La Quittance de minuit/04/05

Méline, Cans et Compagnie (Tome quatrièmep. 103-121).


V

Le réveil de Mary Wood.


Mary Wood avait choisi la plus belle chambre du château de Montrath. Elle n’était pas là aussi bien logée que dans son splendide appartement de Portland-Place, mais rien ne lui manquait en définitive, et une reine en voyage se fût contentée à la rigueur de sa retraite.

Mary Wood ne se plaignait pas trop. À la guerre comme à la guerre !

Elle s’éveilla dės le matin, et sonna un valet, qui entra aussitôt avec du rhum. La sonnette de Mary Wood voulait dire du rhum.

L’ancienne servante était couchée, roide etimmobile, sur son lit. Sa toilette de nuit, follement éclatante, faisait ressortir la pâleur terreuse de son visage ; ses gros yeux mornes se fixaient dans le vide ; sa respiration sifflait oppressée.

À l’approche du valet, elle se souleva péniblement sur son séant. Le valet lui fit un dossier de son bras arrondi.

Elle saisit le flacon sur le plateau et versa un grand verre. Sa main tremblait jusqu’à ne pouvoir diriger la liqueur qui se répandait sur le plateau et sur les draps du lit, emplissant la chambre entière de ses violents parfums.

Les narines de mistress Wood se dilataient à flairer cet arome chéri.

Malgré le tremblement de sa main, elle réussit à mettre sa lèvre blême sur le bord du verre, et en avala le contenu d’un trait.

Ce fut une transformation soudaine, Le sang colora sa joue hâve ; ses yeux s’animèrent ; une expression de bien-être se répandit sur ses traits, et ce fut d’une main ferme qu’elle replaça le verre sur le plateau.

— Envoyez-moi la camériste de milady, dit-elle. Je veux m’habiller et voir si Montrath est toujours aussi heureux que jadis dans le choix de ses servantes…

Elle était de charmante humeur. Ce fut en chantant d’une voix rauque et faussée qu’elle se livra aux soins de la femme de chambre. Celle-ci arrangea de son mieux les magnificences disparates qui composaient la toilette de mistress Wood ; elle méla l’or, le velours, la soie, les perles, les dentelles et les panaches. L’ancienne servante avait de tout cela.

Cette laborieuse toilette achevée, mistress Wood se rendit au salon. Elle y arriva la première.

— Eh bien ! eh bien ! dit-elle, on me traite ici un peu sans façon, ce me semble ! Faites prévenir milord… faites prévenir lady Montrath, et aussi la jolie miss dont j’ai oublié le nom… Si maître Crackenwell est au château, je désire le voir. Dites-leur à tous de se presser : j’attends !

Mary Wood s’installa dans sa causeuse de la veille et tâcha de feuilleter un album pour tuer le temps. Mais les croquis, achetés à prix d’or et signés des noms les plus illustres de l’Europe, n’eurent point le don de lui plaire. En fait de dessins, mistress Wood n’aimait que les gravures enluminées représentant des amours de horse-guards, ou bien encore des scènes de boxe avec de gros bras musculeux et des poitrines velues.

Elle jeta l’album et continua sa chanson.

Chacun dans le château reconnaissait plus ou moins le pouvoir de cette femme, car tous ceux qu’elle avait appelés vinrent en même temps : Montrath, sa femme, Francès et Crackenwell.

— Bonjour, milady ! s’écria l’ancienne servante, j’ai rêvé de vous toute la nuit, ainsi que de lord George, et encore d’une autre femme dont vous pourrez bien faire la connaissance quelque jour. Bonjour, ma jolie miss !… Une poignée de main, Crackenwell, mon garçon !… Milord, je présente mon humble respect à Votre Seigneurie.

Chacun la salua, et Crackenwell s’assit auprès d’elle sur la causeuse.

Lord George resta debout comme la veille. Francès et Georgiana se placèrent un peu ni l’écart.

Lady Georgiana était très-pâle. Son visage défait disait les insomnies de sa nuit inquiète. Depuis la veille, ses terreurs romanesques, et fomentées en quelque sorte à dessein aux heures oisives de sa vie fashionable, avaient pris un caractère trop réel.

Il y avait un crime sur la conscience de lord George. Ce crime, Mary Wood en avait été le témoin ou la complice, car elle le tenait suspendu comme une menace mortelle au-dessus de la tête de Montrath.

