La Teppe aux merles/Texte entier

Librairie Armand Colin (p. --tdm).

S. BLANDY




La


Teppe aux Merles


Ouvrage illustré de 54 gravures.


HUITIÈME ÉDITION

Librairie Armand Colin


Rue de Mézières, 5, PARIS


1911


Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.



Couverture rouge et ors. Bibliothèque du Petit Français. Initiales A, C entrelacées puis S. Blandy et le titre. Une guirlande or entoure la couverture, surmontée en haut à droite d’un coq qui chante
Couverture rouge et ors. Bibliothèque du Petit Français. Initiales A, C entrelacées puis S. Blandy et le titre. Une guirlande or entoure la couverture, surmontée en haut à droite d’un coq qui chante


La


Teppe aux Merles
LIBRAIRIE ARMAND COLIN

BIBLIOTHÈQUE DU PETIT FRANÇAIS
(81 volumes, richement illustrés)
Chaque volume in-18, broché , 2 fr. ; — rel. toile, tranches dorées : 3fr.
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Au Clair de la Lune. Mon Ami Rive-Gauche.
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Colères du Bouillant Achille (Les). Petits Patriotes (Les).
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Histoire d’un Vaurien. Théâtre chez Grand’Mère (Le)
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Jours d’épreuves. Australie.
Kerbiniou le très madré Voyage du novice Jean-Paul à tra
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Malices de Pliok et Plock (Les) Yves Kerhélo.
Envoi franco, sur demande, du Catalogue BIBLIOTHÈQUE DU PETIT FRANÇAIS.
S. BLANDY




La


Teppe aux Merles


Ouvrage illustré de 54 gravures.


HUITIÈME ÉDITION

Librairie Armand Colin


Rue de Mézières, 5, PARIS


1911


Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.



LA
TEPPE AUX MERLES




I


Jamais foire de septembre n’avait été aussi belle à Tournus que celle de cette année-là. Dès l’aube, les rues paisibles de cette petite ville mâconnaise avaient été envahies par la population des villages voisins, précédée par la clientèle plus lointaine du Charolais et de la Bresse qui se coudoyait au foiral.

La foule était encore plus bruyante sur la place du Marché où s’amoncelaient cages à volailles, corbeilles de fruits et de légumes, pyramides de livres de beurre étalées sur des feuilles de choux. Les ménagères citadines allaient et venaient entre les rangs pressés des Bressanes à large chapeau de dentelle noire orné d’une chaîne d’or, et des Mâconnaises de la région qui portent sur leur coiffe coquette un chapeau plus élégant, dressé en forme de tour.

Si ce tableau campagnard était un spectacle pour les Tournusiens, les villageoises n’étaient pas en reste d’observations. L’événement du jour, dont il était question d’un banc de vente à l’autre, c’était la transformation de la boutique à Joseph Tailland, le drapier, dont l’enseigne à lettres saillantes, les peintures réchampies d’or et les glaces des vitrines triomphaient d’un luxe tout neuf au coin de la place.

« En voilà du nouveau ! dit une des doyennes du marché, Tailland s’est mis au genre de Paris.

— Oh ! comme c’est plus beau maintenant ! répondit une jolie fille de seize ans. Dès que j’aurai fini l’étalage, grand’mère, vous me permettrez d’aller regarder ces étoffes.

— Tu as le temps, Catherine, gronda la grand’mère, Quelles pies que ces fillettes pour courir vers ce qui brille ! Moi, j’aimais mieux l’ancienne boutique, N’est-ce pas, Thibaude, que Lu n’oseras plus aller marchander de la cotonnade chez les Tailland, de peur de payer les frais de réparation de leur boutique ? »

La voisine ainsi interpellée répondit avec cette vivacité de langue qui est familière aux riveraines de la Saône :

« Non pas certes, et je n’y allais guère déjà depuis que le bonhomme Tailland est mort, car son fils fait le gros monsieur et Mme Tailland prend des airs avec nous autres, comme si elle n’était pas de Farges, de notre propre Commune. Est-ce que nous ne la tutoyions pas, du temps qu’elle s’appelait Agnès Franchet ? Est-ce que nous ne tutoyons pas la femme de son frère ? En voilà une au moins qui n’est pas fière. Elle m’a rencontrée en route ; je portais tout ce butin à vendre et j’étais chargée, vous pensez ! Elle m’a fait monter sur sa jardinière, à côté d’elle et de son fils ! Agnès Tailland ne se sent pas d’être sortie d’une telle famille, et je n’ai pas pu m’empêcher d’en faire Ja réflexion à Madeleine Franchet.

— Eh bien ! dit Catherine, vous l’aurez mise dans l’embarras, car sa bonté lui coupe toujours la parole sur le compte du prochain. Ce n’est pas comme tant d’autres… »

Un regard malin dirigé vers la Thibaude accentua ces derniers mots. Dès que la grand’mère de Catherine fut en pourparlers avec une cliente, la jeune fille s’esquiva pour aller admirer de plus près les embellissements du magasin de nouveautés.

Assise devant son comptoir en chêne sculpté, Mme Agnès Tailland présidait d’un air bénin à l’inauguration du nouvel état de choses de sa maison ; sa toilette était à la hauteur des circonstances ; elle était coiffée en cheveux, et des bagues massives ornaient ses doigts. Quant à Joseph Tailland, pour juger de la satisfaction de son amour-propre, il n’y avait qu’à le voir rouler à travers les comptoirs sa ronde et courte prestance, et qu’à l’entendre répondre aux compliments des acheteuses :

« Oui, j’ai fait des folies ; mais il faut bien se mettre à la hauteur de son temps ! »

Lui et les deux petits commis s’agitaient à déployer des étoffes, à ouvrir des cartons, le tout sans profit immédiat, car les campagnardes ne desserrent leurs bourses que lorsque celles-ci ont été gonflées par le produit de leur vente. Or, comme il n’était que onze heures du matin, les villageoises se bornaient à regarder et à marchander, et voilà pourquoi Mme Tailland restait assise derrière son comptoir.

Tout à coup, sa mine nonchalante s’anima, Était-ce bien Mme Hoisel qui se dirigeait droit vers elle à travers ce flot de campagnardes assez malapprises pour gêner la circulation avec leurs paniers ? Quel succès si la femme du médecin le plus renommé de Tournus deve

Trois femmes dans une boutique de tissus. Une assise sur une chaise palpe le tissu, une autre debout derrière un comptoir sur lequel est déroulé une pièce de tissu, le pointe du doigt. Une troisième à droite regarde la personne assise.
Trois femmes dans une boutique de tissus. Une assise sur une chaise palpe le tissu, une autre debout derrière un comptoir sur lequel est déroulé une pièce de tissu, le pointe du doigt. Une troisième à droite regarde la personne assise.
Les villageoises marchandant la toile dans le magasin des Tailland.


nait la cliente du magasin ! Jamais Mme Hoisel n’était entrée chez les Tailland. Voilà ce que l’on gagne à restaurer son enseigne.

Mme Tailland s’empressa ; après avoir avancé un siège pour Mme Hoisel et un autre pour le jeune garçon d’une douzaine d’années qui l’accompagnait, elle demanda ce qu’elle allait avoir l’honneur de servir, sans oublier d’ajouter l’énumération élogieuse de ses marchandises.

« Je me souviendrai de tout cela, répondit poliment Mme Hoisel, quand j’aurai des achats à faire ; aujourd’hui, je viens pour autre chose, Un de mes parents, récemment nommé receveur à Tournus, m’a chargé de louer une maison pour lui. J’ai vu dans le journal que vous en proposez une dont la description me parait convenir, Pourrais-je la visiter ?

— Oui, madame », répondit Mme Tailland,

S’il était contrariant de ne pas conclure une vente, c’était toujours une entrée en matière que de louer à Mme Hoisel la maison dont on avait hérité lors de la mort de tante Ursule.

« Seulement, ajouta la marchande, il m’est impossible de vous la montrer moi-même ; nous sommes esclaves les jours de foire. Mon fils vous accompagnera. Il sera enchanté de cette occasion de voir M. Jacques Hoisel, car ils sont camarades de classe au lycée. »

Pendant qu’elle commandait d’un ton bref à un commis d’aller prier M. Eugène de venir, Mme Hoisel dit tout bas à son fils :

« Eugène Tailland est donc ton camarade au lycée ? Tu ne m’as pas demandé à lui rendre visite depuis que tu es en vacances.

— Parce que je ne m’en soucie pas, maman. Nous sommes de la même classe, mais pas du tout copains.

— Pourquoi ?

— Pour tout. C’est un fameux cancre, va, et par-dessus le marché un sot et un cafard.

