La Prison du Mid-Lothian/Chapitre 18

La Prison du Mid-Lothian ou La jeune caméronienne
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 26p. 200-223).


CHAPITRE XVIII.

LE MAGISTRAT ET LE PÈRE.


Vous avez rempli vos devoirs envers le ciel, et vous avez payé au prisonnier la dette de votre profession.
Shakspeare. Mesure pour mesure.


Jeanie Deans, car ici notre histoire devait se réunir à cette partie de la narration que nous avions interrompue à la fin du quinzième chapitre ; Jeanie Deans donc, attendant avec surprise et terreur l’approche de plusieurs hommes qui s’avançaient rapidement vers elle, avait été plus étonnée encore de les voir se disperser brusquement de divers côtés à la poursuite de l’individu qui venait de lui causer tant d’effroi et qui maintenant, sans qu’elle pût se l’expliquer par une cause raisonnable, était devenu en quelque sorte l’objet de son intérêt. Un de ces hommes, c’était Sharpitlaw lui-même, vint droit à elle en lui disant : « Votre nom est Jeanie Deans et vous êtes ma prisonnière. » Il ajouta pourtant aussitôt. « Si vous voulez me dire de quel côté il s’est enfui, je vous remettrai en liberté. — Je ne sais pas, monsieur, » fut tout ce que la pauvre fille put lui répondre, et c’était vrai ; mais c’est aussi la phrase la plus prompte et la plus facile qui se présente aux personnes obligées de répondre à une question embarrassante.

« Mais, dit Sharpitlaw, vous savez bien à qui vous parliez tout-à-l’heure, ma princesse, sur le revers de la montagne et à l’heure de minuit : vous le savez certainement, ma belle. — Je ne sais pas, monsieur, » répondit encore Jeanie que l’effroi empêchait réellement de comprendre les questions qui lui étaient faites dans ce premier moment de surprise.

« Nous tâcherons de vous rendre la mémoire, » dit Sharpitlaw, qui se mit ensuite, comme nous l’avons déjà rapporté, à crier à Ratcliffe de venir prendre la garde de Jeanie, tandis que lui-même dirigerait la chasse qu’on allait donner à Robertson, et dont il espérait encore un heureux succès. Lorsque Ratcliffe approcha, Sharpitlaw lui remit brusquement la jeune fille entre les mains, et s’occupant de l’objet qui lui paraissait le plus important, il commença à gravir les rochers et à escalader les hauteurs les plus escarpées avec une agilité dont la gravité ordinaire de sa profession et de ses manières l’aurait fait juger incapable ; au bout de quelques minutes on n’apercevait plus personne ; seulement de temps en temps on entendait la voix éloignée des poursuivants dont le son affaibli, parvenu jusqu’à ce côté de la montagne, indiquait qu’ils n’étaient pas tout-à-fait éloignés. Jeanie Deans était donc seule au milieu de la nuit qu’éclairaient les rayons de la lune, livrée à la garde d’une personne qu’elle ne connaissait pas et qui malheureusement (comme le lecteur le sait bien ; en se faisant connaître ne pouvait qu’augmenter sa terreur.

Quand on n’entendit plus aucun bruit, Ratcliffe lui adressa pour la première fois la parole, avec ce ton d’insouciance et d’ironie familier à ces êtres corrompus qui sont entraînés au crime par habitude plutôt que par leurs passions : « Voilà une belle nuit, » dit-il en essayant de poser son bras sur l’épaule de Jeanie ; — voilà une belle nuit pour la passer sur la montagne avec votre amoureux. » Jeanie se dégagea de son bras, mais ne fit pas de réponse. « Je ne suis pas homme à croire, ajouta-t-il, que les garçons et les filles se donnent des rendez-vous à cette heure à la butte de Muschat pour casser des noisettes. » En parlant ainsi, il chercha encore une fois à passer son bras autour d’elle.

« Si vous êtes un officier de justice, dit Jeanie en trompant encore une fois son intention, « vous méritez qu’on vous dépouille publiquement de votre habit et de vos fonctions. — C’est possible, mon cœur, dit-il en réussissant à s’emparer d’elle, » mais si je commençais d’abord par vous dépouiller de votre manteau ? — Si vous appartenez à l’humanité, monsieur, dit Jeanie, ayez pitié de moi ! pour l’amour du ciel, épargnez une pauvre créature qui a à peine l’usage de sa raison. — Allons, allons, dit Ratcliffe, vous êtes une jolie fille, et il ne faut pas faire la méchante. J’avais résolu d’être honnête homme désormais, mais voilà le diable qui jette aujourd’hui dans mon chemin un procureur et puis une femme ! Mais écoutez-moi, Jeanie : ils sont maintenant de l’autre côté de la montagne ; si vous voulez vous laisser guider par moi, je vous mènerai dans un lieu de plaisance, chez une vieille femme que je connais, où vous serez à l’abri de tous les procureurs d’Écosse, et nous enverrons dire à Robertson de venir nous trouver en Yorkshire où il y a dans l’intérieur des terres une bande de braves gens avec lesquels j’ai déjà travaillé autrefois, et nous laisserons ici monsieur Sharpitlaw siffler la linotte. »

Il fut heureux pour Jeanie, dans une circonstance semblable, d’être douée d’assez de présence d’esprit et de courage pour se trouver capable de réflexion, lorsque le premier moment de surprise fut passé. Elle vit le danger qu’elle courait entre les mains de ce brigand, qui joignait alors un degré d’abrutissement de plus à sa perversité ordinaire, ayant cherché par la quantité de liqueur forte qu’il avait bue à s’étourdir sur la répugnance intérieure que lui inspirait l’affaire où Sharpitlaw avait résolu de l’employer.

« Ne parlez pas si haut, dit-elle à voix basse, il y a quelqu’un là-bas. — Qui ? Robertson ? » demanda Ratcliffe avec empressement.

« Oui, tout là-bas, » dit Jeanie en montrant les ruines de l’ermitage et de la chapelle.

« Par le ciel, dit Ratcliffe, il faut que je m’assure de lui, d’une manière ou de l’autre ; attendez-moi là. »

Mais à peine fut-il parti de toute sa vitesse pour aller gagner les ruines, que Jeanie se mit à courir du côté opposé, montant et descendant les montagnes, et ayant soin de prendre le plus court chemin pour arrivera Saint-Léonard. L’exercice auquel elle avait été habituée en faisant paître ses bestiaux lui avait donné de la force et de la souplesse dans les jambes ; mais jamais elle n’avait couru après Dusterfoot, lorsque ses vaches entraient dans un champ de blé, avec une agilité comparable à celle avec laquelle elle franchit la distance qui séparait la butte de Muschat de la chaumière de son père à Saint-Léonard. Ouvrir le loquet, entrer fermer la porte à double tour et au verrou, pousser contre elle, pour plus de précaution, un meuble dont la pesanteur dans tout autre moment eût été au-dessus de ses forces, tout cela fut l’affaire d’un moment, et se passa avec autant de silence que de promptitude.