Francès, malgré sa bonne volonté, n’avait pu combattre les craintes réveillées de son amie. Elle était persuadée elle-même désormais, et ce qu’elle avait entendu la veille ne lui laissait plus de doute.

Elle avait dit à Georgiana :

— En cas de malheur, ma présence ici ne vous serait que d’un faible secours, et une promesse sacrée me rappelle à Galway aujourd’hui même… Venez avec moi, Georgy, ce sera une simple visite rendue, et votre absence ne pourra faire ombrage à lord George, car, s’il le faut, nous reviendrons ensemble.

La pauvre jeune femme ne demandait qu’à fuir ce château qui lui faisait peur, et le voisinage de ces terribles ruines qui étaient pour elle une mystérieuse menace.

Car elle avait beau avoir sujet de craindre, le romanesque se mêlait toujours pour un peu à ses légitimes frayeurs. Elle allait à côté du vraisemblable, sinon au delà, et son esprit habile enveloppait son malheur vrai dans un réseau de fantastiques hypothèses.

— Merci, ma bonne Fanny, oh ! merci, répondit-elle. Votre amitié me sauvera peut-être… et c’est pour moi une consolation bien douce de savoir que, si milord me rappelle, vous ne m’abandonnerez pas.

Il avait été convenu de la sorte que Georgiana irait demander l’hospitalité à Fenella Daws ce jour-là même.

On était assuré d’avance de l’accueil de mistress Daws. Cette aimable femme avait des instincts trop élevés pour ne pas payer par tous les genres de politesse l’honneur d’inscrire sur son album la visite d’une noble lady.

Quant à Francès, le devoir qu’elle avait à remplir concernait la promesse faite à Morris Mac-Diarmid. Elle avait jugé lord George dans la journée de la veille et ne comptait plus sur son secours. Elle voulait agir par elle-même :

— Eh bien ! Montrath, dit Mary, j’espère à je me suis montrée patiente…

— Au nom de Dieu, madame, interrompit lord George, avant d’en venir à des récriminations inutiles, interrogez mon agent, Crackenwell.

Comment ! mon pauvre Robin, s’écria en riant l’ancienne camériste, vous êtes encore l’agent de Sa Seigneurie ?… C’est le monde renversé, sur ma parole !… C’est comme si j’étais, moi, la femme de charge de milord !

— Il faut de la patience, Mary, dit Crackenwell à voix basse ; à quoi peut vous servir tout le bruit que vous faites ?

— À faire du bruit, Robin, répliqua mistress Wood.

Crackenwell haussa les épaules.

— Vous auriez pu être millionnaire, ma fille, murmura-t-il en lui prenant la main, et vous mourrez sur la paille !

L’ancienne camériste eut un éclat de rire franc et retentissant.

— Ah ! le bon plaisant que vous faites, Robin ! s’écria-t-elle ; mais vous parlez trop bas… ces chères enfants s’ennuient à ne pouvoir vous entendre… N’est-ce pas, milord ?

Montrath reprenait son supplice de la veille.

Georgiana et Francès tendaient en effet l’oreille et tâchaient de saisir quelques mots au passage.

Mary Wood fixait sur elles son regard hardi et moqueur. Elles tournèrent les yeux, offensées et n’osant point répondre à cette femme, qui leur inspirait à chaque instant plus d’effroi.

Mistress Wood se renversa sur les coussins de la causeuse et mit une sorte d’indécence fanfaronne à souiller du pied le riche velours du meuble.

Eh bien, Montrath ! reprit-elle, vous faites là une triste figure, mon cher lord !… Voyons ! il faut mettre fin à cette situation qui vous embarrasse !… Je souffre à vous voir cet air de pauvre diable traqué par ses créanciers… Brisons là et ne parlons plus du retard dont je vous tiens quitte… Donnez-moi mes deux mille livres.

— Mais je ne les ai pas, dit Montrath avec détresse.

Les sourcils de Mary Wood se froncèrent, et son œil eut un éclair de courroux.

— Vous ne les avez pas ! répéta-t-elle, et vous avez pris vingt heures au lieu de quatre !… Prétendriez-vous donc me résister sérieusement ?

