous préférâmes plus d’une fois à la voie administrative le lit pierreux d’un ruisseau. À quelque distance de Carlsbourg on s’arrêta. Le hasard voulut que ce fût devant une chaumière pittoresquement placée au dessus d’un torrent et ceinte d’une haie de rosiers sauvages. Au cri « Ape[1] » poussé par le cocher une belle Valaque en sortit, tenant à la main un de ces gracieux vases de forme étrusque dont on se sert encore dans le pays. Elle avait le beau costume des montagnardes de Zalathna : un mouchoir blanc roulé en turban, dont les bouts brodés retombent sur le côté gauche et en dessous duquel paraît une tresse de cheveux noirs qui entoure le front ; des colliers de verroterie ; la chemise à longues et larges manches, attachée aux poignets et au cou par un cercle de broderies rouges ; un corsage de peau découpé sur la poitrine et fixé par une ceinture de diverses couleurs d’où pend le double tablier de laine rayé. Autour des jambes est roulée une pièce de drap blanc assujettie par les courroies des opinci.

La Valaque s’approcha les yeux baissés, nous offrit à boire et se retira.

Ces montagnes sont hospitalières entre toutes. Je vis sur le chemin, attachée à un arbre, une sorte de niche faite en bois. Sur le devant se trouvaient deux vases ; au fond on distinguait à peine une madone grossièrement peinte. Le lieu était désert. Personne ne passait. L’un de ces vases était encore plein d’eau, l’autre était déjà vide. Qui les avait placés là ? je l’ignorais. Pour qui avaient-ils été remplis ? pour moi, si j’eusse voulu. Quand je parcourus à cheval ces montagnes, j’en rencontrai souvent. Un jour en moins de deux heures je comptai onze vases mis sous les arbres par des mains inconnues, et auxquels j’aurais pu me désaltérer. Chaque matin les Valaques vont les remplir pour le voyageur qui passera dans la journée et qui peut être un ennemi. Quelques reproches qu’on soit en droit de faire aux Valaques, il faut pardonner beaucoup à des hommes qui pratiquent cette touchante et pieuse coutume.

Plus loin nous rencontrâmes un village. Les Valaques s’assemblaient pour la danse, car c’était jour de fête. Les femmes, dans leur costume élégant, étaient remarquablement belles. Les hommes, en chemise brodée et portant le harisnya de drap blanc, déployaient une agilité étonnante. Ils avaient de longs bâtons dont ils se servaient, dans leurs courses, pour sauter les ruisseaux.

La route est semée, çà et là, de rocs à demi enfoncés dans la terre et qui semblent tombés au hasard de la main d’un géant. Ils sont ordinairement ronds et couverts d’arbres. Entre deux collines quelques roches pointues sont placées en ligne droite comme les arches d’un pont colossal ; on dirait qu’ici l’ordre d’un architecte a remplacé le hasard. Les Valaques expliquent cela par la tradition suivante. Un jour les deux filles d’un roi se partagèrent leur héritage. Quand chacune eut reçu sa part, l’aînée dit : « Avec l’aide de Dieu je vais me bâtir une forteresse. » — « Sans l’aide de Dieu, repartit l’autre, j’en élèverai une. » Toutes deux se mirent à l’ouvrage. La première bâtit Déva, mais la seconde n’a jamais pu construire que quelques murs, et ce sont les pierres que vous voyez à bas.

À partir de Zalathna les montagnes abondent en mines de toutes sortes. C’est là que sont situés les fourneaux où l’on extrait l’or et l’argent. Un nuage de fumée plane au dessus du bourg, dans les arbres, et on entend un bruit d’usine oublié depuis long-temps. C’est une chose étrange que de retrouver l’industrie dans ce pays de légendes et de traditions, que de voir un Valaque aux longs cheveux, vêtu comme l’étaient les Daces il y a quinze siècles, et qui croit volontiers aux sorciers, observer tranquillement un piston ou entretenir le feu d’une machine à vapeur. Des ruisseaux habilement dirigés vont d’un bâtiment à l’autre, courent entre deux rives noires et fumantes, et tombent sur des roues qui animent d’énormes soufflets. Une machine à vapeur faite à Vienne remplit également cette fonction. On voit le métal rouler comme un fleuve de feu, on l’entend rugir dans l’eau ; puis des hommes emportent des plaques de cuivre refroidi et traînent le charbon.