Sa première pensée fut ensuite pour son père, et elle s’approcha doucement de la porte de sa chambre, pour chercher à s’assurer qu’il n’avait pas été troublé par son retour ; il était éveillé et probablement avait peu dormi ; mais la présence constante de ses chagrins, la distance qu’il y avait entre sa chambre et la porte extérieure de la maison, ainsi que les précautions que Jeanie avait prises pour lui cacher son départ et son retour, l’avaient empêché de s’en apercevoir. Il était en prières, et Jeanie put lui entendre prononcer distinctement ces mots : « Et quant à l’autre enfant que tu m’as donné pour être la consolation et l’appui de ma vieillesse, puissent ses jours se prolonger sur la terre suivant la promesse que tu as faite à ceux qui honoreront leur père et leur mère ! Puissent tes bénédictions se multiplier sur elle ! Veille sur elle dans l’ombre de la nuit, de même qu’au lever du jour, afin de montrer à toute la terre que tu ne t’es pas détourné de ceux qui t’ont cherché dans la droiture et dans la vérité. » Ici il se tut, continuant sans doute intérieurement sa prière avec toute la ferveur de la dévotion mentale.

Sa fille se retira dans sa chambre, fortifiée par la pensée que, tandis qu’elle s’exposait au danger, les prières du juste avaient appelé sur sa tête les bénédictions divines pour lui servir d’égide, et pénétrée de la confiance que, tant qu’elle se montrerait digne de la protection du ciel, il lui prêterait son appui. Ce fut alors qu’une idée vague se présenta pour la première fois à son esprit, qu’elle pourrait peut-être tenter quelque chose pour le salut de sa sœur, assurée comme elle l’était maintenant de son innocence du meurtre dénaturé dont elle était accusée. Elle raconta dans la suite que cette pensée lui était apparue comme le rayon de soleil qui vient luire sur une mer orageuse, et que, quoiqu’elle se fût aussitôt évanouie, elle lui laissa un degré de calme qu’elle n’avait pas éprouvé depuis long-temps. Depuis ce moment, elle s’était sentie intérieurement persuadée qu’elle serait appelée un jour, par un moyen quelconque, à sauver la vie à sa sœur. Elle se coucha, mais non avant d’avoir accompli ses dévotions ordinaires avec un redoublement de ferveur en songeant à sa délivrance récente, et en dépit de tant d’agitation, elle s’endormit profondément.

Nous retournerons maintenant à Ratcliffe, qui s’était élancé comme un lévrier excité par les cris des chasseurs, aussitôt que Jeanie lui avait désigné les ruines. Il est difficile d’assurer positivement si son projet était de favoriser la fuite de Robertson ou de se joindre, pour l’arrêter, à ceux qui le poursuivaient ; peut-être n’en était-il pas bien sûr lui-même, et avait-il résolu de se laisser guider par les circonstances. Au surplus, il n’eut l’occasion de faire ni l’un ni l’autre ; car à peine avait-il gravi la montée rapide de la chapelle et en traversait-il les arceaux ruinés, qu’il se sentit mettre un pistolet sur la gorge, et s’entendit sommer par une voix aigre et dure de se rendre au nom du roi. « Monsieur Sharpitlaw, dit Ratcliffe surpris, est-ce Votre Honneur ? — Et n’est-ce que vous ? » dit le procureur encore plus désagréablement surpris. « Que le diable vous emporte ! Qui vous a fait quitter cette femme ? — Elle m’a dit qu’elle avait vu Robertson entrer dans les ruines ; c’est ce qui fait que je m’étais empressé d’y courir pour attraper le fugitif. — Tout est fini maintenant, dit Sharpitlaw, nous ne le reverrons plus de la nuit ; mais s’il reste sur le territoire d’Écosse, il faudra qu’il se cache dans le trou d’une taupe, pour que je ne le trouve pas. Appelez nos gens, Ratcliffe. »

Ratcliffe se mit à appeler à grands cris les officiers dispersés, qui s’empressèrent de se rendre à ce signal. Il n’y en avait pas un seul d’entre eux, probablement, qui désirât beaucoup se rencontrer corps à corps, et séparé de ses camarades, avec un gaillard aussi vif et aussi déterminé que Robertson.

« Où sont les deux femmes ? dit Sharpitlaw. — Ma foi, je suppose qu’elles ont eu recours à leurs jambes, » répondit Ratcliffe en fredonnant le refrain d’une vieille chanson :

Et puis la fiancée a joué quelque tour,
Car elle a pris la fuite et déserté la tour.

« Il suffit d’une femme, » dit Sharpitlaw (car, ainsi que tous les gens corrompus, c’était un grand calomniateur du beau sexe[1]) ; « il suffit d’une femme pour faire avorter le plus adroit complot qui se puisse jamais combiner. Comment ai-je été assez sot pour croire que je pourrais réussir dans une entreprise où il s’en trouvait deux ! Mais nous saurons où les retrouver si nous en avons besoin : c’est toujours quelque chose. »

Aussi sombre et aussi déconcerté qu’un général qui vient d’être battu, il rallia sa troupe dispersée, la ramena à la ville, et la congédia jusqu’au lendemain.

Le lendemain matin de bonne heure, il fut obligé d’aller faire son rapport au magistrat qui siégeait ce jour-là. Celui qui était alors de fonctions (car les baillis, ou ce que les Anglais appellent aldermen, les remplissent chacun à leur tour) était le même qui avait interrogé Butler. C’était un homme très-respecté de ses concitoyens ; il se distinguait par quelque originalité dans le caractère, et n’avait pas reçu une éducation très-soignée ; mais il avait de la pénétration, de la persévérance et de la droiture, possédait une fortune indépendante qu’il avait acquise par une honnête industrie ; enfin il réunissait toutes les qualités propres à soutenir convenablement la dignité de la charge qu’il remplissait.

M. Middleburg venait de prendre place, et discutait avec un de ses confrères, et d’une manière très-animée, les diverses chances d’une partie de paume qu’ils avaient jouée la veille, quand une lettre lui fut remise. Elle était ainsi adressée : Pour être remise, le plus tôt possible, au bailli Middleburg. Elle contenait ces mots :

« Monsieur,

« Je sais que vous êtes un magistrat sensé et prudent, et que vous ne vous refuseriez pas à servir Dieu, fut-ce par l’ordre du diable lui-même. C’est pourquoi j’ai la confiance que, malgré la signature de cette lettre, qui fournit la preuve de ma participation à une action que, dans un temps et un lieu convenables, je ne craindrais ni d’avouer ni de justifier, vous ne rejetterez pas le témoignage que je vous offre en ce moment. Le ministre Butler est complètement innocent : c’est involontairement qu’il est devenu témoin d’une entreprise qu’il n’a pas eu assez d’énergie pour approuver, et dont il a cherché à nous détourner par les plus belles phrases. Mais ce n’est pas seulement de lui que je veux parler ici : il y a dans votre prison une femme qui se trouve sous le coup d’une loi si cruelle, que depuis vingt ans elle n’a pas été appliquée, et maintenant on veut la remettre en vigueur pour répandre le sang de la créature la plus innocente et la plus belle qu’aient jamais renfermée les murs d’une prison. Sa sœur connaît son innocence, car elle lui a avoué qu’elle avait été séduite par un misérable. Oh ! puisse le Dieu tout-puissant

« Armer d’un fouet vengeur la main de l’homme juste,
Pour punir en ce monde un être si pervers. »


Je m’égare… Mais, pour en revenir à Jeanie Deans, cette fille est une austère puritaine, superstitieuse et scrupuleuse comme tous ceux de sa secte. Je prie donc Votre Honneur (puisque l’usage exige que je parle de la sorte) de lui faire comprendre que la vie de sa sœur dépend de son témoignage ; et persistât-elle même dans le silence, gardez-vous de croire que la jeune fille est coupable ; gardez-vous surtout de permettre son exécution. Rappelez-vous que la mort de Wilson fut vengée d’une manière terrible. Songez qu’il existe encore des individus qui pourraient vous forcer à boire le calice de cette coupe empoisonnée. Encore une fois, souvenez-vous de Porteous, et croyez que vous recevez un bon conseil d’un de ses meurtriers. »

Le magistrat relut deux ou trois fois cette lettre extraordinaire. D’abord, il avait été tenté de la jeter de côté comme la production d’un fou ; car une phrase de comédie (c’était ainsi qu’il appelait la citation poétique) ne lui semblait pas pouvoir trouver place dans la correspondance d’un être raisonnable. En la relisant, cependant, elle lui parut, au milieu de son incohérence, présenter le caractère véritable de la passion, quoique exprimé d’une manière bizarre et peu commune.

