Librairie Armand Colin (p. 50-68).


IV


Le père et la fille étaient rentrés au logis lorsque la jardinière apparut au détour du chemin vicinal croisé par la courte allée de pommiers qui menait au portail entre les champs appartenant aux Franchet. Dès qu’ils entendirent le bruit des roues et les hennissements de Noiraud, qui fêtait son retour en donnant de la voix, tous deux traversèrent la cour pour aller au-devant des voyageurs.

Ceux-ci avaient modifié leur installation quelques minutes auparavant ; Philibert s’était assis sur le siège à côté de sa mère ; quant à Rosalie, il n’y avait plus rien de visible de l’ensemble gai et pimpant qui composait sa petite personne : plus de gentille tête à cheveux blonds ébouriffés ; nulle trace de ces petits pieds sautillants qui s’étaient agités pendant la première partie du voyage à l’idée des bonnes courses à travers champs. Est-ce que l’impatience de ces petits pieds-là les avait fait sauter hors de la voiture pour une première excursion ?


La jardinière apparut au détour du chemin.
La jardinière apparut au détour du chemin.

Voilà certainement ce que Reine aurait tout de suite demandé à sa mère si elle avait le moins du monde espéré la visite de sa cousine ; mais elle ne comptait pas voir Rosalie, de sorte qu’elle alla droit à sa grande préoccupation du moment en disant à Madeleine Franchet, dès que celle-ci eut mis pied à terre :

« Maman, je sais ma fable, pas seulement les trente lignes que tu m’avais marquées ; j’ai fait la grande mesure, je la sais tout entière. J’ai pensé que ma poupée en serait plus belle. Oh ! montre-la-moi tout de suite, veux-tu ?…

Ah ! ma pauvre petite, répondit Madeleine Franchet, je suis peinée de te désappointer, mais je n’ai pas rapporté ta poupée. Ce n’est pas faute de bonne volonté ; c’est que j’ai été tourmentée par un gros mal de tête, et je n’ai plus pensé à ce que je t’avais promis. Ce sera pour la prochaine fois que j’irai à Tournus. »

La figure de Reine s’allongea, et elle sentit à ses yeux des picotements qui l’obligèrent à se les frotter du bout de ses doigts. C’était bien la peine d’avoir tant étudié toute la journée ! Mais en entendant son père s’inquiéter de ce mal de tête dont maman avait souffert, elle comprit que ce serait d’un mauvais cœur de se plaindre et elle tâcha de passer tout doucement son chagrin ; il fut ravivé tout à coup par ces mots que Philibert lui dit d’un ton de mauvaise humeur :

« Voilà bien les petites filles ! Rien ne leur tient plus au cœur que leurs poupées. C’est donc là tout ce que tu avais à demander à maman dès son retour de Tournus ? »

Il était tout à fait mécontent, Philibert, de cet empressement de sa sœur à propos d’un objet futile à son propre gré, parce qu’il avait attendu des premiers mots échangés avec les siens un moyen de leur causer une aimable surprise. Resté assis sur le siège de la voiture, il ne songeait pas à aller aider son père qui dételait Noiraud tout en causant avec sa femme, et c’était de ce poste élevé que le grand frère faisait ainsi la leçon à sa jeune sœur.

Mais celle-ci n’était pas bien disposée en ce Moment à subir les morales de son aîné, et il y parut dans cette réponse qu’elle fit en se rapprochant de lui d’un air tant soit peu provocant :

« Est-ce que tu es plus patient que moi, quand papa ou maman l’a promis quelque chose ? Est-ce que j’ai murmuré contre mère ? Pas du tout ; puisqu’elle a été malade, elle à bien pu m’oublier ; mais elle ne peut pas être fâchée que je regrette ma poupée, Ah ! quand donc est-ce que je l’aurai !

— Tout de suite ! tout de suite !… La voici, la poupée à Reine ! » cria une petite voix à demi étouffée, pendant que, dans la jardinière, paniers à volailles, corbeilles à fruits et limousines s’agitaient comme d’eux-mêmes et dispersaient à droite et à gauche le tas échafaudé qu’ils formaient au milieu de la voiture.