Environ 1 250 kilogrammes d’or pur et 1 700 kilogrammes d’argent sortent chaque année des usines de Zalathna, dont la dixième partie revient à l’empereur, et qui sont de suite achetés par le trésor pour être monnayés à Carlsbourg. L’empereur ne possède que peu de mines dans ces montagnes ; la plus grande partie appartient à des particuliers, quelques unes à des Français. Les mines extraites sont portées et fondues à Zalathna. L’or et l’argent doivent toujours être vendus au trésor, qui achète les 16 lots (0k,280) d’or 364 florins (944 fr. 94 cent.), et les 16 lots d’argent 24 florins (62 fr. 30 cent.). Ordinairement le cuivre est mêlé à l’or, mais souvent aussi l’or et l’argent se trouvent seuls combinés dans la pierre. Je vis justement passer à la coupelle quelques minerais récemment extraits. Cette opération se pratique ici comme partout ailleurs. Une parcelle de l’échantillon est broyée, lavée, mêlée avec du plomb réduit en poudre et placé sur le feu. L’alliage obtenu est mis dans un creuset fait de bière et de poudre d’os, qui à la température rouge absorbe le plomb. Il reste une petite boule brillante formée d’or et d’argent, qui est soumis à l’action de l’acide nitrique. De cette façon l’on connaît d’avance la quantité d’or et celle d’argent que contient la mine apportée.

Zalathna était une ville romaine appelée Auraria minor ; tel est du moins le nom que l’on assigne à cette colonie. Le surintendant des mines de la Dacie y résidait. On y retrouve encore des traces romaines. J’ai vu dans un seul jardin plusieurs statues, des pierres tumulaires, et des bas-reliefs antiques. Une haute montagne située au dessus de Zalathna est appelée par les Valaques « côte de Trajan ». La petite rivière qui coule à travers le bourg est bordée de dalles qui retiennent le sol ; entre ces dalles je remarquai des pierres sculptées à demi cachées par l’eau, d’autres qui portaient des inscriptions effacées. La tradition raconte que là s’établirent les Juifs appelés en Dacie par le roi Décébale. Il faut sans doute chercher ailleurs l’origine du nom Zsidovár, « forteresse juive », que porte aussi Zalathna ; mais ce qu’il y a de singulier, c’est que l’entrée de Zalathna est précisément interdite aux Juifs par une loi du moyen âge qui subsiste encore, en vertu de laquelle ils doivent se tenir éloignés des mines au moins à une distance de quatre lieues.

Une belle route qui s’achève conduira avant peu à Abrud-Banya en passant par de beaux bois et de charmantes vallées. Mais il faut gravir la côte de Trajan si l’on veut voir les riches montagnes des environs, il faut suivre des sentiers à pic sur lesquels on ne peut s’engager qu’avec des chevaux du pays. Il est impossible de se faire une idée de ces chemins si on ne les a parcourus ; ils sont envahis par les torrents dans la saison des pluies, et les pierres dont ils sont semés les rendent fort dangereux. L’hiver, les chevaux glissent sur la glace, et parfois monture et cavalier roulent et s’abyment dans la neige. Les différents points qui méritent d’être visités se trouvent ainsi fort éloignés. Nous restâmes trois jours à cheval dans ces montagnes. Un guide valaque nous précédait ; souvent les mouvements du terrain le faisaient perdre de vue, mais son chant mélancolique et prolongé nous disait la route. À quelques heures de Zalathna, au détour d’un chemin raide et pierreux, on aperçoit tout à coup cinq maisons de bois entre les sapins. C’est Vulkoj. On mit pied à terre avec joie dans ce lieu romantique et les fatigues furent oubliées.

