Traduction par Lucien de Candolle.
C. Reinwald & Cie, libraires-éditeurs (p. 241-274).

VII

THÉORIE DES NIDS D’OISEAUX, MONTRANT LA RELATION DE CERTAINES DIFFÉRENCES DE COULEUR CHEZ LES FEMELLES AVEC LE MODE DE NIDIFICATION.


On doit certainement considérer comme l’un des traits caractéristiques les plus remarquables de la classe des oiseaux, l’habitude qu’ils ont de bâtir une construction plus ou moins compliquée pour y recevoir leurs œufs et leurs petits. Il est très-rare de trouver des travaux analogues chez les autres vertébrés, et ils n’atteignent jamais le même degré de perfection et de beauté. Les nids ont, par conséquent, vivement attiré l’attention, et ont fourni l’un des arguments les plus fréquents en faveur de l’existence d’un instinct aveugle, mais infaillible, chez les animaux inférieurs. L’opinion générale que tout oiseau est rendu capable de bâtir son nid, non par les facultés ordinaires d’observation, de mémoire et d’imitation, mais en vertu d’une impulsion innée et mystérieuse, a eu l’effet déplorable de faire perdre de vue la relation évidente qui existe entre la structure, les mœurs et l’intelligence des oiseaux d’une part, et le genre de nids qu’ils bâtissent d’autre part.

J’en ai traité en détail dans un précédent essai, et nous avons vu que l’examen de la structure, de l’alimentation et des autres particularités de l’existence d’un oiseau, nous permettra de deviner, et souvent avec une grande exactitude, la raison qui lui fait construire son nid avec tels ou tels matériaux, dans telle ou telle situation, et d’une manière plus ou moins compliquée. Je me propose maintenant de considérer la question à un point de vue plus général et d’en discuter l’application à quelques problèmes curieux de l’histoire naturelle des oiseaux.


De l’influence exercée sur la nidification par le changement des conditions et la persistance des habitudes.


Il existe, en dehors des causes mentionnées plus haut, deux facteurs qui doivent avoir exercé une influence importante pour déterminer les détails de la nidification, bien que nous ne puissions que vaguement deviner leur action dans chaque cas particulier.

Ce sont le changement des conditions d’existence extérieures ou intérieures, et l’influence des habitudes héréditaires ou imitatives. La première cause amène des modifications en harmonie avec les changements de l’organisation, du climat, de la faune et de la flore environnantes ; la seconde conserve les particularités ainsi produites, quand même par suite d’autres circonstances elles cessent d’être nécessaires. On a déjà constaté, d’après des faits nombreux, que les oiseaux font des nids appropriés à la situation dans laquelle ils les placent, et les hirondelles, les troglodytes et d’autres oiseaux qui habitent les toits, les cheminées, des nids artificiels, nous montrent que ces animaux sont toujours prêts à profiter des différentes circonstances qui se présentent. Il est donc probable qu’un changement de climat permanent obligerait beaucoup d’oiseaux à modifier la forme ou les matériaux de leurs nids, afin de mieux protéger leurs petits. L’introduction de nouveaux ennemis, dangereux pour les œufs et les petits oiseaux, produirait le même résultat ; une modification dans la végétation d’une contrée entraînerait l’emploi de nouveaux matériaux ; de même, si les caractères internes ou externes d’une espèce variaient lentement, elle serait portée à changer en quelque mesure son mode de construction. Ce résultat pourrait être dû à toutes sortes de modifications, par exemple : la force et la rapidité du vol, dont dépend la distance jusqu’à laquelle l’oiseau ira chercher ses matériaux ; la faculté de se tenir immobile en l’air, qui peut déterminer la place où le nid sera construit ; la force et la puissance préhensile de la patte, relativement au poids de l’oiseau, qui sont absolument nécessaires pour la construction d’un nid délicatement tressé et bien fini. La longueur et la finesse du bec, qui sert comme d’aiguille dans la fabrication des nids les plus fins, composés de matières textiles, la longueur et la mobilité du cou, qui concourent au même but, la possession d’une sécrétion salivaire, comme celle qu’emploient plusieurs hirondelles, certains martinets ou encore le merle-grive, ce sont là autant de particularités qui sont après tout le résultat de l’organisme, et déterminent le plus souvent la nature et le choix des matériaux aussi bien que leur combinaison, la forme et la position de l’édifice. Malgré ces changements, il se conserverait pendant un temps plus ou moins long certains caractères dans la construction des nids, quand même les causes qui les avaient rendus nécessaires auraient disparu. Nous rencontrons partout ces traces du passé, même dans les œuvres de l’homme, en dépit de la raison dont il se vante si fort. Non-seulement les traits principaux de l’architecture grecque ne sont que des copies en pierre d’un original en bois, mais nos copistes modernes de l’architecture gothique bâtissent souvent des contre-forts massifs, pour soutenir un toit en bois, dépourvu de la poussée qui les rendrait nécessaires : ils croient même orner leurs bâtiments en y ajoutant de fausses gouttières en pierre sculptée, dont les fonctions sont en réalité remplies par des conduites modernes, qu’ils appliquent sans avoir égard à l’harmonie du style. De même, quand les chemins de fer ont remplacé les diligences, on a cru devoir donner aux wagons de première classe la forme de plusieurs voitures liées les unes aux autres ; on a conservé les bretelles auxquelles se suspendaient les voyageurs, quand nos routes aujourd’hui macadamisées faisaient de chaque voyage une succession ininterrompue de cahots ; on les trouve même sur les chemins de fer où elles nous rappellent un mode de locomotion dont nous pouvons à peine nous faire une idée. Nous avons encore un exemple de cette routine dans nos chaussures ; quand la mode vint de porter des bottines à élastiques, nous étions si bien habitués à les attacher avec des boutons ou des lacets, qu’une chaussure qui en était dépourvue nous paraissait trop nue, et les cordonniers placèrent souvent une rangée de boutons ou un semblant de lacet, parce que l’habitude nous les rendait nécessaires. Tout le monde reconnaît que les habitudes des enfants et des sauvages nous donnent les indications les plus précieuses sur celles des animaux ; or chacun peut observer de quelle manière les enfants imitent leurs parents, sans avoir égard à la portée ou à l’utilité de leurs actions. Chez les sauvages, certaines coutumes, particulières à chaque tribu, se perpétuent de père en fils, et continuent à exister longtemps après que leur raison d’être a cessé.

