La Petite-Poste dévalisée/Lettre 51

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 213-216).


À M. Jacotin, Commis, &c.


Eh non ! mon Poulet, j’vous l’dis tout franc : c’n’est pas pour vous que l’four chauffe, vous n’aurez pas ma fille. Alle a beau faire la glorieuse & la mijaurée, alle vendra des œufs & du beurre, come sa mere. Mes voisines m’ont déja avertie qu’alle levoit les épaules lorsque j’avois queuque petite scène gaillarde avec les passans ; mais quand j’l’aurai un peu accoutumée au rogome du matin, alle fera comme une autre. Ne faudroit-il pas, mon biau mignon, que j’l’a visisse de sang froid passer dans l’marché, comme enne belle dame, avec son parapluie sur sa tête, sans songer à reconnoître sa pauve mere ? Mort non d’un diable ! c’est que j’serois eune commere à quitter mon comptoir pour aller la souffletter de main de maître. J’aime mon méquier, j’y suis connue comme Barabas. J’ai déja eu l’honneur de complimenter le Roi en propre parsonne deux fois, ni pus, ni moins qu’eune Académie. Je ne donnerois pas ces momens là, voyez-vous, pour ben d’l’argent. Agathe me ressemble, alle aura de la gueule, alle fera queuque harangue à son tour, & ça la dédommagera de reste du plaisir de se croire eun queuque z’un, quoiqu’alle ne fût pas grand’chose en vous épousant. Je vous baise les mains, Monsieur l’amoureux. Si vous v’nez encore flairer note cuisine, y a du beurre & des œufs, comme vous sçavez, j’vous ferai eune omelette sur le visage.