La Petite-Poste dévalisée/Lettre 11

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 36-39).


À M. Vadeboncœur, Sergent
au Régiment de ***.


Cest un diable d’homme que votre niais de cinq pieds neuf pouces que vous m’avez donné à reluquer, mon Sergent. Il ne s’enivre point ; il m’a déjà bu pour six francs de vin. Je le tiens encore à la Grand’Pinte, avec la petite Margot, qui fait bien plus d’effet sur lui que le tableau de notre métier que je lui ai croqué vingt fois. Il aime la population, que c’est un plaisir ; si bien que voyant qu’il ne mordoit pas à la grappe, j’ai dit, perçons-ly en d’un autre. Le drôle trouve la femme de not Corporal jolie ; faut qu’il l’épouse à la façon de Barbari. J’ai fait signe à Margot, elle m’a entendu ; & v’là-t-il pas qu’avec une jambe qu’elle a passée sous la table du côté du niais, il s’est trouvé tout à coup disposé à ly signer un contrat ; & nous de boire d’autant à la santé des futurs.

Ce gaillard que nous pinçames hier, a encore son habit noir : habillez-vous en ; mettez une grosse perruque sur vos quatre cheveux, & trouvez-vous sur not chemin vers les sept heures du soir. Je connoîtrai le Tabellion, je l’arrêterai ; il nous menera quelque part, pour écrire ce qui sera déjà écrit ; on lira au nigaud ce qu’on voudra, & il signera comme nous voudrons : il sera un peu las, Margot fouinera, & elle ne l’empêchera pas de dormir ; & puis le lendemain nous mettrons au côté du pauvre veuf une petite femme d’acier de deux piés & demi : s’il l’use, on lui en donnera une autre.

V’là Margot qui m’appelle : apparemment not gaillard veut se déniaiser ; & ce n’est pas moi qui dois être le dindon de l’aventure.

À sept heures, M. le Tabellion, à cent pas de barrière, la dupe est à nous.