Quand nous considérons ces faits et mille autres analogues, qui se produisent tous les jours autour de nous, nous pouvons avec raison attribuer à une cause semblable les détails de l’architecture des oiseaux que nous ne parvenons pas à comprendre. Si nous nous y refusons, il nous faut admettre, ou que les oiseaux sont dans toutes leurs actions guidés par la raison pure plus complètement encore que l’homme ; ou bien qu’un instinct infaillible les conduit au même résultat par une voie différente. Je ne crois pas que la première théorie ait jamais été soutenue par personne, et j’ai déjà montré que la seconde, quoique généralement admise, n’est pas prouvée, et se trouve en contradiction avec un grand nombre de faits. L’un de mes critiques a prétendu que j’admettais l’existence de l’instinct, sous le nom d’habitude héréditaire, mais l’ensemble de mes arguments prouve que ce n’est pas là ma pensée. Les deux termes, d’habitude héréditaire et d’instinct, sont il est vrai synonymes quand ils s’appliquent à une action simple dépendant d’une particularité héréditaire dans la structure, comme par exemple quand les descendants de pigeons culbutants culbutent, ou que ceux de pigeons grosse-gorge gonflent leur jabot ; mais, dans ce cas-ci, je parle simplement des habitudes héréditaires ou plutôt persistantes et imitatives des sauvages, qui construisent leurs maisons comme leurs pères l’ont fait. L’imitation est une faculté d’ordre inférieur à l’invention, les enfants et les sauvages imitent avant de créer, tout comme les oiseaux et les autres animaux.

On voit, d’après ces observations, que le mode de nidification spécial à chaque espèce d’oiseau est probablement le résultat d’une réunion de causes qui l’ont sans cesse modifié en harmonie avec les conditions physiques ou organiques. Les plus importantes de ces causes paraissent être d’abord la structure de l’espèce, et en second lieu le milieu où elle vit, ou ses conditions d’existence. Or nous savons que chacun des caractères, chacune des conditions comprises dans ces termes généraux, est variable : nous avons vu qu’en général, les traits principaux des nids d’un certain groupe d’oiseaux sont en relation avec sa structure organique, et nous pouvons en conclure sans témérité que, si la structure varie, le nid variera aussi en quelque point correspondant. Nous savons encore que les oiseaux modifient la position, la forme et la construction de leurs nids, toutes les fois que les matériaux ou les situations à leur portée subissent quelque changement, que ce soit dû à l’action de l’homme, ou à celle de la nature. Nous devons cependant nous rappeler que tous ces facteurs demeurent stables pendant plusieurs générations, et agissent avec une lenteur proportionnée à celle des agents physiques dont l’œuvre nous est révélée par la géologie ; il est donc évident que la forme et les matériaux des nids, qui en dépendent, sont également stables. Si donc nous trouvons entre le mode de nidification et des caractères insignifiants ou aisément modifiés, une corrélation telle, que l’un des deux faits soit probablement la cause de l’autre, nous serons fondés à croire que ce sont ces caractères variables qui dépendent du mode de nidification, bien loin d’avoir contribué à le déterminer. C’est ce genre de corrélation qui va faire l’objet de notre étude.


Classification des nids.


Nous devons d’abord classer les nids en deux grandes catégories, sans avoir égard à leurs différences ou à leurs analogies même les plus évidentes, mais en nous bornant à constater si le contenu, c’est-à-dire les œufs, les petits ou l’oiseau qui couve, est caché ou exposé à la vue. Nous placerons dans la première classe tous les nids dans lesquels les œufs ou les petits sont entièrement cachés, sans chercher si ce but est atteint au moyen d’un édifice habilement couvert, ou simplement en déposant les œufs sous terre ou dans le creux d’un arbre ; nous grouperons dans la seconde classe tous ceux dont les habitants sont exposés à la vue, sans regarder si le nid est élégamment construit, ou s’il n’y a, à proprement parler, pas de nid du tout. Parmi les premiers, on compte les martins-pêcheurs, qui bâtissent toujours dans les berges des cours d’eau, les pics et les perroquets, qui bâtissent dans les arbres creux, les Ictérides d’Amérique qui ont des nids habilement couverts et suspendus, et le troglodyte commun, dont le nid est recouvert d’un dôme ; nos grives, nos pinsons, nos becs-fins et tous les Dicrourus, les Cotingidés, les Tanagridés des Tropiques, ainsi que tous les pigeons et les rapaces, et un grand nombre d’autres répandus sur tout le globe, se rangent dans la deuxième catégorie.

On verra que cette division des oiseaux d’après leur mode de nidification n’est point en rapport avec la forme et la structure du nid, mais uniquement avec les fonctions qu’il remplit. Elle a cependant certaines relations avec les affinités naturelles, car d’importants groupes d’oiseaux, incontestablement alliés, se rangent exclusivement dans l’une ou l’autre de ces classes ; il est rare que les espèces d’un même genre ou d’une même famille se répartissent entre les deux, quoiqu’elles offrent souvent des exemples des deux modes distincts de nidification compris dans la première. Tous les oiseaux grimpeurs et la plupart des fissirostres, bâtissent des nids recouverts, et, dans ce dernier groupe, les martinets et les engoulevents, dont les nids sont ouverts, sont évidemment très-différents des autres familles auxquelles nos classifications les associent. Les mésanges varient beaucoup dans leur manière de construire ; les unes font des nids ouverts cachés dans des trous, d’autres des nids en dôme, et même suspendus, mais elles sont toutes dans la même classe. Les Sturnidés varient d’une manière analogue ; les Gracula, comme nos étourneaux, bâtissent dans des trous, les beaux étourneaux d’Orient du genre Calornis forment des nids couverts et suspendus, tandis que le genre Sturnopastor niche dans les arbres creux. Les pinsons sont un curieux exemple de la division d’une famille, car tandis que presque toutes les espèces européennes bâtissent des nids ouverts, plusieurs de celles d’Australie les construisent en forme de dôme.


Différences sexuelles de couleur chez les oiseaux.


Si, de l’étude des nids, nous passons à celle des oiseaux mêmes, nous aurons à les considérer d’un point de vue assez inusité ; nous les partagerons en deux groupes : l’un dans lequel les deux sexes sont également ornés de couleurs voyantes, l’autre dans lequel le mâle seul en est paré.

