La Petite-Poste dévalisée/Lettre 35

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 157-160).


À Monsieur ***.


Quelle profusion ! quel luxe ! quelle magnificence, mon cher ! Ne crois-tu pas, comme moi, avoir assisté hier aux nôces d’un des Grands de la terre ? Est-ce bien Mondor qui s’est marié ? Comment ose-t-on afficher si hautement une fortune si rapide ? Quelqu’un ignore-t-il qu’il y a quinze ans ce Mondor étoit à de très-minces appointemens ? Tu ne verras faire un usage aussi prodigue de la fortune, que de celle qui vient si vîte, & qui coûte si peu. Je remarque, en même temps, qu’avec l’orgueil insensé qui préside à ce faste, on auroit à rougir, si l’on vouloit se replier un peu sur soi-même ; car le pauvre Mondor étoit à cette fête le seul de sa tribu. Il y a sûrement à parier, à de semblables nôces, qu’on n’y aura gueres l’ennui des grands parens, ils ne sont pas bons à montrer ; la prudence les tient les plus éloignés qu’il est possible. Notre nouvel époux étoit apparemment dans ce cas là ; mais en voilà bien assez sur ce chapitre. Es-tu du lendemain ? Je n’irai point ; je suis malade, ou je veux l’être. La grosse gaieté que peint si bien de Chantre de Ververt, m’ennuye. Si tu étois aussi raisonnable que moi, tu viendrois me servir d’Apollon, pour travailler à l’épithalame du nouveau marié ; il n’y a que cela qui ait manqué à la fête. Il n’étoit pourtant pas difficile à Mondor de s’en procurer dans cette ville à juste prix. Cela me feroit soupçonner que, tout fastueux qu’il est, il pourroit être encore un vilain.

Adieu : les sots propos d’hier m’ont donné de l’humeur, comme tu vois. Au reste, tu sçais que je n’étois pas d’avis que notre parente fît ce beau mariage. On l’a voulu : la petite cousine fera comme ses égales ; elle vengera le Public des sottises de son mari. Adieu encore.