La Plante/Partie I, chapitre IX

Charles Delagrave (p. 72-79).
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Partie I.
IX. — Structure de la tige monocotylédonée

IX
Structure de la tige monocotylédonée.

Organisation de la tige d’un palmier. — Structure d’un faisceau ligneux. — Progrès de l’organisation végétale à travers les âges. — Les forêts primitives. — Les fougères arborescentes. — Structure de leur tige. — Origine de la houille.

Dans les tiges monocotylédonées, il n’y a plus de démarcation nette entre le bois et l’écorce. On trouve bien, à l’extérieur des grands arbres dont les semences ont un seul cotylédon, une grossière enveloppe formée de cellules endurcies et des bases des vieilles feuilles, mais ce fourreau protecteur ne rappelle en rien l’écorce des tiges dicotylédonées : il n’en a pas la structure complexe, il fait corps avec le bois sans pouvoir se détacher isolément. Dans nos contrées, nous n’avons, hors des cultures des jardins, aucun des grands arbres à un seul cotylédon ; ils sont propres aux pays chauds. Nous avons le roseau, qui leur ressemble un peu. Eh bien ! jamais sur le roseau vous ne parviendrez à détacher un cylindre d’écorce, ce que l’on fait sans difficulté au printemps sur nos divers arbres. Son écorce et son bois ne font qu’un. Il faut en dire autant de tous les végétaux à un seul cotylédon.

Les tiges monocotylédonées
Fig. 43. Segment d’une tige de Palmier.
sont en outre dépourvues de zones ligneuses concentriques. Au milieu d’un tissu de cellules, plongent sans ordre de minces paquets de fibres et de vaisseaux, ainsi que le montre le morceau de palmier que représente la figure 43. Les points noirs de la section transversale correspondent à autant de ces filaments ligneux, que l’on voit, sur la coupe en long, plonger dans la masse cellulaire. Vous remarquerez que ces faisceaux ligneux sont plus nombreux, plus serrés, vers l’extérieur de la tige ; ils y sont également plus colorés. Or, comme ce sont eux qui donnent au bois sa coloration et sa dureté, une tige de palmier est dure et de teinte sombre dans ses parties extérieures, tendre et de couleur claire dans ses parties centrales. C’est précisément l’inverse de ce qui a lieu dans le tronc des végétaux à deux cotylédons, dont le centre ou le cœur est dur et fortement coloré, et dont l’extérieur, l’aubier, est tendre et de teinte claire.

Malgré son architecture toute différente, la tige des palmiers n’a rien de nouveau dans ses matériaux premiers. Chacun de ses faisceaux ligneux comprend dans sa charpente l’ensemble des organes élémentaires d’une tige dicotylédonée. En voici un coupé d’abord en travers, puis en long et fortement grossi (fig. 44). En a se voit un peu du tissu cellulaire interposé entre les divers faisceaux ; en b se trouvent des fibres à parois épaissies par des couches multiples ; en c, une trachée ; en d, des vaisseaux rayés ; en e, des vaisseaux laticifères,
Fig. 44. Coupe d’un faisceau fibro-vasculaire de Palmier.
qu’on trouve uniquement au sein de l’écorce dans les tiges dicotylédonées.

En somme, ce filament, dont il faut des milliers pour constituer la tige d’un palmier, est un abrégé de la tige entière des végétaux supérieurs. Il contient à la fois les trachées du pourtour de la moelle, les vaisseaux laticifères de l’écorce, les fibres à parois dures et les vaisseaux du bois.

Supposons qu’une main douée d’une adresse impossible décompose en ses éléments organiques une tige dicotylédonée, le tronc d’un chêne, par exemple. Imaginons qu’elle mette à part les fibres du bois, à part aussi les trachées, les gros vaisseaux des zones ligneuses, les vaisseaux laticifères de l’écorce, et enfin qu’elle réunisse en une masse commune les cellules de toute provenance. Le triage fait, elle prend un peu de chacun de ces organes, moins les cellules ; elle les associe et en fait un long fil, puis un autre, un centième, un millième, tant qu’il y a de matière. Alors elle assemble ces fils côte à côte sous forme de colonne ; elle les agglutine en interposant la masse des cellules restée disponible. Ce travail fait, le tronc de chêne se trouve transformé en tige de palmier.