Les différences sexuelles de couleur et de plumage sont très-importantes chez les oiseaux ; on s’en est déjà beaucoup occupé ; elles ont été, en ce qui concerne les oiseaux polygames, fort bien expliquées par le principe de la sélection sexuelle, énoncé par M. Darwin. Nous pouvons assez bien comprendre que la rivalité des mâles en force et en beauté ait produit le brillant plumage et la grande taille des faisans et des grouse mâles, mais cette théorie n’explique pas pourquoi les femelles du toucan, du guêpier, du perroquet, de l’aramacao, et de la mésange, sont toujours aussi vivement colorées que le mâle, tandis que celles du cotinga, du pipra, du langara, des oiseaux de paradis, et de notre merle commun, sont de couleurs si ternes et si peu apparentes qu’on peut à peine les reconnaître comme appartenant à la même espèce que le mâle.


Loi qui relie les couleurs des oiseaux femelles et leur mode de nidification.


Cette anomalie peut s’expliquer par l’influence du mode de nidification, car j’ai reconnu, comme une règle souffrant peu d’exceptions, que, lorsque les deux sexes portent les mêmes couleurs éclatantes et très-apparentes, le nid est de la première classe, soit formé de manière à cacher la couveuse, tandis que, s’il y a contraste, c’est-à-dire si le mâle est de couleurs brillantes et la femelle de couleurs ternes, le nid est ouvert et la couveuse exposée à la vue. Je commencerai par énumérer les faits qui soutiennent cette assertion, et j’expliquerai ensuite de quelle manière je suppose que cette relation s’est établie. Nous examinerons en premier lieu le groupe dans lequel la femelle porte des couleurs apparentes, et ressemble presque toujours exactement au mâle.

1. Martins-pêcheurs (Alcedinidæ). — Chez quelques-unes des plus belles espèces, la femelle et le mâle sont identiques ; chez d’autres, il existe une différence sexuelle, mais qui tend rarement à rendre la femelle moins apparente. Quelquefois la femelle porte sur la poitrine une raie qui manque chez le mâle, c’est le cas chez le Halcyon diops de Ternate. Chez d’autres, en particulier dans plusieurs espèces américaines, cette raie est roussâtre ; dans le Dacelo gaudichaudii, et d’autres du même genre, la queue de la femelle est rousse, tandis que celle du mâle est bleue. Le nid de la plupart des martins-pêcheurs est dans un trou profond creusé dans la terre, on dit que les Tanysiptera font le leur dans les trous des fourmilières de termites, ou quelquefois dans des crevasses sous les rochers.

2. Momots (Momotidæ.) — Les deux sexes de ces beaux oiseaux sont semblables, et leur nid dans un trou sous la terre.

3. Tamatias (Bucconidæ.) — Ces oiseaux portent souvent des couleurs vives, plusieurs ont le bec rouge comme du corail, les sexes sont identiques, et le nid dans un trou pratiqué dans un terrain en pente.

4. Trogons (Trogonidæ.) — Les femelles de ces superbes oiseaux, quoique en général moins brillamment colorées que le mâle, sont encore de couleurs vives. Le nid est dans le creux d’un arbre.

5. Huppes (Upupidæ.) — Le plumage rayé et les longues huppes de ces oiseaux les rendent très-apparents. Les sexes sont semblables et le nid dans un arbre creux.

6. Calaos (Bucerotidæ). — Ces grands oiseaux ont d’énormes becs, colorés, celui de la femelle est d’ordinaire aussi apparent et aussi bien coloré que celui du mâle. Leurs nids sont toujours dans des arbres creux, où la femelle est entièrement cachée.

7. Barbus (Capitonidæ). — Les couleurs de ces oiseaux sont toujours vives, et, chose curieuse, les taches les plus brillantes sont disposées d’une manière très-apparente, autour du cou et de la tête. Les sexes sont semblables, et le nid dans le creux d’un arbre.

8. Toucans (Rhamphastidæ). — Ces beaux oiseaux portent des couleurs vives sur les parties les plus apparentes de leur corps, en particulier sur leur bec, et sur les couvertures inférieures et supérieures de la queue, qui sont blanches, cramoisies ou jaunes. Les sexes sont semblables, et le nid dans le creux d’un arbre.

9. Musophagidæ. — Ici encore la tête et le bec sont dans les deux sexes de couleurs très-vives, et le nid dans le creux d’un arbre.

10. Centropus. — Les couleurs de ces oiseaux sont souvent très-éclatantes. Les deux sexes sont semblables. Le nid est en forme de dôme.

11. Pics (Picidæ). — Les femelles de cette famille diffèrent souvent des mâles, en ce que leur huppe est jaune ou blanche, au lieu d’être cramoisie, mais elles sont presque aussi apparentes qu’eux. Leurs nids sont tous dans le creux des arbres.

12. Perroquets (Psittaci). — La règle, dans ce groupe nombreux, orné des couleurs les plus brillantes et les plus variées, est que les sexes sont identiques : c’est le cas des familles les plus éclatantes, les loris, les kakatoès et les aras macaos, mais on trouve quelquefois de légères différences sexuelles. Ils nichent tous dans des trous, principalement dans les arbres, d’autres fois dans la terre ou dans des fourmilières de termites. Le seul perroquet qui bâtisse un nid visible, le Pezoporus formosus, perroquet terrestre d’Australie, a perdu les teintes brillantes de ses confrères, et porte un plumage sombre, vert grisâtre et noir, nuances éminemment protectrices.

13. Eurylœmidæ. — Chez ces beaux oiseaux orientaux, quelque peu alliés aux cotingas américains, les sexes sont semblables, et ornés des couleurs les plus éclatantes. Le nid est tressé, recouvert, et suspendu à l’extrémité des branches au-dessus de l’eau.

14. Pardalotus (Ampelidæ). — Les femelles de ces oiseaux, originaires d’Australie, diffèrent des mâles, mais sont souvent très-apparentes à cause de leur tête, tachetée de couleurs brillantes. Les nids sont quelquefois en forme de dôme, quelquefois dans des trous d’arbres ou sous la terre.

15. Mésanges (Paridæ). — Ces petits oiseaux sont tous jolis, et plusieurs, surtout parmi les espèces des Indes, sont très-apparents. Les sexes sont semblables, circonstance très-rare parmi les petits oiseaux de notre pays dont les couleurs sont voyantes. Le nid est recouvert ou caché dans un trou.

