La Plaisante Nouvelle apportée sur tout ce qui se passe en la guerre de Piedmont


La plaisante nouvelle apportée sur tout ce qui se passe en la guerre de Piedmont, avec la Harangue du capitaine Picotin faicte au duc de Savoye sur le mescontentement des soldats françois.

1615



La plaisante nouvelle apportée sur tout ce qui se passe en la guerre de Piedmont, avec la Harangue du capitaine Picotin1 faicte au duc de Savoye sur le mescontentement des soldats françois.
À Bezié, par Claude Moret.
1615, in-8.

Çà, çà, çà, où sont-ils ? À la guerre ! à la guerre ! Me voicy tout prest à bien faire. À quoy tient-il qu’on ne m’employe ? Vite, vite, Picotin meurt de faim ! une bonne table, une bonne cuisine ! Qu’on se depesche ! j’ay plus d’envie d’escrimer des dentz que de jouer de la picque. Mais quoy ! j’ay beau dire, pour tout cela point de table mise, point de cuysine qui fume, personne ne rinse des verres, point de flascon, point de bouteille, rien ; je ne vois que la campagne, et me faut paistre de boire la poussière. Ha ! pauvre Picotin, quand j’estois ché le bon homme2, je faisois chère de cavaliers, je me faisois traicter en marchand et payois en soldat ; et maintenant je ne treuve pas d’eau fresche pour me gargariser la dent !

A ! ventre sus ventre ! tue ! tue ! tue ! L’ennemy, voyant mes moustaches relevez, fuira devant moy. Guara, guara gli signor Picotin ! Tu seras maistre de Milan, tu mesureras le velours à la picque. Çà, qui en veut achepter ? Envoyez-moy des marchands, j’en feray bon marché. Toutes les villes seront à toy, te voilà maistre du païs. Ha ! les belles signore qui seront à ton commandement ! À la guerre, à la guerre, Picotin !

Mais je pensois puis après d’autre sorte. Où vas-tu, Picotin ? Tu t’en vas à la guerre, tu n’as point d’argent, on n’en reçoit point : comme feras-tu pour t’entretenir et tes compaignons ? Faudra se curer les dents à la napolitaine : un peu de pain seulement, et bien souvent point ; tes souliers finis, faut marcher sur la chrestienté3. Nuict et jour, couché sus la dure, à la pluye, aux vents, aux orages, l’ennemy en teste, il se faut battre ; on tue, on estropie, l’on ne regarde à qui l’on donne, l’on ne prefère personne. Que diable est cela ? Alte, alte, Picotin ! je me donne à cinq cens mil pistoles des plus belles et pesantes qui soient dans le Curial4 de Madrid si je vas à la guerre !

Mais quoy ! capitaine Picotin, tu as esté tousjours si vaillant, jamais il ne t’a manqué de valeur, et maintenant que le grand Turc veut attaquer les Maltois5, perdras-tu courage ? Nenny, nenny. Où sont-ilz ? Vitte une croix de Malte, un vaisseau prest, que je m’embarque ; despechons vitte : en trois coups à Malte, à l’armée contre le Turc ; prenons Tripoly, allons vite assieger Constantinople6. Il est nostre. Courage ! Rends-toy, grand Turc ! Je le tiens prisonnier, prisonnier ! Il est à moy. Donne-moy ton cimeterre. Ha ! le vilain ! comme il pu ! Il a chié en ses chausses de la peur. Teste de Mahom ! comme ces diables de Turcs fuyent ! J’en veux aujourd’huy plus tuer que jamais ne fit Oger le Dannois. Petardons le serail, allons viste prendre ces sultannes. À la guerre, à la guerre ! Vive le capitaine Picotin, par mer et par terre !