Rosalie surgit tout à coup de cet amas de vanneries croulantes, un peu décoiffée et les joues d’un ton de cerise vif.

« Tante Madeleine n’a pas oublié sa promesse à Reine, continua Rosalie, tout en faisant avec ses mains et ses bras des gestes raides à la façon des pantins articulés ; mais il n’y avait à la foire que de méchants poupards à vingt-neuf sous, et elle ne les a pas trouvés assez jolis pour sa fille ; elle a préféré lui rapporter une poupée perfectionnée qui marche, qui parle… et qui parle mieux que toutes les autres, car dès qu’elles ont dit : « papa et maman », elles n’ont plus qu’à se taire… ou à recommencer. »

Reine était d’abord restée stupéfaite de surprise ; à la fin de ce petit discours, débité si drôlement par la poupée improvisée, elle grimpa sur le marchepied de la voiture pour aller embrasser sa cousine, Celle-ci eut l’espièglerie de rester dans son rôle, Les bras collés au corps, elle reçut dans une immobilité parfaite les deux gros baisers de Reine,

« Eh bien ! dit celle-ci, faut-il que je t’emporte dans mes bras si tu veux faire la poupée tout du long ? Ah ! que je l’aime mieux que ce que j’attendais, et comme je vais remercier maman !

— Non, ne me porte pas, répondit Rosalie, lu n’aurais qu’à me casser. Tu n’es pas déjà tellement plus grande que moi.

— Oui, mais je suis plus forte, reprit Reine, Car j’ai deux ans de plus que toi ; si tu as poussé en longueur, moi j’ai plus de carrure… Ah ! tu es redevenu gracieux, Philibert, dit-elle à son frère qui les tendait les mains en souriant pour les aider à descendre de la voiture, je comprends ce que tu me voulais par ta gronderie ; mais est-ce que je pouvais deviner, que Rosalie se cachait sous ces paniers, pour te parler d’elle tout de suite ?

— Bah ! reprit Rosalie, la niche a été plus amusante comme cela ; je regrette seulement que mon oncle et ma tante aient été trop loin Pour nous entendre, et pour voir l’air ébahi de Reine quand je suis sortie de là-dessous, Comme un diablotin d’une boîte. Qu’elle était drôle avec sa bouche ouverte et ses yeux écarquillés !… Mais où sont-ils allés, mon oncle et ma tante ?

— À l’écurie, pour y mener Noiraud, répondit Philibert,

— En attendant qu’ils reviennent, reprit Rosalie, montrez-moi donc votre maison. Ah ! Voilà un escalier dont je me souviens ; j’ai grimpé ses marches à quatre pattes, et même je me suis fait une bosse au front un jour où j’ai dégringolé, N’y a-t-il pas aussi quelque part un bonhomme de bois taillé dans un mur ?

— Pas dans un mur, dit Philibert en conduisant sa cousine vers la grange ; c’est là, sur ce gros poteau qui soutient le toit. Et ce bonhomme, comme lu l’appelles, avait le même nom que moi. C’était un Franchet à qui cela n’a pas porté bonheur de quitter la Teppe aux merles ; il est mort bien loin d’ici,

— Et tu ne veux pas la quitter, Loi, la Teppe aux merles ? lui demanda Rosalie.

— Non, jamais, excepté comme papa a fait, pour son service militaire », répondit Philibert.

Rosalie regarda autour d’elle : de la grange voisine, une bonne, odeur de foin s’exhalait, Sous les derniers rayons du soleil couchant, la grande cour était gaie avec les pampres et le balcon de sa façade sur l’appui duquel un chat dormait entre deux pots de sédums à branches terminées par des sommités de fleurs roses ; les poules gloussaient dans la basse-cour, et les deux vaches, menées par Françoise, s’en allaient sagement boire à la mare sur laquelle voguaient une douzaine de canards. Les arbres du verger envoyaient par-dessus le mur des

Une belle maison en pierre et tuiles avec au fond deux vaches et devant trois personnes dont l‘une montre de la main la maison.
Une belle maison en pierre et tuiles avec au fond deux vaches et devant trois personnes dont l‘une montre de la main la maison.
La grande cour était gaie avec ses pampres.


branches chargées de fruits, et les deux vieux ormeaux plantés de chaque côté du portail arrondissaient leur voûte de feuillage sur un ciel d’un bleu fin où nageaient de petites bandes de vapeurs orangées.