Il faut convenir que c’est une loi sévère, dit le magistrat à son clerc, et je voudrais que la pauvre fille pût y échapper. L’enfant peut être né et avoir été enlevé pendant que sa mère était sans connaissance, où il peut avoir péri faute des secours que cette pauvre créature, en proie à l’épouvante et abandonnée à elle-même, défaillante, au désespoir, se sera trouvée incapable de lui procurer ; et cependant il est certain que si une femme est trouvée coupable d’après cette loi, l’exécution doit s’en suivre. Ce crime n’a été que trop commun : les exemples sont nécessaires. — Mais si cette autre fille, dit le clerc, peut déclarer que sa sœur lui a fait confidence de sa situation, elle ne peut plus être jugée d’après cette loi. — C’est très-vrai, dit le bailli, et j’irai moi-même quelque jour à Saint-Léonard pour examiner cette fille. Je connais un peu le père Deans : c’est un vieux caméronien inflexible, qui verrait plutôt la ruine de sa maison et de sa famille que de consentir à dégrader son témoignage par une complaisance coupable pour les erreurs du siècle, et il est probable qu’il mettra de ce nombre le serment qu’il faut prêter devant un magistrat. Si ces religionnaires continuent à se maintenir dans cette obstination, on sera obligé de passer un acte qui autorisera à se contenter de leur affirmation, comme de celle des quakers. Cependant je ne pense pas qu’un père et une sœur puissent écouter de semblables scrupules dans une telle occasion. J’irai donc, comme je l’ai dit, leur parler moi-même quand nous serons un peu débarrassés de cette affaire de Porteous. Leur orgueil et leur esprit de contradiction se trouveront moins irrités de cette manière que s’ils étaient amenés tout d’un coup devant une cour de justice. — Et je suppose que Butler doit rester renfermé ? dit le clerc. — Pour le présent, certainement dit le magistrat, — mais j’espère bientôt le remettre en liberté sous caution. — Vous fiez-vous au témoignage de cette lettre extravagante ? demanda le clerc. — Pas tout à fait, dit le bailli, et cependant elle contient quelque chose qui me frappe : on dirait que cette lettre a été écrite par un homme qui avait la tête troublée par une violente passion ou par le remords d’un grand crime. — Oui, dit le clerc, elle ne ressemble pas mal à la lettre d’un comédien ambulant qui mérite d’être pendu avec le reste de sa troupe, comme Votre Honneur l’a observé avec raison. — Je ne suis pas tout à fait aussi sanguinaire, dit le magistrat ; mais revenons-en au point d’où nous sommes partis. Butler jouit d’une excellente réputation, et j’ai appris, par quelques enquêtes que j’ai faites ce matin, qu’il n’est réellement revenu en ville qu’avant-hier, de manière qu’il est impossible qu’il ait été initié dans le complot de cette malheureuse sédition, et il n’est pas probable qu’il s’y soit joint aussi soudainement. — On ne peut pas répondre de cela : leur zèle s’allume quelquefois tout d’un coup à la moindre étincelle, aussi promptement que la poudre. J’ai connu un ministre qui vivait en bon voisin avec tous ses paroissiens, et qui paraissait aussi tranquille qu’une fusée sur son bâton ; mais vous n’aviez qu’à prononcer le mot d’abjuration ou quelque chose de semblable, aussitôt il prenait feu, et s’élevait dans les airs à mille lieues du sens commun. — Je n’ai pas de raison de croire, dit le magistrat, que le zèle de ce jeune Butler soit d’une nature si inflammable ; mais je prendrai de nouvelles informations. Quelle affaire avons-nous maintenant ? »

Ils s’occupèrent alors de l’investigation minutieuse de l’affaire de Porteous et autres, dans lesquelles nous n’avons pas besoin de les suivre.

Ils furent interrompus dans cette occupation par une femme du peuple, à l’air hagard, et dont les vêtements annonçaient une extrême misère. Elle entra avec précipitation dans la salle du conseil.

« Que voulez-vous, bonne femme ? Qui êtes-vous ? dit le bailli Middleburg. — Ce que je veux » ? dit-elle d’un air d’humeur ; « je veux mon enfant, et pas autre chose de vous, tout grands que vos soyez ; » et elle continua de grommeler entre ses dents, de ce ton hargneux et mécontent qu’on trouve quelquefois dans les vieillards. « Il faut sans doute les appeler Milords et Votre Honneur ! regardez-les, ces buveurs de sang, et vous ne trouverez pas un homme respectable parmi eux. » Puis s’adressant de nouveau au magistrat : Votre Honneur me fera-t-il rendre ma pauvre folle de fille ? Son Honneur ! J’ai vu un temps où il n’y avait pas besoin de tant de façons pour lui parler, ce petit-fils d’un patron de paquebot ! — Bonne femme, » dit le magistrat à notre suppliante d’un nouveau genre, « dites-nous ce que vous voulez et ne venez pas nous troubler plus long-temps. — C’est comme si vous disiez : Aboie, chienne, et que cela finisse. Je vous dis, continua-t-elle en élevant sa voix criarde, « je vous dis que je veux mon enfant ; cela n’est-il pas du bon écossais ? — Qui êtes-vous ? qui est votre fille ? demanda le magistrat. — Ce que je suis ? Et qui serais-je, sinon Meg Murdockson ? et que voulez-vous que soit mon enfant, si ce n’est Madge Murdockson ? Vos soldats, vos constables, vos officiers, nous connaissent assez quand ils viennent nous arracher jusqu’aux haillons qui nous couvrent, et nous mener à la maison de correction de Leith pour y être régalées de pain et d’eau. — Qui est-elle donc ? » dit le magistrat à ceux qui l’entouraient.

« Pas grand’chose de bon, monsieur, » répondit un des officiers en haussant les épaules et en souriant.

« Osez-vous bien parler ainsi ! » s’écria la vieille furie, dont l’œil étincelait d’une rage impuissante. « Si je vous tenais partout ailleurs, je vous imprimerais mes dix ongles sur la face, rien que pour ce mot-là. » Elle accompagna ces paroles d’un geste analogue, étendant ses mains armées d’ongles qui ressemblaient aux griffes du dragon de saint-George sur une enseigne de village.

« Que nous veut-elle ? » dit le magistrat impatienté : « ne peut-elle expliquer son affaire, et s’en aller ? — Je veux mon enfant ! je demande Madge Murdockson, » répondit la vieille sorcière en élevant de toute sa force sa voix criarde et fêlée ; « n’y a-t-il pas une demi-heure que je vous le dis ? et, si vous êtes sourds, à quoi bon rester là et tenir les gens devant vous à s’égosiller pour rien ? — Elle demande sa fille, monsieur, » dit le même officier qui venait déjà de s’attirer sa colère ; « sa fille qui a été arrêtée hier soir, Madge Wildfire, comme on l’appelle. — Madge Hellfire[2] ! s’écria la vieille ; et d’où vient qu’un drôle de votre espèce se permet d’appeler l’enfant d’une honnête femme autrement que par son nom ? — L’enfant d’une honnête femme, Maggie ! » répondit l’officier de paix en souriant et secouant la tête pendant qu’il prononçait cet adjectif avec une emphase ironique faite pour exaspérer la vieille jusqu’à la frénésie.

