La Petite-Poste dévalisée/Lettre 28

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 138-140).


À M. Tue, Médecin.


Gardez-vous de venir, Monsieur, ma maîtresse expire. La chambre est pleine de gens qui frondent vos prognostics, & je vous avoue que je craindrois pour vous la colere de son neveu. Vous sçavez ce qu’il perd par cette mort ; & je l’entends à chaque moment s’écrier, le bourreau !… Si je le tenois !… Quoi ! m’assurer hier que ma tante alloit au mieux ! qu’il étoit inutile de lui parler de l’arrangement de ses affaires ! qu’avant deux jours elle seroit sur pié ! & la voilà morte sans avoir testé !… L’ignorant ! Peut-être moins que vous ne le croyez (lui a dit quelqu’un qui s’est trouvé là, & qui sans doute est de vos amis) ; mais on pouvoit présumer que votre tante ne choisiroit que vous pour son héritier ; & vos cousins qui vont aujourd’hui partager avec vous, sont anciennement amis du Docteur. Ne blâmons pas toujours la Médecine : votre tante étoit très-malade, il n’y avoit point de reméde à son état. Le Docteur en sçait autant qu’un autre ; mais il ne dit pas tout ce qu’il sçait : voilà le fait. Et le neveu de jurer encore plus fort. Pour moi, Monsieur, j’ai été bien aise qu’on ait défendu votre sçavoir, & qu’on ne vous ait pas laissé passer pour un mal-adroit. Je vous ai raconté fidélement ce qui s’est dit de plus essentiel sur votre compte, & je vous écris à la hâte, pour que vous ne vous exposiez pas ce soir à vous trouver au milieu du funébre cortège qui viendra l’enlever à jamais de chez elle. J’espère que vous voudrez bien me continuer toujours vos soins pour la petite maladie que vous sçavez.