La Plante/Partie I, chapitre XXIV

Charles Delagrave (p. 240-248).
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Partie I.
XXIV. — Respiration des plantes

XXIV
Respiration des plantes.

La vie s’entretient par une continuelle combustion. — Double échange gazeux entre les végétaux et l’atmosphère. — Échange relatif à la respiration. — Résultat général pour la composition de l’atmosphère. — Siége de la respiration végétale. — Quantité d’oxygène consommée par les fleurs. — Chaleur produite par la respiration des végétaux. — Chaleur dégagée par certaines aroïdées. — Phosphorescence animale. — Phosphorescence des végétaux. — Agaric de l’olivier.

Dans tout être organisé, dans la plante aussi bien que dans l’animal, la vie s’entretient par une continuelle destruction, par une combustion lente au moyen de l’air vital ou oxygène. Pour être vivante, la matière doit être sans cesse consumée et sans cesse renouvelée. Rappelez-vous, mon cher enfant, cette belle expression dont nous nous sommes déjà servis : le flambeau de la vie. Pour donner lumière et chaleur, pour être en quelque sorte vivante, la lampe doit sans relâche consumer sa substance, son huile, et sans relâche la renouveler dans la flamme. Ainsi de la vie, cette merveilleuse lampe, qui s’allume à la naissance et s’éteint à la mort. La nutrition renouvelle la substance disparue, la respiration consume la substance acquise, et de leur perpétuel conflit résulte l’activité de l’être vivant. Vivre, c’est se consumer, vous ai-je dit au sujet des animaux ; vivre, c’est se consumer, vous dirai-je encore au sujet des plantes. Pas une fibre ne fonctionne en elles, pas une cellule n’accomplit son travail, sans une perte de substance cédée au gaz vivifiant. Les plantes respirent comme les animaux : l’oxygène de l’air pénètre dans leurs tissus, y entretient l’excitation de la vie en brûlant leur charbon, et devient acide carbonique qui s’exhale dans l’atmosphère. Il y a de la sorte entre les végétaux et l’atmosphère un double échange gazeux, l’un relatif à la nutrition, qui renouvelle la substance, l’autre relatif à la respiration, qui la détruit.

Dans le premier, l’atmosphère fournit à la plante du gaz carbonique, qui se dédouble en ses deux éléments à la faveur des rayons solaires ; et la plante fournit à l’atmosphère l’oxygène provenant de cette décomposition. Cet échange n’est pas continu mais périodique ; il ne s’accomplit que sous l’influence de la lumière du soleil, il cesse totalement la nuit ou même à l’ombre. Enfin il a pour siége les seules parties vertes de la plante, les seules cellules à grains de chlorophylle ; les divers organes colorés autrement qu’en vert ni de jour ni de nuit n’y prennent jamais part. Le résultat dominant de ce travail organique est l’apport du charbon, nécessaire pour l’élaboration finale de la séve. C’est donc là un acte de nutrition, c’est-à-dire d’entretien et non de dépense ; néanmoins l’usage est d’appeler respiration des plantes la fonction dévolue aux parties vertes, aux feuilles surtout, d’absorber du gaz carbonique et d’exhaler de l’oxygène. Les premiers observateurs, en ne distinguant pas les deux ordres d’idées, nous ont légué cette expression vicieuse, qu’il convient d’éviter pour ne pas amener une regrettable confusion.

Puisque respirer, c’est dépenser sa substance pour l’entretien de la combustion vitale, j’appellerai respiration des plantes le second échange gazeux entre les végétaux et l’air. Ici l’atmosphère fournit à la plante de l’oxygène, qui lentement consume les tissus et entretient ainsi leur vitalité ; la plante fournit à l’atmosphère l’acide carbonique qui résulte de cette combustion. L’échange respiratoire est donc exactement l’inverse de l’échange nutritif. Il est en outre continu et non périodique et subordonné à la présence du soleil. De nuit comme de jour, dans une profonde obscurité comme à la lumière, la plante respire : elle absorbe de l’oxygène, elle rejette du gaz carbonique ; elle se comporte enfin comme l’animal, dont la respiration peut s’accélérer ou se ralentir mais ne s’arrête jamais tant que la vie est présente. Toutes les parties de la plante indistinctement, vertes ou non vertes, aériennes ou souterraines, consomment de l’oxygène. Il en faut aux feuilles, il en faut aux racines, à la graine qui germe, à la fleur qui s’épanouit, aux semences qui mûrissent, au bourgeon qui se développe, au tubercule qui alimente ses pousses. En l’absence de ce gaz, la vie végétale s’éteint, comme s’éteint la vie animale. Une plante meurt dans une atmosphère d’acide carbonique, sa principale nourriture cependant ; elle périt dans tout milieu dépourvu d’oxygène, ou non suffisamment pourvu. Aussi pour les expériences relatives au travail chimique des feuilles, faut-il, si l’on opère sous l’eau, se servir d’eau ordinaire, contenant à la fois de l’air et de l’acide carbonique dissous ; et si l’on opère dans un milieu gazeux, faut-il faire arriver sur les feuilles, non de l’acide carbonique seul, mais de l’air contenant quelques millièmes de ce gaz. Avec insuffisance d’oxygène et surabondance d’acide carbonique, la plante expérimentée dépérirait.