— Jacques ! encore ton argot de lycée que ton père ne peut souffrir ! »

Au moment où Mme Tailland se rapprochait d’eux, elle fut arrêtée par une femme coiffée en Mâconnaise : celle-ci dit familièrement à la dame du magasin :

« Agnès, veux-tu me garder l’argent de ma vente ? J’ai affaire au foiral et je crains de me promener dans la foule avec ma bourse ne poche. »

C’était humiliant d’être tutoyée par une personne de campagne devant une belle dame à laquelle on avait eu plaisir à apprendre qu’il y avait parité d’éducation entre les enfants des deux familles. Mme Tailland fut tentée de clore cet incident désagréable en prenant sans souffler mot le sac de toile bise que la villageoise lui tendait. Une inspiration plus raffinée la porta à démontrer à Mme Hoisel que cette paysanne justifiait sa familiarité par quelques moyens de fortune, et elle répondit d’un air de protection :

« C’est bien ; si tu veux que M. Tailland aille toucher chez le changeur tes coupons d’obligations, tu n’as qu’à me les donner aussi,

— Non, merci, reprit la Mâconnaise. Joseph m’a montré une fois comment la chose se pratique. Ma tête n’est pas trop dure, Je m’en tirerai sans déranger ton mari. »

Pendant ce colloque, l’attention de Mme Hoisel s’était portée sur les objets environnants ; mais Jacques dit tout à coup à sa mère :

« Maman, c’est Mme Franchet qui parle ici à côté de nous, »

Mme Hoisel se leva pour barrer le passage à la campagnarde qui se dirigeait déjà vers la porte,

« Quel plaisir de vous rencontrer, madame Franchet, lui dit-elle en lui tendant avec cordialité ses mains finement gantées. J’ai à vous gronder aussi. Vous êtes venue ce matin à notre porte pour y laisser le joli cadeau d’un panier de pêches…

— C’était pour Jacques, répondit en souriant Mme Franchet, de la part de mes deux enfants. Philibert et Reine voulaient lui faire goûter de nos fruits. »

Après que Jacques eut remercié Mme Franchet en lui apprenant qu’il avait déjà dévoré sept pêches et qu’elles étaient « fameusement bonnes », Mme Hoisel reprit ainsi :

« Mais vous étiez déjà loin lorsqu’on m’a monté le panier ; vous nous avez privés du plaisir de vous remercier. »

Pendant que Mme Tailland se réjouissait de sentir sa dignité sauve, après les démonstrations amicales faites à sa belle-sœur par Mme Hoisel, Eugène parut à la porte du fond et dit d’un ton maussade et traînard :

« Maman, qu’est-ce que tu me veux ? Si tu me déranges à chaque instant, ce n’est pas la peine d’être en vacances. »

À côté de Jacques Hoisel, de physionomie intelligente et fine, Eugène Tailland ressemblait à un bloc de pierre non dégrossi auprès d’une statuette délicate. Déjà envahi par l’embonpoint paternel, son corps massif avait acquis à quatorze ans presque toute sa croissance. Sa grosse figure était encadrée dans des cheveux frisés à la façon des caniches, depuis que les vacances leur avaient permis d’esquiver la tonte réglementaire du lycée ; elle ne gagnait à cet ornement naturel qu’une ressemblance avec une tête dé mouton mérinos : c’était le même air endormi, les mêmes yeux à regards émoussés et la même absence de menton.

En se rappelant que ce grand garçon suivait la même classe que son fils, Mme Hoisel s’’expliqua la sévérité de celui-ci à l’égard de son compagnon d’études. Jacques devina sans doute l’idée de sa mère, car il cacha une malice sous la question suivante :

« N’est-ce pas, maman, Eugène Tailland ne ressemble pas du tout à son cousin Philibert Franchet ? »

Ce fut Mme Tailland qui répondit avec orgueil :

« Pas du tout ; je suis bien flattée que vous le remarquiez. Philibert aurait besoin d’être mis en ville, dans quelque pension, pour se dégourdir, Il est tellement gauche !

— Mais pas du tout ! s’écria Jacques, pendant que Mme Franchet disait à sa belle-sœur :

— Que Philibert sache lire, écrire, calculer ; qu’il connaisse en gros l’histoire de son pays et un peu comment le monde est fait et comment il va, ce sera assez, et s’il est gauche en ville, il sera assez dégourdi pour la campagne. Mais où est-il, mon Philibert ?

— Comment, est-ce qu’il est ici ? s’écria Jacques en piétinant sur place. Je veux le voir. »

Philibert parut bientôt et il démentit la réputation de balourdise que lui auraient volontiers faite ses parents de Tournus, en allant saluer Mme Hoisel avec un empressement respectueux et en serrant la main que Jacques lui tendait.

Assurément, Philibert n’avait ni les allures ni la mise d’un citadin. Son teint brûlé par le soleil, ses mains brunes et un peu rudes étaient d’un villageois, ainsi que son costume composé d’un pantalon de coutil et d’une veste de drap léger ; sa cravate était d’un bleu trop intense, fâcheusement semé de fleurs roses ; mais ces vêtements couvraient un corps agile et bien proportionné ; les yeux noirs de Philibert étaient parlants, et sa physionomie, aussi vive qu’aimable.

Mme Tailland sortit jusqu’au seuil du magasin pour voir quel ordre de marche le groupe Composé par Mme Hoisel et les trois jeunes garçons adopterait pour se rendre à la maison à louer ; elle fut mortifiée, lorsqu’après avoir pris amicalement congé de Madeleine Franchet, Mme Hoisel eut fait à son fils certain signe après lequel Jacques passa son bras sous celui de Philibert et précéda ainsi sa mère de quelques pas. Mme Hoisel les suivait sans faire attention à Eugène Tailland qui, balançant dans sa main la grosse clef de la maison à tante Ursule, se laissait distancer par les groupes d’allants et venants.

« Après tout, qu’est-ce que cela nous fait ? dit Mme Tailland à son mari qui était venu la rejoindre sur le pas de la porte. Pourvu que la maison se loue, peu importe que Mme Hoisel préfère les Franchet à nous autres… Je voudrais bien savoir comment ils se connaissent.

— Eh ! répondit Joseph Tailland, le docteur Hoisel a acheté, il y a trois ans, une petite propriété près de Farges. »

Pendant ces commentaires, Mme Hoisel visitait la maison du quai de Saône. Eugène l’introduisait dans chaque pièce dont il ouvrait les portes et les volets. Peu intéressés par cette inspection, Jacques et Philibert continuaient dans un coin de la cour l’échange d’informations et de projets entamés depuis leur rencontre, et ils avaient tant à se dire que ces

Place de village pleine de monde. Au premier plan, une femme en costume assise sur un banc, un enfant agenouillé auprès d’elle.
Place de village pleine de monde. Au premier plan, une femme en costume assise sur un banc, un enfant agenouillé auprès d’elle.
« Maman… qu’as-tu ? »


récits mutuels, entrecoupés de grands éclats de rire, n’étaient pas terminés lorsque Mme Hoisel eut fini son exploration de la cave au grenier.

« La suite au prochain numéro », dit gaiement Jacques pendant que Mme Hoisel informait son cicerone que le docteur irait le lendemain chez ses parents pour conclure cette affaire de location.

Lorsque les deux cousins reprirent ensemble le chemin de la place du Marché, Philibert marcha en silence, sans prêter attention aux propos interrompus d’Eugène qui s’amusait à se moquer de tous les gens qu’il rencontrait, Piqué de ne pas recevoir la réplique, Eugène finit par pousser Philibert jusqu’à l’adosser au vitrage d’une boutique et le tenant arrêté là, il lui dit :

« Est-ce que tu as perdu ta langue dans la cour de tante Ursule ?… Tu réserves tes grâces pour Jacques Hoisel. En quoi les mérite-t-il plus que moi ? Est-ce que tu le crois plus riche ?

— Qu’est-ce que cela ferait ? répondit Philibert. Tiens, ne me pousse plus. Je n’aurais qu’à casser cette grande vitre. Elle coûterait cher à payer, bien sûr. »

Derrière la glace de ce magasin, il n’y avait qu’un amas confus de papiers à gravures multicolores et deux sébilles pleines, l’une de rouleaux d’or, et l’autre, de vieille orfèvrerie. Au moment où Philibert exprimait la crainte d’avoir à payer les frais d’un accident, la porte de cette boutique s’ouvrit tout à coup et dans la personne qui en sortit et qui traversa le trottoir d’un pas agité, Philibert reconnut sa mère. Pousser Eugène pour s’élancer sur les traces de Mme Franchet, et dire à celle-ci en lui pressant les mains :

« Maman, qu’as-tu ?… Pourquoi es-tu si rouge ?…, pourquoi deviens-tu si pâle maintenant ? »

Tout cela se passa avec la rapidité d’un éclair. Madeleine Franchet s’était laissée tomber sur un banc et elle regardait son fils sans paraître le voir.

Déjà quelques personnes s’informaient du motif qui faisait pleurer ce jeune garçon auprès de cette femme affaissée sur ce banc. Madeleine Franchet passa ses deux mains sur sa figure, puis elle dit d’une voix altérée :

« C’était un étourdissement… il est passé. Ce n’est plus rien. »

Le soir, pendant que Mme Tailland faisait sur ses livres de compte l’addition des ventes du jour, son mari, sorti un moment pour prendre l’air, rentra tout préoccupé.

« Veux-tu savoir le bruit qui court ? dit-il. Quelqu’un de la campagne, une femme d’après ce qu’on assure, a présenté chez le changeur un numéro d’obligation ayant gagné cent mille francs au dernier tirage. »


II


« Vous partez tôt aujourd’hui, ce qui prouve que vous avez vile vendu vos denrées et fait une bonne foire », dit la maîtresse de l’auberge où étaient remisés la jardinière et le cheval de Madeleine Franchet, lorsque celle-ci se présenta vers cinq heures pour payer son petit compte. Pendant ce temps, Philibert allait chercher le cheval à son rang de file parmi les nombreuses bêtes de trait ou de selle arrivées le matin à Tournus, et qui allaient être successivement sellées ou attelées à un des véhicules confusément placés dans la grande cour, brancards à terre.

D’habitude Mme Franchet ne permettait pas à son fils d’aller chercher Noiraud à l’écurie de l’auberge ; dans ces réunions de chevaux inconnus, il pouvait s’en trouver de vicieux, et un coup de pied est si vite lancé ! Il fallait que la mère eût pris confiance dans le savoir-faire de son fils, ou bien que sa prévoyance fût engourdie par le mal de tête qui l’avait empêchée de diner, car elle n’objecta rien à celle proposition de Philibert :

« C’est moi qui vais atteler Noiraud, n’est-ce pas ? »

Après avoir payé l’aubergiste, elle s’assit sur le banc de pierre de la cour, et resta là, le menton posé dans sa main, sans penser à reprendre l’inexpérience de son fils qui se piquait aux ardillons du harnachement.

Philibert n’était pas maladroit cependant : mais c’était la première fois qu’il attelait Noiraud et comme il avait souvent observé cette opération, il corrigeait ses erreurs l’une après l’autre. Peut-être même en serait-il venu à bout sans tant de peine si sa tête n’avait été occupée à autre chose qu’à ce qu’il faisait.