Toutes les montagnes que l’on voit de Vulkoj donnent de l’or. L’une d’elles a été complètement fendue par les Romains. Quatre-vingt-quatorze mines sont aujourd’hui exploitées, d’où l’on tire presque toujours l’or pur ; il est rarement mêlé de cuivre. Aussi la manière d’obtenir le métal est-elle fort simple. Les pierres retirées de la mine, car l’or est toujours engagé dans des roches, sont broyées par de lourds pilons de bois que mettent en jeu des torrents ; un cours d’eau passe continuellement sur les pierres broyées et en emporte la poussière, tandis que l’or, plus lourd, reste sous les marteaux. Cependant une certaine quantité d’or est aussi enlevée ; pour qu’elle ne soit pas perdue on a disposé en étages plusieurs hommes qui, l’un après l’autre, reçoivent dans un réservoir la boue formée d’eau et de poussière dont ils extraient l’or emporté. Cet or est purifié ensuite au moyen de l’amalgation. Il s’agit seulement d’avoir de l’eau. Au cœur de l’hiver comme au cœur de l’été cette condition ne se trouvait pas remplie. Voici comment on a résolu la difficulté. On a construit une machine telle, qu’une colonne d’eau d’un diamètre de six pouces met en mouvement vingt-quatre pilons. L’eau, qui arrive par un conduit souterrain, ne gèle pas l’hiver : la machine fonctionne donc par le plus grand froid ; et comme la colonne tombe d’une hauteur de trente-six toises, elle a toujours la force d’animer au moins douze pilons, même dans la plus grande sécheresse. Cette machine est la première qui ait été faite en Transylvanie ; elle a été construite sous la direction d’un mécanicien français.

Le même procédé est usité dans presque toutes les mines d’or de Transylvanie. C’est en bocardant les roches sur place qu’on extrait ordinairement le métal. Cependant une certaine quantité de minerais est transportée à Zalathna et soumise au grillage.

On trouve souvent entre les pierres l’or natif, tantôt cristallisé, tantôt sous l’apparence de mousse, ou affectant la forme de feuilles. Ces merveilleuses découvertes de masses précieuses qui s’offrent subitement à l’œil du travailleur ne sont pas rares. Il n’y a pas long-temps que fut trouvé un monceau d’or du poids de cinq kilogrammes. L’or vierge se voit aussi non loin de là, à Oláhpián, en forme de fils qui quelquefois sont droits, d’autres fois sont nattés ; cet or est à vingt-trois carats : il n’y a donc qu’une vingt-quatrième partie de substance étrangère. D’une montagne voisine a été extraite, il y a peu d’années, une masse d’argent qui pesait quarante kilogrammes. Au commencement de ce siècle on découvrit une lame d’or sur laquelle se lisait une N parfaitement dessinée. Un magnat qui partait pour la France se la procura dans l’intention de l’offrir au premier consul Bonaparte. On la lui vola à Vienne. Qu’eût pensé le César moderne en voyant que si loin la terre battait monnaie à son nom ?

Les trésors de ces montagnes attirent quelquefois de hardis voleurs. Une nuit les mineurs qui travaillaient à une riche veine récemment découverte furent surpris, bâillonnés et liés par une bande d’hommes masqués qui prit tout et s’enfuit.

Il y a deux sortes de mines. Les unes sont travaillées d’après les statuts du trésor, qui les surveille, et par des ouvriers dont la paie est déterminée. Le propriétaire de ces mines a quelques avantages. Il vend ses minerais selon leur valeur, et quand les fouilles ne sont pas heureuses le trésor lui abandonne la dîme qu’il a le droit de percevoir. Mais en revanche il a à souffrir de la malveillance des employés. La chambre qui a la haute juridiction de ces mines[2] réside à Hersmannstadt ; elle est presque entièrement composée de Saxons, qui, par esprit d’opposition nationale, suscitent une foule d’obstacles aux Hongrois. Pour donner une idée de ce mauvais vouloir inconcevable il suffit de citer le fait suivant : la chambre n’a jamais voulu autoriser l’érection de la très utile machine de Vulkoj ; un propriétaire influent, le baron Bruckenthal, dut prendre tout sur lui et l’éleva de force. Il fallut construire une maison qui abritât la machine : la chambre défendit qu’on coupât un seul arbre dans les forêts au milieu desquelles est situé Vulkoj, et qui appartiennent au trésor. Tous les matériaux furent apportés de très loin et à grand’peine, si bien que les quatre murs et le toit nécessaire pour couvrir un espace de quelques mètres carrés ont coûté la somme énorme de onze mille florins. En 1842 il y avait déjà sept ans que la machine fonctionnait, et sept ans que la chambre s’obstinait à la regarder comme inutile. Ce n’est pas l’autorité supérieure qu’il faut accuser, mais bien la filière des petits bureaucrates, qui forme une corporation trop indépendante.

