Calmann-Lévy, éditeur (p. 205-217).


XXIII


La chambre où se tenait Josanne était une vraie chambre de province, meublée d’un lit à colonnettes et d’une armoire en noyer luisant, où se becquetaient des colombes. Quand on ouvrait l’armoire, une bonne odeur de cire et de pomme mûre s’exhalait du bois vénérable. Des rideaux de mousseline empesée, retenus par des embrasses en coton, doublaient d’autres rideaux dont la perse fanée avait passé du rouge au rose. Il y avait, près de la fenêtre, un vieux fauteuil couvert d’une tapisserie à bandes, comme on en voit dans les intérieurs de Chardin. Josanne aimait à s’asseoir dans ce fauteuil, et à regarder les branches pendantes du rosier alourdi de roses, et le jardinet, et la cathédrale…

Depuis qu’elle était revenue à Chartres, pour ces vacances printanières, elle n’avait presque pas quitté la maison. Vainement, mademoiselle Miracle l’exhortait à sortir, à voir les dames Chantoiseau et d’autres personnes amies : Josanne consentait tout juste à promener son fils sur les remparts. Une paresse invincible la dégoûtait de l’action, de la causerie vive et prolongée. Et la tante, un peu choquée et inquiète, lui disait parfois :

— Qu’avez-vous, ma nièce ?… Vous êtes triste ?

— Triste, moi ?… Oh ! non ! Je me repose de Paris.

Elle se reposait ; elle attendait, heureuse de lire, de coudre, de rêver, seule, attentive à ses pensées, — à la secrète et constante pensée qui était en elle comme la trame de toutes les autres. — Le bon sommeil, l’appétit revenu, la vie calme et régulière, l’avaient embellie et rajeunie en quelques jours. Elle pensait :

« C’est vrai que je ne suis plus triste, plus triste du tout !… Maurice serait bien étonné de me voir ainsi… Je n’aurais jamais cru me consoler si vite !… Comment puis-je oublier ces années terribles et embrasser Claude sans un serrement de cœur !… Ai-je donc une âme légère ?… Est-ce la « force des choses » qui me détourne du passé ?… Est-ce l’influence de Noël Delysle ?… Je ne sais pas. Je me laisse vivre… »

Elle s’éveillait, le matin, avec un sentiment de confiance et s’endormait, le soir, avec un sentiment de gratitude envers le sort qui lui accordait cette trêve. Elle était sûre que rien de pénible n’attristerait son retour, et cependant elle ne se hâtait point de revenir à Paris. Libre de songer à Noël, ne faisant rien que d’écrire à Noël ou de relire les lettres de Noël, elle sentait son ami si proche qu’elle se surprenait à lui parler tout haut.

Mais, ce jour-là, dans la chambre où elle travaillait en attendant le courrier, Josanne éprouvait tout à coup la détresse physique de l’exilé, une sensation d’obscurcissement et d’asphyxie. Noël n’avait pas répondu à sa dernière lettre, — à cette lettre qui annonçait, préparait une confidence devenue nécessaire !…

« Rien ce matin, rien à midi !… J’aurai un billet à six heures, peut-être… Sinon, j’enverrai un télégramme à Noël. Je ne peux pas rester sans nouvelles de lui. Est-il malade ? A-t-il quelque chagrin ?… Il est seul. Qui le soignerait ? Un domestique. Qui le consolerait ?… Personne… Mon pauvre ami !… »

Elle ne supposait pas que Noël pût avoir des peines de cœur, ou ce qu’on appelle vulgairement « des histoires de femmes »… Cette hypothèse déplaisante ne se présenta même pas à son esprit. Josanne avait l’intuition que Noël Delysle était à elle, et ne pouvait être heureux ou malheureux que par elle… Et pour s’expliquer le silence du jeune homme — ce long silence de vingt-quatre heures ! — elle n’imaginait rien d’autre qu’une indisposition subite, des soucis professionnels, la maladie d’un parent.

