Calmann-Lévy (p. 379-396).


CHAPITRE XXXIV


Où l’on voit l’arrestation de Bouchotte et de Maurice, le désastre de la bibliothèque d’Esparvieu et le départ des anges.



Maurice d’Esparvieu passa une nuit affreuse. Au moindre bruit qu’il entendait, il saisissait son revolver pour ne pas tomber vivant aux mains de la justice. Le matin, il arracha les journaux à la concierge, les parcourut avidement et poussa un cri d’allégresse : il venait de lire que le brigadier Grolle, ayant été transporté à la Morgue, aux fins d’autopsie, les médecins légistes n’avaient constaté sur le corps que des ecchymoses et des plaies contuses très superficielles, et que la mort du sujet était due à la rupture d’un anévrisme de l’aorte.

— Tu vois, Arcade, s’écria-t-il, d’un air de triomphe, tu vois : je ne suis pas un assassin. Je suis innocent. Je n’aurais jamais imaginé à quel point il est agréable d’être innocent.

Puis il songea et, par un phénomène ordinaire, la réflexion dissipa son allégresse.

— Je suis innocent. Mais il n’y a pas à se le dissimuler, dit-il en secouant la tête, je fais partie d’une bande de malfaiteurs ; je vis avec des bandits. Tu t’y trouves à ta place. Arcade, toi qui es un individu équivoque, cruel et pervers. Mais moi, qui suis de bonne famille et qui ai reçu une excellente éducation, j’en rougis.

— Moi aussi, dit Arcade, j’ai reçu une excellente éducation.

— Où ça ?

— Au ciel.

— Non, Arcade, non ; tu n’as pas reçu d’éducation. Si l’on t’avait inculqué des principes, tu les aurais encore. Les principes ne se perdent jamais. J’ai appris dans mon enfance le respect de la famille, de la patrie et de la religion. Je ne l’ai pas oublié, je ne l’oublierai jamais. Sais-tu ce qui me choque le plus en toi ? Ce n’est pas ta perversité, ta cruauté, ton ingratitude noire, ce n’est pas ton agnosticisme, qui peut s’admettre à la rigueur, ce n’est pas ton scepticisme qui pourtant est bien démodé (car depuis le réveil national, on n’est plus sceptique en France), non, ce qui me dégoûte en toi, c’est ton manque de goût, c’est le mauvais ton de tes idées, l’inélégance de tes doctrines ; tu penses comme un intellectuel, tu penses comme un libre penseur, tu as des théories qui sentent la radicaille, qui puent le combisme, des systèmes ignobles. Va-t’en ! tu me dégoûtes… Arcade, mon seul ami, Arcade, mon vieil ange, Arcade, mon cher enfant, écoute ton ange gardien : cède à mes prières, renonce à tes folles idées, redeviens bon, simple, innocent, heureux. Mets ton chapeau ; viens avec moi à Notre-Dame. Nous ferons une prière et nous brûlerons un cierge.


Cependant, l’opinion publique était encore émue ; la grande presse, organe du réveil national, en des articles d’une véritable élévation et d’une réelle profondeur, dégagea la philosophie de cet attentat monstrueux qui révoltait les consciences. On en découvrait l’origine véritable, les causes indirectes, mais efficaces, dans les doctrines révolutionnaires impunément répandues, dans le relâchement du lien social, dans l’ébranlement de la discipline morale, dans les appels répétés à tous les appétits, à toutes les convoitises. Il importait, pour trancher le mal dans sa racine, de répudier au plus vite les chimères et les utopies telles que le syndicalisme, l’impôt sur le revenu, etc., etc., etc… Plusieurs journaux, et non des moindres, montrèrent, dans la recrudescence des crimes, les fruits naturels de l’impiété et conclurent que le salut de la société était dans un retour unanime et sincère à la religion.

Le dimanche qui suivit le crime, on remarqua une foule inaccoutumée dans les églises.