« Si je ne suis pas une honnête femme maintenant, je l’ai été, répliqua-t-elle, et c’est plus que vous n’en pouvez dire, vous qui êtes né voleur et n’avez jamais su distinguer le bien des autres du vôtre, depuis que vous êtes au monde. Vous n’aviez pas cinq ans lorsque vous avez pris douze sous d’Écosse dans la poche de votre mère pendant qu’elle prenait congé de son mari au pied de la potence. — Voilà pour vous, George, » dirent ceux qui étaient présents, au milieu desquels s’éleva un rire général, car cette saillie était d’un genre à être goûtée de ceux qui l’entendaient. Ces applaudissements unanimes adoucirent un peu la fureur de la vieille sorcière, qui fit une grimace ressemblant à un sourire, et rit même tout à fait, mais de ce rire qui n’exprime que l’amertume du mépris. Elle daigna cependant, apaisée sans doute par le succès de son sarcasme, expliquer plus clairement son affaire, après que le magistrat, ayant ordonné le silence, lui eut recommandé de parler ou de se retirer.

« Son enfant était son enfant, disait-elle, et elle venait la tirer de peine, et empêcher ce qui pouvait lui arriver. Si elle n’avait pas la tête aussi saine que bien d’autres, c’est que bien d’autres n’avaient pas souffert autant qu’elle ; mais ce n’était pas une raison pour qu’on l’enfermât entre les quatre murs d’une prison. Elle pouvait prouver, par plus de cinquante témoins, que sa fille n’avait jamais vu John Porteous, mort ou vivant, depuis qu’il lui avait donné un coup de canne, le brutal qu’il était, pour avoir jeté un chat mort sur la perruque du prévôt le jour de la naissance de l’électeur de Hanovre. »

Malgré l’aspect repoussant de cette femme et la rudesse de ses manières, le magistrat sentit que ce qu’elle disait était juste, et qu’elle pouvait, dans sa condition, avoir autant de tendresse pour son enfant qu’une mère plus riche et plus estimable pour le sien. Il se mit donc à examiner les circonstances qui avaient donné lieu à l’arrestation de Madge Murdockson ou Wildfire ; et comme il était évident qu’elle n’avait pris aucune part à la sédition, il ordonna qu’elle fût rendue à sa mère. Se contentant de la mettre sous la surveillance de la police. Pendant qu’on était allé chercher Madge dans la prison, le magistrat essaya de découvrir si la mère savait que sa fille eût prêté ses habits à Robertson. Mais il lui fut impossible d’en rien tirer sur ce point. Elle déclara qu’elle n’avait pas vu Robertson depuis le jour mémorable où il s’était échappé pendant le service divin, et que si sa fille lui avait prêté ses habits, ce ne pouvait être que pendant qu’elle était à Duddungstone, petit village à deux milles d’Édimbourg, où elle pouvait prouver qu’elle avait passé la nuit de l’événement. À l’appui de ce fait, un des officiers de la ville déclara qu’ayant été faire des perquisitions à Duddungstone, dans la chaumière d’une blanchisseuse, pour du linge volé, il y avait rencontré Maggie Murdockson, dont la présence avait achevé de lui rendre cette maison suspecte, ne la regardant pas comme une fille de très-bonne réputation.

« Je vous le disais bien, dit la vieille : ce que c’est d’avoir une réputation, bonne ou mauvaise ! Eh bien, après tout, il est possible que je vous dise, au sujet de Porteous, quelque chose que tous vos membres du conseil n’ont encore pu trouver, malgré tout l’embarras qu’ils ont fait. »

Tous les regards se tournèrent alors vers elle, toutes les oreilles s’ouvrirent. « Parlez, dit le magistrat. — Ce sera dans votre intérêt, » lui dit le clerc de la ville d’un ton encourageant.

Elle continua à garder un silence opiniâtre pendant deux ou trois minutes, jetant autour d’elle des regards où se peignait la joie maligne que lui causait l’incertitude où elle les tenait tous ; se décidant enfin : « Tout ce que je sais, dit-elle, c’est qu’il n’était ni gentilhomme, ni officier, mais un brigand et un gueux comme la plupart d’entre vous. Eh bien ! que me donnerez-vous pour cette nouvelle maintenant ? Prévôt ou bailli aurait pu rester long-temps au service de la bonne ville avant d’en avoir découvert autant, mes enfants. »

Madge entra en ce moment, et sa première exclamation fut : « Eh, mon Dieu ! ne voilà-t-il pas notre vieille diablesse de mère ! Ma foi, messieurs, il faut convenir que nous sommes une belle famille, nous voilà déjà deux réunies ici ; et cependant nous avons vu de meilleurs jours, n’est-ce pas, ma mère ? »

Les yeux de la vieille Maggie avaient exprimé quelque chose qui ressemblait au plaisir en voyant sa fille mise en liberté ; mais, soit que sa tendresse maternelle, comme celle de la tigresse, ne pût se témoigner sans qu’il s’y mêlât de la férocité, soit que les paroles de Madge eussent réveillé en elle des idées qui avaient irrité de nouveau son caractère acariâtre et farouche, elle poussa rudement sa fille du côté de la porte, en s’écriant : « Oui, oui, tu vas voir ce qui l’attend maintenant ; tu n’es qu’un cerveau timbré, une maudite échappée de Bedlam, et tu n’auras que du pain et de l’eau pendant quinze jours pour tout le mal que tu m’as donné : c’est encore trop bon pour toi, grande paresseuse. »

Madge, poussée vers la porte, échappa à sa mère, et revint en courant auprès de la table, où elle fit au juge une profonde révérence avec des gestes bizarres, et lui dit en éclatant de rire : « Notre mère est de mauvaise humeur, monsieur, suivant sa coutume ; elle a eu quelque querelle avec son vieux mari ; et c’est Satan, comme vous savez, messieurs. » Cette explication fut faite d’un ton de confidence, et les auditeurs (telle était encore la crédulité de cette génération) ne l’entendirent pas sans un frisson involontaire. « Son mari et elle ne s’accordent pas toujours bien, et c’est moi qui dois payer les violons : heureusement que j’ai bon dos, après tout. Mais si elle ne sait pas vivre, ce n’est pas une raison pour que ceux qui ont plus de jugement qu’elle ne le sachent pas, eux. » Ici elle fit de nouveau une profonde révérence, tandis que sa mère l’appelait d’une voix rauque :

« Madge, attends ; si je vais te chercher !… — L’entendez-vous ? dit Madge ; mais cela ne m’empêchera pas de m’échapper pendant la nuit, pour aller danser au clair de la lune, quand son mari et elle traverseront les airs sur un manche à balai pour aller voir Jean Jap, qu’on a mis dans la prison de Kirkaldy. Ah ! ah ! ils feront un joli voyage, quand ils auront sous les pieds Inch Keith et les montagnes, et la mer avec toutes ses belles vagues qui viennent battre le pied des rochers à la lueur argentée de la lune. Me voilà, ma mère, me voilà, » dit-elle en entendant une dispute s’élever à la porte, entre la vieille et les officiers de police qui voulaient l’empêcher de rentrer. Madge, élevant alors le bras en l’air et l’agitant d’une manière bizarre, chanta de toute la force de ses poumons :

Je la vois là-haut dans les airs,
À cheval sur ma jument grise ;
Je la vois là-haut dans les airs ;


et elle s’élança de la salle en sautillant à la manière dont les sorcières de Macbeth quittaient autrefois la scène.