Mais, quoi que Josanne soupçonnât, d’heure en heure son impatience devenait de l’anxiété… Elle essaya de coudre : à chaque instant elle se piquait les doigts. Elle essaya de lire : le livre glissa sur ses genoux. Alors elle se représenta Noël obligé de partir, en mission officielle, pour un pays lointain, — le Japon ! — Et cette idée invraisemblable, qu’elle repoussait, la harcela, s’implanta en elle.

« C’est absurde !… Il ne peut pas être obligé de partir !… Il ne veut plus s’en aller, maintenant !… Il est libre. Il me l’a dit bien des fois… Il n’ira pas au Japon avant l’année prochaine et — qui sait ? — jamais, peut-être… Je suis folle… »

Elle oubliait qu’elle avait considéré le départ de Noël, et la divergence de leurs vies, et même le mariage du jeune homme, comme des fatalités douloureuses qu’elle acceptait, bravement. Elle entrevoyait, avec épouvante, une vie où il ne serait pas. Et elle pensait encore :

« Allons donc ! c’est impossible… »

Mais elle avait froid dans les veines, et, la tête renversée sur le dossier du fauteuil, elle ferma ses paupières, les crispa pour ne pas pleurer.

— C’est impossible, n’est-ce pas ?… dites, mon ami, c’est impossible !… Mon ami… mon ami chéri… mon chéri…

Le mot le plus câlinement familier, le mot qu’elle disait à son enfant, lui venait aux lèvres sans qu’elle s’en aperçût. Et de l’avoir prononcé ainsi, elle demeura tout étonnée, avec un peu de honte et un si grand plaisir que tout son sang lui monta du cœur au visage… Et, sous ses mains couvrant ses yeux et sa bouche, elle répéta tout bas, si bas qu’elle ne l’entendit pas elle-même :

« Mon chéri… mon chéri… mon chéri… »


Un son de cloche tomba de la cathédrale, heurta la vitre sonore, et l’air, autour de Josanne, s’emplit de vibrations profondes. Une cloche, deux cloches… puis, plus lente, une autre cloche, conviant les fidèles au salut.

Le choc du marteau à la porte se perdit dans la clameur des cloches, et Josanne vit seulement, sur la place, la blouse du facteur qui s’éloignait.

Elle descendit l’escalier en courant, marcha sur les œillets du jardin et faillit casser la petite clef de la boîte aux lettres… Enfin !

Elle tenait l’enveloppe bleue, comme naguère, un soir d’automne, l’Angelus tintant au clocher, elle avait tenu l’enveloppe bariolée de timbres italiens et marquée d’une écriture inconnue. Et ce soir-là, vraiment, quelque chose était entré dans sa vie qui avait grandi jusqu’à remplir toute sa vie, — qui était devenu sa vie même.

Elle remonta dans sa chambre et, toute haletante, elle lut :

Mercredi soir, 10 heures.

« Mon amie, mon unique amie… »

Deux lignes seulement, sur la feuille de papier bleuâtre… Et sur une autre feuille :

Jeudi soir.

« J’ai voulu vous écrire, cette nuit, après avoir lu votre lettre. Je n’ai rien trouvé à vous dire que ces mots… Et je les trace encore, sur cette page, parce qu’ils contiennent tout, parce qu’ils expriment tout, ce que vous savez, ce que vous ne savez pas, tout : ma pensée, mon désir, mon rêve, ma gratitude, ma tendresse, tout !…

» Mon amie, mon unique amie !…

» Si vous les comprenez, ces mots, que j’écris d’une main tremblante, avec un voile sur les yeux, ne me laissez pas seul plus longtemps, abrégez l’attente et l’épreuve. Venez, mon amie, mon unique amie ! Je suis triste et je vous attends…

» NOËL. »

Josanne ne voulut pas réfléchir… Elle mit son chapeau, courut à la poste voisine et télégraphia :

« J’arriverai demain, six heures.

» JOSANNE. »

En même temps, elle prévenait la Tourette et, revenue à la maison, commençait de faire sa malle. Quand mademoiselle Miracle rentra, Josanne dit qu’une lettre de Foucart la rappelait, et elle acheva ses préparatifs, malgré les « oh ! » et les « hélas ! » de la tante.

