La Pensée et l’Action/07
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LE DÉFENSEUR DE LA PAIX,
DE LA JUSTICE ET DU PROGRÈS
L'affaire Dreyfus
C'est pendant son séjour en Angleterre[1] qu'eut lieu la première prise de position publique de Paul Langevin dans le domaine politiqué. L'affaire Dreyfus venait de prendre un tour nouveau après l'acquittement honteux du véritable coupable Esterhazy, le 11 janvier 1898. Deux jours plus tard, Zola publiait dans l'Aurore sa célèbre lettre au président de la République : J'accuse, et il était, lui aussi, condamné. A son tour Jaurès entrait dans la lutte. Son exemple entraînait de nombreux intellectuels et Charles Péguy, camarade de promotion de Langevin à l'École Normale, écrivit à celui-ci à Cambridge pour lui demander d'ajouter sa signature à une lettre de protestation dont il avait pris l'initiative. Langevin envoya aussitôt son acquiescement. La révolte que son esprit généreux éprouva devant l'acharnement de toute la réaction à accabler un innocent l'amena, quelque temps après, à donner son adhésion à la Ligue des droits de l'homme qui venait d'être créée et qui se proposait de défendre les principes de 89 et les institutions républicaines. C'est dans cette organisation qu'il mena désormais au côté d'autres savants comme Émile Borel, Jean Perrin et Jacques Hadamard, le combat pour la libération de Dreyfus et pour la révision de son procès.
A cette époque, Paul Langevin, comme la Ligue elle-même, restait en dehors des partis[2]. C'était alors l'attitude de la plupart des écrivains ou savants progressistes qui pensaient pouvoir mieux conseiller et guider les hommes d'État de la Troisième République en restant au-dessus des luttes politiques, un peu comme les sages qui, suivant la légende, auraient, par leurs avis éclairés, dirigé les sociétés antiques. L'absence d'un mouvement ouvrier uni et fort, capable d'associer les intellectuels à une puissante action de masse[3], la faiblesse des représentants français du socialisme scientifique, contribuaient à la persistance de ces illusions que les événements eux-mêmes devaient plus tard faire peu à peu disparaître.
La grève des transports de 1920
Jusqu'à la première guerre mondiale, ce fut au sein de la Ligue que se manifesta essentiellement l'activité de citoyen de Paul Langevin. Les nouvelles conquêtes de la physique étaient si passionnantes et les illusions de paix éternelle et de progrès indéfini si fortes encore, du reste, que les savants d'alors ne renonçaient que rarement aux joies de la recherche. Mais la guerre de 1914, en brisant brutalement les rêves de fraternité universelle, devait également poser avec une acuité beaucoup plus grande le problème social, Le vieux monde capitaliste n'arrivait pas à se remettre sur ses pieds et l'apparition du premier État socialiste, de l'Union Soviétique, donnait plus de force aux espoirs des masses ouvrières et des esprits progressistes du monde entier. En France notamment, les mouvements de grève se multipliaient et prenaient une ampleur inconnue jusqu'à ce jour. En 1920, pour combattre la grève des transports, l'Union Civique cherchait à transformer en briseurs de grève les élèves des établissements d'enseignement et plus particulièrement ceux des écoles techniques. La majorité des élèves de l'École de Physique et Chimie s'étant laissés prendre par la propagande de l'Union Civique, le directeur, le chimiste Albin Haller, envisagea la suspension des cours. D'autres élèves adressèrent alors une lettre de protestation à Paul Langevin, à cette époque directeur des études à l'École, pour lui demander de faire respecter leur droit aux études intellectuelles hors de toute contrainte politique.
Paul Langevin obtint d'abord que les études continuassent normalement pour ceux qui ne voulaient pas servir de briseurs de grève. Mais quelque temps après, sans le consulter, l'administration de l'École revint à son projet de licenciement et les élèves protestataires, pour donner plus de portée à leur action, firent publier leur lettre à Paul Langevin par l'Humanité, le 17 mai 1920. Le lendemain même, Paul Langevin adressait une mise au point au grand quotidien socialiste. Il y précisait qu'il n'avait pas été averti de la nouvelle décision du directeur de l'École et n'hésitait pas à la blâmer en ces termes :
"...Je crois également de mon devoir de vous donner ici mon sentiment très ferme sur la situation qui vient d'être créée aux élèves des écoles techniques par l'introduction de conflits clans lesquels ces jeunes gens se trouvent obligés de prendre position de manière prématurée. Ils ne connaissent encore rien de ce monde du travail industriel où ils doivent entrer et où leur attitude actuelle peut leur créer plus tard de grosses difficultés. Notre devoir serait de ne pas permettre que des écoles soient détournées de leur activité normale..."