Dans cette transformation y aurait-il décadence ou progrès ? — Il y aurait décadence : la tige dicotylédonée, si correcte, si géométrique, avec ses rayons médullaires tirés au cordeau, ses zones concentriques tracées au compas, ses assises corticales et ligneuses où la cellule, la fibre et le vaisseau sont méthodiquement empilés, est certes supérieure en organisation à la tige monocotylédonée, où tout est brouillé, confondu. Cette infériorité des végétaux à un seul cotylédon, des palmiers en particulier, compte au nombre de ses causes la marche progressive de la création à travers les temps. Une puissance mystérieuse, mandataire des éternels desseins de Dieu, achemine les êtres, avec une lenteur que les siècles accumulés mesurent, vers une organisation plus parfaite. Les plantes des anciens âges furent, nous dit la géologie, des algues glaireuses dans les eaux, des croûtes de lichens sur le roc ; et tout à peu près se bornait là. La vie en était à ses premiers essais ; elle groupait la cellule des plantes rudimentaires avant d’échafauder la fibre et le vaisseau de l’arbre. Une longue période s’écoula et apparurent les races princières des acotylédonées, les prêles gigantesques, les fougères en arbre. Puis, comme préparation aux végétaux qui savent donner des cotylédons à leurs graines, vinrent les conifères, inhabiles encore à façonner le vaisseau. Après les conifères, des monocotylédonées apparurent, et au premier rang les palmiers. En dernier lieu vinrent les dicotylédonées, des ormes, des saules, des érables, et tous les végétaux de l’ordre supérieur.

Il fut un temps où ce coin de terre qui porte aujourd’hui le beau nom de France était éventré par trois bras de mer occupant à peu près les bassins actuels de la Garonne, de la Seine et du Rhône. Entre ces larges golfes, une terre s’étendait, couverte de grands lacs et de volcans. Là, sous l’influence d’un climat tropical, florissait une puissante végétation dont l’analogue ne se retrouve plus, de nos jours, qu’au sein des contrées équatoriales. Aux lieux mêmes occupés maintenant par des forêts de hêtres et de chênes, venaient des palmiers, balançant à la cime d’une tige élancée le gracieux bouquet de leurs énormes feuilles. En nos temps, les forêts vierges du Brésil nous reportent à cette antique flore. Sous leur ombrage pâturaient des éléphants, rugissaient des chats plus grands que nos lions. Au bord des lacs, de monstrueux reptiles, crocodiles et tortues, pétrissaient de leurs larges pattes le limon attiédi. Où étaient alors les arbres de notre époque, où était l’homme lui-même ? Ils étaient où se trouve ce qui, n’étant pas encore, doit être un jour ; ils étaient dans la pensée créatrice, d’où toute chose s’épanche en intarissable flot.

Une période vint où le climat refroidi fut incompatible, en Europe, avec l’existence des palmiers et des animaux leurs contemporains. Alors tout disparut, et des trésors divins d’autres êtres émergèrent, en progrès de structure sur leurs prédécesseurs. Les derniers venus, les mieux organisés par conséquent, sont les animaux et les plantes d’aujourd’hui, sur lesquels règne l’homme, lui-même dernier né de la création.