16. Sitta. — Oiseaux souvent très-jolis. Les sexes sont semblables et le nid dans le trou d’un arbre.

17. Sittella. — La femelle de ces oiseaux, originaires d’Australie, est souvent plus apparente que le mâle, étant tachetée de noir et de blanc. Le nid est, d’après Gould, complètement caché parmi des rameaux verticaux rattachés ensemble.

18. Échelets (Climacteris). — Chez ces oiseaux, originaires d’Australie, les sexes sont semblables, ou bien la femelle est plus apparente que le mâle. Le nid est dans le creux d’un arbre.

19. Estrelda, Amadina. — Chez ces deux genres de pinsons, originaires de l’Orient et d’Australie, la femelle, quoique plus ou moins différente du mâle, est cependant très-apparente, à cause de son croupion rouge, et de ses taches blanches. Ils bâtissent des nids en dôme, ce qui les distingue de presque tous les autres membres de leur famille.

20. Certhiola. — Chez ces jolis petits grimpeurs, originaires d’Amérique, les sexes sont identiques. Le nid est en forme de dôme.

21. Gracula (Sturnidæ). — Ces beaux étourneaux d’Orient sont semblables dans les deux sexes. Ils nichent dans les trous des arbres.

22. Calornis (Sturnidæ). — Ces étourneaux, de belles nuances métalliques, ne présentent pas de différences sexuelles. Ils bâtissent un nid suspendu et recouvert.

23. Icteridæ. — Le plumage noir et rouge ou noir et jaune de ces oiseaux est très-apparent. Les sexes sont semblables. Ils sont célèbres à cause de leurs beaux nids suspendus, en forme de bourse.

On remarquera que cette liste comprend six familles importantes de fissirostres, quatre de scansores, tous les perroquets, et plusieurs genres ainsi que trois familles entières de passereaux, comprenant environ douze cents espèces, soit un septième du nombre total des oiseaux connus.

Les espèces chez lesquelles, le mâle étant brillamment coloré, la femelle a des teintes plus ternes, sont extrêmement nombreuses : nous y trouvons presque tous les Passereaux à couleurs vives, excepté ceux qui sont mentionnés ci-dessus. Voici les principaux.

1. Cotingas (Cotingidæ). — Ce groupe comprend quelques-uns des plus beaux oiseaux du monde ; leurs couleurs les plus habituelles sont des nuances éclatantes, de bleu, de rouge et de pourpre. Les femelles sont toujours de teintes obscures, et souvent d’une nuance verdâtre qui se confond aisément avec le feuillage.

2. Pipra (Pipridæ). — Chez ces oiseaux, dont le chaperon ou la huppe offrent généralement les plus vives couleurs, la femelle est d’ordinaire d’un vert sombre.

3. Tangaras (Tanagridæ). — Ces oiseaux le disputent aux cotingas par la beauté de leurs couleurs, et l’emportent même par la variété. Le plumage des femelles est ordinairement laid et sombre, et toujours moins apparent que celui du mâle.

Dans les familles nombreuses des fauvettes (Sylviadæ), des grives (Turdidæ), des gobe-mouches (Muscicapidæ), des pies-grièches (Laniadæ), une quantité considérable d’espèces sont ornées de couleurs gaies et voyantes ; c’est aussi le cas chez les faisans et les grouses, mais les femelles sont toujours plus ternes, et le plus souvent des couleurs les plus sombres et les moins apparentes. Or, chez toutes ces familles, le nid est ouvert, et je ne connais pas un seul exemple où l’un de ces oiseaux ait bâti un nid en dôme, ou l’ait placé dans le creux d’un arbre, dans un trou du sol, ou dans une cachette quelconque.

Il n’est pas nécessaire, pour élucider cette question, de nous occuper des grands oiseaux, parce qu’il est rare qu’ils se cachent pour pourvoir à leur sûreté. Les couleurs vives sont, en général, absentes chez les rapaces ; d’ailleurs leurs mœurs sont telles qu’une protection spéciale pour la femelle serait inutile. Les femelles des grands échassiers sont souvent aussi éclatantes que les mâles, mais il est probable que ces oiseaux n’ont pas beaucoup d’ennemis, car l’ibis écarlate (Eudocimus ruber), le plus voyant de tous les oiseaux, existe en nombre immense dans l’Amérique du Sud.

Chez les oiseaux de gibier terrestres ou aquatiques, les femelles sont souvent très-simples, tandis que les mâles sont revêtus des plus belles couleurs, et le groupe anormal des Mégapodes nous offre l’exemple curieux d’une identité de couleur dans les deux sexes (couleurs assez vives dans le Mégacephalon et le Talegalla), combinée avec l’habitude de ne pas couver du tout.


Conclusion à tirer des faits qui précèdent.


Considérant l’ensemble des faits que nous venons d’énumérer et qui comprennent presque tous les groupes d’oiseaux brillamment colorés, on admettra, je crois, comme suffisamment établie, la relation entre la couleur des oiseaux et leur mode de nidification. Il existe, il est vrai, quelques exceptions, les unes réelles, les autres apparentes ; j’en parlerai tout à l’heure ; mais je puis les négliger pour le moment, car elles ne sont ni assez nombreuses ni assez importantes pour contre-balancer la masse de preuves qui appuient ma théorie. Voyons ce que nous devons conclure de cette série de rapports entre des groupes de phénomènes si différents au premier abord. Se rattachent-ils à d’autres ? Nous enseignent-ils quelque chose sur les procédés de la nature, ou nous donnent-ils un aperçu des causes auxquelles nous devons la merveilleuse variété, l’harmonie et la beauté des êtres vivants ? Je crois qu’on peut répondre affirmativement à ces questions, et je mentionnerai d’ailleurs, pour prouver la relation que je vois entre tous ces faits, qu’elle me fut d’abord révélée par l’étude de phénomènes analogues chez les insectes, savoir, la ressemblance protectrice et la mimique.