Le juge Salneuve, chargé de l’instruction, interrogea d’abord les individus arrêtés par la Sûreté et s’égara sur des pistes attrayantes mais fausses ; le rapport de l’indicateur Montremain, qui lui fut communiqué, mit son attention sur la bonne voie et lui fit bientôt reconnaître, dans les auteurs du crime de la rue Feutrier, les bandits de la Jonchère. Il fit rechercher Arcade et Zita et lança un mandat d’arrêt contre le prince Istar sur qui deux agents mirent la main, tandis qu’il sortait de chez Bouchotte où il avait déposé des bombes d’un type nouveau. Le kéroub, en apprenant les intentions des agents, sourit largement et leur demanda s’ils avaient une auto solide. Sur leur réponse qu’ils en avaient une à la porte, il les assura que c’était tout ce qu’il voulait. Et aussitôt, il assomma les deux agents dans l’escalier, s’approcha de la voiture qui l’attendait, jeta le chauffeur sous un autobus qui passait à propos et saisit le volant, à la vue d’une foule terrifiée.

Le soir même, M. Jeancourt, commissaire de police aux délégations judiciaires, pénétra dans l’appartement de Théophile au moment où Bouchotte avalait un œuf cru pour s’éclaircir la voix, car elle devait chanter le soir à l’Eldorado national, sa chanson nouvelle : Ils n’en ont pas en Allemagne. Le musicien était absent. Bouchotte reçut le magistrat avec une hauteur de manières qui relevait la simplicité de sa mise. Bouchotte était en chemise.

L’honorable magistrat saisit la partition d’Aline, reine de Golconde et les lettres d’amour que la chanteuse conservait soigneusement dans le tiroir de sa table de nuit, car elle avait de l’ordre. Il allait se retirer quand il avisa un placard qu’il ouvrit négligemment et où il trouva des engins capables de faire sauter la moitié de Paris et une paire de grandes ailes blanches dont il ne s’expliquait ni la nature ni l’usage. Bouchotte fut invitée à compléter sa toilette et, malgré ses cris, conduite au Dépôt.

M. Salneuve était infatigable. Après examen des papiers saisis au domicile de Bouchotte et sur les indications de Montremain, il lança contre le jeune d’Esparvieu un mandat d’arrêt qui fut exécuté le mercredi 27 mai, à sept heures du matin, avec beaucoup de discrétion. Depuis trois jours, Maurice ne dormait plus, ne mangeait plus, n’aimait plus, ne vivait plus. Il n’eut pas un moment de doute sur la nature de la visite matinale qu’il recevait. À la vue du commissaire de police, un calme inattendu se répandit sur ses sens. Arcade n’était pas venu coucher dans l’appartement. Maurice pria le commissaire de l’attendre et s’habilla avec soin, puis il suivit le magistrat dans le taxi arrêté devant la porte. Il goûtait une sérénité qui s’altéra à peine quand le guichet de la Conciergerie se referma sur lui. Demeuré seul dans sa cellule, il monta sur la table pour voir dehors. Il aperçut un coin de ciel bleu et sourit. Son calme lui venait de la fatigue de son esprit, de l’engourdissement de ses sens et de ce qu’il n’avait plus à craindre d’être arrêté. Ses malheurs lui communiquaient une sagesse supérieure. Il sentait descendre en lui des grâces d’état. Il ne s’estimait ni ne se méprisait trop et mettait sa cause entre les mains de Dieu. Sans vouloir cacher ses torts, qu’il ne se dissimulait pas à lui-même, il s’adressait mentalement à la Providence pour lui faire observer que, s’il était tombé dans le désordre et la rébellion, c’était pour ramener dans la bonne voie son ange égaré. Il s’étendit sur sa couchette et dormit paisiblement.