En résumé, l’acte nutritif, dont le résultat est l’apport du carbone dans la plante, consiste en une absorption d’acide carbonique et un dégagement d’oxygène. Ce travail appartient aux seules parties vertes, aux feuilles principalement, et ne s’accomplit que sous l’influence des rayons directs du soleil. L’acte respiratoire, dont le résultat est l’entretien de l’activité végétale par une combustion lente et continue des tissus, consiste en une absorption d’oxygène et un dégagement d’acide carbonique. Ce travail s’effectue dans toutes les parties indistinctement, quelle que soit leur coloration, et se poursuit dans l’obscurité aussi bien qu’en pleine lumière. De là résultent dans l’atmosphère des effets exactement inverses. D’un côté l’air s’épure de son acide carbonique et s’enrichit en oxygène, de l’autre il s’appauvrit en oxygène et gagne en acide carbonique. Mais le travail des parties vertes aux rayons du soleil est incomparablement plus actif que celui de la combustion vitale ; il entre dans la plante baignée de lumière plus d’acide carbonique qu’il n’en sort, il s’exhale plus d’oxygène qu’il ne s’en consomme ; de sorte que, pendant le jour, l’action des végétaux sur l’atmosphère se traduit par un gain en oxygène et une diminution en acide carbonique. Pendant la nuit, en l’absence du stimulant chimique de la lumière, le travail de la chlorophylle est suspendu, mais celui de la respiration se poursuit, consommant de l’oxygène et déversant de l’acide carbonique en échange. Dans l’obscurité, les végétaux sont donc, pour l’air atmosphérique, une cause d’accroissement de sa partie irrespirable et de décroissement de sa partie respirable ; ils vicient l’atmosphère comme le font les animaux. Si nous considérons dans leur ensemble ces échanges gazeux entre les végétaux et l’air, et si nous les désignons en bloc, d’après l’usage, sous le nom de respiration, sans tenir compte des deux fonctions bien différentes accomplies en réalité, nous dirons donc : la respiration diurne des plantes purifie l’atmosphère, elle augmente la proportion d’oxygène et diminue celle d’acide carbonique ; la respiration nocturne la vicie au contraire, elle diminue la proportion d’oxygène et augmente celle d’acide carbonique. Mais la balance est largement en faveur de l’effet diurne : le travail de décomposition des feuilles domine, quoique de moindre durée, le travail inverse de l’oxygénation vitale. À surface égale et dans le même temps, le feuillage du laurier-rose, par exemple, décompose au soleil seize fois plus d’acide carbonique qu’il n’en dégage dans l’obscurité. Le résultat général de la végétation est ainsi de l’oxygène en plus dans l’atmosphère et de l’acide carbonique en moins ; de sorte que la salubrité aérienne, toujours troublée par la vie de l’animal, est toujours rétablie par la vie de la plante.

Mais laissons les fonctions de la chlorophylle, dont nous avons déjà suffisamment étudié la haute importance dans l’harmonie des êtres organisés, et revenons à la respiration véritable, celle qui consiste en une absorption d’oxygène et un dégagement d’acide carbonique. Toutes les parties de la plante indistinctement respirent, parce que la vie de la moindre cellule ne saurait se maintenir sans une incessante oxygénation ; néanmoins, le travail respiratoire est, en général, beaucoup plus actif dans les organes non colorés en vert. Faible dans les feuilles, l’écorce, les racines, les tissus ligneux, l’absorption d’oxygène acquiert en certains points une intensité comparable à celle qu’exige l’entretien de la vie chez les animaux. La graine au moment où elle germe, le bourgeon quand il se gonfle pour rejeter ses enveloppes, la fleur surtout à l’époque de l’éveil de la vie dans le fruit, rivalisent avec l’animal pour l’activité respiratoire. En vingt-quatre heures, une fleur de giroflée consomme 11 fois son volume d’oxygène, une fleur de courge 12 fois, une fleur de passiflore 18 fois ; dans le même temps, une feuille de cette dernière plante n’en consomme que 5 fois son volume. Cette dépense considérable d’oxygène, remplacé par un volume égal de gaz non respirable, acide carbonique, rend compte du malaise que l’on éprouve dans un appartement clos où l’on a réuni des fleurs en grand nombre. L’atmosphère viciée par l’active respiration des fleurs, et en outre imprégnée de leurs émanations odorantes, peut aller jusqu’à provoquer de graves accidents. Enfin, les végétaux dépourvus de chlorophylle, l’orobanche, le cytinet, le sucepin, les champignons, en tout temps, même au soleil, consomment de l’oxygène et dégagent du gaz carbonique.