Quelques semaines s’écoulèrent avant que M. Middleburgh pût exécuter le projet bienveillant qu’il avait formé de se rendre lui-même à Saint-Léonard pour découvrir s’il serait possible d’y obtenir le témoignage dont il était question dans la lettre anonyme.

Pendant ce temps, les perquisitions qu’on ne cessait de faire pour découvrir les meurtriers de Porteous avaient occupé l’attention et le temps de tous ceux qui étaient employés dans l’administration de la justice. Dans le cours de ces recherches, il se présenta deux circonstances en rapport direct avec notre histoire. Butler, après que sa conduite eut été encore examinée, fut déclaré innocent de toute participation à la mort de Porteous ; mais, comme il s’était trouvé présent à cette affaire, on l’obligea de donner caution qu’il ne quitterait pas sa résidence ordinaire de Libberton, afin de pouvoir paraître comme témoin lorsque sa présence serait jugée nécessaire. L’autre circonstance fut la disparition de Madge Wildfire et de sa mère. On ne les trouva pas lorsqu’on alla les chercher pour leur faire subir d’autres interrogatoires, et M. Sharpitlaw découvrit qu’elles avaient trompé la surveillance de la police et quitté la ville le jour même où elles avaient paru dans la salle du conseil. On ne put réussir à trouver le lieu de leur retraite.

Cependant l’extrême indignation du conseil de régence, en apprenant l’outrage fait à son autorité par le meurtre de Porteous, lui avait dicté des mesures qui prouvaient qu’il avait plus consulté son désir de se venger des coupables que le caractère du peuple, et surtout celui des ministres du culte. On fit passer au parlement un acte promettant une récompense de 200 livres sterling à celui qui dénoncerait toute personne soupçonnée d’avoir pris part à cette affaire, et par une loi sévère, et dont on n’avait vu que peu d’exemples, la peine de mort fut prononcée contre quiconque donnerait asile aux coupables. Mais ce qui irrita surtout les esprits, ce fut une clause qui ordonnait que cet acte serait lu dans les églises par le ministre officiant, le premier dimanche de chaque mois, avant de commencer le sermon, pendant un temps désigné. Les ministres qui refuseraient de se soumettre à cette injonction devaient être déclarés inhabiles à siéger ou à voter dans aucune assemblée ecclésiastique, et en cas de récidive, incapables d’occuper aucune place dans l’Église d’Écosse.

Cette dernière mesure réunissait dans une même cause ceux qui se réjouissaient publiquement de la mort de Porteous, quoiqu’ils n’osassent pas justifier ouvertement la manière dont elle avait eu lieu, et les plus scrupuleux presbytériens, qui regardaient comme une espèce d’empiétement sur le jus divinum (droit divin), l’intervention du gouvernement civil et législatif dans les affaires du culte ; puisque l’assemblée générale seule, comme représentant le chef invisible de l’Église, devait posséder le privilège exclusif de régler tout ce qui appartenait à ces sortes d’affaires. Beaucoup de gens aussi, dont les principes politiques et religieux étaient différents, et qui par conséquent étaient fort peu touchés de ces considérations, crurent voir dans un acte aussi violent du parlement un esprit de vengeance peu convenable au corps législatif d’une grande nation, et une espèce de tentative de fouler aux pieds les droits et l’indépendance de l’Écosse. L’abolition de la charte et des privilèges de la ville d’Édimbourg, en punition d’une action commise dans l’enceinte de ses murs par une populace furieuse et effrénée, fut généralement regardée par un grand nombre de personnes comme un prétexte qu’on s’était empressé de saisir pour humilier cette ancienne capital de l’Écosse. Enfin, ces procédés irréfléchis et violents excitèrent un mécontentement universel, et beaucoup de ressentiments particuliers.

Au milieu de la chaleur de ces dissensions, on s’occupa enfin du jugement d’Effie Deans, qui était déjà depuis plusieurs semaines en prison, et M. Middleburgh résolut d’aller visiter la famille pour s’assurer de son témoignage. Il choisit donc un beau jour pour diriger sa promenade du côté de Saint-Léonard.

Cette excursion dans la campagne devait sembler assez lointaine à un bon bourgeois de ce temps-là, quoique maintenant il y en ait beaucoup qui habitent des maisons dans les faubourgs de la ville, qui s’étendent bien au-delà du lieu dont il est ici question. Une promenade de trois quarts d’heure cependant, faite avec toute la lenteur convenable à un magistrat, amena notre digne bailli aux rochers de Saint-Léonard, devant l’humble demeure de Davie Deans.

Le vieillard était assis sur un banc de gazon placé à l’extrémité de sa chaumière, et s’occupait à raccommoder de ses propres mains un harnais de charrette : car dans ce temps les ouvrages qui demandaient le plus de soin et d’adresse regardaient le chef de la famille lui-même, même lorsqu’il jouissait d’une certaine aisance. Après avoir relevé la tête, à l’approche d’un étranger, il continua de s’occuper de son travail avec le même air de gravité austère. Il eût été impossible de deviner, sur ses traits et dans ses manières, le profond chagrin qui l’accablait intérieurement. M, Middleburgh attendit un moment que Deans s’aperçût de sa présence et commençât la conversation ; mais il rompit le premier le silence que continuait à garder le vieillard.

« Mon nom est Middleburgh, M. James Middleburgh, un des magistrats actuels de la ville d’Édimbourg. — Cela se peut, » répondit laconiquement le vieux Deans sans interrompre son travail.

« Vous devez savoir, continua le bailli, que le devoir d’un magistrat est souvent pénible. — Cela se peut, répondit Davie ; je ne le conteste point, » et il continua de garder un sombre silence.

« Vous ne pouvez ignorer non plus, continua le magistrat, que nos fonctions nous obligent souvent à la désagréable nécessité de faire de fâcheuses enquêtes dans les affaires des autres. — Cela peut être, reprit encore Deans ; je n’ai rien à dire là-dessus ni pour ni contre ; mais je sais qu’il y eut jadis dans la ville d’Édimbourg une magistrature composée d’hommes justes et craignant Dieu, auxquels n’était pas confié en vain le glaive de la justice, et qui étaient redoutés des malfaiteurs et honorés des gens de bien. Dans ces temps glorieux du digne et vénérable prévôt Dick[3], quand l’assemblée générale de l’Église, formée d’hommes pieux et fidèles, s’unissait aux vrais barons écossais, aux magistrats de cette ville et des autres villes d’Écosse, aux gentilshommes, aux bourgeois et au peuple, ne formant qu’un seul et même cœur, voyant des mêmes yeux, entendant des mêmes oreilles, et réunissant toutes leurs forces pour soutenir ensemble l’arche sainte ; alors on voyait les particuliers livrer leurs trésors à l’État avec autant d’indifférence que si c’eût été des pierres. Mon père a vu jeter les sacs de dollars de la croisée du prévôt Dick dans les fourgons destinés à les transporter à l’armée de Dunse-Law ; et si vous ne voulez pas en croire son témoignage, on peut vous montrer encore cette même croisée dans les Luckenbooths. Je crois que c’est un marchand de draps qui occupe aujourd’hui cette boutique, aux Chandeliers de fer, cinq portes au-dessus de l’enclos de Gossford ; mais nous n’avons plus maintenant le même esprit, nous faisons plus de cas de la moindre vache de notre étable que de la bénédiction que l’ange de la nouvelle alliance donna au patriarche, et que des obligations auxquelles nous soumettent nos devoirs nationaux ; nous donnerions volontiers une livre d’Écosse pour débarrasser nos vieux arbres et nos lits de ces insectes d’Angleterre qu’on appelle punaises, et nous ne donnerions pas un sou pour débarrasser le pays de ces nuées de sauterelles, de tous ces arminiens, sociniens et déistes, vomis par les abîmes de l’enfer, et fléau de cette génération tiède, insidieuse et corrompue. »