D’autres mines sont exploitées par des travailleurs libres. Dans les lieux où les fouilles ne seraient pas assez productives, là où les Romains ont creusé, par exemple, on abandonne les veines aux paysans moyennant une redevance annuelle de deux planches et cinq arbres, une demi-journée de travail par semaine, et chaque cinquième pellée de minerai extrait. Ces paysans ne peuvent pas creuser plus de sept toises en profondeur et en largeur ; le trésor ne renonce jamais pour eux à la dîme, et il achète toujours leurs minerais, quelle qu’en soit la valeur, au prix de trois florins[3] le pizète[4]. Il y a encore des hommes auxquels on laisse prendre les pierres broyées, à la condition de rendre le cinquième de l’or qu’ils en retirent. Je vis assise au bord d’un ruisseau une petite fille valaque qui lavait avec attention la boue grisâtre qu’un vieillard lui apportait. Elle mettait cette boue dans une sorte d’écuelle pleine d’eau qu’elle agitait, laissait couler l’eau, en remettait encore, et continuait ainsi jusqu’à ce que, la pierre étant peu à peu enlevée, il restât au fond quelques parcelles brillantes. À ses côtés se tenait son frère, plus jeune qu’elle, qui apprenait à l’imiter. Il avait dans ses petites mains une écuelle d’où quelquefois il laissait tout tomber dans le courant. J’aurais voulu apprendre que ce vieillard et ces enfants recueillaient beaucoup d’or ; mais depuis quelques mois ils n’étaient pas heureux.

Toutes les vallées qui environnent Vulkoj sont semées de maisons dont les habitants vivent du travail des mines. Un seul village valaque, Bucsum, compte trois mille feux, et a quelques lieues d’étendue ; il est divisé en une foule de hameaux dont l’un s’appelle Valea alba, « vallée blanche ». Le prêtre grec d’un autre hameau, Isbita, a fait des fouilles si heureuses, que peu de magnats possèdent, dit-on, une fortune égale à la sienne. Il vient toujours travailler aux mines dans ses vêtements de toile et son gros manteau blanc.

Nombre de mineurs sont logés dans les quelques maisons de bois qui forment Vulkoj. Le soir, pendant qu’ils se séchaient, un homme passa en jouant de la cornemuse. Tous sortirent, fatigués et mouillés qu’ils étaient, pour ne rien perdre de cette musique abominable. Ils entouraient le virtuose et écoutaient avec une joie bruyante les sons lents et rauques qu’il tirait de son instrument. Un grand feu fut allumé. Ils s’accroupirent à l’entour en poussant par intervalles de longs cris qui témoignaient de leur enthousiasme. Quand des branches de sapin étaient mises au feu, la flamme, se ravivant, jetait une clarté rougeâtre sur leurs visages noirs. À la fin le musicien se leva ; ils le suivirent. Ils disparurent dans l’ombre, et on entendait seulement leurs cris sauvages. Puis ils revinrent, et, cornemuse en tête, défilèrent un à un devant le feu, dont les dernières lueurs éclairèrent cette procession infernale.