— Je ne prétends rien, Mary, balbutia Montrath en baissant les yeux ; je veux tout ce que vous voulez… Mais l’impossible !…

— Et les diamants de milady ?… interrompit l’ancienne servante.

— Ils sont à Londres.

Mary laissa échapper un juron tout viril.

— Je ne vous crois pas, dit-elle ; vous voulez me tromper ; mais par le diable ! vous jouez gros jeu, milord ! et le plus pauvre de vos tenanciers ne voudrait pas changer de place avec vous à la fin de cette partie.

— Je vous jure…, commença Montrath.

Mary se souleva sur le coude et lui imposa silence d’un geste péremptoire. En même temps elle repoussa rudement Crackenwell qui essayait de la calmer.

— Vous êtes un oison, Robin ! lui dit-elle. Si vous aviez fait comme moi, vous qui êtes économe, Dieu sait combien vous auriez de rentes !

Elle fixa son regard effronté sur lady Montrath.

— Georgy, reprit-elle en employant à dessein cette abréviation familière qui prenait dans sa bouche une expression d’insulte poignante, votre mari a-t-il dit vrai ?

Georgiana ne répondit point.

— C’est à toi que je m’adresse, petite lady ! s’écria mistress Wood, dont le front se rougit tout à coup au feu de sa colère croissante ; tu ne daignes pas me répondre, parce que je suis une ancienne servante, n’est-ce pas ?… on t’a raconté cela !… mais du diable si tu vaux mieux que moi, ma fille !

— Mary ! Mary !… murmurait Crackenwell inquiet, vous prenez le chemin de tout perdre !…

Lord George n’osait même pas en dire autant ; il devinait ce qui allait se passer, et attendait, engourdi par l’angoisse, l’issue de cette scène qui avait pour lui de si terribles menaces.

Lady Montrath s’était redressée devant la grossière apostrophe de Mary Wood. Durant un instant l’indignation fut chez elle plus forte que la frayeur, et tout le mépris qu’elle ressentait pour cette femme passa dans son regard.

Mary tressaillit à ce coup d’œil, et bondit sur ses pieds comme une furie ; elle s’élança vers Georgiana, les poings fermés et l’écume à la bouche.

Francès, par un mouvement instinctif, se mit au devant de son amie ; il y avait sous sa douce beauté le courage d’un homme. Mais Mary Wood avait l’irrésistible vigueur de la folie. Elle écarta Francès sans effort, et se trouva en face de la pauvre Georgiana, qui était pâle et qui tremblait de tous ses membres.

— Oui, sur mon honneur, miss Georgy, reprit-elle en appuyant sur ces deux derniers mots, je vaux autant que vous, ma belle !… et il n’y a point de si pauvre mendiante, cherchant son pain de porte en porte, qui ne puisse dire comme moi !…

Francès s’était avancée jusqu’auprès de Montrath.

Milord ! dit-elle, entendez-vous cela ?…

Montrath détourna la tête.

Crackenwell était assis sur la causeuse, et tâchait de se donner un air d’indifférence, mais en réalité il avait l’œil et l’oreille au guet. Cette affaire le regardait autant que personne, puisque le secret de lord George faisait sa seule fortune.

Lady Montrath quitta son siége et voulut se retirer, mais mistress Wood se mit entre elle et la porte. Sa voix, abandonnant tout à coup le ton de la colère, prit un accent d’amer sarcasme.

— Restez, milady, restez ! poursuivit-elle. Pardon très-humblement si j’ai manqué au respect que je dois à Votre Seigneurie… mais c’est que je suis, moi aussi, une personne d’importance, voyez-vous !… demandez à milord ! Il n’a tenu qu’à moi, en définitive, de m’appeler lady Montrath, et si j’avais eu cette fantaisie, je serais aujourd’hui à votre place…

Elle lui fit un salut ironique et voulut prendre la main de Georgiana pour la reconduire à son siége.

La jeune femme ne sut point dissimuler son dégoût ; elle se recula avec horreur.

Une seconde fois le visage de Mary devint pourpre.

— Encore du mépris ! s’écria-t-elle avec un blasphème ; depuis quand les filles perdues en sont-elles à dédaigner la main d’une honnête femme ?

Crackenwell s’agita sur son siége. Francès prit le bras de lord George et le serra convulsivement.