Le premier enseignement qui ressort de ce qui précède, c’est que les femelles des oiseaux ne sont pas incapables de posséder les brillantes couleurs dont les mâles sont si souvent ornés, puisqu’elles les portent toutes les fois qu’elles sont cachées ou protégées pendant l’incubation. La conclusion naturelle est donc que le développement imparfait ou l’absence de brillantes couleurs dans leur plumage, est due au défaut de protection et d’abri pendant cette période importante de leur vie. Cela s’explique facilement si nous admettons l’action de la sélection naturelle ou sexuelle. Comme nous l’avons vu, il arrive souvent que les deux sexes sont parés des mêmes riches couleurs, tandis qu’il est rare qu’ils soient également pourvus d’armes offensives et défensives, quand celles-ci ne sont pas nécessaires à la sûreté individuelle : cela semble indiquer que l’action normale de la sélection sexuelle est de développer chez les deux sexes la couleur et la beauté, par la conservation et la multiplication dans chacun d’eux des variations attrayantes pour l’autre. Plusieurs observateurs minutieux des mœurs des animaux m’ont assuré que les oiseaux et les quadrupèdes mâles prennent souvent en aversion ou en affection une certaine femelle, et nous avons peine à croire qu’ils ne partagent pas, dans une certaine mesure, le goût pour la couleur, si général dans l’autre sexe. Quoi qu’il en soit, le fait reste que dans un grand nombre de cas, la femelle acquiert des couleurs aussi vives et aussi variées que le mâle ; il est donc probable qu’elle les acquiert de la même manière que lui, c’est-à-dire, parce qu’elles lui sont utiles, ou sont en corrélation avec une variation utile, ou encore parce qu’elles plaisent à l’autre sexe. La seule hypothèse possible en dehors de celle-ci, serait qu’elles seraient transmises par l’autre sexe, sans être d’aucune utilité. Ceci, d’après les nombreux exemples cités plus haut, de femelles douées de couleurs vives, impliquerait que les caractères de couleur acquis par l’un des sexes seraient généralement (mais non pas nécessairement) transmis à l’autre. S’il en est ainsi, nous pourrons, je crois, expliquer les phénomènes, même sans admettre qu’un plumage plus ou moins éclatant influence jamais le mâle dans le choix de sa compagne.

La femelle, pendant qu’elle couve dans un nid découvert, est très-exposée aux attaques de ses ennemis, et une variation de couleur qui la rendrait plus apparente, lui serait funeste, ainsi qu’à sa progéniture. Toutes les variations dans cette direction, chez la femelle, seraient donc, tôt ou tard, éliminées, tandis que celles qui tendraient à la confondre avec les objets environnants, tels que le sol ou le feuillage, se continueraient, et conduiraient peu à peu à la possession des teintes brunes, verdâtres et ternes qu’on observe chez presque toutes les femelles dont les nids sont découverts, au moins sur la partie supérieure de leur corps.

Ceci ne signifie pas, comme quelques personnes l’ont pensé, que tous les oiseaux femelles fussent à l’origine aussi beaux que les mâles. Le changement a été graduel, ayant commencé en général à l’origine des genres et des groupes importants ; mais il est certain que les aïeux éloignés d’oiseaux aujourd’hui séparés par de grandes différences sexuelles, furent à peu près ou tout à fait semblables entre eux, ressemblant en général à la femelle actuelle, quelquefois peut-être au mâle tel qu’il est aujourd’hui. Les jeunes oiseaux, qui d’ordinaire ressemblent à la femelle, nous donnent probablement une idée de ce type primitif, et tout le monde sait qu’il est souvent impossible de distinguer les uns des autres, des petits d’espèces alliées et de sexes différents.


La couleur est plus variable que la structure et les mœurs, et a été par conséquent plus généralement modifiée.


J’ai essayé de prouver, en commençant cet essai, que les différences caractéristiques et les traits essentiels des nids d’oiseaux dépendent de la structure de l’espèce et de leurs conditions d’existence passées et présentes. Ces facteurs sont tous deux plus importants et plus fixes que la couleur, et nous en concluons que, dans la plupart des cas, le mode de nidification, dépendant de la structure et du milieu, a été la cause et non l’effet, des différences sexuelles pour ce qui est de la couleur.

Quand un groupe d’oiseaux avait l’habitude constante de nicher dans le creux d’un arbre, comme les toucans, ou dans un trou dans la terre comme les martins-pêcheurs, la protection obtenue par la femelle pendant l’époque importante et périlleuse de l’incubation égalisait les chances d’attaque pour les deux sexes, et permettait à la sélection sexuelle ou à toute autre cause d’agir librement et de développer de brillantes couleurs chez la femelle comme chez le mâle. Quand, au contraire, comme chez les tangaras et les gobe-mouches, un groupe avait l’habitude de faire des nids ouverts, en forme de tasse, dans des situations plus ou moins exposées, le développement de la couleur chez la femelle était continuellement entravé par le danger qu’il lui faisait courir, tandis que chez le mâle les teintes les plus riches se produisaient sans obstacle. À cela cependant, il peut y avoir eu des exceptions, car, chez les oiseaux les plus intelligents et les plus capables de modifier leurs habitudes, le danger que couraient les femelles trop éclatantes a pu conduire à la construction de nids cachés ou fermés, comme ceux des mésanges et des Ictérides. Dans ce cas-là, une protection spéciale cessait d’être nécessaire pour la femelle ; ainsi l’acquisition de la couleur et la modification du nid peuvent avoir quelquefois agi et réagi l’une sur l’autre, de manière à atteindre ensemble leur plein développement.


Cas exceptionnels qui confirment cette explication.


Il existe, dans l’histoire naturelle des oiseaux, quelques curieuses anomalies qui peuvent heureusement servir de pierre de touche pour vérifier cette explication des inégalités de la coloration sexuelle. On sait depuis longtemps que, chez certaines espèces, les mâles partagent ou exercent exclusivement la fonction de l’incubation. On a aussi souvent remarqué que, chez certains oiseaux, les différences sexuelles dans la couleur étaient renversées, le mâle étant de couleurs ternes, la femelle de couleurs vives et souvent plus grande que lui. Je ne sache pas cependant qu’on ait jamais considéré ces deux anomalies comme étant reliées par le lien de causalité jusqu’au moment où je les ai produites à l’appui de ma théorie de l’adaptation protectrice. C’est cependant un fait incontestable, que dans les cas les mieux connus où la femelle est plus apparente que le mâle, il est certain que c’est à celui-ci qu’incombe la charge de l’incubation, on a tout au moins de fortes raisons de le supposer. L’exemple le plus concluant est celui du Phalarope gris (Phalaropus fulicarius), dont les deux sexes sont identiques en hiver, tandis qu’en été c’est la femelle et non pas le mâle, qui revêt le brillant plumage des noces, mais le mâle couve les œufs, déposés sur la terre nue. La femelle du pluvier (Eudromias morinellus) est plus grande et plus vivement colorée que le mâle, et, dans ce cas-ci encore, il est presque certain que c’est le mâle qui couve. Il en est de même chez les Turnices de l’Inde, et M. Jerdon dans ses « Oiseaux des Indes » affirme, d’après les récits des indigènes, qu’après la ponte, les femelles abandonnent leurs œufs et se réunissent en troupes, pendant que les mâles sont occupés à couver. Nous ne connaissons pas exactement les mœurs des autres espèces dont la femelle est plus belle que le mâle. L’exemple des autruches et des émus pourra donner lieu à une objection, c’est le mâle qui couve, et il n’est cependant pas moins apparent que la femelle ; mais cette exception s’explique par deux motifs : d’abord ces oiseaux sont trop grands pour éviter le danger en se cachant, de plus ils ont la force de se défendre contre les ennemis qui attaqueraient les œufs, et peuvent échapper par la fuite à ceux qui les attaqueraient eux-mêmes.

