La Petite-Poste dévalisée/Lettre 27

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 133-137).


Mlle Julie à Madame Bonneau.


Je me jette à vos genoux, ma bonne maman : j’ai commis une grande faute, je veux la réparer.

Oui, j’avoue que j’ai fait une folie de quitter votre maison pour suivre le Chevalier. Si vous sçaviez comme il m’a traitée, vous croiriez bien que je suis repentante d’avoir pu devenir amoureuse de lui : enfin je dois mériter un peu d’indulgence de votre part ; voilà la premiere fois que cela m’est arrivé. Je suis assez punie pour n’y pas revenir. Je me suis donc sauvée le soir avec lui. Il m’a conduite dans une chambre assez bien arrangée, dans laquelle nous avons trouvé quatre jeunes gens. J’ai voulu m’en aller ; on m’en a empêchée. J’ai été obligée de souper là. Ces jeunes gens ont trop bu ; & mon perfide Chevalier a souffert qu’on me fît toutes sortes de piéces ; enfin ils ont tiré au dé à qui passeroit la nuit avec moi. Le sort a tombé sur un vilain Conseiller de Province, qui a voulu céder son droit à mon Chevalier ; celui-ci n’a pas voulu. Jugez quel chagrin j’ai eu, moi qui avois eu la bêtise d’aimer le Chevalier. J’étois si en colere de me trouver seule avec le Conseiller, que j’ai un peu crié. L’hôte de l’hôtel est venu, a appellé le Guet, & j’ai été conduite chez le Commissaire : comme il faisoit fort crotté, j’ai un peu gâté votre robe ; mais si vous me recevez, je vous payerai bien ce qu’elle vaut, en peu de temps. J’ai été menée ensuite en prison, comme je vous conterai. Je suis sortie, & je suis disposée à rentrer chez vous, si vous voulez. Ma sœur, qui écrit ma lettre, viendra vous voir ; & si vous voulez, elle se sauvera de chez ma tante, dès que vous le voudrez. Elle n’a que treize ans ; & je suis sûre que vous trouverez sa figure très-jolie. Elle sçait lire & écrire ; ainsi elle pourra tenir votre registre. Allons, ma bonne maman, ayez pitié de nous deux ; je vous promets que dorénavant je n’aimerai plus personne. Ma petite sœur aime beaucoup l’argent, parce que ma tante lui en donne peu ; ainsi vous n’avez à craindre de sa part aucune étourderie. J’attends votre réponse avec impatience, pour aller vous rejoindre. Adressez votre lettre à mademoiselle Lolote, Cuisiniere chez madame du Regard, rue Tireboudin. On me la lira tout de suite. Je vous prierai de me laisser prendre le nom de Rosalie, en rentrant chez vous, au lieu de celui de Julie, à cause du bruit qu’a fait dans le monde mon étourderie. Adieu maman.