Est-ce qu’on allait quitter Tournus sans aller faire une petite visite à l’oncle Pétrus et aux deux gentilles cousines ? Si Philibert avait eu le choix en arrivant en ville, c’est chez l’oncle Pétrus qu’on serait allé diner, et non pas chez l’oncle Tailland où l’on n’était pas à l’aise. Quelle différence entre ce gros Eugène, si gonflé de ses écus, et cousine Ursule si douce et si modeste, et cousine Rosalie si fûtée et si drôlette avec son babil de sept ans. L’oncle Pétrus était plus aimable aussi que l’oncle et la tante Tailland. Ce n’est pas qu’il fût bien gai… au contraire ; depuis que sa femme était morte, il était même très triste ; mais cela ne l’empêchait pas de trouver de vrais mots d’amitié pour Philibert. Et puis, quoique moins belle que le magasin de l’oncle Tailland, la boutique de l’oncle Pétrus Franchet était plus amusante à visiter dans tous ses coins. Il y avait de tout : de la quincaillerie, de la faïence, des jouets, de la mercerie, et à chaque fois, des choses nouvelles à regarder, un tas de brimborions dont Philibert ne comprenait pas toujours l’usage ; mais la cousine Ursule le lui expliquait.

C’était l’ainée de la famille et la filleule de cette tante Ursule dont on avait partagé le petit héritage ; la boutique de quincaillerie avait été le lot de Pétrus Franchet que la vieille tante avait élevé.

Quand il eut mené sa besogne à bonne fin, Philibert amena par la bride Noiraud vers le grand portail, puis il dit un peu haut pour se faire entendre de sa mère :

« Est-ce qu’il manque quelque chose, maman ? Est-ce que je ne m’en suis pas bien tiré ?… Viens voir un peu. »

Mme Franchet fut debout comme en sursaut, par un mouvement brusque ; elle s’approcha de la jardinière, et tout en disant d’un air étonné « Comment ! c’est toi qui as attelé Noiraud et qui l’as amené jusqu’ici sans rien accrocher à travers ce fouillis de voitures ? » elle tourna autour du cheval et vérifia la correction de son harnachement. Pour être donnés en peu de mots, ses éloges à son fils n’en furent pas moins bien reçus, et Philibert y puisa le courage nécessaire à la question suivante :

« Maman, est-ce que nous quitterons Tournus sans aller faire une petite visite à l’oncle Pétrus ?

— Tu m’y fais penser, dit-elle à son fils. J’ai encore là le petit panier de chasselas et les œufs que j’apportais à tes cousines. Puisque la voiture est attelée, sortons d’ici, nous l’arrêterons devant la boutique à Pétrus. Et, j’y pense, Philibert, je te remercie de m’avoir parlé de ton oncle. Il aurait eu du chagrin de ne pas nous voir. Et moi, je serai aise de causer avec lui. C’est un homme juste, pas envieux, et de bon conseil. oui, oui, c’est un parent dans lequel on peut mettre sa confiance. »

Philibert aurait voulu que Noiraud avançât vite par les rues ; mais l’encombrement y était op grand ; il fallait garder le pas pour ne point causer d’accident dans ce pêle-mêle de gens affairés trainant après eux leurs achats du jour sous forme de bestiaux récalcitrants aux ordres de maitres inconnus. Enfin, la jardinière atteignit le coin de la petite rue où la boutique de Pétrus Franchet était en harmonie avec les constructions vieillottes qui s’avançaient ou rentraient capricieusement sur la ligne de la chaussée. La plupart de ces maisons, datant du xviiie siècle, avaient un anneau de fer encastré dans une des pierres de taille de leur façade, et ce fut cette commodité d’une époque où les voyageurs n’avaient pas toujours sous la main un valet pour tenir leur monture qui permit à Mme Franchet et à son fils d’abandonner Noiraud après avoir fixé son licol.

Cette opération n’était pas encore terminée quand le grincement d’une sonnette rouillée se fit entendre ; la porte de la boutique s’ouvrit, et Pétrus Franchet s’avança au-devant de ses visiteurs.

« À la bonne heure, dit-il, vous voici tard, mais enfin vous voici. Mes filles ont compté les heures, tellement il leur tardait de vous voir. Mais vous n’avez pas bonne mine, cousine Madeleine ! Tout votre monde se porte bien ? Vous n’avez pas quelque contrariété ? »

Philibert n’en entendit pas davantage ; après avoir embrassé son oncle, il se précipita le premier dans la boutique et courut se pendre au cou d’Ursule qui abandonna le rangement d’une vitrine pour faire accueil à son jeune cousin.

« Où est Rosalie ? demanda bientôt celui-ci,

— Ah ! vous êtes cause que je l’ai grondée. Elle ne pouvait pas venir à bout d’apprendre ses dix lignes de leçon aujourd’hui ; elle ne pensait qu’à guetter votre arrivée ; alors je l’ai envoyée étudier par cœur dans la salle,

— Pourquoi es-tu si sévère avec cette pauvre petite ? dit Philibert ; elle n’a que sept ans ; elle ne peut pas être aussi raisonnable que toi.

— Vous entendez, père, dit doucement Ursule à Pétrus Franchet qui rentrait à la suite de Madeleine, je suis accusée de rendre notre Rosette malheureuse. Ah ! bonjour, ma tante, je suis bien contente de vous voir.

— Bonjour, ma nièce, répondit Mme

Un homme sort d'une boutique marquée taillerie. Devant une femme au chapeau traditionnel attache un cheval à un anneau. L’homme tend les mains vers elle.
Un homme sort d'une boutique marquée taillerie. Devant une femme au chapeau traditionnel attache un cheval à un anneau. L’homme tend les mains vers elle.
Le bon Pétrus Franchet courant au devant de sa cousine..


Franchet, en touchant la main de la jeune fille ; si Philibert te reprochait, quand je suis entrée, de ne pas nous laisser emmener Rosette à la campagne pour une quinzaine, il avait raison contre toi. Allez, je vois votre raison, à tous deux, vous craignez de vous ennuyer sans elle.

— Oui, dit Pétrus Franchet, nous serions tristes ensemble si ce lutin ne nous égayait pas malgré nous… Je vous remercié, cousine Madeleine, mais ne parlons plus de cela… Nous verrons l’an prochain.

— Et je puis aller trouver Rosalie ? demanda Philibert qui s’était armé du panier de raisin.

— Certainement, répondit Ursule et ne la ramène pas ici, car voici cinq ou six clients arrivant à la file, et la boutique est si petite que vous nous gêneriez. »

Ursule dut répondre toute seule aux demandes du groupe campagnard dont l’entrée agita le trémolo de la sonnerie, car Pétrus Franchet et sa cousine suivirent le jeune garçon et allèrent s’asseoir dans un coin de la salle un peu sombre qui suivait la boutique. Quant à Philibert, il n’était pas encore arrivé au milieu de cette pièce qu’une exclamation joyeuse partit de l’embrasure de l’unique croisée qui l’éclairait sur la cour.

« Ah ! te voici, et pourquoi si tard ?

— Va, ce n’est pas ma faute ; répondit Philibert après avoir embrassé la jolie blondinette qui sautillait autour de lui, sans remarquer qu’elle piétinait son livre d’étude. *

— Je vais dire bonjour à ma tante », reprit Rosalie, puis après avoir fait quelques pas en avant, elle ajouta : « Non, je crains de la déranger. Elle cause bien sérieusement avec papa, et tout bas… Ce sera pour tout à l’heure, quand ils auront fini. Dis-moi en attendant ce : que ma cousine Reine l’a dit pour moi. Et pourquoi ne vient-elle jamais à Tournus ? Est-ce toujours bien joli, chez vous ? Y a-t-il de belles fleurs ? Tu sais, je me souviens à peine de votre maison. J’étais si petite quand j’y suis allée ! Je n’avais que cinq ans. »

C’était à l’époque de la mort de sa mère que Rosalie avait passé quinze jours chez ses parents de Farges et, quoique ses souvenirs de ce temps-là fussent un peu confus, elle en gardait une impression de liberté au large des champs et un désir de la renouveler que Philibert accroissait de temps à autre par ses descriptions. Ce jour-là, il ne manqua pas à son rôle habituel, et tout en picorant à la façon des moineaux gourmands le chasselas du panier, tous deux gardèrent les moutons en idée, sautèrent des ruisseaux, cueillirent des mûres jusqu’à s’en barbouiller, dénichèrent des œufs, surveillèrent au four la cuisson de la galette, gaulèrent des noix, en un mot, jouirent en imagination de tous les plaisirs de la vie champêtre.

Pendant ce temps, le dialogue à voix basse de Madeleine Franchet avec son cousin se poursuivait. Au moment où Rosalie s’amusait du récit des prouesses équestres de Philibert sur un poulain de deux ans, Pétrus Franchet répondait à sa visiteuse :

« Oui, je comprends votre crainte d’un faux espoir donné à votre mari. Claude a la tête vive, et ce serait un coup trop dur pour lui s’il était trompé après s’être figuré… Écoutez, puisque vous craignez que Claude ne se monte la tête, ne lui disons rien avant d’être bien sûrs, Donnez-moi le numéro de cette valeur, et j’irai consulter à Mâcon le banquier V**, qui connait toutes ces choses de son état et à qui l’on peut avoir confiance,

— Merci bien, Pétrus ; mais comment me préviendrez-vous ? Ce qui m’occupe surtout, c’est la tranquillité d’esprit de mon mari. Voyons, comment m’aviserez-vous de la vérité ? »

Pétrus Franchet eut un bon sourire sur les lèvres ; mais au lieu de répondre à Madeleine, il se leva et se dirigea vers le groupe formé par Rosalie et Philibert, assis l’un en face de l’autre sur deux chaises basses, les pieds juchés sur les barreaux d’une autre chaise qui supportait le panier de raisin ; chacun d’eux tenait à la main une grappe entamée, et tout en gobant l’un après l’autre les grains roussis par le soleil, ils jasaient avec un tel entrain qu’ils ne s’aperçurent pas de la fin du colloque de leurs parents.