— Milord ! milord ! dit-elle, fussiez-vous l’esclave de cette créature, défendez Georgiana, qui porte votre nom !

Montrath ne bougea pas.

— Allez chercher vos diamants, fillette, reprit Mary Wood, et mettez-vous à genoux pour me les présenter, ou je vous dirai que vous n’êtes pas la femme de cet homme, et que vous n’avez ici d’autre droit que ceux d’une concubine adultère !…

Georgiana s’attendait à une autre révélation, plus terrible peut-être. Ce coup la prit à l’improviste ; elle demeura un instant incrédule, et son regard interrogea Montrath. Celui-ci cachait sa figure derrière ses mains.

Crackenwell s’approcha de lui et murmura quelques paroles à son oreille. Montrath, accablé sous le poids de sa propre lâcheté, n’eut pas la force de répondre.

Mary Wood sentait vaguement, à travers les ténèbres de sa cervelle, qu’elle avait franchi le dernier pas. Cette pensée exaltait sa démence jusqu’à la fureur.

Elle ne se contenait plus ; ses gestes désordonnés ne gardaient aucun accord avec ses paroles ; sa voix s’enrouait ; les mots se précipitaient, confus, entre ses lèvres blanches d’écume.

— Tu as grande envie de ne pas me croire, milady ! reprit-elle ; mais tu me croiras, il le faudra bien !… il le faudra bien, le jour où ton lord s’asseyera sur le banc des accusés pour avoir enfermé une pauvre femme dans un tombeau !

Ah ! ah ! Georgy, ma fille, qui sait si vous n’auriez pas été enterrée toute vive aussi quelque jour ?…

La jeune femme chancela sur ses jambes amollies.

Mistress Wood la saisit rudement par la main.

— Tes diamants ! tes diamants ! s’écria-t-elle en un subit accès de rage.

Et, tout en parlant, elle secouait la pauvre lady, qui perdait le souffle et se mourait d’épouvante.

Francès s’élança encore une fois au secours de son amie.

Elle eut un aide qu’elle n’espérait point : Crackenwell, qui s’était glissé tout doucement le long de la muraille, arriva en même temps qu’elle auprès de mistress Wood, et la saisit à bras-le-corps par derrière.

L’ancienne servante poussa un rugissement de bête fauve et se débattit avec rage.

Elle lâcha les bras de lady Georgiana, qui tomba sur un siége évanouie.

Francès la soutint entre ses bras et lui fit respirer des sels.

Montrath regardait tout cela d’un œil hébété.

— Lâche-moi, Crackenwell ! criait Mary Wood qui s’épuisait en vains efforts pour se dégager ; lâche-moi ! misérable traitre !… tu seras pendu, toi aussi !… nous serons pendus tous les trois !… Ah ! ah ! vous verrez, vous verrez ce qu’il en coûte pour résister à Mary Wood !…

Crackenwell avait hésité longtemps ; mais à présent sa résolution était prise ; il serrait Mary à l’étouffer, et, malgré sa vigueur, l’ancienne servante commençait à faiblir.

Si lord George eût prêté secours en ce moment à Robert Crackenwell, Mary n’aurait pas pu prononcer une parole de plus ; mais lord George semblait réduit à l’état de statue. Il regardait faire et ne bougeait pas.

Mary criait d’une voix qui s’enrouait de plus en plus :

— J’ai des laquais à Montrath et des laquais à Galway !… Ce n’est pas une femme comme moi qu’on peut murer dans un tombeau !… Dis à Robin de me lâcher, Montrath ! ou, par le nom du diable ! tes pairs te condamneront à mourir !… je dirai où est la pauvre Jessy !… je chercherai son fiancé Morris Mac-Diarmid… Ah ! ah ! je sais toute l’histoire, moi ! et les Molly-Maguires te brûleront, George Montrath, comme un damné que tu es !

Georgiana reprenait ses sens. Au nom de Morris Mac-Diarmid, Francès laissa échapper le flacon de sels et devint tout oreilles.

Crackenwell essaya de mettre sa main sur la bouche de Mary, mais ce mouvement rendit quelque liberté à l’ancienne servante, qui réussit à se retourner à demi et put engager une lutte corps à corps.

