Librairie socialiste internationale (p. 13-15).
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IV

Pour quelques salariés, qui se prétendent révolutionnaires, le remède serait l’allumette chimique, autrement dit la destruction des docks, bazars et magasins, qui regorgent de vivres, de vêtements et de meubles.

Que ne proposent-ils de détruire les machines ? Ce serait plus simple.

Évidemment, la machine, leurs camarades ou eux-mêmes ont trop produit.

Mais en quoi le moyen précité — l’allumette chimique — avancerait-il la Révolution sociale ? Elle la retarderait plutôt : nombre de chômeurs, pareils à des chiens couchants à qui l’on jette un os, cesseraient alors d’aboyer contre les dogues capitalistes.

Et puis, la pléthore productive renaissant toujours, faudrait-il donc sans cesse avoir recours au truc de l’allumette ?

Ce n’est pas sérieux.

Il est difficile que la crise économique ne s’aggrave pas sous le joug de la féodalité industrielle.

C’est la loi d’évolution du Capital : elle ne peut prendre fin, sauf quelques atténuations passagères, qu’au branle-bas suprême.

À la table égalitaire, tout le monde a droit de s’asseoir.

Si les affamés qui pullulent dans la capitale et que MM. de la Rousse cueillent chaque nuit sur les bancs du boulevard, si ceux à qui l’on refuse un lit d’hôtel ou d’hôpital et qui se jettent dans celui de la Seine, si tous ces désespérés, avant de descendre dans la tombe, descendaient un bourgeois ou un mouchard[1], pense-t-on que cette propagande par le fait n’aurait pas quelque influence sur la solution du problème de la misère ?

Les bons bourgeois, craignant pour leur peau, procureraient bien vite, sinon du travail — travail dont on n’a que faire lorsque tout est en abondance — mais le vivre et le couvert aux exaspérés.

— Et les paresseux, nous répètent les susdits ravaillomanes, qu’en ferez-vous ?

— Et le rentier, braves naïfs, dont vous reproduisez inconsciemment la fameuse blague, que f…t-il du 1er janvier à la Saint-Sylvestre ?

N’est-ce pas un comble que ce soit précisément ceux qui ne travaillent jamais qui nous reprochent de vouloir travailler moins ?

Au surplus, quelle différence entre ne rien faire et produire sans utilité ?

Oyez encore sur cette question, vous tous qui aimez le travail… pour les autres, ces lignes d’un citoyen ayant la réputation, parmi les socialistes instruits, de posséder quelque logique :

Comme le choléra — qu’elle va traîner à sa suite, lui servant de véhicule ou de fourrier — la véritable famine que

le chômage a déchaînée en pleine abondance sur la France ouvrière gagne tous les jours du terrain.

Et les travailleurs des divers centres industriels, frappés au ventre, n’ont encore su — dans leur recours aux pouvoirs publics — implorer que du travail.

Les malheureux ! c’est le travail qui les tue, ce travail, leur unique ressource, qu’ils ont prodigué sans compter, peinant des douze, treize et quatorze heures par jour, alors que, pour répondre aux besoins du marché, la journée de huit heures — réclamée par le socialisme des deux-mondes — aurait suffi et au-delà. Et ils en demandent encore, toujours, même lorsqu’il n’y en a plus. C’est parce qu’ils ont pendant des mois et des années trop abattu d’ouvrage qu’ils sont aujourd’hui sans salaire ou sans pain. Et au lieu de pain, de viande, de vêtements, de chaussures et d’autres moyens d’existence qu’ils ont follement produits, qui leur appartiennent et dont ils manquent, ce qu’ils attendent de l’État et des communes, ce qu’ils sont prêts à leur arracher, ce sont des moyens de produire encore — avec des marchandises inécoulables — de nouveaux et plus terribles chômages pour eux-mêmes.

La classe qui vit admirablement à ne rien faire, mais qui a inventé pour autrui le sacro-saint devoir de travailler pour vivre, les a tellement pourris de ses sophismes, qu’à défaut d’ateliers ou de chantiers privés, il leur faut, à toute force, des chantiers ou des ateliers municipaux ou nationaux[2].

Il n’y a donc que deux moyens de combattre le chômage : ou réduire d’une façon sérieuse le temps de travail, ou s’emparer de la machine.

Travaillant pour tous au lieu de produire pour quelques-uns, elle affranchirait le prolétaire moderne du salariat, cette forme déguisée de l’esclavage antique.

Détruire sans nécessité le résultat des efforts, des longues souffrances de producteurs qui ont usé leur vie à créer choses utiles est donc plus qu’une erreur, c’est un crime économique.

Cette règle comporte quelques exceptions d’un autre ordre, mais la grandeur du but les explique.

Au reproche fait aux communalistes d’avoir incendié Paris en 1871, alors que les soudards de Versailles, ivres d’eau-de-vie et de carnage, les fusillaient par dizaines de mille, voici ce qu’un fédéré eut le courage de répondre à ses juges en uniforme :

La gloire de Thémistocle n’est-elle pas d’avoir abandonné Athènes pour affamer l’armée persane, et celle de Rostopchine d’avoir incendié Moscou pour noyer Bonaparte au désert ? Et le Russe ne combattait que pour son empereur, l’Athénien sacrifiait sa patrie à la Grèce : la Commune, elle, combat pour l’Humanité[3] !

  1. Camille Desmoulins disait dans sa brochure la France libre, une de celles qui contribuèrent le plus, en 80, à déterminer le mouvement révolutionnaire :

    « Qu’on extermine surtout cette robe grise, cette police, l’inquisition de la France, le vil instrument de notre servitude, ces milliers de délateurs, ces inspecteurs, la lie du crime et le rebut des fripons même. »

    Cette œuvre mémorable, dont on croirait les pages ardentes écrites de nos jours, fut éditée par Mompro, qui s’intitulait « premier imprimeur de la Liberté ». Celui-ci, qui l’avait communiquée à la police, refusait de la mettre en vente et de s’en dessaisir. Camille ne put ravoir les exemplaires de son ouvrage, ensevelis dans le fond de la boutique de ce grand patriote, qu’en le menaçant de la lanterne.

  2. Jules Guesde. — Extrait du Cri du Peuple, 2o série, no 342.
  3. Trohel. — Une page de la Commune (sous presse).