Ha ! Picotin, où veux-tu aller ? Ce n’est pas peu de faict de t’embarquer. La mer a des grosses ondes : si une fois tu estois enveloppé là dedans, il y a des poissons qui t’avalleroyent en un mourceau, et te faudroit puis sortir par le trou du cul. Vive ceux qui plantent des choux ! ilz ont un pied en terre, et l’autre pas guère loing7. Puis tu serois canonné, tu ne pourrois pas retenir les balles de canon à ta main pour les renvoyer contre tes ennemis, comme faisoit Gargantua, qui pour une nuict (ayant eu tout le jour la teste pesante8) treuva plus de dix mil grosses balles d’artillerie dans ses cheveux. J’aymerois mieux faire comme Cleopatre, qu’en se pignant tumboit des grosses perles precieuses, qu’elle faisoit puis disoudre pour festoyer ce pauvre abusé de Marc Antoine ; puis tant d’incommodité, boire d’eau sale, manger le biscuit, et bienheureux quelquefois qui en peut avoir ; à la mercy des vents et de l’eau, tous les jours et nuicts en crainte d’estre attaquez de l’ennemy, qui sont gens rudes et infidelles. Ha ! pauvre Picotin, s’ilz te tenoient, ilz t’enchaîneroient, ilz te feroient couper les couilles ; ilz auroient autant de regretz de toy comme un laquay d’un pety paté. Je n’en suis pas ; non, non, je n’en suis pas. Je vous rends vostre croix ; je vous remercie, je ne veux pas estre chevallier par eau : je vas planter des choux. A Dio siaz. Je me donne à autant de doubles sequins comme il y a de grains de moutarde dans un boisseau si j’y vas.

Harangue.

Voicy la troisième fois, prince très illustre, qu’ayant appellé à vostre ayde le peuple courageux de France, vous l’avez congedié à mains vuides : sy bien qu’à ce coup la pluspart de ces vaillans capitaines et soldats qui, soubs l’ombre de voz banières, avoient esperance de desnicher le superbe Espagnol de la Lombardie, se voyent frustrez de leur attente ; et moy entre tous les autres ay sujet d’un extrême mescontentement, me voyant avoir employé tout mon peu de pouvoir pour m’acquerir quelque petit coing en voz graces, me vois à ceste heure reduit au petit point, l’escarcelle vuide d’argent, pleine de vent ; destitué de mes soldats, accompagné d’une trouppe de chevaliers de l’hospital ; bref, contraint de faire le demy-crucifix et demander la passade aux païsans9, desquels nous avons l’hyver passé plaisamment plumé les poules. Ha ! Picotin, quel tort fais-tu à la France, à ta femme esplorée, à tes pauvres enfans ! Que Vostre Altesse regarde à ma pauvre famille, laquelle j’ay reduit à la besace, ayant vendu tout autant de moyens qui me restoyent en fonds pour m’equipper, soubs le pretexte de vostre service et l’asseurance que j’avois de ne m’en retourner si à la legère et si peu chargé des ducatons et soyes milanoises. Quittez, quittez, pauvres enfans de Picotin, les pretentions que vous aviez de vous voir un jour fils d’un mareschal de France, aggrandi par sa valeur martiale ; allez, allez, contentez-vous d’estre nez d’un serrurier ou crocheteur ; contentez-vous au son d’une lime sourde, non au bruyant fanfare de la trompette ; contentez-vous au battement des marteaux sur l’enclume, non au tonnerre impetueux du canon. Mais quoy ! grand prince, vostre courage, qui ne s’est jamais mesuré en aucune de voz actions, se laira-il maintenant r’accourcir et regler à l’aulne d’un bruit vulgaire qui court parmy la France ? Vrayement, j’ay appris qu’il se dit coustumierement que vous estes fort charitable d’avoir en ceste dernière guerre piedmontoise fait quasi autant d’hospitaux que de capitaines françois ont suyvi voz estendards. Mais quelle charité, faire des hospitaux sans les arrenter ! Ce n’est pas tout : l’opinion que nous avons conceu en general du peu d’estime qu’avez faict de noz troupes, les ayant exposées à la furie de l’ennemy, a esté l’alumette qui a mis le feu de mescontentement dans noz testes, qui en fument encores ; et prenez-vous garde que de ce feu ne naisse un embrasement dans vostre estat que vous ne pourriez jamais esteindre avec toute l’eau de l’Ocean, si ce n’est avec le payement et les gages deu à noz compagnies. Qui ne croira à ceste heure que la fin de voz intentions ne visoit à rien autre sinon à espuiser nostre France de gens-d’armes pour en faire une boucherie, et vous en descharger par les mains de voz adversaires ? Pensiez-vous desarmer notre jeune monarque, affin de l’exposer aux hostilitez estrangères ? Non, vous ne rayerez jamais du livre de la memoire publique ceste croyance, que vous avez trop bien imprimée par les charactères sanglans de la deffaicte de huict cens de noz compatriotes, les marques d’une infidelité que nous pretendons sur Vostre Altesse, croyant que de guet-à-pand vous nous avez vendu à l’ennemy. Sera-il dit, le permettrez-vous, illustrissime seigneur, que la recompense de tant de genereux guerriers qui se sont employez, au prix de leur vie, à la defence de vostre estat, soit le seul mescontentement qu’ils remportent en leurs maisons ? Ce leur est oster l’esperance de jamais aller en vostre service, les faire abhorrer ce brave desir qu’ils avoient de planter voz armes victorieuses dans la citadelle de Milan, et vous rendre reellement possesseur de voz pretentions. Somme toute, ce sera nous coupper chemin de vous aller jamais favoriser par le port des armes françoises, et à Vostre Altesse la voye de jamais passer à Milan.