L'ACTION POUR L'AMNISTIE
A la même époque, le sort des marins de la mer Noire qui avaient refusé de combattre — dans une guerre d'ailleurs illégale — la jeune révolution soviétique et qui avaient encouru, pour cet acte courageux, les plus lourdes condamnations, soulevait l'indignation de tous les milieux progressistes. Dans sa campagne pour l'amnistie, l'Humanité s'adressa aux intellectuels. Paul Langevin lui envoya aussitôt la belle réponse suivante :
Lettre à L'Humanité en faveur de l'amnistie (6 décembre 1920)
"Je regrette qu'il faille affirmer publiquement que la plus large amnistie est juste et nécessaire à la paix intérieure. Déjà trop longtemps différée, elle s'impose aujourd'hui d'autant plus que les oppositions les plus violentes ont pris un caractère politique. Il serait sage, dans l'intérêt de tous, d'en finir avec cette question et de ne pas la laisser s'envenimer davantage. Le cas d'André Marty a pris une importance particulière. Le passé de cet homme est le plus sûr garant qu'il n'a pu commettre aucun crime justifiant la mesure exceptionnelle dont il a été l'objet parmi tous ceux qui furent victimes de la déplorable expédition de la mer Noire. Sans le connaître personnellement, ce que je sais de lui m'oblige à croire que ses actes ont été déterminés exclusivement par une conception élevée de son devoir civique. Pourquoi l'opinion n'est-elle pas encore éclairée par la publication intégrale des pièces de son procès ? Aucune raison de droit ou d'autorité ne peut s'imposer à ce qu'une saine lumière vienne faire disparaître cette cause d'irritation publique. Quelques mois plus tard, après avoir étudié avec un soin scrupuleux tous les documents du. procès, Paul Langevin acceptait de présider, salle Wagram, le meeting pour la libération d'André Marty. Il devait y retrouver, entre autres, Ferdinand Buisson, président de la Ligue des droits de l'homme, le professeur Auguste Prenant, père de Marcel Prenant, et enfin, Daniel Renoult qui représentait le jeune parti communiste. C'était son premier contact politique avec un vaste auditoire populaire, sa première prise de position publique en faveur de la révolution russe, son premier lien avec ce grand parti marxiste français qui venait de naître au Congrès de Tours et qui devait désormais jouer un si grand rôle dans son existence. Mais c'était aussi Une rupture définitive avec toute une classe qui ne devait jamais lui pardonner sa constante fidélité à ses origines populaires et qui lui témoignait immédiatement sa colère en essayant, par l'intervention de l'amiral Schwerer, de le faire chasser du jury d'examen d'entrée à l'École Navale."
INTERVENTION AU MEETING DE WAGRAM (1921)
Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/278 Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/279 (...) Pour comprendre et pour juger leur acte, nous devons faire cet effort d'intelligence dont je parlais tout à l'heure. Il faut connaître, comme j'en ai eu personnellement l'occasion[4], cet admirable personnel de la marine, pour savoir quelle intelligence et quel dévouement il apporte, à tous les degrés de la hiérarchie, dans l'exécution d'ordres qu'il est toujours prêt à comprendre, sous des chefs qu'il est toujours prêt à aimer. Vous savez ce qu'a été, pendant la guerre, leur vie de fatigues et de dangers supportés jusqu'à la fin sans un jour de faiblesse. Trois mois après l'armistice, alors qu'ils pouvaient considérer l'oeuvre surhumaine comme accomplie, au lieu de revenir au pays, comme leurs camarades des tranchées, ils partent vers l'Orient dans des conditions matérielles particulièrement dures, de l'aveu même de leurs chefs dont la bienveillance leur est toute acquise. La révolte des marins de la mer Noire est due, affirme M. le vice-amiral Amet, commandant en chef de l'Armée navale de la mer Noire, ci l'épuisement moral et physique dans lequel ils se trouvaient après avoir accompli, dans des conditions particulièrement pénibles et dangereuses, l'oeuvre la plus belle et la plus formidable de cette guerre; mais ne sait-on pas, d'après le rapport de M. le contre-amiral Barthès, chargé de l'en quête sur les événements de la mer Noire, que cet épuisement même provenait de la nourriture insuffisante, mal préparée, du manque de vêtements par des froids d'au moins 15 degrés, de la suppression des permissions, certains n'y étant pas allés depuis 36 mois, du long retard sinon de l'absence totale du courrier de France (Petit Marseillais, 30 sept. 1919). Les conditions morales étaient pires encore. La guerre était finie, et aucune raison légale ne pouvait être invoquée pour les envoyer com-battre un pays dans lequel se passaient des événements mal connus qui apparaissaient à beaucoup d'entre eux comme l'aube voilée et d'autant plus belle peut-être d'un jour nouveau si longtemps attendu. Qui de nous ne se rappelle les émotions du début de la révolution russe, cette première réalisation des espoirs de libération universelle, pour laquelle tant de jeunes hommes avaient déjà librement et presque joyeusement consenti à mourir, ce premier écroulement de despotisme politique, grâce auquel nous vint, un mois plus tard, la joie de l'aide américaine, efficace et définitive ? Nos marins sentaient cela, et leur répugnance à servir dans de telles conditions est soeur de l'élan qui nous a valu la victoire, de l'invisible discipline intelligente de ceux qui allaient ou qui croyaient aller mourir pour la libération du monde et la fin des conflits barbares. Il n'est pas facile de constituer et de maintenir une force inconsciente et brutale dans une société où un peu de lumière a commencé à pénétrer. La même raison qui a fait notre force intelligente pendant une guerre légale et consentie, a fait notre faiblesse en mer Noire. Il faut en prendre son parti, et qui accepte l'une doitcomprendre l'autre et se rendre compte que les éléments humains, les meilleurs de la nation, ceux qui savent souffrir et au besoin mourir pour une idée, sont intervenus le plus efficacement d'un côté comme de l'autre, que matériellement et moralement, les marins de la mer Noire sont les frères de nos morts vénérés.