Après dîner, pour consoler un peu la bonne vieille fille, qui avait une grosse envie de pleurer, Josanne lui proposa de l’accompagner au mois de Marie.

— Ainsi nous resterons toute la soirée ensemble.

Elles allèrent donc, avec l’enfant, jusqu’à une église de la Courtille que mademoiselle Miracle affectionnait. Dans les ruelles en pente, des touffes de lilas, des ébéniers aux grappes jaunes dépassaient les murs des jardins. L’Eure luisait, au bout, sous des ponts de bois, huileuse et souillée par les teintureries. Le haut des maisons gardait les colorations blondes du jour, sur les mansardes circonflexes et les toits de tuiles ; mais toute la partie inférieure était grise, d’un gris uniforme piqué de points lumineux. D’humbles boutiques, épiceries, merceries, s’éclairaient au feu rougeâtre des lampes. Et le crépuscule ne descendait pas du ciel : il semblait monter, comme une vapeur de la terre.

Mademoiselle Miracle serrait contre sa poitrine un châle de laine noire. Les brides de sa capote formaient un beau nœud sous son menton. Des gens, aux fenêtres des rez-de-chaussée, lui envoyaient un « bonsoir », au passage. Une vieille dame l’arrêta :

— Nous allons au mois de Marie, ma chère…

— Et moi aussi, ma chère, je vais au mois de Marie.

— Faisons chemin ensemble, voulez-vous ?

— Avec plaisir, ma chère…

— Et madame votre nièce y vient aussi ?

— Oui, ma chère. Elle part demain… Claude, ne traîne pas les pieds en marchant : tu vas user tes chaussures !

— Voilà les demoiselles Pierpont.

— Et madame Dejean, avec sa robe neuve…

— On dit que cet abbé, le jeune, le nouveau vicaire de Saint-Aignan, prêche si bien que c’est un délice de l’entendre…

— Il paraît… Claude, finiras-tu ?… Josanne, tu ne vois rien, tu n’entends rien !… Ton fils abîme ses souliers neufs.

Josanne tournait la tête :

— Claude, sois sage, obéis…

Le gamin, minuscule matelot en jersey marine, la regardait de ses yeux malins avec un air d’amour et de défi. La vieille dame disait :

— Ah ! les garçons !… les garçons !

— Des brise-tout, ma chère !

— Une ruine !…

Et le caquetage puéril des deux vieilles jacassait doucement.

On arriva.

L’église était petite et sombre, voûtée en berceau, parsemée d’étoiles d’or sur fond bleu. Dès l’entrée, on respirait l’odeur des roses blanches, de l’encens évaporé et des cierges éteints… Sept ou huit, seulement, brûlaient devant l’autel privilégié d’une chapelle, et la gardienne, à chaque instant, soufflait une flamme agonisante, fichait un cierge neuf sur le candélabre aux pointes de fer…

Les fidèles étaient peu nombreux, ce soir-là. Des vieillards, des servantes, quelques dames, les jeunes filles d’un pensionnat.

L’autel s’illuminait. Le prêtre et les enfants de chœur parurent. Une religieuse s’assit à l’harmonium, donna le ton d’un cantique. Les jeunes filles du pensionnat se mirent à chanter. Le prêtre aussi chantait, et les femmes, et les vieillards, et mademoiselle Miracle. Cela faisait un chœur de voix grêles, inexpressives et cependant émouvantes, dominées par la voix puissante du prêtre et la voix nasillarde du bedeau :