« Oh ! comme cela doit être amusant, les vendanges ! disait Rosalie au moment où son père s’approchait d’elle.

— Eh bien, ma Rosette, dit celui-ci, tu les verras cette année, si tante Madeleine veut l’emmener tout de suite avec elle.

— Vrai ? papa, s’écria la blondinette en s’élançant les bras ouverts vers Pétrus Franchet, qui la reçut dans ses bras et la livra ensuite aux baisers de sa tante.

— Oui, continua-t-il ensuite, tu passeras là-bas une dizaine de jours ou un peu plus, enfin jusqu’à ce que j’aille te chercher après une petite tournée que j’ai à faire à Mâcon… Philibert, veux-tu voir à la boutique si Ursule a fini de servir ses clients ? Nous irions garder à sa place pendant qu’elle s’occuperait des affaires de Rosalie… Y va-t-il d’un bon pas ! Il parait content, lui aussi, d’emmener notre Rosette. »

Si Philibert était content ! oui certes, et pour son compte et pour celui de sa sœur qui allait être si agréablement étonnée en voyant arriver sa pelite cousine.

Une demi-heure plus tard, Noiraud trottinait sur la grand’route qui, de la vallée où Tournus s’étend au bord de la Saône, remonte vers les hauts plateaux où se groupent successivement Le Villars, Farges, Uchizy et Saint-Oyen. Le soleil s’abaissait sur l’horizon, et teignait de pourpre un amas de petits nuages folâtres que la brise faisait courir en bulles de mousse légère dans le lointain du ciel.

« Oh ! comme ils sont jolis, dit Rosalie à son cousin, et comme on en voit large du ciel dès qu’on a quitté Tournus où les maisons le cachent. Sais-tu, ces nuages roses sur ce bleu, ça ressemble à ta cravate. mais en grand. Elle est jolie aussi ta cravate, Philibert. »

Il se mit à rire : « Eugène l’a trouvée très laide, répondit-il ; elle a trop de couleurs pour les gens de la ville. »

Ils étaient bien à l’aise pour causer, car sous prétexte que le siège de la jardinière n’était pas assez large pour trois personnes, ils avaient obtenu de s’établir à l’intérieur, Rosalie sur sa valise, et Philibert sur un amoncellement de paniers vides. Absorbée par le soin de conduire et peut-être aussi par ses préoccupations, Mme Franchet ne retourna pas la tête en arrière une seule fois pendant que Philibert faisait à sa cousine les honneurs du paysage, lui nommant l’un après l’autre les groupes dé hameaux disséminés dans les prairies de la vallée ou montant vers le plateau à la lisière des vignobles.

« Peut-on voir votre maison ? Montre-la-moi, disait Rosalie chaque fois qu’un toit de briques ou d’ardoises se dessinait sur un fond de feuillage.

— Pas encore, disait chaque fois Philibert. Ceci est Le Villars. » Et plus loin : « Nous ne sommes qu’à Farges.

— Eh bien, reprit Rosalie pendant que la jardinière traversait la grande rue de ce village et que Madeleine Franchet échangeait un salut cordial avec chaque vieille femme occupée à filer sa quenouille devant sa porte, eh bien ! puisque vous êtes de Farges, votre maison doit être une de celles-ci. Dis-moi laquelle, car je ne m’en souviens plus du tout.

— Attends un peu », dit Philibert.

Noiraud, qui sentait son écurie, allongea le pas au sortir du village et s’engagea vivement dans un chemin vicinal bordé de haies de mûriers qu’enlaçaient des festons de clématites sauvages, à marabouts échevelés. Ce chemin montait le coteau que dominait une rangée de noyers plantés au-dessus d’un terrain gazonné où des blocs pierreux saillaient çà et là. Au-dessous de cette prairie naturelle, et au niveau d’une vigne à pampres colorés, une maison à demi voilée par un rideau d’arbres fruiliers étendait au midi sa façade égayée par une treille, et rendue pittoresque par son escalier de pierre intérieur, protégé par l’avancée du toit que soutenait un pilier de bois entouré de plantes grimpantes.

« Regarde, dit Philibert à sa cousine, est-ce que tu ne reconnais pas la Teppe aux merles ? »


III


Ce nom de « Teppe aux merles » donné à une propriété rurale doit paraître singulier hors du terroir mâconnais ; mais là, dans toute la région qui descend des limites de l’ancienne Bourgogne à celles du Forez et du Lyonnais, ce mot de teppe signifie un terrain non défriché fournissant aux bestiaux, dans l’intervalle de ses buissons sauvages et de ses rocs effleurant le sol, la pâture courte et fine d’une prairie naturelle. Presque chaque commune possède sa teppe, rangée naturellement au nombre de ses biens les plus chétifs, et sur laquelle chacun a droit de pacage pour ses chèvres ou ses moutons, et il est curieux que la tradition populaire ait associé à beaucoup de ces Leppes des noms d’oiseaux, comme dans l’exemple de la « teppe aux ramicrs » à Gigny, ct dans celui de la « teppe aux merles » conservé à la propriété des Franchet. Cela tient sans doute à ce que ces teppes sont un débris des forêts qui ont autrefois couvert la plus grande partie du sol de la France ; les quelques arbres qui leur restaient devaient être l’asile des tribus ailées des oiseaux de passage ou de séjour constant dans notre climat tempéré. C’est toujours un fait naturel ou un souvenir historique, parfois légendaire, qui fournit les noms consacrés par l’usage.

C’était à un premier labour d’automne que Claude Franchet avait compté occuper la journée que sa femme et son fils passaient à Tournus pour la foire ; mais il avait si lestement mené sa besogne, ou, pour mieux dire, il l’avait commencée de si bon matin que les guérêts de son champ de blé se trouvèrent tous tracés en lignes profondes et droites un peu avant midi.

« Voilà papa qui rentre avec la charrue et les bœufs », dit la petite Reine à Jeannette, occupée à disposer le diner du laboureur dans un panier.

Reine devait être chargée d’emporter ce diner tout chaud, et elle s’était fait une fête de ce repas à prendre avec son père au bout du champ, tous deux assis au bord du fossé, les pieds dans l’herbe et sur les tiges de menthe qui en tapis

Un homme et deux bœufs.
Un homme et deux bœufs.
Claude Franchet ramenant ses bœufs du labour.


saient le fond, les épaules accotées aux vieux saules. Elle s’était promis un grand plaisir d’avoir son père à elle toute seule. Ce n’allait pas être la même chose à la maison où les vides à la table de la maman et du grand frère rendraient le repas triste,

En effet, il ne fut pas gai ; Claude Franchet expédia sa soupe et le lard aux choux ; ce ne fut qu’au moment d’entamer le fromage de chèvre, dur et s’émiettant sous le couteau à Ja façon d’un morceau de savon sec, qu’il demanda :

« Qu’a-t-on fait ici depuis ce matin ? »

Jeannette dînait avec ses maîtres, au bout de la table qui tenait le milieu de la grande cuisine ; ce n’était pas par besoin d’être servis que les Franchet avaient une domestique, mais parce que les soins à donner aux bestiaux et aux hôtes nombreux de la basse-cour ainsi que le beurre à battre et le lin à filer étaient une tâche au-dessus des forces d’une seule personne : Jeannette gagnait bien à ses maîtres le pain qu’elle mangeait chez eux, car elle ne reculait devant aucune besogne champêtre, et plus d’une fois elle avait épargné à Claude Franchet la dépense d’un tâcheron gagé. Aussi gardait-elle son franc parler, ainsi qu’il y parut à sa réponse.

« Je n’ai pas abattu autant d’ouvrage que vous, not’maître. L’écurie est nettoyée ; j’y ai semé une litière neuve ; j’ai haché des orties pour les dindonneaux, et j’ai cuit au four le pain que Mme Franchet a pétri hier au soir ; ce qui fait que je vais me reposer en filant sur le pas de la porte, tandis que si vous avez peiné pour finir votre labour à midi, m’est avis que c’est pour monter ensuite à la teppe vous casser es reins à tirer quelques Trocs, pendant que votre femme n’est pas là pour vous en empêcher. »

Sans se fâcher, Claude Franchet répondit :

« Tes choux et ton lard seront froids, Jeannette, si tu te mets à me faire des remontrances… Et toi, Reine, as-tu bien travaillé ce matin ?

— Papa, il faut tout vous dire ? c’est qu’il y a du joli… et du moins joli dans ma conduite !

— Bien sûr, il faut tout me raconter, reprit Claude Franchet en considérant avec plaisir la petite figure brune penchée vers lui. Un papa doit tout savoir ; d’ailleurs, je ne suis pas terrible.

— Eh bien, papa, dit Reine en baissant les yeux, j’ai mal commencé ma journée… en pleurant de voir partir Philibert. Ce n’est jamais mon tour d’aller à Tournus. Et puis j’ai compris que c’était laid d’être jalouse, et j’ai aidé Jeannette ; ensuite, je suis allée promener les oies ; elles m’ont donné du mal un moment ; elles étaient toutes entrées dans le champ de sarrasin de la Thibaude.

— En voilà une bergère maladroite, si elles ÿ étaient toutes entrées ! dit Claude Franchet ; il te suffisait d’empêcher la première qui a voulu franchir le trou de la haie.

— Ah ! papa, c’est que j’étais assise avec mon livre pour étudier une fable. Maman a peur, tu sais, que j’oublie pendant l’été ce que j’apprends l’hiver à l’école, et elle me fait écrire et lire chaque jour. Ce matin, elle m’a promis de me rapporter une poupée de Tournus et de me la donner ce soir si je sais ma fable, Voilà pourquoi je l’ai étudiée. Et je la sais, papa ! J’ai gagné ma poupée,

— Et tes oies ont fait du ravage chez la Thibaude.