En apprenant l’arrestation d’une divette et d’un fils de famille, Paris et les provinces éprouvèrent une pénible surprise. Émue par les tableaux tragiques que lui présentait la grande presse, l’opinion exigeait que la loi traînât au prétoire des anarchistes farouches, fumant et dégouttant de meurtres et d’incendies, et ne comprenait pas qu’on s’en prît au monde des arts et des élégances. À cette nouvelle, qu’il fut un des derniers à connaître, le président du Conseil, garde des Sceaux, bondit sur son siège orné de sphinx, moins terribles que lui, et, dans les frémissements de sa méditation furieuse, taillada de son canif, à l’exemple de Napoléon, l’acajou de sa table impériale. Et quand le juge Salneuve, mandé par lui, parut à ses yeux, le président jeta son canif dans la cheminée, comme Louis XIV avait jeté sa canne par la fenêtre devant Lauzun ; et ce fut par un suprême effort qu’il se contint et dit d’une voix altérée :

— Êtes-vous fou ?… J’avais pourtant assez dit que j’entendais que le complot fût anarchiste, antisocial, foncièrement antisocial et antigouvernemental, avec une nuance syndicaliste ; j’avais suffisamment exprimé la volonté qu’on le maintînt dans ces limites, et vous en faites quoi ? La revanche des anarchistes et des libertaires. Vous m’arrêtez qui ? Une chanteuse adorée du public nationaliste et le fils d’un homme hautement considéré dans le parti catholique, qui reçoit nos évêques et a ses entrées au Vatican, un homme qui peut être envoyé d’un jour à l’autre en ambassade auprès du pape. Vous m’aliénez du coup cent soixante députés et quarante sénateurs de la droite, la veille d’une interpellation sur la pacification religieuse ; vous me brouillez avec mes amis d’aujourd’hui, avec mes amis de demain. Est-ce pour savoir si vous êtes cocu comme cet imbécile de des Aubels que vous avez saisi les lettres d’amour du jeune Maurice d’Esparvieu ? Je puis vous donner une assurance à cet égard : vous l’êtes, et tout Paris le sait. Mais ce n’est pas pour venger vos affronts que vous êtes au Parquet.

— Monsieur le garde des Sceaux, murmura dans un coup de sang le juge d’une voix étranglée, je suis un honnête homme.

— Vous êtes un imbécile… et un provincial. Écoutez-moi : si Maurice d’Esparvieu et mademoiselle Bouchotte ne sont pas relaxés dans une demi-heure, je vous brise comme verre. Allez !

M. René d’Esparvieu alla lui-même chercher son fils à la Conciergerie et le ramena dans la vieille maison de la rue Garancière. Ce retour fut triomphal ; on avait semé le bruit que le jeune Maurice s’était employé avec une généreuse imprudence à une tentative de restauration monarchique, et que le juge Salneuve, infâme franc-maçon, créature de Combes et d’André, avait essayé de compromettre ce courageux jeune homme avec des bandits. C’est ce que semblait croire M. l’abbé Patouille, qui répondait de Maurice comme de lui-même. On savait, d’ailleurs, que, rompant avec son père rallié à la République, le jeune d’Esparvieu s’acheminait vers le royalisme intégral. Les personnes bien informées voyaient dans son arrestation la vengeance des juifs. Maurice n’était-il pas un antisémite notoire ? La jeunesse catholique alla conspuer le juge Salneuve sous les fenêtres de l’appartement qu’il habitait, rue Guénégaud, vis-à-vis la Monnaie.

Sur le boulevard du Palais, un groupe d’étudiants remit à Maurice une palme.