        De Marie
        Qu’on publie
  Et la gloire et les grandeurs…

Josanne, seule dans l’église, ne chantait pas, mais les parfums, les feux tremblants, les voix pures pénétraient son âme où, depuis la seizième année, s’étaient défleuris les lis de la foi. La tendresse profane s’imprégnait de poésie chrétienne, de chasteté suave et de tendre humilité. Et, d’un geste oublié, Josanne joignait les mains, pliait les genoux et baissait la tête… Une prière s’exhalait de son cœur, dans l’ombre, vers le Dieu inconnu — fatalité ? destin ? — qui l’appelait… Et, chaque fois qu’elle respirait, elle sentait la lettre de Noël, cachée au creux de son corsage et dont un angle lui meurtrissait un peu le sein… Et elle respirait plus fort, pour renouveler cette petite douleur qui lui était délicieuse…

Le chant cessa, et le prêtre se mit à parler. Il parlait de la mission de la Vierge qui renfermait aussi la mission de la femme : « Aimer et souffrir, se taire et se dévouer. » Et il louait les vierges, les épouses et les veuves qui se firent une couronne de gloire avec les épines du sacrifice…

« Ainsi, elles méritèrent la vie éternelle… »

Josanne, détournée de son rêve, écoutait cette apologie du sacrifice qui ne l’étonnait pas, prononcée en ce lieu, par un prêtre, et devant des femmes chrétiennes. Dès l’enfance, l’Église avait enseigné à ces femmes qu’elles devaient porter, plus que l’homme, le poids de la réprobation première et du péché originel. Elles étaient les résignées, les servantes, les sujettes, subordonnées au père et à l’époux, nées pour prier, souffrir et servir — et mériter ainsi la « vie éternelle »…

Et Josanne se rappelait qu’en dehors du sanctuaire, des hommes, qui n’étaient plus chrétiens, tenaient ce même langage à des femmes qui n’étaient plus chrétiennes. Leur morale rationnelle reproduisait exactement la morale religieuse, et, pour la femme en particulier, le code des droits et des devoirs demeurait le même. La société n’était pas moins exigeante et intolérante que la religion, quand elle ordonnait à la femme l’obéissance et le sacrifice — que ne récompensait plus le magnifique espoir de la vie éternelle…

Parmi les résignées, la rebelle se réveillait, demandait : « Pourquoi ?… Au nom de quoi ?… » Et, comme le prêtre disait : « Examinons notre conscience… », elle regardait en elle-même, avec une volonté sincère de se connaître et de se juger.

Mais elle y trouvait de la mélancolie, — pas de la haine, — du regret, — pas du remords. — Elle ne se disait point : « J’ai péché. Je suis impure, infâme, et je mérite le mépris… » Elle pensait seulement qu’entre son devoir d’assistance conjugale, — son devoir de pitié humaine, — et son droit de vivre, d’aimer, de goûter le rapide bonheur qui fait le prix de la vie mortelle, elle n’avait pas su, pas pu choisir…

Et elle pensait que la faute véritable, au point de vue de la stricte morale, n’est pas dans l’amour illégitime, mais dans le mensonge et les compromissions qu’il entraîne. Si elle avait pu quitter son mari, après une explication loyale, quelle différence dans sa vie, dans la vie de Claude !… Mais aussi, dans la vie de Pierre, quel désastre et quelles douleurs ! En ce cas particulier, le mensonge était certainement le moindre mal…

« Oui, pensait-elle encore, Noël me comprendra. Il verra que je ne suis pas indigne d’être ce que je veux être pour lui : son amie, sa sœur, son âme vivante et visible. J’ai sa tendresse. J’aurai son estime, parce que je mérite cette estime, malgré tout… »


L’office achevé, Josanne et sa tante prirent le petit Claude par la main et s’en retournèrent chez elles.

Le ciel ne s’était pas obscurci. Il s’était fané comme une fleur, comme ces grandes mauves qui se décolorent doucement au soir chaud des chaudes journées. La lune n’était pas levée, mais on la devinait prête à surgir, à l’angle d’un toit, à la pointe d’un clocher, entre les ramures d’un arbre. Tout à coup, elle serait là, sans qu’on l’ait vue paraître. Elle serait là, ronde, nacrée, quasi transparente, à une place imprévue du ciel : et, l’azur se fonçant peu à peu, jusqu’au violet sombre, elle deviendrait, la blanche lune, toute d’or, puis toute d’argent…

Josanne imaginait Noël près d’elle, et s’appuyant à son bras ; elle lui disait : « Mon ami… » Ensemble ils goûtaient l’heure exquise…

Rentrée au logis, elle coucha son enfant, ferma sa malle, et se coucha à son tour. Elle s’endormit, avec la lettre de Noël sur sa poitrine, sous ses mains croisées.

