La Petite-Poste dévalisée/Lettre 52

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 216-219).


À Mlle Marianne chez M. ***, Procureur.


Je vous fais celle-ci pour vous dire, Mademoiselle, que ce monsieur le grand Clerc, qui vous parloit hier à l’entrée de la nuit sous la porte, m’inquiéte beaucoup. Je sçais ben que vous m’avez dit que vous sçaviez que c’étoit vote dame qui le trouvoit grand & ben-fait. C’est possible véritablement ; mais comme vote dame n’est si jeune, ni si jolie que vous, il se pourroit ben aussi que ce biau jeune homme me fît pus de tort qu’à son Procureur. Tant y a, voyez-vous, que si vous ne voulez pas changer de maison, comme je vous l’ai demandé, il faudra que je renonce au plaisir de vous épouser, ainsi que vous y comptez, comme vous me l’avez dit ; & quand je ne vous épouserois pas, ce qui seroit pus à ma propice, à cause que nous n’avons ni vous, ni moi, pas grand’chose, comme on dit, ça me seroit toujours ben dur de penser que ce monsieur peut m’enlever vot cœur ben aisément, à cause la commodité qu’il a de coucher comme vous au quatrième de la même maison. J’irai tantôt al Arsenal : je vous prie, Mameselle Marianne, de tâcher de faire ensorte de ne pas manquer de vous y trouver de demême, pour afin que vous puissiez me dire au juste ce qui en est, ou ce qui n’en est pas ; parce que, supposé que dans le cas où vous seriez de ne pus m’aimer, comme vous faisiez par ci-devant, je changerois tout de suite de quarquier, pour ne pus rencontrer ni vous, ni ce chien de Clerc, que je crois un gaillard de bon appetit, & qui me donne trop à penser.

Je suis avec ben de l’estime, Mameselle Marianne, &c.