La Petite-Poste dévalisée/Lettre 10

Nicolas-Augustin Delalain, Louis Nicolas Frantin Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 33-36).


M. de l’Empirée à son Libraire.


Je ne sçais, monsieur, où vous prenez que les ouvrages de vers ne se vendent point, tandis que ce sont des emplettes de vers qui m’ont ruiné. Parcourez, je vous prie, les talens qui sont de mode ; les héroïdes, les épîtres, les vers de toute espéce, hormis les odes, ont un succès prodigieux. Je comprends bien, comme vous dites, que l’enthousiasme passe tous les jours, parce que tout passe, & que d’ailleurs ces petits ouvrages n’ont qu’un instant ; mais, avec votre permission, pouvez-vous mettre les misères qui paroissent journellement, en parallèle avec un poëme comme le mien ? Les poëmes auront toujours d’autant plus de succès, qu’ils se multiplient très-peu ; & je ne vois pas que depuis la Henriade, il en ait paru plus de dix-sept ou dix-huit ; ce qui me fait qu’environ un tous les trois ans. Vous m’objecterez que la date de celui de Richardet est très-proche de la mienne ; mais considérez que ce n’est qu’une traduction, qu’une imitation, très-jolie, si vous le voulez ; & que d’ailleurs, la gaieté donc ce poëme est plein, le met un peu hors de la pompe du poëme épique, dont je ne me suis jamais écarté. Enfin il faut mettre des estampes & des cul-de-lampes : réunissons deux arts dans un seul ouvrage, notre succès ne sera plus douteux par cet expédient. Au reste, ne m’en faites pas honneur, c’est un ami qui me l’a proposé, c’est un homme sûr pour ces sortes de choses, & auquel vous vous confieriez sans réserve, si vous le connoissiez. Nos conditions seront toujours les mêmes, excepté que les exemplaires se vendront quarante sols de plus. Si la vente de l’ancien ouvrage a un peu été, je vous serai obligé de me remettre quelques louis. J’aurai l’honneur de vous voir demain : j’ai celui d’être, Monsieur, &c.