— Non, papa, j’ai couru si vite après elles, Ensuite, je suis revenue ici ; j’ai lavé les pots de la laiterie, et très bien, n’est-ce pas ? Jeannette… mais j’ai eu encore un mauvais moment quand je l’ai vu rentrer avec les bœufs. J’étais si contente de diner avec toi sous les saules.

— Eh bien, pour remplacer ce diner, dit Claude Franchet, tu viendras à quatre heures m’apporter mon goûter à la teppe, et nous mangerons ensemble au bon air de là-haut. »

Reine gardant les oies.
Reine gardant les oies.

Il se leva et alla choisir à l’abri de la grange, parmi les outils aratoires gisant à Lerre où accrochés au mur, un pic et une pioche qu’il jela sur son épaule droite.

Jeannette prit sa quenouille, la chargea de chanvre, et alla s’installer sur le balcon qui formait à la hauteur du premier étage le palier de l’escalier extérieur. C’était sa récréation, à elle, de tourner le fuseau à ce poste favori d’où son œil pouvait inspecter les bâtiments qui entouraient la cour, et veiller par delà le grand portail, sur les divers champs de la propriété. Dans la saison des fruits, les maraudeurs sont si hardis !

Au bout d’un moment, Reine alla donner du grain à ses perdreaux, deux jolis petits d’une couvée de juillet que son père avait trouvés dans un sillon au moment de couper le blé. C’avait été une grosse affaire de les apprivoiser ; Philibert, très adroit de ses mains, leur avait construit une cage ou, pour mieux dire, des barrières et un toit en fil de fer tressé pour les empêcher de prendre leur vol hors de leur compartiment de basse-cour ; il avait embelli leur prison en plantant au milieu un petit arbuste et en mettant dans un coin une maisonnette formée d’une vieille caisse de bois avec un lit de foin et de paille et pourvue de barreaux, malgré l’observation du père, que les perdreaux ne se perchent point. Les perdreaux étaient encore sauvages ; leurs effarouchements impatientaient Reine ; elle eut tôt fait de leur donner leur pitance, et elle s’en revint sur une marche de l’escalier, le livre de fables sur ses genoux, les deux mains sur ses oreilles pour n’être distraite par aucun bruit. Elle s’entendait à peine elle-même marmotter les vers de sa fable ; peu à peu, le ronron de sa récitation à demi-voix se ralentit ; les petits doigts s’abaissèrent sur le livre, les genoux fléchirent en avant ; la tête de Reine ondula en arrière et vint se reposer sur un pan de la robe de Jeannette, assise sur le palier juste au-dessus de la marche où la petite fille s’était postée pour l’étude.

« Bon ! se dit Jeannette, la voilà partie pour le pays des rêves. Elle va, bien sûr, songer de fables ou de poupée. Je ne l’éveillerai qu’à quatre heures. »

Le panier pour le goûter était moins lourd que celui dont Reine aurait dû se charger à midi si son père n’était pas rentré ; mais la petite fille ne monta pas le sentier en zigzag du coteau du pas alerte dont elle marchait d’habitude. D’abord, quand elle s’était mise en route, ses yeux et ses idées étaient encore un peu embrouillés par le sommeil, mais peu à peu, après avoir regardé la route de Tournus par laquelle allaient revenir maman, Philibert. et la poupée, elle se demanda si son père allait être loin sur la teppe, et puis ce qu’il pouvait bien y faire avec son pic, et ensuite pourquoi maman serait fâchée de le voir occupé là. Quand on réfléchit, ne peut pas marcher vite ; du moins, c’était le cas de Reine qui s’arrêtait de temps à autre lorsque sa petite cervelle ruminait cette sorte de devinette dont elle ne trouvait pas le mot. Ce fut pendant une de ces pauses qu’elle tressauta en entendant crier de loin :

« Ho ! holà, Reine, vite le goûter. J’ai gagné faim. »

La voix du père venait de ce joli coin de la teppe que Reine et son frère aimaient entre tous. Il y avait là, l’un près de l’autre, deux quartiers de roc que leur forme creusée au milieu et en avant rendait commodes pour s’y asseoir, On y était comme sur deux petits fauteuils — un peu durs puisqu’ils n’étaient tapissés que de mousses blanches et jaunes toutes sèches. — N’importe ; on pouvait s’y carrer, s’y établir pour une dinette et une causerie, s’y amuser à regarder au loin, car on apercevait dé là toute la vallée de la Saône et même, au fond de l’horizon, les deux clochers de l’abbaye de Saint-Philibert de Tournus. Là, Reine et son frère avaient souvent parlé de Rosalie et lui avaient envoyé à travers l’espace leurs amitiés qu’ils adressaient aux clochers de l’abbaye, seuls visibles de tout l’amas de constructions

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Reine apporte à goûter à son père défrichant la teppe.


composant la ville ; là, tous deux se trouvaient mieux pour échanger leurs confidences qu’à la maison où l’on était toujours dérangé par quelque besogne à faire,

À mesure que Reine approchait, elle ne s’expliquait pas les amas de terre remuée et élevée en petits tas d’où pendaient confusément des mottes de gazon et des bruyères, racines en l’air, qui lui barraient le passage ; mais elle ne put s’empêcher de pousser une exclamation de cliagrin lorsqu’arrivée en vue de son père, appuyé sur son pic d’une main et de l’autre s’essuyant la figure ruisselante de sueur, elle aperçut un des deux rocs déraciné du sol et montrant à la place du fauteuil tapissé de mousse une surface pleine d’aspérités terreuses,

« Oh ! papa ! s’écria-t-elle, quel dommage ! Que dira Philibert de me plus trouver son fauteuil ? Est-ce que tu veux planter un noyer dans ce grand trou que tu as fait ?

— Je veux bien autre chose ! répondit Claude Franchet en jetant autour de lui sur la teppe un regard dominateur ; je te le dirais volontiers, car cela l’intéresse, mais tu ne le comprendrais pas, Philibert le sait, lui, et il ne regrettera pas ce maudit roc qui m’a tant fait peiner et que tu appelles son fauteuil. Mais, voyons le goûter. »

Tout en tirant de son panier un gros Morceau de pain, un fromage frais dans sa cassette de fer-blanc percée en écumoire, et quelques pêches, Reine dit à son père :

« Si Philibert te comprend, moi aussi je te Comprendrais, va.

— Eh bien ! lui dit son père après lui avoir fait signe de s’asseoir à ses côtés sur l’herbe, Voici pourquoi j’ai. déménagé le fauteuil de Philibert, Mais d’abord, tu vois d’ici toute notre Teppe aux merles : la maison, les granges, la vigne, les champs et le verger ?

— Oui, papa, répondit Reine après s’être débarrassée du bâillon temporaire de la pêche dans laquelle ses dents venaient de laisser leur marque,

— Tout cela, ma petite, reprit Claude Franchet, n’était autrefois qu’une teppe comme celle-ci, ce qui fait qu’on en a laissé le nom à toute la propriété.

— Tu as vu cela, papa ?

— Oh ! non, ni moi, ni même mon grand-père, ni même peut-être son grand-père, à lui. Il a fallu, beaucoup de Franchet, l’un après l’autre, usant leurs bras et peinant à la tâche, pour faire d’une terre sauvage une propriété de rapport. J’aurais été curieux de savoir à quelle époque mes anciens ont commencé à défricher la teppe ; mais autrefois, les paysans ne savaient pas lire, et les registres des paroisses étaient bien mal tenus ; mais il est certain qu’en 4745, les Franchet de la Teppe aux merles prospéraient, puisqu’ils ont fait construire alors les granges, trop grandes maintenant pour mes récoltes, et le grand portail de la cour qui porte cette date sur la pierre gravée de son linteau.

— Ils étaient donc plus riches que toi, papa, puisqu’ils récoltaient davantage ?

— Oui ; le champ de la Thibaude leur appartenait et aussi une partie du clos que le docteur Hoisel a acheté ; il a vu cela dans les archives du notaire, et il me l’a dit.

— Et pourquoi les Franchet ont-ils vendu ces terres ? demanda Reine.

— Comment le savoir ? Sans doute par suite d’un partage après la mort du père. Il y a eu des Franchet qui n’aimaient pas la culture, témoin le père à ton oncle Pétrus qui s’en est allé faire du commerce à Tournus. Mon grand-père, dont les souvenirs remontaient loin, était fort pour raconter tout ce qu’il avait vu et entendu dire des siens. Voilà comment j’ai su que le bonhomme taillé en dessin dans le poteau de bois qui soutient la grange était un certain Philibert Franchet qui avait voulu tâter de l’état militaire, parce qu’il préférait un bel uniforme à la blouse. Tu sais, c’est cette figure que tu appelles « le général ».

— Oui, s’écria Reine, il est très gentil avec son chapeau à cornes, ses cheveux en deux rouleaux, sa veste avec comme des raies de passementerie, et son épée qui pend sur le coin retroussé de son habit. Est-ce qu’il est devenu général ?

— Point du tout : ila dû mourir simple soldat en Amérique, où son régiment élait au service du roi de France d’alors qui était Louis XV. Mon grand-père m’a souvent dit que son aïeul, à lui, avait longtemps espéré le retour de Philibert, et cru le voir revenir cousu d’or, Mais on n’en a jamais entendu parler, et si je puis te fixer l’époque où ce Franchet a quitté la charrue pour l’épée, c’est que le docteur Hoïisel a reconnu un uniforme du temps de Louis XV dans ce qu’il appelle le bas-relief du poteau de la grange. Mais tu m’emmènes si loin avec tes questions que tu me déroutes, Qu’est-ce que tu voulais donc savoir ?

— Mais, papa, pourquoi tu as défoncé ce roc et aussi pourquoi Jeannette grondait après toi et disait que maman ne serait pas contente.

