La Petite-Poste dévalisée/Lettre 49

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 208-210).


À Madame de ***.


Non, mon amie, je ne veux pas m’en croire cette fois, & je résisterai au goût vif que j’ai pour le petit Comte que tu protéges. Pour mettre ordre au progrès qu’il faisoit sur mon imagination, je viens de m’engager à une partie de campagne, chez des gens où il n’aura aucun accès, où peut-être je m’amuserai peu, où sans doute je ne verrai que de sottes gens & des joueurs. N’importe : je ne veux point du roman qui se commençoit dans la tête de ton Céladon. Tu me connois : je ne l’aimerois pas long-tems, & il voudroit m’aimer toujours. Je suis sûre qu’il a un de ces caractères entêtés & tenaces, qu’on nomme constans & fidèles. Ces gens-là ne veulent pas quitter prise : ils mettent de l’importance & de la dignité à tous leurs sentimens ; une rupture est une affaire d’éclat. Je ne veux point de tout ce tapage là. Place ton petit Comte ailleurs, & laisse-moi tranquille. Je ne veux que des goûts, & point de passions : que cela soit dit entre nous pour cent ans.

Mon mari est furieux de la partie de campagne que j’ai acceptée. Il prend bien sa bisque pour gronder : qu’en dis-tu ?