« Oui, dit Rosalie, c’est très joli, ici. Je comprends, Philibert, que tu veuilles toujours rester à la Teppe aux merles.

— Je voudrais bien pouvoir y garder toujours ma poupée ! » s’écria Reine en passant son bras sous celui de sa cousine.

Pendant que tous trois erraient ainsi autour des bâtiments, au gré des interrogations et des souvenirs de Rosalie, Claude Franchet et sa femme rentraient dans la maison après avoir installé Noiraud devant son râtelier bien garni à l’écurie, Tous deux montèrent l’escalier pour aller dans leur chambre où il s’agissait d’aller serrer l’argent rapporté de la foire.

Madeleine Franchet ouvrit la grande armoire où, derrière une pile de draps, se dissimulait la boîte en acajou qui était le coffre-fort de la famille, C’était là que Claude Franchet déposait l’argent qu’il devait payer de semestre en semestre aux Tailland jusqu’à ce qu’il pût s’acquitter tout à fait envers eux en leur donnant la somme représentant la dot de sa sœur Agnès. Lors du mariage de celle-ci, il avait été convenu qu’on ne partagerait point la propriété, mais qu’elle aurait la moitié de son rapport jusqu’au jour où Claude Franchet pourrait lui en payer sa part.

C’était pour atteindre ce but que les Franchet travaillaient dur, économisaient strictement.

Madeleine Franchet venait de rendre compte à son mari du prix qu’elle avait tiré de ses denrées à la foire, et il disposait en petits tas les écus, les pièces blanches et les gros sous, pendant qu’elle ouvrait la caisse Pour y ranger celle rentrée d’argent.

« Tiens ! lui dit-il, tu dois oublier quelque achat que tu auras fait, car il manque quelque chose… juste ce qu’on te paye d’habitude un des coupons de ces obligations à tante Ursule. »

Madeleine se troubla. C’était vrai ; le changeur avait refusé de lui payer ce coupon qui, d’après lui, avait une bien autre valeur que celle des quelques francs de son revenu semestriel, Fallait-il donc tout révéler à son mari, le plonger dans cette incertitude fiévreuse qui la tourmentait elle-même ? Non, Madeleine ne le voulait pas. Et, pourtant, elle ne voulait pas mentir. L’horreur du mensonge faisait le fond de sa nature franche.

« Je n’ai pas bien la tête à moi, ce soir, dit-elle à son mari. J’ai tant souffert toute la journée.

— Bah ! fit-il, ne te tracasse pas pour m’en rendre compte. Parle-moi plutôt de ce mal de tête que tu as eu. Tu n’es ni maladive, ni douillette, Madeleine, et ce n’est pas ton habitude de te plaindre. Je parie que les Tailland t’auront fait quelque mortification. Oh ! si je le savais ! »

Il marcha à grands pas dans la chambre pendant qu’elle lui répondait doucement :

« Tu n’as pas sujet de l’emporter, Ils ne m’ont rien dit de désagréable, du moins rien avec l’intention de m’offenser, Au contraire, Agnès avait commandé un beau diner auquel je n’ai pu toucher parce que je n’avais pas le courage de manger.