— Voyons, reprit Claude Franchet, si tu es aussi intelligente que tu l’assures. Je l’ai appris à quoi se sont appliqués tous nos vieux Franchet d’autrefois. Tire tes rapports… Eh bien ? »

Reine resta pensive un moment ; puis elle battit ses mains l’une contre l’autre, et s’écria :

« J’ai trouvé ! Tu veux cultiver ce qui reste de teppe… Mais, papa, ajouta-t-elle d’un ton moins enthousiaste, crois-tu que tes anciens aient trouvé autant de roc sur l’autre sol qui descend en plaine ?

— Bien sûr que non, en voilà une raison, répondit Claude Franchet un peu contrarié. Tu parles comme ta mère qui croit que tout le dessous de la côte est rocaille et qui dit que je perdrai mes peines à défoncer ces rocs. Pourtant tu vois qu’il y a de la terre, et bien profond, sous celui que j’ai arraché. Ces trois hectares plantés en vigne produiraient plus que toute la propriété ne fait maintenant ; mais il y en a du travail à changer la face du sol ! Il faudrait dix ouvriers pendant des mois et des mois, et que d’argent à dépenser ! Ta mère ne veut pas entendre parler de cela, et de l’argent nous n’en avons guère, ayant à payer chaque année à la tante Agnès Tailland le revenu de sa part d’héritage jusqu’à ce que je puisse lui racheter ce qui lui appartient sur la Teppe aux merles. Alors ne pouvant pas faire ce que je voudrais, dès que j’ai un moment qui ne cause pas de préjudice à ma culture, je viens donner des coups de pic et de pioche par ici. Je profite toujours, je puis bien te le dire, des moments où ta mère est absente afin de ne pas la contrarier, la bonne et chère femme. Elle se fait un chagrin de mon idée que la fortune de notre famille est ici et que, faute d’argent comptant, je ne puis la réaliser.

— Bah ! dit Reine, il ne faut pas te tracasser de cela. L’argent ne rend pas les gens plus heureux, va ! »

Claude Franchet se mit à rire de la gravité avec laquelle sa fille avait prononcé cette maxime, et il s’amusa même à la taquiner en lui rappelant le plaisir qu’elle avait chaque dimanche à glisser dans sa tirelire sa pièce de deux sous hebdomadaire ; mais un regard qu’il jeta sur la route épargna à Reine le soin d’accorder son opinion sur la fortune avec sa propre joie à augmenter sa petite épargne.

« Tiens ! dit Claude Franchet, voilà nos gens qui reviennent de Tournus.

— Où donc les vois-tu, papa ? demanda Reine après avoir observé, elle aussi, toutes les courbes du chemin vicinal depuis les dernières maisons de Farges jusqu’au portail de la Teppe aux merles.

— Au delà de Farges, répondit Claude Franchet, bien loin encore. Regarde entre la file d’ormeaux. »

Dans ce vaste espace étendu au-dessous du coteau, la grande route traçait un large ruban blanc jeté en ondulations le long des cultures vertes ou jaunies par l’automne ; le regard de Reine erra d’abord au hasard et fut longtemps avant de découvrir ce point mouvant qui apparaissait et disparaissait tout à tour selon qu’il élait voilé par quelques arbres ou dégagé entre les haies des vignes en bordure sur la route ; mais quand elle eut distingué ces quelques lignes lointaines, il lui fut impossible de reconnaître sa mère et Philibert.

« Est-ce que tu ne trompes pas ? dit-elle à sou père ; il n’y a qu’une seule personne sur le siège, et d’ici on la voit si petite que je ne reconnais pas maman. Et où est donc Philibert ? »

Claude Franchet ne pouvait pas répondre à cette question. Philibert, assis avec Rosalie dans l’intérieur de la jardinière, était invisible à cette distance ; mais le doute qu’exprimait sa fille ne le gagna point. Il était sûr de reconnaître l’allure de Noiraud, et comme il voulait être au logis pour recevoir les voyageurs à leur arrivée, il reprit sur son épaule ses outils de travail. Reine le suivit en sautillant, et en faisant des commentaires sur la belle poupée qu’elle s’attendait à recevoir.


IV


Le père et la fille étaient rentrés au logis lorsque la jardinière apparut au détour du chemin vicinal croisé par la courte allée de pommiers qui menait au portail entre les champs appartenant aux Franchet. Dès qu’ils entendirent le bruit des roues et les hennissements de Noiraud, qui fêtait son retour en donnant de la voix, tous deux traversèrent la cour pour aller au-devant des voyageurs.

Ceux-ci avaient modifié leur installation quelques minutes auparavant ; Philibert s’était assis sur le siège à côté de sa mère ; quant à Rosalie, il n’y avait plus rien de visible de l’ensemble gai et pimpant qui composait sa petite personne : plus de gentille tête à cheveux blonds ébouriffés ; nulle trace de ces petits pieds sautillants qui s’étaient agités pendant la première partie du voyage à l’idée des bonnes courses à travers champs. Est-ce que l’impatience de ces petits pieds-là les avait fait sauter hors de la voiture pour une première excursion ?


La jardinière apparut au détour du chemin.
La jardinière apparut au détour du chemin.

Voilà certainement ce que Reine aurait tout de suite demandé à sa mère si elle avait le moins du monde espéré la visite de sa cousine ; mais elle ne comptait pas voir Rosalie, de sorte qu’elle alla droit à sa grande préoccupation du moment en disant à Madeleine Franchet, dès que celle-ci eut mis pied à terre :

« Maman, je sais ma fable, pas seulement les trente lignes que tu m’avais marquées ; j’ai fait la grande mesure, je la sais tout entière. J’ai pensé que ma poupée en serait plus belle. Oh ! montre-la-moi tout de suite, veux-tu ?…

Ah ! ma pauvre petite, répondit Madeleine Franchet, je suis peinée de te désappointer, mais je n’ai pas rapporté ta poupée. Ce n’est pas faute de bonne volonté ; c’est que j’ai été tourmentée par un gros mal de tête, et je n’ai plus pensé à ce que je t’avais promis. Ce sera pour la prochaine fois que j’irai à Tournus. »

La figure de Reine s’allongea, et elle sentit à ses yeux des picotements qui l’obligèrent à se les frotter du bout de ses doigts. C’était bien la peine d’avoir tant étudié toute la journée ! Mais en entendant son père s’inquiéter de ce mal de tête dont maman avait souffert, elle comprit que ce serait d’un mauvais cœur de se plaindre et elle tâcha de passer tout doucement son chagrin ; il fut ravivé tout à coup par ces mots que Philibert lui dit d’un ton de mauvaise humeur :

« Voilà bien les petites filles ! Rien ne leur tient plus au cœur que leurs poupées. C’est donc là tout ce que tu avais à demander à maman dès son retour de Tournus ? »

Il était tout à fait mécontent, Philibert, de cet empressement de sa sœur à propos d’un objet futile à son propre gré, parce qu’il avait attendu des premiers mots échangés avec les siens un moyen de leur causer une aimable surprise. Resté assis sur le siège de la voiture, il ne songeait pas à aller aider son père qui dételait Noiraud tout en causant avec sa femme, et c’était de ce poste élevé que le grand frère faisait ainsi la leçon à sa jeune sœur.

Mais celle-ci n’était pas bien disposée en ce Moment à subir les morales de son aîné, et il y parut dans cette réponse qu’elle fit en se rapprochant de lui d’un air tant soit peu provocant :

« Est-ce que tu es plus patient que moi, quand papa ou maman l’a promis quelque chose ? Est-ce que j’ai murmuré contre mère ? Pas du tout ; puisqu’elle a été malade, elle à bien pu m’oublier ; mais elle ne peut pas être fâchée que je regrette ma poupée, Ah ! quand donc est-ce que je l’aurai !

— Tout de suite ! tout de suite !… La voici, la poupée à Reine ! » cria une petite voix à demi étouffée, pendant que, dans la jardinière, paniers à volailles, corbeilles à fruits et limousines s’agitaient comme d’eux-mêmes et dispersaient à droite et à gauche le tas échafaudé qu’ils formaient au milieu de la voiture.

Rosalie surgit tout à coup de cet amas de vanneries croulantes, un peu décoiffée et les joues d’un ton de cerise vif.

« Tante Madeleine n’a pas oublié sa promesse à Reine, continua Rosalie, tout en faisant avec ses mains et ses bras des gestes raides à la façon des pantins articulés ; mais il n’y avait à la foire que de méchants poupards à vingt-neuf sous, et elle ne les a pas trouvés assez jolis pour sa fille ; elle a préféré lui rapporter une poupée perfectionnée qui marche, qui parle… et qui parle mieux que toutes les autres, car dès qu’elles ont dit : « papa et maman », elles n’ont plus qu’à se taire… ou à recommencer. »

Reine était d’abord restée stupéfaite de surprise ; à la fin de ce petit discours, débité si drôlement par la poupée improvisée, elle grimpa sur le marchepied de la voiture pour aller embrasser sa cousine, Celle-ci eut l’espièglerie de rester dans son rôle, Les bras collés au corps, elle reçut dans une immobilité parfaite les deux gros baisers de Reine,

« Eh bien ! dit celle-ci, faut-il que je t’emporte dans mes bras si tu veux faire la poupée tout du long ? Ah ! que je l’aime mieux que ce que j’attendais, et comme je vais remercier maman !

— Non, ne me porte pas, répondit Rosalie, lu n’aurais qu’à me casser. Tu n’es pas déjà tellement plus grande que moi.

— Oui, mais je suis plus forte, reprit Reine, Car j’ai deux ans de plus que toi ; si tu as poussé en longueur, moi j’ai plus de carrure… Ah ! tu es redevenu gracieux, Philibert, dit-elle à son frère qui les tendait les mains en souriant pour les aider à descendre de la voiture, je comprends ce que tu me voulais par ta gronderie ; mais est-ce que je pouvais deviner, que Rosalie se cachait sous ces paniers, pour te parler d’elle tout de suite ?