Pour retrouver en nos contrées les restes de la vieille race des palmiers, reléguée maintenant dans la zone tropicale, au pays du soleil, la science fouille la terre ; elle interroge les profondeurs du sol, où gisent, convertis en charbon ou en pierre, ces arbres d’un autre âge. Dans ses fouilles, bien au-dessous des assises terrestres où les palmiers sont couchés, elle exhume une autre race plus vieille encore, plus étrange, et mêlée à celle des conifères. C’est la race des fougères arborescentes, qui, après avoir formé la végétation dominante du globe, jusque sous les pôles, habitent maintenant, en petit nombre, les îles des mers les plus chaudes. Les fougères actuelles de l’Europe sont d’humbles plantes, d’un mètre au plus de hauteur, souvent de quelques pouces. Leur tige est réduite à une courte souche rampant sous terre ; mais dans les archipels des mers équatoriales, les fougères deviennent des arbres d’un port comparable à celui des palmiers. Leur tige s’élance d’un jet à quinze et vingt mètres d’élévation, et se couronne au sommet d’une grande touffe de feuilles élégamment découpées. Au centre de la touffe, les feuilles les plus jeunes sont enroulées en crosse. C’est là un trait caractéristique de toutes les fougères.

Au milieu des végétaux acotylédonés, uniquement composés de cellules en très-grande majorité, les fougères font une remarquable exception par leur structure ligneuse,
Fig. 45. Section d’une tige de fougère arborescente.
l’emploi de la fibre et du vaisseau, la configuration en arbre. Il faut s’attendre à trouver, dans ces représentants de la première végétation ligneuse de la terre, une structure spéciale. Et en effet la tige d’une fougère arborescente est bien ce que le règne végétal peut nous montrer de plus disparate avec l’organisation habituelle. Voici la section d’une pareille tige. Au milieu d’une masse cellulaire m, constituant la majeure partie de la tige, plongent des faisceaux ligneux bizarrement contournés en dessins blancs bordés de noir. La partie blanche v de ces faisceaux est formée par un amas de vaisseaux ; la partie noire par des couches de fibres imprégnées d’une matière noirâtre. En p est encore du tissu cellulaire, communiquant çà et là, par les brêches de l’irrégulière zone ligneuse, avec le tissu cellulaire de la partie centrale. Enfin en é est une enveloppe dure, tenant lieu d’écorce. Elle est formée par les bases des vieilles feuilles qui sont tombées à mesure que la tige s’est élevée. Dans les souches des fougères de nos pays, on peut observer quelque chose de cette curieuse structure. C’est ainsi que la souche de la fougère commune reproduit, avec ses faisceaux ligneux noirâtres, le dessin grossier d’un aigle héraldique à deux
Fig. 46. Spécimen des Fougères fossiles de la houille.
têtes, comme pour inscrire en caractères de blason la noblesse de son antique race.

Longtemps avant les palmiers, les fougères arborescentes peuplaient en particulier quelques langues de terre, qui, devenues plus étendues par le retrait de l’Océan, devaient être un jour l’Europe. Elles formaient la majeure partie de sombres forêts que n’a jamais égayées le gazouillement des oiseaux, où n’a jamais résonné le pas d’un quadrupède. La terre ferme encore n’avait pas d’habitants. Seule, la mer nourrissait dans ses flots une population de monstres, moitié poissons, moitié reptiles, dont les flancs, en guise d’écailles, étaient vêtus de plaques d’émail. L’atmosphère était irrespirable sans doute, car elle contenait en dissolution, à l’état de gaz mortel, l’énorme masse de charbon devenue depuis la houille. Mais les fougères arborescentes, ainsi que d’autres végétaux leurs contemporains, travaillaient à son assainissement pour rendre la terre ferme habitable. Elles soutiraient à l’air son charbon, l’emmagasinaient dans leurs feuilles et leurs tiges ; puis, tombant de vétusté, faisaient place à d’autres et à d’autres encore qui poursuivaient sans relâche, dans leurs forêts silencieuses, la grande œuvre de la salubrité atmosphérique. L’épuration de l’air fut enfin accomplie et les fougères en arbre périrent. Leurs débris enfouis sous terre, à la suite des révolutions du globe, sont devenus des lits de houille, où des feuilles et des tiges admirablement conservées de forme, se retrouvent abondamment aujourd’hui et racontent, dans leurs archives, l’histoire de cette antique végétation, qui nous a fait une atmosphère respirable et a mis en dépôt, dans les entrailles du sol, les assises de charbon, richesse des nations.