— Oui, reprit Claude Franchet, elle a voulu par là, non point te fêter comme une parente, mais se donner la gloriole de montrer sa jolie vaisselle et son argenterie, EL Loi, tu as été humiliée de te trouver chez une belle-sœur qui prend des manières de dame avec toi,

— Mais il n’y aurait pas là de quoi se sentir humiliée, mon bon Claude, reprit Madeleine, Chacun reçoit les gens suivant ses moyens, et s’il le fait de grand cœur, ce n’est pas aux invités de se plaindre si ces moyens-là sont petits, ou de s’offusquer s’ils sont grands. Tu n’es pas Juste envers ta sœur en ce moment. Elle et son Mari gagnent gros d’argent…

— Sans parler de celui que tu leur as rapporté aujourd’hui, interrompit Claude Franchet. Quand donc aurai-je assez ramassé pour délivrer ma Teppe aux merles de cette hypothèque ! Ah ! faut-il n’avoir que mes deux bras pour la besogne à y faire. Laissons cela de côté, et affirme-moi, en me regardant en face, que les Tailland ne t’ont chagriné en rien. »

Madeleine répondit à son mari après avoir levé sur lui ses yeux un peu creusés par l’émotion :

« Les Tailland ne pensent en rien comme nous autres, tu le sais, Claude, Peut-être que nous sommes trop simples, trop gens de campagne, pour raisonner comme eux. Cette différence fait que, sans intention de nous molester, il leur arrive de dire devant nous des choses qui nous déplaisent. Ainsi aujourd’hui, Joseph Tailland et Agnès se réjouissaient en pensant que le nouvel arrangement de leur magasin va tirer aux Charvaud, les drapiers de l’autre côté de la place, toutes leurs pratiques. Joseph calculait qu’avant trois mois Charvaud serait ruiné, parce qu’il n’est pas déjà très bien dans ses affaires, et Agnès ajoutait qu’il y avait moyen d’aider à ce plongeon. Ils parlaient d’un concurrent ; mais ne faut-il pas que tout le monde gagne sa vie ! et n’y a-t-il point place à Tournus pour plusieurs drapiers ? Voilà ce que je pensais, car je n’ai pas soufflé mot ; j’étais en peine pour ce pauvre Charvaud qui est brave homme, et dont la femme est allée à l’école avec moi, Voilà tout ce qui m’a été sensible chez ton beau-frère, et tu vois, Claude, que ni lui, ni Agnès n’a cherché à m’offenser.

— Tiens ! s’écria Claude Franchet en frappant du plat de la main sur la table, veux-tu que je te le dise : Joseph Tailland est un méchant homme, un accapareur, un égoïste, et il a rendu ma sœur pareille à lui, Oser se vanter de ruiner Charvaud !… Quel malheur de n’avoir pas pour faire Je bien les moyens de Tailland pour faire le mal ! Si j’étais riche, je soutiendrais Charvaud ; je l’aiderais, d’abord parce que c’est un bon garçon, et ensuite pour faire enrager Tailland. Ah ! oui, l’on verrait, l’on verrait du changement si j’étais riche. »

La voix de Jeannette monta jusqu’à eux, claire et vibrante :

« Maîtresse Franchet, le couvert est mis et les enfants crient après le souper. »

Si les enfants rôdaient en affamés autour de la table, c’est que le menu de ce soir-là comportait une friandise qu’ils avaient hâte de goûter.

Rosalie singeant la poupée de bois.
Rosalie singeant la poupée de bois.

Après avoir tiré son pain du four dans la matinée, Jeannette y avait enfourné un grand pot de lait dans lequel elle avait jeté une quantité de noix fraiches, soigneusement pelées ; ce Mélange, mijoté à la chaleur adoucie du four Jusqu’à son complet refroidissement, avait composé une sorte de crème épaisse d’un goût exquis, Jeannette l’avait fait réchauffer avant de la verser dans une soupière où étaient taillées de minces tranches de pain. Cette sorte de potage nommé brienou dans le Mâconnais, y est considéré comme un régal, et après avoir tendu deux fois son assiette à son oncle qui servait tous les convives, Rosalie déclara que sa condition de poupée à la Teppe aux merles était un sort très doux.

« Comment ? quelle poupée ? » demanda le maître de la maison.