Maurice s’attendrit en revoyant le vieil hôtel de son enfance et tomba en pleurant dans les bras de sa mère. Ce fut un beau jour, troublé malheureusement par un événement pénible. M. Sariette, qui avait perdu la raison à la suite du drame de la rue de Courcelles, était devenu subitement furieux. S’étant enfermé dans la bibliothèque, il y demeurait depuis vingt-quatre heures, poussait des cris horribles, et, malgré les menaces et les prières, refusait d’en sortir. Il avait passé la nuit en une agitation extrême, car on avait vu la lampe courir sans cesse derrière les rideaux. Le matin, entendant Hippolyte qui l’appelait dans la cour, il ouvrit une fenêtre de la salle des Sphères et des Philosophes et lança deux ou trois bouquins assez lourds à la tête du vieux valet de chambre. Tout le service, hommes, femmes et jeunes garçons, accourut, et le bibliothécaire se mit à jeter les tomes par brassées sur ces gens. En ces conjonctures, M. René d’Esparvieu ne dédaigna pas d’intervenir. Il apparut en bonnet de nuit et robe de chambre et tenta de faire entendre raison au pauvre fou qui, pour toute réponse, vomit des torrents d’injures sur l’homme qu’il vénérait jusque-là comme son bienfaiteur, et s’efforça de l’écraser sous toutes les Bibles, tous les Talmuds, tous les livres sacrés de l’Inde et de la Perse, tous les Pères grecs et tous les Pères latins, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire de Nazianze, saint Augustin, saint Jérôme, tous les apologistes, et sous l’Histoire des Variations, annotée par Bossuet lui-même. Les in-octavo, les in-quarto, les in-folio s’abattaient indignement sur le pavé de la cour. Les lettres de Gassendi, du Père Mersenne, de Pascal s’éparpillaient au vent. La femme de chambre, s’étant baissée pour ramasser des feuillets dans le ruisseau, reçut sur la tête un immense atlas hollandais. Madame René d’Esparvieu, que ce bruit sinistre terrifiait, apparut à peine fardée. À sa vue la fureur du père Sariette redoubla. Lancés coup sur coup à toute volée, les bustes des poètes, des philosophes, des historiens de l’antiquité, Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide, Hérodote, Thucydide, Socrate, Platon, Aristote, Démosthène, Cicéron, Virgile, Horace, Sénèque, Épictète se brisèrent sur le pavé, et le globe terrestre et la sphère céleste s’abîmèrent avec un fracas épouvantable, que suivit un silence d’horreur, traversé par le rire clair du petit Léon, qui, d’une fenêtre, contemplait le spectacle. Un serrurier ayant ouvert la porte de la bibliothèque, tous les gens de maison y pénétrèrent et l’on aperçut le père Sariette qui, retranché derrière des monceaux de livres, lacérait le Lucrèce du Prieur de Vendôme, annoté par la main de Voltaire. Il fallut s’ouvrir un chemin à travers cette barricade. Mais le fou, voyant sa retraite forcée, s’échappa par les combles et monta sur le toit. Deux heures durant il y poussa des hurlements qui retentissaient au loin. Dans la rue Garancière, une foule sans cesse accrue se pressait, regardant le malheureux et poussant une clameur d’effroi quand il trébuchait sur les ardoises qui se brisaient sous ses pieds. Mêlé à la foule, M. l’abbé Patouille, s’attendant à le voir d’un moment à l’autre précipité dans le vide, récitait à son intention les prières des agonisants et se préparait à lui donner l’absolution in extremis. Les gardiens de la paix surveillaient l’immeuble et organisaient un service d’ordre. On appela les pompiers dont bientôt les trompes retentirent. Ils dressèrent une échelle contre le mur de l’hôtel et s’emparèrent, après une lutte terrible, du furieux qui, dans sa résistance désespérée, se décolla un muscle du bras. Il fut conduit aussitôt dans une maison de santé.

Maurice dîna en famille et l’on sourit avec attendrissement quand Victor, le vieux maître d’hôtel, servit le rôti de veau. M. l’abbé Patouille, assis à la droite de la mère chrétienne, contemplait avec onction cette famille bénie du Ciel. Cependant madame d’Esparvieu était soucieuse. Elle recevait tous les jours des lettres anonymes si injurieuses et si grossières qu’elle les avait d’abord attribuées à un valet de chambre congédié, mais qu’elle savait maintenant être de sa plus jeune fille, Berthe, une enfant ! Le petit Léon lui donnait aussi des sujets d’inquiétude et de tristesse. Il n’étudiait pas, et avait de mauvaises habitudes. Il se montrait cruel. Il avait plumé vifs les serins de sa sœur ; il hérissait d’épingles la chaise où s’asseyait mademoiselle Caporal et avait volé quatorze francs à cette pauvre fille qui ne faisait que pleurer et se moucher du matin au soir.