Comme beaucoup d’orateurs entraînés par leurs sujets favoris, Davie Deans s’était abandonné à son enthousiasme, malgré ses peines d’esprit ; et sa mémoire bien exercée lui avait fourni les comparaisons et les figures de rhétorique familières à ceux de sa secte. M. Middleburgh se contenta de lui répondre : « Tout ceci se peut très-bien, mon ami ; mais, comme vous le remarquiez vous-même tout à l’heure, je n’ai rien à dire ni pour ni contre. Vous avez deux filles, monsieur Deans ? »

Le vieillard tressaillit comme quelqu’un dont on vient de toucher la blessure ; mais se remettant aussitôt, il reprit son ouvrage, qu’il avait posé à côté de lui dans la chaleur de la déclamation, et répondit d’un ton ferme et sombre : « Je n’ai qu’une fille, monsieur, une seule fille. — Je vous entends, dit M. Middleburgh, vous n’avez qu’une fille avec vous ; mais cette malheureuse enfant qui est en prison est, à ce que je crois, votre seconde fille. »

Le sévère presbytérien leva les yeux vers le magistrat. « D’après le monde et suivant la chair, elle est ma fille ; mais depuis qu’elle est devenue l’enfant de Bélial, depuis qu’elle s’est enfoncée dans la voie d’iniquité et de perdition, elle a cessé de faire partie de ma famille. — Hélas ! monsieur Deans, » dit Middleburgh en s’asseyant à côté de lui, et cherchant à prendre sa main, que le vieillard retira avec fierté, « nous sommes tous pécheurs nous-mêmes, et les erreurs de nos enfants, qui ne doivent pas nous étonner, puisque c’est une suite de la corruption de notre nature que nous leur avons transmise, ne nous donnent pas le droit de les rejeter de notre sein. — Monsieur, » dit Deans avec impatience, « je sais cela tout aussi bien… Je veux dire, » reprit-il en cherchant à réprimer l’irritation que lui causait cette morale, car les gens qui sont le plus portés à donner des leçons aux autres, sont ordinairement le moins disposés à en recevoir ; « je veux dire que ce que vous observez peut être juste et raisonnable ; mais je n’ai pas l’habitude de parler de mes affaires particulières à un étranger. D’ailleurs, dans cette grande crise nationale, quand l’acte voté à Londres à l’occasion de l’affaire de Porteous, et qui vient de nous arriver, frappe ce malheureux royaume plein d’erreurs et cette Église persécutée, d’un coup plus funeste qu’aucun de ceux qu’ils ont reçus depuis le fatal Test[4] ; dans un moment comme celui-ci, dis-je… — Mais, brave homme, dit M. Middleburgh, vous devez, avant tout, songer à votre propre famille, sans quoi vous seriez pire que les infidèles. — Je vous dis, bailli Middleburgh, reprit Davie Deans, puisque vous êtes bailli, et il y a peu d’honneur à l’être dans ces temps de corruption ; je vous dis que j’ai entendu le digne Saunders Peden… je ne me rappelle plus à quelle époque, mais c’était dans ces jours de persécution où l’Église d’Écosse était foulée aux pieds ; je lui ai entendu dire à ses auditeurs, qui étaient pourtant de bons et fermes chrétiens, qu’il y en avait parmi eux qui étaient capables de s’affliger davantage de la perte d’un veau ou d’une vache noyés que de tous les maux et oppressions du siècle ; que les uns s’occupaient d’une chose, les autres d’une autre, mais toutes étrangères à leur salut. Il y avait une lady Hundleslope, qu’il reprit de ne songer qu’à aller retrouver son fils chez elle, et cette dame avoua devant moi qu’elle n’avait pu se défendre de penser avec inquiétude à ce fils, qu’elle avait laissé livré à une maladie de langueur. Qu’aurait-il donc dit de moi si j’avais cessé de m’occuper de la bonne cause pour une fille perdue, une… ? Cela me tue, de songer à ce qu’elle est devenue. — Mais la vie de votre enfant… Pensez à cela. S’il était possible de lui sauver la vie ! — Sa vie ! s’écria Davie, je ne donnerais pas un de mes cheveux blancs pour sa vie, puisque sa réputation est perdue. Et cependant, » dit-il en s’adoucissant et en rétractant ses dernières paroles, « j’ai tort, monsieur Middleburgh, je donnerais tous ces cheveux blancs, qu’elle a déshonorés, je donnerais la vieille tête sur laquelle ils ont blanchi, pour sauver sa vie, afin qu’elle eût le temps de se repentir et de rentrer dans la bonne voie ; car que reste-t-il aux pécheurs, si ce n’est le souffle qui leur est laissé pour faire pénitence ? Mais je ne la reverrai plus… non ; c’est à quoi je suis décidé. Je ne la reverrai jamais… » Et ses lèvres continuèrent de trembler une minute après qu’il eut cessé de parler, comme s’il répétait intérieurement le même serment.