Parmi les hameaux qui avoisinent Vulkoj et dont les chaumières hérissent les flancs des montagnes, il en est un qui a été bâti par les premiers mineurs qui travaillèrent dans ce pays, les Saxons que Geyza II fit venir en Transylanie vers 1150. Geyza donna plusieurs privilèges à ces étrangers, qui apprirent aux habitants l’art oublié de trouver l’or. Leurs fils firent comme eux ; et de génération en génération ils vont tous travailler aux mines où travaillaient leurs pères, et rebâtissent leurs chaumières tombées là où leurs pères les avaient construites. Les descendants, qui à la longue sont devenus Valaques, ont joui jusqu’à ce jour des privilèges octroyés par Geyza, et dont le principal est de ne payer d’autre impôt que la capitation. Un conseiller saxon a suggéré à la chambre l’idée spirituelle de leur demander les titres sur lesquels ils fondent leurs droits. Pas un d’eux n’a vu en sa vie un parchemin. Ces pauvres gens répondirent qu’ils ne savaient pas où se trouvaient leurs chartes, mais qu’ils possédaient bel et bien leurs privilèges. Il s’en est suivi une enquête, et il est à craindre qu’on ne les force injustement à payer l’impôt. J’aime à croire que cet agréable conseiller n’est pas descendu dans la vallée privée de soleil qu’habitent ces mineurs : s’il avait aperçu de loin leurs misérables huttes que le vent renverse quand il veut, s’il les avait vus revenir tout trempés des mines où ils travaillent quelquefois dans l’eau et à plat ventre, il se serait abstenu de réclamer une part d’un pécule si péniblement acquis, et cela peut-être pour en garnir la poche de quelques employés malhonnêtes.

Les paysans de ces montagnes sont presque tous Valaques. Ils se distinguent entre ceux de leur nation par une allure plus décidée, un esprit plus vif, et une beauté de forme remarquable. Les Valaques du nord de la Transylvanie font pitié ; mais ceux-là, qui depuis long-temps ont acquis par le travail plus d’aisance et de liberté, montrent des physionomies nouvelles. Ils ont un respect étonnant pour les femmes, qu’ils traitent toujours avec les plus grands égards. Toutefois il faut dire le mal comme le bien. Ces hommes sont vindicatifs, et cruels dans leur vengeance. Les deux prédécesseurs de l’inspecteur de Vulkoj, qui me donnait ces détails, avaient été tués par eux. « Et vous ne craignez rien ? lui dis-je. — Non, répondit-il, je suis sévère, mais juste. » Quelquefois pourtant, sans qu’ils les traitent avec injustice, les employés sont en danger parmi eux, surtout lorsqu’ils leur infligent une punition. Quand j’étais à Vulkoj, plusieurs mineurs cherchaient l’occasion de tuer un contrôleur qui les avait surpris en flagrant délit de vol. Cet employé le savait.

Un jour les habitants de Bucsum eurent je ne sais quelle contestation avec l’autorité. On fit venir des grenadiers et des hussards. Il fallut une heure de combat pour les ramener. Du reste, vifs et ardents, ces Valaques sont un peu fatalistes. Il ne se passe pas de semaine qu’un ou plusieurs mineurs ne soient blessés ou tués, grâce à l’imprudence qu’ils professent, sous prétexte que ce qui doit arriver arrive. Est-ce l’habitude de rire du danger qui les rend caustiques, comme les marins ? En visitant les mines à Veres-Patak, je remarquai sur leurs figures ce sourire qui épanouit le visage des matelots quand un candide Parisien se hasarde à mettre le pied sur quelque bâtiment. Un médecin donnait des soins à un Valaque dangereusement blessé. La cure fut longue, et le malade ne cessa de répéter au docteur qu’il le croyait peu savant dans son art, puisqu’il ne pouvait le tirer d’affaire. Quand vint la guérison, le médecin se félicita. « Cela ne vous regarde pas, dit l’autre ; Dieu l’a voulu, voilà tout. »

Je ne quitterai pas Vulkoj sans dire quelles compensations j’y ai trouvées aux fatigues de la route. Il y a peu de plaisirs plus vifs que celui qu’éprouve le voyageur lorsqu’au détour du chemin, vers la fin de la journée, il aperçoit la maison qui doit s’ouvrir pour lui. Mais le plaisir est doublé quand ce toit hospitalier qu’il voit pour la première fois devient pour lui comme une ancienne connaissance, grâce à la cordialité de son hôte. J’ai eu souvent de ces bonheurs-là en Hongrie, et je m’empresse particulièrement de remercier M. Szborai des soins dont il m’a comblé dans son chalet de Vulkoj.

  1. Eau.
  2. Regius thesaurariatus.
  3. 7 fr. 79 cent.
  4. 5 grammes 2 décigrammes.