La Petite-Poste dévalisée/Lettre 44

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 193-196).


Un Cuisinier à M. ***.

Monsieur,


Comme il y a eu aujourd’hui un grand dîner à l’hôtel, & que je n’ai pas pu sortir pour vous rendre réponse relativement à ce Seigneur Russe dont vous m’avez parlé, je prends la liberté de vous écrire pour vous marquer que je ne peux accepter ce qu’il me propose, à moins de quinze mille livres par an. Encore ne veux-je m’engager avec lui que pour deux ans. Dans la maison où je suis, M. le Marquis me donne dix-huit cens livres d’appointemens : à quoi il convient d’ajouter deux mille livres que je reçois du Maître-d’hôtel, pour ma moitié des droits des fournisseurs, comme Boulanger, Boucher, Épicier, &c. sans compter la répartition de la bourse commune, qui se fait entre lui & moi tous les deux mois, & qui va bien pour ma part à quatre mille livres par an. Vous voyez par ce petit détail, que ce ne seroit pas la peine de quitter Paris pour gagner environ cent louis de plus.

Si mon prix lui convient, je suis prêt à partir ; mais, encore une fois, je ne m’engage que pour deux ans. Je courrois risque, en m’absentant plus long-tems, de perdre absolument le goût François ; & vous sentez bien que ma fortune seroit ruinée.

J’exige encore que M. le Comte me permette de mettre sa cuisine sur le pié François : sans cela, il me seroit impossible de l’obliger à quelque prix que ce fût. Il est hors de doute que mes frais de voyage, pour aller & venir, me seront payés en sus du prix de mon engagement. Je vous prie, Monsieur, d’exposer toutes ces raisons à M. le Comte, & de me faire sçavoir sa réponse. Si elle est favorable, je sçais assez les procédés pour vous offrir un témoignage très-réel de ma reconnoissance.

J’ai l’honneur d’être, &c.