— Je suis plus forte que toi ! disait-elle. Ah ! Robin, misérable ! tu seras pendu, tu seras pendu !… Si tu savais comme ce Morris Mac-Diarmid aimait la pauvre Jessy !… Je n’aurai qu’un mot à dire, et il se vengera comme un Irlandais !

Ces paroles mettaient du froid au cœur de la pauvre Francès, mais elle écoutait de toute sa force ; elle voulait savoir encore…

— Je le trouverai bien, ce Morris ! continuait mistress Wood. N’ai-je pas des laquais pour le chercher ?… Je lui dirai que c’est toi, Robert Crackenwell, qui as fait élever le mur pour boucher la tombe… Je le mènerai à la vieille tour de Diarmid, et il nous tuera tous les trois pour venger sa fiancée…

Montrath tressaillit comme s’il se fût éveillé d’un lourd sommeil.

— La tour de Diarmid ! répéta-t-il, c’est là qu’elle est !…

— Sans doute il l’aime encore…, pensait Francès, dont le beau regard rêvait tristement.

Tout en soutenant Georgiana, qui revenait à la vie, elle gravait dans sa mémoire chacune des paroles de Mary Wood.

Celle-ci était arrivée au dernier degré de l’exaspération ; elle parlait encore, mais sa gorge oppressée ne rendait plus que des sons confus et sourds ; on n’entendait plus ce qu’elle disait.

Ses efforts se ralentissaient sensiblement. Crackenwell, toujours froid et maître de lui-même, n’avait plus à contenir que des secousses intermittentes et convulsives.

Ces secousses elles-mêmes se ralentirent peu à peu ; les forces de mistress Wood finirent par s’éteindre en un dernier soubresaut.

Elle était rendue ; ses yeux restaient ouverts, mais elle ne bougeait plus.

— Aidez-moi, milord, dit Crackenwell.

Montrath trouva le courage d’approcher son ennemie réduite à l’impuissance ; il la prit par les pieds, tandis que Crackenwell la soulevait par la tête, et tous deux se dirigèrent vers la chambre où l’ancienne servante avait passé la nuit.

— Si elle en meurt, tant mieux ! dit Crackenwell ; si elle n’en meurt pas, il faudra voir…

— Mais ses laquais qui sont à Galway ? objecta le lord, qui commençait à recouvrer sa faculté de penser.

— Je vais me rendre à Galway, répondit Crackenwell, et j’amènerai ici laquais et servantes… C’est du temps qu’il faut gagner… le temps amènera les échéances de vos fermages… avec de l’argent on arrange tout.

Ils déposèrent Mary Wood inanimée sur son lit.

— Maintenant, milord, reprit l’intendant, il nous faut retourner au salon en toute hâte… Ces dames en ont beaucoup trop entendu, et la prudence nous commande de les garder désormais à vue…

C’est vrai, murmura Montrath.

Ils traversèrent de nouveau les longs corridors du manoir et revinrent au salon.

Le salon était vide.

Ils se rendirent à la chambre de Georgiana, qui était vide également. Ils parcoururent tout le château ; personne ne put leur dire ce qu’étaient devenues les deux jeunes femmes.

— Elles savent tout ! murmura Crackenwell, et, dès que les femmes savent, elles parlent… Mais après tout il faut des preuves pour condamner un lord, et demain matin le tombeau de Jessy peut être vide.

— Vous irez la chercher, Robin ?

Nous irons ensemble, milord ; nous l’en retirerons vivante, pour la cacher ailleurs…

— Si elle vit encore ! interrompit Montrath en frissonnant.

— Je crois bien qu’elle vit, dit l’intendant ; si elle est morte, l’embarras sera moindre… La mer brise aux pieds de Ranach-Head, et la mer garde les secrets qu’on lui confie.

Lord George ne répliqua point.

Tout en causant, ils étaient revenus vers la chambre de Mary Wood. Ils entendirent avec étonnement la sonnette retentir à l’intérieur.

Crackenwell entra.

L’ancienne servante était assise sur son séant et semblait n’avoir aucun souvenir de ce qui s’était passé. Elle tendit la main à Crackenwell de la plus cordiale façon du monde.

— Bonjour, Robin, dit-elle en souriant ; il y a longtemps que nous ne nous étions vus, savez-vous, mon garçon !… J’ai un diable de feu dans le gosier, ce matin… Faites-moi servir du rhum !…