« Écoutez-moi, monsieur ; je crois parler à un homme de bon sens : si vous voulez sauver la vie à votre fille, il faut employer des moyens humains. — Je vous entends ; mais M. Novit, qui est le procureur et l’agent d’un personnage respectable, du laird de Dumbiedikes, doit faire pour elle, dans cette circonstance, tout ce que peut la sagesse humaine. Quant à moi, je ne me crois pas autorisé à avoir quelque chose de commun avec vos tribunaux de la manière dont ils sont organisés maintenant. J’ai là-dessus des scrupules de conscience qui ne me permettent pas de m’en mêler. — C’est-à-dire, reprit Middleburgh, que vous êtes un caméronien, et que vous ne reconnaissez pas l’autorité de nos cours de justice et de notre gouvernement actuel ? — Avec votre permission, monsieur ; » répliqua Davie, qui était trop fier de ses connaissances polémiques pour consentir à se reconnaître le disciple de personne, « vous me relevez avant que je ne sois tombé. Je ne sais pas pourquoi on m’appellerait un caméronien, surtout à présent qu’on a donné le nom de ce célèbre martyr à toute une bande de soldats qui, à ce que j’ai entendu dire de la plupart, jurent, blasphèment, et se servent d’expressions profanes avec autant d’abondance que Richard Caméron en mettait à prier et à prêcher ; mais parce qu’on trouve le moyen de déshonorer le nom de ce saint martyr en le donnant à une danse mondaine appelée la danse caméronienne, qu’accompagne le son des tambours et des flûtes, et à laquelle se livrent un trop grand nombre de prétendus chrétiens ; car il est tout à fait indigne d’un chrétien de danser, n’importe sur quel air, et surtout pêle-mêle avec des femmes : c’est une coutume perverse, le signal de la ruine de tant de pauvres créatures, comme ma propre expérience me l’a trop bien appris. — Mais, monsieur Deans, reprit M. Middleburgh, je voulais vous dire seulement que vous étiez un caméronien, ou un Mac-Millanite, ou enfin un membre de ces sociétés qui croient blesser la foi en prêtant serment à un gouvernement par lequel l’acte du Covenant n’est pas ratifié. — Monsieur, » reprit le controversiste à qui de telles discussions faisaient oublier jusqu’à ses chagrins domestiques, « vous ne pouvez me prendre aussi aisément que vous le croyez. Je ne suis ni un Mac-Millanite, ni un Russelite, ni un Hamiltonien, ni un Harleyite, ni un Howdenite. Je ne me laisserai maîtriser par aucun de ceux-là. Je ne tire mon nom de chrétien d’aucun vase d’argile. J’ai mes principes et mes opinions, dont j’aurais à répondre en même temps que de ma conduite, et je suis un humble partisan de la bonne vieille cause, d’une manière légitime. — C’est-à-dire, monsieur Deans, dit Middleburgh, que vous êtes un Deansiste, et que vous avez des opinions qui vous sont particulières. — Vous pouvez en croire ce qu’il vous plaît, répondit Davie ; mais j’ai soutenu mon témoignage devant de bien grands personnages et dans des temps plus difficiles. Et quoique je ne veuille pas m’élever aux dépens des autres, je voudrais que tout le monde, hommes et femmes, dans ce pays, eussent aussi bien rendu témoignage et se fussent maintenus dans le droit chemin, quoique sur le bord d’un précipice exposé aux vents et aux torrents, et eussent évité les pièges et les embûches de droite et de gauche d’une manière aussi ferme que Johnny Dodds de Farthing’s Acre, et quelqu’un que je ne nommerai pas. — Je suppose, reprit le magistrat, que vous voulez dire par là que Johnny Dodds de Farting’s Acre et Davie Deans de Saint-Léonard constituent à eux deux les seuls membres de la véritable Église d’Écosse. — Dieu me préserve de prononcer des paroles aussi pleines de vanité, quand il y a tant de fidèles chrétiens ! reprit Davie Deans ; mais je dois dire que chaque homme agit suivant les facultés et la grâce qu’il a reçues, de sorte qu’il ne faut pas s’étonner… — Tout cela est très-édifiant, dit M. Middleburg, mais je n’ai pas le temps de rester là à l’écouter. Voici ce dont il s’agit maintenant : j’ai ordonné qu’on envoyât une citation à votre fille Jeanie : si elle paraît le jour du jugement, et vient faire sa déclaration, il y a lieu d’espérer qu’elle pourra sauver la vie de sa sœur. Si par quelques scrupules sur la légitimité de sa comparution devant une cour régie par l’autorité du gouvernement actuel, vous l’empêchez de remplir les devoirs d’une bonne sœur et d’une fidèle sujette, je dois vous dire, quelque dure que cette vérité puisse paraître à vos oreilles, que vous qui avez donné la vie à cette fille infortunée, vous serez cause qu’elle la perdra d’une manière prématurée et violente. »

En parlant ainsi, M. Middleburgh se leva pour s’en aller.

« Un moment, un moment, monsieur Middleburgh ! » s’écria Deans dans la plus grande perplexité d’esprit ; mais le bailli, qui sentait probablement que prolonger la discussion serait affaiblir l’effet de son plus puissant argument, refusa de s’arrêter et se hâta de prendre congé.

Deans retomba sur son siège, absorbé par une multitude de sensations contradictoires. C’était un grand sujet de controverse parmi ceux de son opinion en matières religieuses, que de décider jusqu’à quel point le gouvernement qui avait succédé à la révolution pouvait être reconnu sans péchés par les vrais presbytériens, dès qu’il ne reconnaissait pas lui-même la grande ligue solennelle, ou pacte national appelé le Covenant. Depuis peu ceux qui professaient cette doctrine générale, et qui se donnaient les titres pompeux d’anti-papistes, anti-épiscopaux, anti-érastiens, anti-sectaires, de véritables débris du parti presbytérien, s’étaient divisés eux-mêmes en plusieurs petites sectes qui avaient chacune une opinion différente sur le degré de soumission qui était dû aux lois et aux chefs du gouvernement actuel, et qu’on pouvait lui accorder sans péché.

Dans une assemblée très-orageuse qui eut lieu en 1682 pour discuter ces points importants et délicats, les opinions d’un petit nombre de fidèles se trouvèrent entièrement différentes les unes des autres. Le lieu où cette conférence s’était tenue était en harmonie parfaite avec une telle assemblée. C’était une vallée sauvage et écartée du Tweeddale, entourée de hautes montagnes et très-éloignée de toute habitation humaine. Une petite rivière ou plutôt un torrent de montagne, appelé le Talla, traverse le vallon avec une grande impétuosité et y forme successivement différentes petites cascades, qui ont fait donner à ce lieu le nom de Talla-Linus[5] Là, les chefs des partisans dispersés du Covenant, que leur bannissement de la société humaine et le souvenir des rigueurs auxquelles ils avaient été exposés avaient rendus aussi sombres de caractère que singuliers dans leurs opinions religieuses, se rassemblèrent, les armes à la main, et discutèrent à côté d’un torrent, avec une confusion que le bruit de la cascade ne pouvait couvrir, sur des points de controverse qui n’avaient ni plus de solidité ni plus de consistance que l’écume du torrent mugissant auprès d’eux.

Le jugement irrévocable de la plupart de ceux qui composaient cette assemblée, était que tout paiement de taxe ou de tribut au gouvernement existant devait être considéré comme entièrement illégal, et une espèce de sacrifice aux idoles. Relativement aux autres impositions ou degrés de soumission, les opinions étaient partagées, et ce qui caractérise peut-être le mieux l’esprit de ces pères militants de l’Église, c’est que, tandis que chacun regardait comme impie de payer l’impôt employé à l’entretien de l’armée, les uns reconnaissaient, les autres niaient la légitimité des droits de péage, et de ceux levés pour l’entretien des routes, et autres dépenses indispensables. Il s’en trouvait encore qui, poussant à l’excès leurs scrupules au sujet de ces impôts de barrières et de relais, croyaient ne pouvoir en conscience payer le tribut ordinaire aux passages des bacs. Un d’eux surtout, dans l’ardeur de son zèle, James Russel, l’un des meurtriers de l’archevêque de Saint-Andrews, s’était élevé avec beaucoup de chaleur contre cette dernière ombre de soumission à l’autorité constituée. Ce personnage fanatique ainsi que ses partisans se faisaient aussi de grands scrupules de donner aux jours de la semaine et aux mois de l’année leurs noms ordinaires, qui pour eux sentaient tellement le paganisme, qu’ils finirent par conclure que ceux qui reconnaissaient des noms tels que lundi, mardi, janvier, février, se montraient dignes pour le moins des châtiments qui avaient été prononcés contre les anciens adorateurs des idoles.