— Bah ! reprit Rosalie, la niche a été plus amusante comme cela ; je regrette seulement que mon oncle et ma tante aient été trop loin Pour nous entendre, et pour voir l’air ébahi de Reine quand je suis sortie de là-dessous, Comme un diablotin d’une boîte. Qu’elle était drôle avec sa bouche ouverte et ses yeux écarquillés !… Mais où sont-ils allés, mon oncle et ma tante ?

— À l’écurie, pour y mener Noiraud, répondit Philibert,

— En attendant qu’ils reviennent, reprit Rosalie, montrez-moi donc votre maison. Ah ! Voilà un escalier dont je me souviens ; j’ai grimpé ses marches à quatre pattes, et même je me suis fait une bosse au front un jour où j’ai dégringolé, N’y a-t-il pas aussi quelque part un bonhomme de bois taillé dans un mur ?

— Pas dans un mur, dit Philibert en conduisant sa cousine vers la grange ; c’est là, sur ce gros poteau qui soutient le toit. Et ce bonhomme, comme lu l’appelles, avait le même nom que moi. C’était un Franchet à qui cela n’a pas porté bonheur de quitter la Teppe aux merles ; il est mort bien loin d’ici,

— Et tu ne veux pas la quitter, Loi, la Teppe aux merles ? lui demanda Rosalie.

— Non, jamais, excepté comme papa a fait, pour son service militaire », répondit Philibert.

Rosalie regarda autour d’elle : de la grange voisine, une bonne, odeur de foin s’exhalait, Sous les derniers rayons du soleil couchant, la grande cour était gaie avec les pampres et le balcon de sa façade sur l’appui duquel un chat dormait entre deux pots de sédums à branches terminées par des sommités de fleurs roses ; les poules gloussaient dans la basse-cour, et les deux vaches, menées par Françoise, s’en allaient sagement boire à la mare sur laquelle voguaient une douzaine de canards. Les arbres du verger envoyaient par-dessus le mur des

Une belle maison en pierre et tuiles avec au fond deux vaches et devant trois personnes dont l‘une montre de la main la maison.
Une belle maison en pierre et tuiles avec au fond deux vaches et devant trois personnes dont l‘une montre de la main la maison.
La grande cour était gaie avec ses pampres.


branches chargées de fruits, et les deux vieux ormeaux plantés de chaque côté du portail arrondissaient leur voûte de feuillage sur un ciel d’un bleu fin où nageaient de petites bandes de vapeurs orangées.

« Oui, dit Rosalie, c’est très joli, ici. Je comprends, Philibert, que tu veuilles toujours rester à la Teppe aux merles.

— Je voudrais bien pouvoir y garder toujours ma poupée ! » s’écria Reine en passant son bras sous celui de sa cousine.

Pendant que tous trois erraient ainsi autour des bâtiments, au gré des interrogations et des souvenirs de Rosalie, Claude Franchet et sa femme rentraient dans la maison après avoir installé Noiraud devant son râtelier bien garni à l’écurie, Tous deux montèrent l’escalier pour aller dans leur chambre où il s’agissait d’aller serrer l’argent rapporté de la foire.

Madeleine Franchet ouvrit la grande armoire où, derrière une pile de draps, se dissimulait la boîte en acajou qui était le coffre-fort de la famille, C’était là que Claude Franchet déposait l’argent qu’il devait payer de semestre en semestre aux Tailland jusqu’à ce qu’il pût s’acquitter tout à fait envers eux en leur donnant la somme représentant la dot de sa sœur Agnès. Lors du mariage de celle-ci, il avait été convenu qu’on ne partagerait point la propriété, mais qu’elle aurait la moitié de son rapport jusqu’au jour où Claude Franchet pourrait lui en payer sa part.

C’était pour atteindre ce but que les Franchet travaillaient dur, économisaient strictement.

Madeleine Franchet venait de rendre compte à son mari du prix qu’elle avait tiré de ses denrées à la foire, et il disposait en petits tas les écus, les pièces blanches et les gros sous, pendant qu’elle ouvrait la caisse Pour y ranger celle rentrée d’argent.

« Tiens ! lui dit-il, tu dois oublier quelque achat que tu auras fait, car il manque quelque chose… juste ce qu’on te paye d’habitude un des coupons de ces obligations à tante Ursule. »

Madeleine se troubla. C’était vrai ; le changeur avait refusé de lui payer ce coupon qui, d’après lui, avait une bien autre valeur que celle des quelques francs de son revenu semestriel, Fallait-il donc tout révéler à son mari, le plonger dans cette incertitude fiévreuse qui la tourmentait elle-même ? Non, Madeleine ne le voulait pas. Et, pourtant, elle ne voulait pas mentir. L’horreur du mensonge faisait le fond de sa nature franche.

« Je n’ai pas bien la tête à moi, ce soir, dit-elle à son mari. J’ai tant souffert toute la journée.

— Bah ! fit-il, ne te tracasse pas pour m’en rendre compte. Parle-moi plutôt de ce mal de tête que tu as eu. Tu n’es ni maladive, ni douillette, Madeleine, et ce n’est pas ton habitude de te plaindre. Je parie que les Tailland t’auront fait quelque mortification. Oh ! si je le savais ! »

Il marcha à grands pas dans la chambre pendant qu’elle lui répondait doucement :

« Tu n’as pas sujet de l’emporter, Ils ne m’ont rien dit de désagréable, du moins rien avec l’intention de m’offenser, Au contraire, Agnès avait commandé un beau diner auquel je n’ai pu toucher parce que je n’avais pas le courage de manger.

— Oui, reprit Claude Franchet, elle a voulu par là, non point te fêter comme une parente, mais se donner la gloriole de montrer sa jolie vaisselle et son argenterie, EL Loi, tu as été humiliée de te trouver chez une belle-sœur qui prend des manières de dame avec toi,

— Mais il n’y aurait pas là de quoi se sentir humiliée, mon bon Claude, reprit Madeleine, Chacun reçoit les gens suivant ses moyens, et s’il le fait de grand cœur, ce n’est pas aux invités de se plaindre si ces moyens-là sont petits, ou de s’offusquer s’ils sont grands. Tu n’es pas Juste envers ta sœur en ce moment. Elle et son Mari gagnent gros d’argent…

— Sans parler de celui que tu leur as rapporté aujourd’hui, interrompit Claude Franchet. Quand donc aurai-je assez ramassé pour délivrer ma Teppe aux merles de cette hypothèque ! Ah ! faut-il n’avoir que mes deux bras pour la besogne à y faire. Laissons cela de côté, et affirme-moi, en me regardant en face, que les Tailland ne t’ont chagriné en rien. »

Madeleine répondit à son mari après avoir levé sur lui ses yeux un peu creusés par l’émotion :

« Les Tailland ne pensent en rien comme nous autres, tu le sais, Claude, Peut-être que nous sommes trop simples, trop gens de campagne, pour raisonner comme eux. Cette différence fait que, sans intention de nous molester, il leur arrive de dire devant nous des choses qui nous déplaisent. Ainsi aujourd’hui, Joseph Tailland et Agnès se réjouissaient en pensant que le nouvel arrangement de leur magasin va tirer aux Charvaud, les drapiers de l’autre côté de la place, toutes leurs pratiques. Joseph calculait qu’avant trois mois Charvaud serait ruiné, parce qu’il n’est pas déjà très bien dans ses affaires, et Agnès ajoutait qu’il y avait moyen d’aider à ce plongeon. Ils parlaient d’un concurrent ; mais ne faut-il pas que tout le monde gagne sa vie ! et n’y a-t-il point place à Tournus pour plusieurs drapiers ? Voilà ce que je pensais, car je n’ai pas soufflé mot ; j’étais en peine pour ce pauvre Charvaud qui est brave homme, et dont la femme est allée à l’école avec moi, Voilà tout ce qui m’a été sensible chez ton beau-frère, et tu vois, Claude, que ni lui, ni Agnès n’a cherché à m’offenser.

— Tiens ! s’écria Claude Franchet en frappant du plat de la main sur la table, veux-tu que je te le dise : Joseph Tailland est un méchant homme, un accapareur, un égoïste, et il a rendu ma sœur pareille à lui, Oser se vanter de ruiner Charvaud !… Quel malheur de n’avoir pas pour faire Je bien les moyens de Tailland pour faire le mal ! Si j’étais riche, je soutiendrais Charvaud ; je l’aiderais, d’abord parce que c’est un bon garçon, et ensuite pour faire enrager Tailland. Ah ! oui, l’on verrait, l’on verrait du changement si j’étais riche. »

La voix de Jeannette monta jusqu’à eux, claire et vibrante :

« Maîtresse Franchet, le couvert est mis et les enfants crient après le souper. »

Si les enfants rôdaient en affamés autour de la table, c’est que le menu de ce soir-là comportait une friandise qu’ils avaient hâte de goûter.

Rosalie singeant la poupée de bois.
Rosalie singeant la poupée de bois.

Après avoir tiré son pain du four dans la matinée, Jeannette y avait enfourné un grand pot de lait dans lequel elle avait jeté une quantité de noix fraiches, soigneusement pelées ; ce Mélange, mijoté à la chaleur adoucie du four Jusqu’à son complet refroidissement, avait composé une sorte de crème épaisse d’un goût exquis, Jeannette l’avait fait réchauffer avant de la verser dans une soupière où étaient taillées de minces tranches de pain. Cette sorte de potage nommé brienou dans le Mâconnais, y est considéré comme un régal, et après avoir tendu deux fois son assiette à son oncle qui servait tous les convives, Rosalie déclara que sa condition de poupée à la Teppe aux merles était un sort très doux.

« Comment ? quelle poupée ? » demanda le maître de la maison.