Nous trouvons donc une dépendance réciproque entre une grande quantité de faits relatifs à la coloration sexuelle et au mode de nidification des oiseaux, y compris quelques-unes des anomalies les plus extraordinaires que présente leur histoire ; dépendance qui s’explique par le simple principe que celui des parents auquel est confiée l’incubation a besoin de plus de protection que l’autre. Étant donnée l’imperfection de nos connaissances sur les mœurs de la plupart des oiseaux exotiques, les exceptions à ce principe sont rares, et se présentent en général dans des groupes ou des espèces isolées, tandis que certaines exceptions apparentes sont en définitive des confirmations de la loi.


Exceptions apparentes ou réelles à la loi énoncée page 256.


Les seules exceptions positives que j’ai pu découvrir sont les suivantes :

1. Drongos (Dicrourus). — Ces oiseaux sont d’un noir luisant, leur queue est longue et fourchue. Les sexes sont semblables et leurs nids ouverts. On peut vraisemblablement expliquer ce fait par la raison que ces oiseaux n’ont pas besoin de la protection d’une couleur moins voyante. Ils sont très-querelleurs, attaquent souvent et repoussent les corbeaux, les faucons, les milans, et comme ils sont demi-sociables, les femelles ne risquent guère d’être attaquées pendant l’incubation.

2. Loriots (Oriolidæ). — Les véritables loriots portent de très-vives couleurs ; dans plusieurs espèces orientales les sexes sont tout à fait ou presque semblables et les nids sont ouverts. Cette exception est l’une des plus sérieuses, mais elle confirme cependant la règle jusqu’à un certain point, car on a remarqué que ces oiseaux mettent le plus grand soin à dissimuler leur nid dans l’épaisseur du feuillage et surveillent leurs petits avec une sollicitude incessante. Ils ressentent donc l’absence de la protection dérivée d’une couleur sombre et suppléent à cet inconvénient par le développement des facultés mentales.

3. Brèves (Pittidæ). — Ces oiseaux élégants et de couleurs éclatantes sont généralement semblables dans les deux sexes. Leur nid est ouvert. Cette exception n’est cependant qu’apparente, car il est curieux de constater que presque toutes les couleurs vives sont sur la surface inférieure, le dos étant d’ordinaire brun ou vert olive, la tête noire, rayée de brun ou de blanc ; nuances qui s’harmonisent aisément avec le feuillage, les rameaux et les racines qui entourent le nid, construit ordinairement sur le sol ou près de terre, et qui ainsi concourent à protéger l’oiseau.

4. Grallina Australis. — Cet oiseau est de couleurs tranchées, blanc et noir. Les sexes sont semblables et son nid est construit dans un endroit exposé, sur un arbre ; il est ouvert et fait d’argile. Celle exception est très-frappante au premier abord, mais je ne suis pas convaincu qu’elle soit très-grave. Avant de pouvoir déclarer que la couveuse est réellement très-visible sur son nid, nous devons connaître l’arbre qu’elle habite en général, la couleur de son écorce ou des lichens qui la recouvrent, les teintes du sol et des autres objets environnants. On a remarqué que de petites taches blanches et noires se confondent à une certaine distance en une couleur grise, l’une des plus communes dans la nature.

5. Nectarineidæ. — Chez ces charmants petits oiseaux les mâles seuls sont ornés de vives couleurs, et les femelles sont très-ternes ; cependant dans tous les cas constatés jusqu’à présent, ils bâtissent des nids recouverts. Ceci est une exception négative plutôt que positive, car des causes autres que le besoin de protection peuvent empêcher la femelle d’acquérir les couleurs du mâle ; une circonstance curieuse jette quelque lumière sur ce sujet. On croit que le mâle du Leptocoma zeylanica aide à l’incubation. Il est donc possible que ce groupe d’oiseaux ait anciennement bâti un nid ouvert, et que quelque changement de conditions ayant amené le mâle à couver, l’adoption d’un nid en dôme soit devenue nécessaire. Je dois dire cependant que cette exception est la plus sérieuse que j’aie encore rencontrée.

6. Maluridæ. — Chez ces petits oiseaux, les mâles sont ornés des plus vives couleurs, tandis que les femelles sont de couleurs ternes, et ils bâtissent cependant des nids en forme de dôme. Il faut observer que le plumage du mâle est uniquement nuptial, et qu’il ne le conserve que pendant très-peu de temps ; les deux sexes sont semblables pendant tout le reste de l’année. Il est donc probable que je dôme du nid est destiné à préserver de la pluie ces délicats petits êtres, et qu’une cause encore inconnue aura développé la couleur chez le mâle.