David Deans s’était trouvé présent dans cette occasion mémorable, quoique trop jeune pour élever la voix dans cette savante controverse. Sa tête cependant avait été fortement échauffée par le bruit, les clameurs et la métaphysique ardue de la discussion : c’était un sujet de doute sur lequel son esprit s’était souvent reporté, — et quoiqu’il eût eu le plus grand soin de cacher aux autres et peut-être à lui-même l’état d’incertitude où il flottait encore, il n’avait jamais pu parvenir à prendre dans ce cas une résolution précise. Son bon sens naturel avait du moins contre-balancé la fureur de son zèle controversiste. Il n’était sans doute pas satisfait de la tranquillité et de l’insouciance même avec lesquelles le gouvernement du roi Guillaume souffrait les erreurs du siècle, puisque loin de rendre à l’Église presbytérienne son ancienne suprématie, il avait passé un acte d’amnistie en faveur de ceux qui avaient été ses persécuteurs, et leur avait conféré des titres, des grâces et des emplois. Quand dans la première assemblée générale qui succéda à la révolution, on proposa de reconstituer la ligue du Covenant, ce fut avec horreur que Davie vit cette proposition éludée par des hommes d’un esprit mondain et d’une politique charnelle, suivant ses expressions, comme étant inapplicable aux temps actuels et incompatible avec l’esprit de l’Église moderne. Le règne de la reine Anne avait augmenté sa conviction que le gouvernement établi depuis la révolution n’avait pas le véritable esprit presbytérien ; mais plus raisonnable que les bigots de sa secte, il ne confondait pas la modération et la tolérance de ces deux règnes avec la tyrannie et l’oppression activement exercées sous ceux de Charles II et de Jacques II. La forme presbytérienne, quoique privée du poids jadis attachée ses sentences d’excommunication, et forcée de tolérer l’existence de l’épiscopat et de plusieurs sectes différentes, était encore la religion nationale ; et quoique la gloire du second temple fût bien inférieure à celle dont le premier avait brillé depuis 1639 jusqu’à la bataille de Dunbar, cependant c’était encore un édifice qui, bien que privé de la force du premier et n’inspirant pas le même effroi, conservait au moins la forme et la symétrie de son modèle primitif. Vint ensuite l’insurrection de 1715 : ce fut alors que l’horreur qu’inspirait à Davie Deans la renaissance de la faction papiste et épiscopale influa beaucoup sur sa réconciliation avec le gouvernement du roi George, quoiqu’il gémît en pensant que ce monarque était soupçonné de quelque penchant aux doctrines d’Éraste. Enfin, sous l’empire de tant de considérations différentes, il avait été souvent embarrassé sur le degré de liberté avec lequel il croyait pouvoir reconnaître par des actes publics un gouvernement qui, bien que doux et paternel, n’était pas celui du Covenant. En ce moment, il se sentait entraîné par les plus puissants motifs à autoriser sa fille à donner son témoignage devant une cour de justice, résolution que tous ceux qui ont porté depuis le nom de caméroniens ont regardée comme une véritable apostasie. La voix de la nature cependant s’élevait hautement dans son sein contre les lois du fanatisme, et son imagination, fertile dans la solution des difficultés polémiques, lui procura un expédient pour sortir de cette cruelle alternative, qui lui offrait d’un côté une déviation de ses principes et de l’autre un spectacle dont les yeux d’un père ne pouvaient que se détourner avec horreur.

« J’ai rendu témoignage avec constance et fermeté, dit Davie Deans ; mais qui a pu dire de moi que j’ai jugé mon prochain trop sévèrement parce que le sentier qu’il parcourait lui laissait plus de liberté que le mien ? Je n’ai jamais été un séparatiste ; je n’ai jamais disputé avec les consciences scrupuleuses sur le paiement de l’impôt et des autres taxes. Ma fille Jeanie peut avoir sur ce sujet des lumières qui ne frappent pas mes vieux yeux ; c’est un point qui concerne sa conscience, et non la mienne. Si elle se sent autorisée à paraître devant cette cour de justice et à lever la main pour cette pauvre égarée, ce n’est pas moi qui lui dirai qu’elle dépasse les bornes de ses devoirs. Sinon… » ici il s’arrêta un moment dans cette discussion intérieure, et une angoisse inexprimable vint bouleverser ses traits ; mais la maîtrisant avec fermeté, il reprit le cours de son raisonnement ; « sinon, à Dieu ne plaise que ce soit moi qui la jette dans l’apostasie ! Je ne voudrais pas froisser la conscience délicate de mon enfant, non pas même pour sauver la vie à l’autre. »

Un Romain aurait dévoué sa fille à la mort par des motifs et des sentiments bien différents, mais non d’après des principes plus héroïques.



  1. Le journal de Graves, officier de police envoyé en Hollande pour obtenir du gouvernement qu’on livrât à l’Angleterre le malheureux William Brodie, contient une réflexion sur les femmes, qui ressemble un peu à celle que l’on met ici dans la bouche de Sharpitlaw. On avait eu de la peine à reconnaître l’identité du malheureux criminel ; et au moment où un Écossais de distinction semblait disposé à donner son témoignage sur ce point, son gendre, ministre à Amsterdam, et sa fille furent fortement soupçonnés d’avoir cherché à détourner le témoin de faire cette déclaration. Le journal de l’officier de police rapporte ainsi cette circonstance :

    « Je vis une répugnance manifeste dans M. M***, et je ne doutai point que le ministre et sa fille n’eussent cherché à lui persuader de ne pas se mêler davantage de cette affaire ; mais je jugeai qu’il ne pouvait pas reculer, d’après ce qu’il avait dit à M. Riel. « Nota bene. — Il ne se commet pas de mal dans le monde qu’une femme ou un prêtre n’y soit mêlé ; ici ils y sont tous les deux. »

  2. Hellfire, feu d’enfer, Wildfire, feu follet. a. m.
  3. Sir William Dick offre un exemple frappant de l’inconstance de la fortune. Il fut pendant un temps l’homme le plus riche qui existât en Écosse, à la tête d’un commerce extrêmement étendu, et administrateur des deniers publics. En 1640, il estimait sa fortune à 200,000 livres sterling. Sir William Dick était un membre zélé du Covenant, et dans la mémorable année de 1641, il prêta aux états écossais 100,000 marcs à la fois, et par-là les mit en état de soutenir et de payer l’armée, qui autrement aurait été licenciée. Il avança ensuite 20,000 livres sterling pour le service du roi Charles pendant l’usurpation ; et s’étant attiré l’inimitié du parti dominant par ce service rendu à la cause royale, on le dépouilla d’une autre somme d’argent montant en tout à 65,000 livres sterling.
    Étant ainsi réduit à l’indigence, il alla à Londres pour tâcher de recouvrer une partie des sommes qu’il avait avancées sur la garantie du gouvernement ; mais, au lieu de recevoir aucune satisfaction, le Crésus écossais fut jeté dans une prison, où il mourut le 19 décembre 1655.
    On dit que sa mort fut hâtée par le manque du nécessaire ; mais ce rapport est un peu exagéré, s’il est vrai, comme on le dit communément, que, quoiqu’on ne lui fournît pas de pain, on ne l’ait pas laissé manquer de croûte de pâté, qui de là fut appelée le nécessaire de sir William Dick.
    Une brochure in-folio, intitulée État déplorable de feu sir William Dick, sert de monument aux vicissitudes de sa fortune. Elle contient plusieurs gravures, dont l’une représente sir William à cheval et environné de gardes, en sa qualité de lord prévôt d’Édimbourg, au moment où il surveille le déchargement d’un de ses riches navires. Une seconde le montre arrêté et entre les mains des huissiers. Une troisième le représente mort en prison. Cet ouvrage est regardé comme très-précieux par les amateurs de gravures. Le seul exemplaire que j’en aie jamais vu fut acheté 30 livres sterling.
  4. Serment qu’on exigeait des membres du parlement, par lequel ils rejetaient la suprématie du pape. Test veut dire épreuve. a. m.
  5. Cette assemblée remarquable eut lieu le 15 juin, et on trouve le rapport des débats et des contestations qui s’y élevèrent dans un ouvrage de Michel Schield, intitulé Faithful contending displayed, Glasgow, 1780. Elle offre un triste et singulier exemple de l’influence de l’esprit métaphysique et polémique qui s’était emparé de ces pauvres gens persécutés, puisqu’au milieu de tous les maux qu’ils avaient à souffrir et des persécutions réelles, ils y ajoutaient encore entre eux la désunion et la discorde sur des points purement imaginaires.