La chaleur animale résulte d’un travail chimique accompli dans toutes les parties de l’organisation, en particulier de la combinaison du carbone des tissus avec l’oxygène respiré. Des combinaisons pareilles ont lieu dans les végétaux, d’une manière moins intense, il est vrai. À ce travail chimique vital, si lent, si faible qu’il soit, doit correspondre une certaine production de chaleur. C’est ce que l’expérience confirme. Au moyen d’appareils très-sensibles, on a pu constater dans les jeunes tiges, les feuilles, les fruits, les fleurs en bouton, un excès de température atteignant au plus un demi-degré. Mais dans quelques plantes, au moment de la floraison, l’excès de température s’élève assez pour être appréciable au thermomètre ordinaire et même au simple toucher. Les aroïdées surtout sont remarquables sous ce rapport.

Nous avons abondamment dans les haies deux arums, l’un, l’arum vulgaire ou pied-de-veau, commun dans les départements du centre et du nord, l’autre, l’arum d’Italie, spécial aux départements méridionaux. Dans tous les deux, l’inflorescence se compose d’un grand cornet jaunâtre ou spathe, du sein duquel s’élève une tige charnue portant les organes floraux, étamines et pistils. Cette tige se termine par un renflement nommé massue. Au moment de la floraison, la chaleur de la massue est parfaitement sensible à la main. Un thermomètre plongé dans le cornet s’élève de 8 à 10° au-dessus de la température de l’air. — Certains arums de l’île Bourbon, groupés au nombre de douze autour d’un thermomètre, le font monter de 30° et plus. — Au moment de cette production exaltée de chaleur, l’inflorescence des aroïdées est le siége d’un travail chimique identique à celui qui produit la chaleur animale. Il se fait une absorption considérable d’oxygène et un dégagement équivalent de gaz carbonique. La fleur respire presque aussi activement que l’animal à sang chaud ; et comme lui, elle dégage de la chaleur par suite d’une combustion.

Dans quelques cas fort rares, la respiration, au moment de sa plus grande intensité, peut rendre le végétal phosphorescent, c’est-à-dire lui faire émettre de la lumière sans chaleur, pareille à celle du phosphore dans l’obscurité. Cette curieuse propriété de la plante se trouve, à un plus haut degré, dans l’animal, où nous l’examinerons d’abord. — Vous connaissez le ver luisant, cette petite étoile qui brille au milieu des gazons dans les calmes soirées d’été. C’est un insecte d’assez pauvre aspect, dépourvu d’ailes, rampant sur ses courtes jambes, et qui, dans l’impuissance de se porter dans les airs au-devant de son compagnon, lui-même ailé, sait l’attirer à terre, en allumant le soir un splendide fanal formé des anneaux postérieurs du corps. Or il y a dans ce phare vivant une réelle combustion, mais sans chaleur ; de l’oxygène est abondamment consommé, de l’acide carbonique est dégagé ; aussi le ver cesse-t-il de luire dans le vide ou dans une atmosphère non comburante, dans l’azote par exemple. Le phosphore n’est pour rien dans cette production de lumière, les analyses les plus délicates n’ont pu constater la moindre trace de ce corps dans la matière phosphorescente de l’insecte ; c’est la substance même du ver luisant qui sert de combustible. — Nos départements méditerranéens et l’Italie ont la luciole, qui, par bandes innombrables, sillonne les airs au crépuscule du soir, comme une pluie de vives étincelles. Le Brésil et Cayenne ont les pyrophores, dont le corselet porte deux taches rondes, deux réservoirs phosphorescents d’une magnifique intensité lumineuse. Dans leurs courses nocturnes, les Indiens s’attachent un de ces insectes à chaque pied pour éclairer leur marche.

La phosphorescence est encore le partage d’une foule d’animaux appartenant aux derniers degrés de l’échelle zoologique, annélides, crustacés, mollusques, radiaires. Dans nos climats, un petit lombric ou ver de terre a l’éclat d’un fil de phosphore enflammé ; un millepieds, le géophile électrique, ressemble, comme le dit son nom, à une traînée d’étincelles électriques.

