La Petite-Poste dévalisée/Lettre 45

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 196-201).


Monsieur *** à un jeune Avocat.


Vous voulez acheter une charge, mon ami. Vous suivez en cela l’intention de feu votre père, je le sçais : mais ne vous pressez-vous pas trop ? Si vous me consultez seulement pour me faire approuver votre dessein, mon approbation vous importe peu ; mais si vous me consultez comme votre ami, je vous dois la vérité.

L’ancienne liaison qui subsistoit entre votre pere & moi, m’a mis à même de sçavoir ce qu’il pensoit sur votre compte, & ses intentions à votre égard. En mourant, il me recommanda son fils : je lui promis de vous aimer, comme il me chérissoit lui-même. Je dois tenir ma parole en vous parlant avec cet intérêt & cette franchise qu’il auroit employé lui-même.

L’état que vous voulez embrasser est non-seulement flatteur, mais il est très-glorieux, en ce qu’il suppose, dans celui qui l’embrasse, des connoissances pénibles & peu attrayantes, l’amour de la justice, & sur-tout une probité dont il doit être assuré lui-même. Votre fortune, votre état vous permettent sans doute d’acheter une charge de Judicature. Mais votre âge ? à vingt-deux ans, êtes-vous en état de conduire vos propres affaires ? La loi présume que non, puisqu’elle vous a nommé un curateur ; & en entrant dans son sanctuaire, vous commenceriez par choquer son esprit, en vous chargeant de juger celles des autres. Non, mon ami : vous contribuerez, autant qu’il est en vous, à rendre respectable l’état que vous voulez embrasser. L’âge & l’expérience vous donneront un jour le droit de vous asseoir sur le tribunal où votre fortune & votre goût vous appellent. Attendez ce tems : alors vous jouirez, sans inquiétude, du respect & de la considération dûs à votre état. Votre ame sera affermie, vos passions moins agitables, & la réputation d’intégrité vous consolera des travaux pénibles & assidus de la Magistrature. La carrière que vous courez à présent, a des agrémens infinis ; elle est noble, libre, instructive, respectée : vous voyez vous-même que l’expérience qu’elle donne, engage quelquefois les Juges à consulter vos Confrères les plus éclairés. Lorsque vous serez dans le cas d’être consulté, vous serez digne de juger, & toutes les difficultés que je vous propose, s’applaniront pour vous. Adieu, mon ami : je sçais que vous avez l’esprit juste ; & j’espère que mes raisons ne vous paroîtront pas vaines. Si vous pouvez passer demain chez moi : nous discuterons vos intérêts & les miens, un peu plus longuement. Tâchez de venir le matin. Bon jour.