La Petite-Poste dévalisée/Lettre 48

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 205-208).


À M. le Chevalier de ***.


Quelle misère ! quelle platitude, mon pauvre Chevalier ! Tu ne veux plus aller chez le Baron, parce que tu crains d’aimer sa femme. Eh ! mais, mon cher ami, je sçais ton histoire : ce n’est pas toi qui as pensé à l’aimer ; ta haute probité ne s’est pas compromise, ton ame peut toujours jouir de sa belle innocence : c’est la femme de ton ami, qui d’elle-même se jette à ta tête. Il n’y a rien de ta faute ; mais celle que tu projettes seroit impardonnable, & tu serois perdu dans le monde, si l’on te soupçonnoit de la pusillanimité dont tu m’as fait part. J’irai te prendre ce soir pour te conduire chez ta Baronne. Je veux moi-même te jetter à ses pieds, & tirer cette pauvre femme de l’embarras où ton silence, ta timidité & ta réserve doivent la plonger. Réfléchis donc, Chevalier, qu’elle est aimable, qu’elle t’aime, que ses yeux te l’ont dit une fois ; que si tes sots scrupules t’éloignent d’elle, ton ami n’y gagnera rien ; qu’elle ira peut-être se prendre pour quelque étourdi, qui fera son bonheur des tourmens du Baron, au-lieu qu’avec ta douce honnêteté, tu te ferois une étude de son repos. Encore un coup, il n’y a pas à balancer, l’humanité le veut, la bienséance l’exige, & l’amour l’ordonne. À ce soir, mon cher Chevalier.