La Petite-Poste dévalisée/Lettre 43

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 187-192).


Un Nouvelliste Militaire à son Confrère.


Je demande tous les jours à tous les gens que je vois : Eh bien ! quelle nouvelle ? Et tout le monde me répond tristement, aucune. Avouez, mon cher, que la paix est une triste chose. Je ne sçais qui diable a pu fourrer dans la tête de nos Ministres, que la paix est avantageuse à l’état ? Ah ! que je pense bien différemment d’eux, en voyant tous les inconvéniens qui en résultent. Premierement, les gazettes étant fort ennuyeuses, on ne les lit plus ; & les Gazetiers perdent beaucoup. Secondement, on ne sçait plus que dire dans le monde ; & on y est assommé de nouvelles littéraires, que l’on donneroit toutes pour la nouvelle d’une seule bataille. Troisiémement, l’abondance que procure la facilité du commerce, fait augmenter le luxe, & mépriser les anciens Militaires comme nous, qui nous en moquons. Quatriémement, l’esprit de la Nation se perd dans de vaines spéculations d’Agriculture, de Commerce, de Manufactures, d’Établissemens ; que sçais je ?… Eh morbleu ! quand on est François, il faut se battre. Cinquiémement, les étrangers qui se rendent de tous côtés à Paris, font renchérir les denrées, les auberges & les chambres garnies. Ce n’est pas tout : ils nous apportent leurs préjugés, qu’il faut prendre de gré ou de force, pour peu qu’on soit curieux d’être à la mode. Sans parler des autres, voyez les Anglois : il faut aujourd’hui agir comme eux, penser comme eux, boire du punch, jouer leur maudit wisch : je ne désespère pas que la mode ne vienne de se battre à coups de poing. Ah ! que si j’étois Ministre, je mettrois bientôt ordre à tout cela ! l’ennui seul de la paix m’en dégoûteroit. Cependant vous avez vu jusqu’où a été poussée cette fureur de la paix. Il y a un homme qui a eu l’audace de proposer trois ou quatre prix pour les meilleurs discours sur les avantages de la paix. Je ne crois pas qu’on puisse plus mal employer son argent. Heureusement que les discours ne font rien à ces choses là, & que nous verrons bientôt quelque événement en Pologne. Encore, si on sçavoit positivement où en sont les affaires entre les Turcs & les Géorgiens, ou entre les Jésuites du Paraguai & les Portugais du Brésil, on prendroit patience ; mais pas le mot nulle part : en vérité cela est assommant.

À propos, on parle d’une rupture entre le Roi de Maroc & les Tunisiens. Comme je m’intéresse beaucoup pour ce Roi là, tâchez de vous procurer, s’il est possible, un état de population de son royaume, qui peut être connue au moyen des registres bien tenus des circoncisions, & apportez-le-moi. Nous calculerons ce qu’il peut mettre d’hommes sur pied, & nous combinerons ce qu’il lui faudra de campagnes pour soumettre les Tunisiens, dans l’hypothèse que le Sultan ne les protégera pas ; car, dans ce cas, il nous faudroit faire un autre calcul. Apportez aussi la carte de ce pays-là.

Tâchez de ramasser quelque chose de nouveau, car on se lasse d’entendre toujours dire : point de nouvelles.