Les mers, surtout dans les régions tropicales, sont extrêmement riches en espèces animales phosphorescentes. Les plus remarquables sont les noctiluques et les pyrosomes. Les noctiluques sont de petits points gélatineux, transparents et terminés par un filament mobile. Les pyrosomes ont la forme de cylindres creux de la grosseur du doigt. Ils sont aussi gélatineux et transparents. Quand ces populations phosphorescentes abondent, l’océan paraît rouler des métaux en fusion. Le vaisseau qui fend la vague fait jaillir sous sa proue des flammes rouges et bleues. On dirait qu’il s’ouvre un sillon dans du soufre embrasé. Des étincelles montent par myriades du sein des eaux ; des nuages phosphorescents, des écharpes lumineuses errent dans les flots. Resplendissants d’éclat, les pyrosomes se groupent en guirlandes, qui feraient croire à des chapelets de lingots chauffés à blanc. Comme l’acier qui se refroidit au sortir de la forge, ils varient de nuance d’un moment à l’autre ; du bleu étincelant, ils passent au rouge, à l’aurore, à l’orangé, au vert, au bleu d’azur ; puis, ils se rallument soudain et jettent des éclairs plus vifs. Par intervalles, quelqu’une de ces guirlandes ondule, pareille à un serpenteau d’artifice, se déploie, se reploie, se pelotonne et plonge dans les flots, semblable à un boulet rouge. Plus souvent encore, la mer, aussi loin que la vue peut porter, figure une plaine de lait, tout imprégnée d’une douce lueur, comme si du phosphore était dissous dans ses eaux.

Tous ces faits de phosphorescence animale, sauf peut-être quelques cas encore mal connus, paraissent se rapporter à une même cause, l’oxygénation de la matière lumineuse avec formation d’acide carbonique. C’est un cas particulier de la combustion vitale, produisant de la lumière au lieu de chaleur. Revenons maintenant à la plante. On ne connaît guère qu’une dizaine de végétaux doués de phosphorescence ; et, chose digne de remarque, cette propriété, apanage des animaux inférieurs, ne se montre également que dans les végétaux dont l’organisation est la plus simple, en particulier dans quelques champignons. Des agarics, des byssus pareils à des duvets cotonneux, des rhizomorphes semblables à des paquets de fines radicelles[1], tous exclusivement formés de tissu cellulaire, voilà les plantes qui se parent dans l’obscurité d’une auréole phosphorescente, plantes amies de l’ombre, qui étalent leurs surfaces lumineuses dans le tronc obscur et pourri d’un arbre, comme le lombric phosphorescent et le géophile électrique déroulent, dans de ténébreux couloirs, les anneaux de leur corps pareil à un fil de métal chauffé à blanc.

L’agaric de l’olivier, magnifique champignon d’un orangé vif, fréquent en Provence au pied des oliviers, est sous le rapport de la phosphorescence l’espèce la plus remarquable de l’Europe, et rivalise pour l’éclat avec les champignons les plus renommés des régions tropicales. Comme dans tous les agarics, la face inférieure du chapeau est couverte de minces lames rayonnantes, sur lesquelles se développent les corpuscules propagateurs du champignon, c’est-à-dire les semences ou spores. L’ensemble de ces lames prend le nom d’hymenium. L’agaric de l’olivier est d’abord obscur dans toutes ses parties ; il consomme de l’oxygène et dégage de l’acide carbonique, ainsi que le font tous les végétaux dépourvus de coloration verte. Puis, au moment de la plus grande activité vitale, au moment où dans les spores s’éveille la fertilité, l’hymenium se pare comme pour une fête et répand une douce lueur blanche, qui rappelle celle du disque de la lune, mais n’est visible que dans une profonde obscurité. Pendant toute la durée de l’émission lumineuse, la respiration de la plante est plus active : l’absorption d’oxygène et l’exhalation de gaz carbonique augmentent presque de moitié. Une fois les spores mûris et tombés des lames en fine poussière, la respiration se ralentit et la phosphorescence s’éteint. Nous retrouvons donc ici un fait du même ordre que celui des aroïdées. Dans les deux cas, la respiration s’exalte au moment où les semences sont appelées à la vie, et la solennité de l’acte vivifiant est célébrée dans l’arum par une émission de chaleur, dans l’agaric par une émission de lumière.

  1. Les byssus et les rhizomorphes ne sont, suivant toute apparence, que des champignons dans un état incomplet de développement.