La Pornocratie, ou les Femmes dans les temps modernes/Dédicace


A Mmes J*** L*** ET JENNY D’H***


Mesdames,

Je possède vos trois volumes, et je les ai lus ce n’a pas été sans effort. Jamais je n’éprouvai pareil mécompte ; jamais plus détestable cause ne fut servie par de si pauvres moyens. Je ne vous reproche pas vos injures : les injures, je les comprends quand elles viennent d’une indignation légitime, et je les subis en toute humilité, comme si c’étaient des raisons. Mais de la raison il n’y en a pas ombre dans vos attaques ; et ce qui m’affecte de votre part, c’est l’effronterie même de la déraison. Certes, mesdames, vous n’espériez pas que je répondrais à ce flux de paroles : vous teniez, avant tout, à épancher votre bile ; le reste vous souriait peu. Une doctrine est jugée quand elle produit de pareils phénomènes : je n’avais qu’à me frotter les mains, et vous laisser dans votre triomphe. Que pouvais-je souhaiter de mieux que de voir une prétendue antagoniste se ravaler par tout ce que la vanité blessée et la colère peuvent amasser de futilités dans un cerveau de femme ?

J’ai cru devoir, cependant, ne pas laisser tomber vos deux productions. Vous devinez facilement, mesdames, que ce n’est pas sans motifs. Il s’agit de bien autre chose, en effet, que de vos déclamations et de mon ressentiment.

Notre décomposition sociale marche à vue d’œil ; plus j’en étudie les symptômes, plus je découvre que les libertés publiques ont pour base et pour sauvegarde les mœurs domestiques ; que les mêmes maximes par lesquelles on détruit les droits des peuples sont celles par lesquelles vous et vos coryphées vous renversez l’ordre des familles ; que toute tyrannie, en un mot, se résout en prostitution, et que la prostitution, étudiée dans son principe, est précisément ce que vous, mesdames, appelez, avec le Père Enfantin et ses acolytes, affranchissement de la femme ou amour libre.

Est-ce ma faute, à présent, si vous figurez, comme dames patronnesses, au premier rang de cette pornocratie qui depuis trente ans a fait reculer en France la pudeur publique, et qui, à force d’équivoques et à l’aide de la corruption la plus subtile, s’est constituée partout des avocats, des philosophes, des poètes et des dévots ? Vous attaquez tout ce que j’aime et révère, la seule de nos anciennes institutions pour laquelle j’ai conservé du respect, parce que j’y vois une incarnation de la justice. Acceptez donc les conséquences de votre rôle ; subissez, sans tant de criailleries, les qualifications que vous inflige votre théorie ; quant à moi, appelez-moi ogre, Minotaure et Barbe-Bleue, je ne me plaindrai pas, si vous prouvez, par de bonnes raisons, que je me trompe.