La Petite-Poste dévalisée/Lettre 15

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 47-49).


À Mme la Vicomtesse de ***.


Jai vu, Madame, votre ancienne amie, votre célèbre dévote ; n’en espérez rien pour la malheureuse orpheline que vous lui recommandiez. Ce cœur que la grace devroit avoir pénétré, est un cœur d’airain pour des œuvres de la nature de celles que nous lui proposons. Elle convient qu’elle est très-riche ; mais il y a tant d’autres bonnes actions à faire aujourd’hui, tant de persécutés à soutenir & à consoler, qu’elle ne peut rien pour votre protégée. J’ai eu beau peindre sa misère, & les dangers de l’abandonner, ce n’étoit point une affaire de parti ; elle a été sans pitié. Pendant notre conversation, dix Marchands sont entrés ; elle a acheté fort cher vingt superfluités que son orgueil lui fait mettre au rang des choses nécessaires.

Pourquoi l’appellez-vous encore votre amie, madame ? Avec des millions qu’elle ne peut dévorer, montrez-moi quelqu’un qu’elle ait obligé ; & vous-même, dans la situation difficile où vous a laissée votre mari ; ne sçais-je pas que vous lui cachez soigneusement tous vos besoins, plus par délicatesse pour vous-même, que par la crainte qu’elle ne veuille les soulager : convenez-en ; vous êtes bien sûre qu’elle n’en devinera jamais aucun. Puisse l’esprit de bienfaisance & d’humilité sur-tout, sans lequel il n’y a point de religion, la rendre digne un jour de votre estime & de cette vieille amitié que vous vous obstinez à garder pour elle.

J’ai l’honneur d’être, &c.