Les trois enfants éclatèrent de rire, et pendant l’explication qu’ils donnaient en se reprenant l’un l’autre à mesure que la respiration était coupée à l’orateur par une fusée de gaieté, Jeannette disait à Madeleine Franchet :

« Elle est trop gentille, cette Rosalie. Un vrai lutin ! Si vous l’aviez vue singer une poupée de bois tout à l’heure ; Reine lui levait la main en l’air, et la main y restait ; elle lui tournait et lui baissait la tête, et tout ça allait comme avec des ressorts. Non, elles étaient à mourir de rire toutes deux. Dites donc, madame Franchet, il me reste un peu de pâte. Si je la démêlais avec des œufs, et si je leur faisais quelques gaufres, à ces enfants ? »

Le feu à demi éteint dans l’âtre de la vaste cheminée pétilla tout à coup de la vive flambée des deux sarments, Madeleine Franchet se leva pour manier la pâte, tandis que Jeannette graissait les trois moules à gaufres dont les longs manches furent assujettis sur les chenets.

Ces préparatifs réjouirent les enfants ; mais ils imposaient un temps,de repos entre la partie solide du souper et la confection de ce dessert.

« Puisqu’il nous faut attendre les gaufres, dit Claude Franchet à sa fille, tu pourrais nous faire prendre patience en nous récitant ta fable. »

Reine n’en avait guère envie ; elle trouvait bien plus amusant de couper en petits morceaux le pain de Rosalie, de lui porter le verre aux lèvres, de continuer en un mot ce jeu de la poupée auquel sa cousine se prêtait si gaiement ; Mais Claude Franchet insista.

Reine se leva, se posa droite au bout de la table, se recueillit un moment, et après avoir dit le titre de sa fable :

Le Savetier et le Financier,

elle récita les vers de La Fontaine sans ânonner, sans vilain ton chantant, tout comme elle aurait raconté n’importe quelle histoire. C’était ainsi que l’institutrice lui avait appris qu’il fallait faire ; et puis cette fable avait semblé bien amusante à l’écolière. N’était-ce point curieux, cette différence entre un savetier pauvre, toujours riant et chantant, et ce riche financier ennuyé de ne pouvoir dormir, et qui passe cette maladie au savetier en lui donnant cent écus d’argent ? Mais il y avait quelque chose de plus que d’avoir débité sa fable sans faute dans le ton mutin avec lequel Reine articula les deux derniers vers :

Rendez-moi mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus,

car elle ajouta aussitôt, dans sa prose habituelle :

« Eh bien ! papa, tu vois où j’ai appris que la fortune ne donne pas le bonheur ? »

Madeleine Franchet, qui était venue écouter la récitation de sa fille, laissa échapper de ses mains à ce moment l’assiette pleine des premières gaufres qu’elle apportait sur la table. Il n’y eut pas d’accident, Philibert rattrapa l’assiette au vol et, pour s’être cassées en tombant, les gaufres n’en furent pas trouvées moins bonnes par Reine et Rosalie.

Sans même faire attention aux suites de son mouvement maladroit, Madeleine Franchet se dirigea vivement vers la porte de la cuisine et sortit dans la cour. Lorsque le débit des gaufres

« Rendez-moi mes chansons et mon sommes. »
« Rendez-moi mes chansons et mon sommes. »

de la cheminée à la table fut établi sans interruplion, Claude Franchet profita de l’occupation de ses jeunes convives pour aller retrouver sa femme.

Elle était assise sur le banc de pierre placé sous la treille, et elle se tenait le front avec la main.

« J’avais besoin de respirer au grand air, répondit-elle aux questions de son mari.

— Mais à quoi pensais-tu là toute seule ? Est-ce encore aux Tailland ? car tu es si triste ce soir qu’ils doivent t’avoir fait quelque chose dont tu ne veux pas convenir, de peur de me fâcher.

— Claude, crois-moi, ce n’est pas à eux que je pensais ; c’est à la fable que Reine a récitée. Je pense que je suis naturellement comme ce savetier, content de vivre de sa journée, tandis que toi, qui te figures ne pas être heureux, tu regretterais peut-être ce temps-ci plus tard, si tu devenais riche par hasard. Cela m’a saisie d’entendre Reine te prêcher si bien. Ah ! la vérité sort de la bouche des innocents. »