La Petite-Poste dévalisée/Lettre 36

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 160-163).


Au Chevalier de ***.


Avec plaisir, j’accepte la partie pour demain : je me rendrai chez toi en chenille, & tu me conduiras. Je ne crois pas décent, pour une premiere visite, de me présenter habillé ; cela auroit un air de prétention que je ne me soucie point du tout d’avoir. Tu m’auras rencontré par hasard, & tu nous laisseras : le reste est mon affaire. Que t’avois-je dit ? Eh bien ! les voilà donc ces grandes passions : va, mon ami, les jolies femmes ne sont pas si dupes ; & pourquoi le seroient-elles ? Nous nous gardons bien de l’être, nous qui les valons bien, au moins. Mais, à-propos, treize jours entiers, oui treize jours ; vous êtes deux prodiges. Je crois, Dieu me pardonne, que tu as tenu bon tout ce tems-là. Çà, parlons sérieusement. J’espère que tu lui auras donné meilleure idée de moi, & que je serai le maître de finir quand je voudrai : cela ne sera pas long. Eh ! j’oubliois de t’apprendre une nouvelle, non pas surprenante, car rien ne te surprend, mais fort originale. Tu connois bien cette petite femme brune, dont le mari alloit chez ***. Eh bien ! elle m’a lorgné hier, mais cruellement. Au sortir de la Comédie, je l’ai guettée, & j’ai eu une explication : tu sens bien que ton affaire ne traînera pas en longueur. Comme j’avois beaucoup de choses dans la tête, j’ai oublié net de lui demander son nom. Il faut, mon cher, me rendre le service d’envoyer chez…, où nous avons vu son mari, & lui demander son nom que tu m’envoyeras ; je sçais sa demeure. Ah ! que notre métier devient pénible ! il y a peu d’hommes à la mode : il faudroit tâcher d’en mettre quelques-uns de plus, cela nous soulageroit beaucoup. Si cela continue, j’y renoncerai, oui j’y renoncerai. Que les femmes pestent si elles veulent ; je prendrai le parti de me soucier de leurs plaintes, comme de mes dettes. À demain, à huit pour neuf. Ladite dame sçait sans doute qu’il me faut du punch le matin. Bon soir.