Elle dormit, elle rêva… Elle était dans un jardin, sur un banc rustique. Le jardin était tout blanc d’arbres en fleur ; l’herbe était pleine de violettes.

Soudain Josanne aperçut Noël Delysle, assis près d’elle. Il disait :

— Le printemps est venu, le vrai printemps…

Il souriait. Elle s’appuya un peu, très peu, contre lui… Elle n’osait pas. Mais il la prit dans ses bras, et elle fut si heureuse, si heureuse, qu’elle souhaita ne plus s’en aller, jamais. Il pencha la tête vers elle ; elle leva la tête vers lui, et leurs lèvres se rencontrèrent…

… La secousse du baiser réveilla Josanne. Elle cria, comme dans un cauchemar, et se dressa…

La mousseline des rideaux, les draps du lit, les linges posés sur des chaises, tout ce qui était blanc, dans la chambre, était d’un blanc miraculeux, irréel, trempé de lumière… Une poussière d’argent flottait dans une atmosphère bleuâtre et la pénombre même des coins obscurs devenait vaporeuse et semblait prête à s’éclairer.

Josanne se leva pour clore les rideaux de la fenêtre. Mais elle resta immobile, éblouie, le front contre les carreaux…

L’enchantement du clair de lune planait sur la ville assoupie. Les pignons pointus, le clocheton du patronage, les charmilles de l’Évêché, l’énorme vaisseau de Notre-Dame, n’avaient plus de couleurs ni de nuances, et ne se distinguaient que par les degrés de l’ombre qui allait du gris de cendre au noir profond. Une façade recrépie, une dalle de pierre, çà et là, étaient blanches comme des flaques de lait… Des reflets prismatiques frissonnaient sur le toit de cuivre de la cathédrale. Et les tours semblaient plus hautes, avec leurs flèches légères, grises, fines, qui s’effilaient…

Josanne, oppressée, ouvrit la fenêtre. La caresse de l’air glissa de ses paupières à sa bouche et de sa bouche à ses seins. Le rosier accrocha ses cheveux, effeuilla sur elle ses roses mûres. Et, tressaillante et défaillante, accablée par la nuit trop douce, elle se mit à pleurer…

Elle pleurait sans chagrin, éperdue, confuse, vaincue… Quoi ? Elle avait rêvé cela ? Elle avait désiré cela, ce baiser de Noël promis à ses lèvres !… Un jour, bientôt, Noël l’embrasserait ainsi… Comme cette pensée lui faisait peur et plaisir, cette pensée qui demeurait chaste pourtant, qui s’arrêtait au baiser et à la plus timide étreinte !

Elle ne savait comment cela arriverait, si ce serait un bonheur ou un danger pour elle, et quel serait le lendemain de ce baiser. Elle ne songeait ni au passé, ni à l’avenir, ni à rien de ce qui n’était pas son amour… Et ce mot d’ « amour » elle le murmurait, avec crainte, avec respect, comme un mot magique, dont le sens nouveau l’émerveillait…

Parfois elle cachait sa tête entre ses mains. Elle était presque anéantie par une félicité inconnue, trop lourde à son âme, et elle souhaitait mourir de cette joie, fondre, se dissoudre dans les rayons de la lune, dans le parfum des roses, dans le mystère de la nuit… Elle n’avait pas sommeil ; elle n’avait pas froid ; elle pleurait sans s’en apercevoir les plus belles larmes de sa vie.

Et voilà qu’un flot d’amour montait du plus profond d’elle, gonflait son cœur douloureux, jaillissait de ses lèvres en un grand sanglot passionné :

— Je l’aime ! je l’aime !… Ah ! comme je l’aime !…