Il est encore un cas, qui au premier abord semble être une exception, mais qui n’en est réellement pas une, et qui mérite d’être mentionné. Chez le Jaseur ordinaire (Bombycilla garrula), les sexes sont presque identiques, et les extrémités rouges des ailes, dont la forme est très-élégante, sont à peu près, sinon tout à fait, aussi apparentes chez la femelle que chez le mâle. Il construit cependant un nid ouvert, et au simple aspect de l’oiseau, on serait porté à croire, d’après ma théorie, qu’il doit bâtir un nid fermé. Mais sa couleur le protège, en fait, d’une manière aussi efficace que possible. Il ne se reproduit que dans des latitudes élevées, et son nid, placé dans des sapins, est principalement formé de lichens ; or les nuances délicates de gris cendré et violacé de la tête et du dos de cet oiseau, le jaune des ailes et de la queue, s’harmonisent admirablement avec les teintes des diverses espèces de ces plantes, tandis que les pointes rouges représentent la fructification d’un lichen commun le Cladonia coccifera. La femelle, dans son nid, n’offre par conséquent aucune couleur distincte de celles qui l’environnent, et ces teintes mêmes sont réparties dans les mêmes proportions sur son corps et sur les alentours ; l’oiseau est donc, à quelque distance, impossible à distinguer de son nid, ou d’un amas naturel des plantes dont celui-ci est fait.

Je crois avoir exposé toutes les exceptions de quelque importance à la loi qui fait dépendre la coloration sexuelle du mode de nidification. On voit qu’elles sont peu nombreuses, comparativement aux exemples qui appuient la loi générale, et, dans plusieurs cas, quelques circonstances dans les mœurs ou la structure de l’espèce suffisent à les expliquer. Il est aussi curieux de rappeler que je n’ai presque pas trouvé d’exceptions positives, c’est-à-dire de cas où des femelles très-éclatantes habitent des nids découverts. On pourra plus rarement encore citer un groupe d’oiseaux chez lequel toutes les femelles portent à leur surface supérieure des couleurs voyantes, et couvent cependant dans des nids ouverts. Les cas nombreux dans lesquels des espèces d’oiseaux dont les deux sexes sont de couleurs ternes, bâtissent des nids couverts ou cachés, n’affectent en rien ma théorie, puisque celle-ci est uniquement destinée à expliquer pourquoi les femelles éclatantes de mâles également éclatants habitent toujours des nids en dôme ou cachés, tandis que les femelles obscures de mâles éclatants ont presque toujours des nids ouverts et exposés. Le fait qu’on retrouve parmi les oiseaux dont les deux sexes sont ternes, des nids de toute espèce, montre simplement que, comme je l’ai affirmé, la coloration de la femelle est, dans la plupart des cas, déterminée par le caractère du nid, et non pas vice versa.

Si cette manière de voir est correcte, si ce sont bien là les influences variées qui ont déterminé les caractères du nid de chaque oiseau, la coloration générale des femelles, ainsi que la relation de ces deux phénomènes entre eux, nous ne pouvons guère espérer une série de témoignages plus complète que celle que nous venons d’exposer. La nature est un réseau si embrouillé de relations complexes, que, quand nous trouvons une série de phénomènes qui se correspondent, dans des centaines d’espèces, de genres et de familles, dans toutes les parties du système, nous sommes forcés d’y reconnaître une connexion réelle ; quand en outre on peut prouver que l’un des deux facteurs de ce problème dépend des conditions d’existence et d’organisation les plus stables et les plus fondamentales, tandis que l’autre est universellement reconnu pour un caractère superficiel et aisément modifié, il reste peu de doute sur leur relation respective de cause et d’effet.


Des modes variés de protection chez les animaux.


L’explication que je viens de tenter, pour rendre compte de ce phénomène, ne s’appuie pas seulement sur les faits que j’ai pu exposer ici. On a vu, dans l’essai sur la mimique, le rôle important rempli par le besoin de protection dans la détermination des formes extérieures et de la couleur, et quelquefois même dans celle de la structure intérieure des animaux. Je puis, comme éclaircissement sur ce dernier point, indiquer les petites épines recourbées, fourchues ou étoilées d’un grand nombre d’éponges, auxquelles on attribue principalement la fonction de rendre ces animaux immangeables. Les Holothuries ont une protection analogue : plusieurs d’entre elles ont, comme le Synapta, des piquants en forme d’ancre, plantés dans la peau ; d’autres (Cuviera squamata) sont couvertes d’une cuirasse calcaire très-dure. Plusieurs de ces dernières sont d’une belle couleur rouge ou violette, et par conséquent très-apparentes, tandis que l’espèce alliée du Trépang, ou bêche de mer (Hololhuria edulis) qui n’est pas munie d’arme défensive, est d’une couleur terne, analogue au sable et à la boue du fond de la mer sur lequel elle repose. Beaucoup des petits animaux marins sont presque invisibles à cause de leur transparence, tandis que ceux dont les couleurs sont vives sont souvent pourvus d’une protection spéciale, soit de tentacules venimeux, comme la physalie, soit d’une cuirasse calcaire, comme les étoiles de mer.


Dans certains groupes les femelles possèdent la protection spéciale qui leur est plus nécessaire qu’aux mâles.


Dans la lutte pour l’existence, la facilité de se cacher est l’un des moyens de conservation les plus efficaces, et cette protection s’acquiert par les modifications de couleur plus facilement que par tout autre moyen, puisque ce caractère est sujet à des variations nombreuses et rapides. L’exemple que je viens de traiter est tout à fait analogue à celui des papillons. En règle générale, le papillon femelle est de couleurs ternes et peu visibles, alors même que le mâle est le plus brillamment paré, mais, quand l’espèce est protégée de ses ennemis par une odeur désagréable, comme c’est le cas des Danaïdes, des Héliconides et des Acréides, les deux sexes étalent les mêmes vives nuances. Parmi les espèces qui cherchent une protection dans l’imitation de ces formes privilégiées, on remarque que chez les Leptalides, insectes faibles et d’un vol lent, la ressemblance existe dans les deux sexes, parce que tous deux ont également besoin de protection, tandis que dans les genres plus vigoureux et d’un vol rapide (Papilio, Pieris, Diadema), les femelles seules, en général, imitent les autres groupes, et deviennent quelquefois par là plus brillantes que leurs mâles, renversant ainsi les caractères usuels et presque universels des deux sexes. Ainsi, dans les merveilleux insectes-feuilles de l’Orient, du genre Phyllium, la femelle seule imite les feuilles vertes, parce que sa sécurité pendant le temps de la ponte est nécessaire à la perpétuation de la race. Chez les mammifères et les reptiles, il y a rarement une différence de couleur entre les sexes, même quand ces couleurs sont brillantes, parce que la femelle n’est pas nécessairement plus exposée au danger que le mâle. On ne connaît pas un seul exemple chez les papillons ci-dessus mentionnés, Diadema, Pieris et Papilio, ni chez aucun autre, d’un mâle qui imite seul les Danaïdes ou les Héliconides. Ce fait peut, je crois, être considéré comme une confirmation de ma manière de voir ; d’autant plus que la couleur, étant bien plus riche chez les mâles, semble devoir se prêter à chaque instant à toute modification utile. Cette observation paraît se rapporter à cette loi générale, que chaque espèce, comme aussi chaque sexe, est susceptible de modification dans la mesure exacte qui lui est nécessaire pour se maintenir dans la lutte pour l’existence, mais pas au delà. L’insecte mâle, par sa structure et par ses mœurs, est moins exposé au danger que sa femelle, requiert une moins grande protection, et ne peut par conséquent pas l’obtenir seul, par le moyen de la sélection naturelle, tandis que la femelle l’acquiert par ce moyen, parce qu’une protection extraordinaire lui est indispensable, soit à cause des risques qu’elle court, soit à cause de sa grande importance au point de vue de la reproduction.