1. Le capitaine Picotin étoit sans doute un de ces aventuriers qui, pendant le chômage des guerres, alloient se mettre au service des petits États étrangers, notamment à celui des princes d’Italie, et leur prêtoient leurs secours mercenaires dans les querelles qu’ils avoient entre eux. Ainsi, c’est en France que l’Italie du XVIIe siècle, bien différente de ce qu’elle étoit aux époques antérieures, se recrutoit de condottieri. Les financiers italiens, alors si nombreux à Paris, se chargeoient pour l’ordinaire de ces embauchements. Malherbe nous parle d’une affaire de cette espèce que le banquier Cenami, dont il a été question dans notre tome 3, p. 174, avoit ainsi montée pour le duc de Lucques : « Sennamy (sic) ayant fait offrir à MM. de Lucques de leur mener et nourrir, durant leur guerre contre le duc de Modène, trois cents hommes de pied, ils lui ont donné commission. » (Lettre de Malherbe à Peiresc du 14 septembre 1613.) On finit par s’inquiéter à la cour de ces enrôlements, qui appauvrissoient la France de soldats. Louis XIII les défendit par les lettres-patentes du 22 septembre 1614, que nous avons déjà citées (t. 5, p. 217). C’est avant cette date que le capitaine Picotin avoit dû servir le duc de Savoie. Tout me donne à penser, en effet, que l’expédition pour laquelle il lui avoit mené sa compagnie est celle du Montferrat et de Mantoue, vers le milieu de 1613. Malherbe, dans sa lettre du 4 juin, appelle cette guerre « la chaleur du foie de M. de Savoie », sans doute parcequ’il s’y étoit jeté en affamé qui va tout dévorer ; mais, la France, l’Espagne et les Vénitiens s’étant mis de la partie, il fallut bien qu’il se calmât et fît la paix. Le renvoi des compagnies mercenaires dut suivre de près. De là la plainte du capitaine Picotin.

2. Le paysan. V. plus haut, p. 53, note, et, sur les ravages des soldats dans les campagnes, notre t. 5, p. 215, note.

3. C’est-à-dire sans semelle aux souliers, et par conséquent nu-pieds, comme les premiers chrétiens.

4. L’Escurial.

5. Ces projets d’expédition du sultan Achmet ler contre Malte n’eurent pas de suite.

6. Toute expédition contre le Turc étoit très populaire en France ; V. t. 3, p. 212. À la fin du règne de Louis XIII, ce fut un empressement général pour aller au secours de Candie, assiégée par l’armée ottomane. La chanson Allons à Candie, allons, couroit partout. Annibal Gantez, à qui Louis XIII avoit commandé une messe, ne manqua pas de faire chanter son Kyrie eleison sur l’air de la belliqueuse chanson. Il étoit sûr d’être ainsi populaire et à la mode du premier coup.

7. « Ô que trois et quatre fois heureulx sont ceulx qui plantent choulx !… car ils en ont toujours en terre ung pied ; l’aultre n’en est pas loing. » (Pantagruel, liv. 4, ch. 18.)

8. Gargantua, chap. 37, Comment Gargantua, soy peignant, faisoit tomber de ses cheveulx des boulets d’artillerie.

9. C’est-à-dire tendre une main pour demander l’aumône.