Les trois enfants éclatèrent de rire, et pendant l’explication qu’ils donnaient en se reprenant l’un l’autre à mesure que la respiration était coupée à l’orateur par une fusée de gaieté, Jeannette disait à Madeleine Franchet :

« Elle est trop gentille, cette Rosalie. Un vrai lutin ! Si vous l’aviez vue singer une poupée de bois tout à l’heure ; Reine lui levait la main en l’air, et la main y restait ; elle lui tournait et lui baissait la tête, et tout ça allait comme avec des ressorts. Non, elles étaient à mourir de rire toutes deux. Dites donc, madame Franchet, il me reste un peu de pâte. Si je la démêlais avec des œufs, et si je leur faisais quelques gaufres, à ces enfants ? »

Le feu à demi éteint dans l’âtre de la vaste cheminée pétilla tout à coup de la vive flambée des deux sarments, Madeleine Franchet se leva pour manier la pâte, tandis que Jeannette graissait les trois moules à gaufres dont les longs manches furent assujettis sur les chenets.

Ces préparatifs réjouirent les enfants ; mais ils imposaient un temps,de repos entre la partie solide du souper et la confection de ce dessert.

« Puisqu’il nous faut attendre les gaufres, dit Claude Franchet à sa fille, tu pourrais nous faire prendre patience en nous récitant ta fable. »

Reine n’en avait guère envie ; elle trouvait bien plus amusant de couper en petits morceaux le pain de Rosalie, de lui porter le verre aux lèvres, de continuer en un mot ce jeu de la poupée auquel sa cousine se prêtait si gaiement ; Mais Claude Franchet insista.

Reine se leva, se posa droite au bout de la table, se recueillit un moment, et après avoir dit le titre de sa fable :

Le Savetier et le Financier,

elle récita les vers de La Fontaine sans ânonner, sans vilain ton chantant, tout comme elle aurait raconté n’importe quelle histoire. C’était ainsi que l’institutrice lui avait appris qu’il fallait faire ; et puis cette fable avait semblé bien amusante à l’écolière. N’était-ce point curieux, cette différence entre un savetier pauvre, toujours riant et chantant, et ce riche financier ennuyé de ne pouvoir dormir, et qui passe cette maladie au savetier en lui donnant cent écus d’argent ? Mais il y avait quelque chose de plus que d’avoir débité sa fable sans faute dans le ton mutin avec lequel Reine articula les deux derniers vers :

Rendez-moi mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus,

car elle ajouta aussitôt, dans sa prose habituelle :

« Eh bien ! papa, tu vois où j’ai appris que la fortune ne donne pas le bonheur ? »

Madeleine Franchet, qui était venue écouter la récitation de sa fille, laissa échapper de ses mains à ce moment l’assiette pleine des premières gaufres qu’elle apportait sur la table. Il n’y eut pas d’accident, Philibert rattrapa l’assiette au vol et, pour s’être cassées en tombant, les gaufres n’en furent pas trouvées moins bonnes par Reine et Rosalie.

Sans même faire attention aux suites de son mouvement maladroit, Madeleine Franchet se dirigea vivement vers la porte de la cuisine et sortit dans la cour. Lorsque le débit des gaufres

« Rendez-moi mes chansons et mon sommes. »
« Rendez-moi mes chansons et mon sommes. »

de la cheminée à la table fut établi sans interruplion, Claude Franchet profita de l’occupation de ses jeunes convives pour aller retrouver sa femme.

Elle était assise sur le banc de pierre placé sous la treille, et elle se tenait le front avec la main.

« J’avais besoin de respirer au grand air, répondit-elle aux questions de son mari.

— Mais à quoi pensais-tu là toute seule ? Est-ce encore aux Tailland ? car tu es si triste ce soir qu’ils doivent t’avoir fait quelque chose dont tu ne veux pas convenir, de peur de me fâcher.

— Claude, crois-moi, ce n’est pas à eux que je pensais ; c’est à la fable que Reine a récitée. Je pense que je suis naturellement comme ce savetier, content de vivre de sa journée, tandis que toi, qui te figures ne pas être heureux, tu regretterais peut-être ce temps-ci plus tard, si tu devenais riche par hasard. Cela m’a saisie d’entendre Reine te prêcher si bien. Ah ! la vérité sort de la bouche des innocents. »


V


Le lendemain matin, lorsque le chant des coqs, les divers bruits d’une exploitation rurale et les taquineries des mouches réveillèrent Rosalie, elle avait oublié son voyage de la veille ; sa première sensation fut une surprise de ne plus se trouver dans son petit lit de fer placé côte à côte avec celui de sa sœur Ursule, dans cette pièce un peu obscure du rez-de-chaussée dont tous les coins disponibles étaient encombrés de marchandises.

Rosalie se frotta les yeux et regarda autour d’elle : d’abord, ce lit vaste et haut perché où elle tenait si peu de place, ensuite cet autre lit jumeau déjà recouvert de sa courtepointe d’andrinople, puis deux armoires à linge, et, à droite, la cheminée avec sa glace trouble, piquée par places ; çà et là, quelques chaises empaillées de couleurs variées, enfin, au fond de la chambre, deux fenêtres à petits carreaux de la hauteur et de la largeur d’une main, qui laissaient pénétrer à flots la clarté déjà éblouissante du soleil, et encadraient les sommités verdoyantes des arbres du verger.

« Tiens ! c’est vrai, murmura Rosalie, je ne suis plus chez nous ; ceci, c’est la Teppe aux merles. Que c’est gai ici, et qu’il y fait bon ! »

Le rideau qu’elle avait écarté du bout de ses doigts pour cet examen domiciliaire fut tout à coup rejeté en arrière en grinçant sur ses tringles, et Rosalie aperçut Reine installée à son chevet avec son tricot.

« As-tu bien dormi ? lui dit-elle après l’avoir embrassée. Est-ce que je puis habiller ma poupée ?

— Oh ! répondit Rosalie en voulant glisser à terre, tu vas voir qu’elle sait s’habiller toute seule, »

Mais au moment de s’abandonner le long de celte haute fortification de matelas et de lits de plume, Rosalie eut peur de l’espace qui séparait du carrelage de la chambre ses petits pieds nus, et elle se mit à rire en disant :

« Attends, je vais descendre sur la chaise au pied du lit où j’ai mis mes affaires en me couchant. Je ne veux pas casser les ressorts de ta poupée en me jetant du haut en bas, car si je me tordais le pied, ce serait contrariant de ne Pas pouvoir me promener, C’est drôle, comme vos lits sont hauts… et tu as déjà fait le tien ? Je me souviens maintenant que tu t’es couchée là, en face de moi.

— Oui, je l’ai fait ; mais Jeannette m’aide, parce que je ne suis pas assez forte pour remuer les matelas. Tu ne nous a pas entendues ? Oh ! nous allions doucement pour ne pas t’éveiller ; Mais il fallait bien profiter du temps libre de Jeannette. Elle est partie maintenant pour couper de l’herbe.

— Et ma tante ? demanda Rosalie.

— Elle est allée jusqu’à Farges pour des achats.

— Et Philibert… et mon oncle ?

— Ils sont aux champs à travailler depuis longtemps, tu penses, puisqu’il est déjà neuf heures. Nous sommes toutes seules à la maison ; Mais ton déjeuner t’attend au coin du feu et je suffirai bien pour te servir et t’amuser, si je puis.

— Bien sûr ! répondit Rosalie, dont Reine attachait la robe en donnant ces explications. Je savais déjà que tu étais très gentille, mais il Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/81 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/82 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/83 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/84 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/85 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/86 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/87 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/88 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/89 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/90 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/91 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/92 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/93 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/94 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/95 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/96 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/97 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/98 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/99 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/100 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/101 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/102 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/103 Page:Blandy - 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XVIII


Philibert s’étonna de n’avoir pas soupçonné, d’après l’homonymie des noms, que le voyageur du cab pouvait être un descendant de ce Franchet dont le portrait, taillé en bas-relief dans le poteau de la grange, avait intéressé son enfance, par la légende que les maîtres de la Teppe aux merles ne manquaient pas de transmettre à leur jeune génération.

Cette identité d’origine fut expliquée par le Canadien pendant la longue visite qu’il fit au cottage et qui ne fut pas la dernière. Il prit l’habitude de passer deux ou trois heures chez ses parents dans l’après-midi de chaque dimanche ; ceux-ci apprirent donc fort en détail l’historique de leurs cousins du Canada : comment ce Philibert Franchet, premier de sa souche, avait été laissé pour mort à son rang de grenadier Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/307 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/308 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/309 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/310 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/311 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/312 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/313 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/314 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/315 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/316 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/317 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/318 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/319 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/320 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/321 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/322 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/323 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/324 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/325 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/326 Page:Blandy - La Teppe aux merles.djvu/327 allé jusqu’au bout de ma tâche entreprise, j’aurais pu me glorifier de mon courage ; mais le hasard a tout fait pour moi en me plaçant sur votre passage.

— Tais-toi, mon neveu, le hasard n’existe pas, s’écria le Canadien, ou du moins il n’aide que les gens qui le méritent et je vais te le prouver. Si tu n’avais pas mis dans ta tête d’enfant de te vouer au travail de la terre pour rester capable de cultiver plus tard La Teppe aux merles, tu n’aurais pas été employé au Jardin d’acclimatation, ce qui t’a conduit en Angleterre, où tu n’aurais pas pu résider non plus si tu avais négligé l’occasion d’apprendre l’anglais. Donc, tu ne m’aurais jamais rencontré, si tu avais manqué de cette ardeur au travail qui a produit en ta faveur cette succession de chances favorables. C’est donc à toi-même que tu dois l’amélioration de ta destinée, et l’on peut prédire des succès analogues à tous les jeunes gens qui feront preuve d’une persévérance de courage égale à la tienne. »

FIN

201-11, — Coulommiers. Imp, Paul BRODARD. — P2-11.

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)