Sitôt le dîner achevé, Maurice, impatient de retrouver son ange, courut au petit rez-de-chaussée de la rue de Rome. Il entendit à travers la porte un grand bruit de voix et vit rassemblés, dans la chambre de l’apparition, Arcade, Zita, l’ange musicien et le kéroub qui, étendu sur le lit, fumant une énorme pipe, brûlait négligemment les oreillers, les draps et les couvertures. Ils embrassèrent Maurice et lui annoncèrent leur départ. Leurs visages brillaient de joie et d’audace. Seul, l’auteur inspiré d’Aline, reine de Golconde, répandait des larmes et levait vers le ciel des regards épouvantés. Le kéroub l’avait tiré par l’oreille dans le parti de la révolte en lui montrant deux alternatives : ou se laisser traîner dans les prisons de la terre ou porter le fer et le feu dans le palais d’Ialdabaoth.

Maurice vit avec douleur qu’ils ne tenaient plus qu’à peine à la terre. Ils partaient pleins d’un espoir immense et qui leur était permis. Sans doute ils avaient peu de combattants à opposer aux innombrables soldats du sultan des cieux ; mais ils comptaient compenser l’infériorité du nombre par l’irrésistible élan d’une attaque soudaine. Ils n’ignoraient pas qu’Ialdabaoth, qui se flatte de tout savoir, se laisse parfois surprendre. Et il paraît bien, en effet, que la première révolte l’eût pris au dépourvu sans les avis de l’archange Michel. L’armée céleste n’avait pas fait de progrès depuis sa victoire sur les rebelles avant le commencement des temps. Pour l’armement et le matériel, elle était aussi arriérée que l’armée marocaine. Les généraux s’endormaient dans la mollesse et l’ignorance. Comblés d’honneurs et de richesses, ils préféraient la joie des fêtes aux fatigues de la guerre. Michel, le généralissime, toujours loyal et brave, avait perdu, avec les siècles, sa fougue et son audace. Les conjurés de 1914, au contraire, connaissaient les applications les plus neuves et les plus exquises de la science à l’art de détruire. Enfin, tout était prêt et décidé. L’armée de la révolte, assemblée, par corps de cent mille anges, sur tous les déserts de la terre : steppes, pampas, sables, glaces, neiges, était prête à s’élancer dans le ciel.

Les anges, en modifiant le rythme des atomes qui les composent, peuvent traverser les milieux les plus divers. Les esprits descendus sur la terre, formés depuis leur incarnation d’une substance trop compacte, ne peuvent plus voler d’eux-mêmes ; pour s’enlever dans les régions éthérées et s’y volatiliser insensiblement, ils ont besoin du secours de leurs frères, révoltés comme eux, et pourtant demeurés dans l’Empyrée et restés, non point immatériels (car tout est matière dans l’univers), mais glorieusement déliés et diaphanes. Certes, ce n’est pas sans une anxiété douloureuse qu’Arcade, Istar et Zita s’apprêtent à passer de l’atmosphère épaisse de la terre dans les abîmes limpides du ciel. Pour se plonger dans l’éther, il leur faut déployer une énergie telle, que les plus audacieux hésitent à prendre leur essor. Leur substance, en pénétrant ce milieu subtil, doit se subtiliser elle-même, se vaporiser et passer des dimensions humaines au volume des plus vastes nuées qui aient jamais enveloppé notre globe. Bientôt ils surpasseront en grandeur les planètes télescopiques, dont, invisibles, impondérables, ils traverseront l’orbite sans la troubler. Dans ce travail, le plus grand que puissent fournir les anges, leur substance sera tour à tour plus ardente que le feu et plus froide que la glace, et ils éprouveront une douleur pire que la mort.

Maurice lut l’audace et l’angoisse d’une telle entreprise dans les yeux d’Arcade.

— Tu pars, lui dit-il en pleurant.

— Nous allons avec Nectaire chercher, pour nous conduire à la victoire, le grand archange.

— Qui nommes-tu ainsi ?

— Les prêtres du démiurge te l’ont fait connaître en le calomniant.

— Malheureux ! soupira Maurice.

Et la tête dans les mains, il pleura abondamment.