M. Darwin reconnaît que le besoin de protection a pu être quelquefois la cause des couleurs sombres des oiseaux femelles. (Origine des espèces, 4e éd. anglaise, p. 241) ; mais il ne paraît pas attribuer à ce fait un rôle aussi important dans les modifications de couleur, que je suis moi-même porté à le faire. Il rappelle dans le même paragraphe (p. 240), que les oiseaux et les papillons femelles sont tantôt très-ternes, tantôt aussi brillants que les mâles, mais parait considérer ce fait comme dû à des lois particulières d’hérédité, d’après lesquelles les variations de couleur se perpétuent tantôt dans un sexe seulement, tantôt dans les deux. Sans nier l’action d’une telle loi, que M. Darwin me dit pouvoir appuyer sur des faits, j’attribue la différence, dans la plupart des cas, au plus ou moins grand besoin de protection ressenti par les femelles de ces divers groupes d’animaux.

Ceci fut déjà remarqué il y a un siècle par l’Hon. Daines Barrington ; dans le travail déjà cité, il rappelle que tous les oiseaux chanteurs sont petits, et propose, ce que je crois erroné, d’expliquer ce fait par la difficulté qu’auraient de grands oiseaux à se cacher, si leur voix attirait l’attention de leurs ennemis ; il ajoute ensuite : « Je serais porté à croire que c’est pour la même raison que les femelles ne chantent jamais, car ce talent serait encore plus dangereux pour elles durant l’incubation, et c’est ce même motif qui, peut-être, doit expliquer leur infériorité au point de vue du plumage. » Nous avons là un curieux pressentiment de l’idée qui fait le sujet principal de cet essai ; il a passé inaperçu pendant près d’un siècle, et je ne l’ai connu moi-même que tout récemment, M. Darwin l’ayant signalé à mon attention.


Conclusion.


Quelques personnes seront peut-être disposées à penser que les causes auxquelles j’attribue une si grande partie des phénomènes qui frappent nos yeux dans la nature sont trop simples et trop insignifiantes, pour un résultat aussi considérable.

Mais il faut observer que tous les détails de la structure des animaux ont pour but essentiel la conservation de l’individu, et celle de l’espèce. Jusqu’à présent on a trop souvent considéré la couleur comme une circonstance adventice et superficielle, comme un caractère donné à l’animal non à cause de son utilité intrinsèque, mais pour plaire à l’homme, ou même à des êtres encore supérieurs, ou pour ajouter à la beauté et à l’harmonie idéale de la nature. Si tel était le cas, la couleur des êtres organisés serait évidemment une exception à tous les autres phénomènes naturels ; au lieu de se rattacher à des lois générales, et d’être déterminée par des conditions extérieures sans cesse modifiées, elle dépendrait d’une volonté dont les motifs doivent à jamais nous rester inconnus, et nous devrions abandonner toute recherche sur son origine et ses causes. Mais, chose curieuse, à peine avons-nous commencé à examiner et à classer les couleurs des êtres, que nous leur découvrons une relation intime avec une quantité d’autres phénomènes, et que nous les trouvons soumises comme ceux-ci, à des lois générales. J’ai cherché ici à élucider quelques-unes de ces lois en ce qui touche les oiseaux, et j’ai montré l’influence exercée par le mode de nidification sur la couleur des femelles.

J’ai précédemment fait voir jusqu’à quel point et de quelle manière le besoin de protection a déterminé les couleurs des insectes, de quelques groupes de reptiles et de mammifères, et je voudrais maintenant attirer l’attention sur ce fait, établi par M. Darwin, que les vives nuances des fleurs sont aussi soumises à cette grande loi de l’utilité, bien qu’elles eussent été longtemps considérées comme prouvant que la couleur avait été créée pour autre chose que pour le bien de son possesseur. Les fleurs n’ont pas grand besoin de protection, mais les insectes sont très-souvent nécessaires pour les féconder, ou pour maintenir intacte la vigueur de leurs organes reproducteurs. Leurs couleurs éclatantes, comme leur parfum et leurs sécrétions sucrées servent à attirer ces animaux ; nous avons une preuve que c’est là la fonction principale de la couleur, dans le fait que les plantes qui peuvent être parfaitement fécondées au moyen du vent et ne réclament pas l’aide des insectes, n’ont que rarement, ou même jamais, de fleurs éclatantes.

Cette vaste extension du principe général de l’utilité à la question de la couleur dans les deux règnes organiques, nous oblige à reconnaître que le principe du règne de la loi a pris pied sur ce terrain, où jusqu’à présent les défenseurs des créations spéciales se croyaient invincibles. Aux adversaires de l’explication que j’ai donnée des faits cités dans cet essai, je crois pouvoir rappeler, sans manquer à la courtoisie, qu’ils doivent s’attaquer à l’ensemble des phénomènes, et non à un ou deux d’entre eux pris isolément. On est forcé d’admettre qu’un grand nombre de faits se rattachant à la couleur dans la nature, ont été coordonnés et expliqués par la théorie de l’évolution et de la sélection naturelle. Jusqu’à ce qu’on explique un ensemble de faits au moins aussi considérable, au moyen d’une autre théorie, on ne peut s’attendre à ce que nous abandonnions celle qui nous a si bien servi, et qui a révélé un si grand nombre d’harmonies intéressantes autant qu’inattendues, parmi les phénomènes les plus communément présentés par les êtres organisés, phénomènes, il est vrai, très-négligés et peu compris jusqu’à aujourd’hui.