Je sais, en disant cela, ne pas manquer au respect que nous devons à ceux-ci, et j'en veux trouver la preuve en examinant, à titre d'exemple, et pour démontrer la valeur morale et technique des hommes qui attendent actuellement un geste de pardon et de pitié, le cas particulier du plus élevé en grade et du plus durement frappé d'entre eux, le mécanicien principal André Marty. Marty eut de bonne heure la vocation du métier de marin. Après avoir brillamment conquis son diplôme de bachelier au collège de Perpignan, et ne pouvant entrer à l'École Navale dont il avait dépassé la limite d'âge, il voulut rejoindre la marine comme mécanicien. Il se met, dans ce but, au travail manuel, apprend la chaudronnerie et, devenu bon ouvrier, s'engage en 1908 dans la flotte comme matelot mécanicien; il sort facilement le premier de l'École de Toulon, puis se présente à un concours difficile, celui d'élève officier mécanicien, dont la plupart des candidats sortent des Écoles d'Arts et Métiers; il est reçu premier avec 50 points d'avance sur le suivant. Embarqué, il part en Indochine où il sert pendant 18 mois, remet en état les machines des torpilleurs Mousquet et Pistolet, auxquels il rend leur valeur combative, puis collabore au tracé de la carte du fleuve Mékong, étant chargé du lever hydrographique de la carte de fond et des calculs de triangulation. Il reçoit pour ce travail les félicitations du Commandant général de la marine d'Indochine. Il contribue ensuite au sauvetage du torpilleur Tabou (1911) échoué dans la baie d'Along; il s'offre comme volontaire scaphandrier et travaille en dirigeant son équipe pendant 65 minutes par 15 mètres de fond, il remonte exténué pour recevoir l'accolade de son commandant. Chargé, en passant, de l'approvisionnement de milliers de tonnes de charbon pour une escadrille de torpilleurs, il fait coffrer un fournisseur qui cherchait à tromper et lui offrait un pot-de-vin (il y avait déjà des mercantis, mais on les coffrait). La guerre trouve Marty en juillet 1914 sur le cuirassé Mirabeau, où il est chargé du service de sécurité du bâtiment et de la surveillance des mécanismes compliqués servant à l'assurer. Le 8 décembre 1915, il embarque sur le torpilleur Cimeterre et mène en Adriatique la vie infernale d'escorte des convois et de chasse aux sous-marins. Le torpilleur s'échoue sur les rochers de Brindisi. Pendant huit jours consécutifs, dormant deux ou trois heures par nuit, Marty travaille et réussit à sauver le bâtiment. Voici ce que dit à ce sujet le second maître mécanicien Jaliu dans une lettre écrite aux frères de Marty : On pourrait peut-être retrouver le Lieutenant de vaisseau qui commandait le Cimeterre, lors-que celui-ci s'est coulé en sortant de Brindisi, le dimanche 23 janvier 1916. Il a vu à l'oeuvre lors de cet accident, Marty qui a su donner à tous l'exemple du courage et de l'endurance, car ce n'est qu'après 36 heures de travail consécutif et après plusieurs ordres du Commandant que votre frère a consenti à prendre un peu de repos. Il était exténué. C'est lui encore qui, alors que l'eau envahissait la chaufferie arrière allumée est resté avec le plus grand sang-froid pour faire les manoeuvres nécessaires en pareil cas. Quand il quitta la chaufferie, il avait de l'eau jusqu'au ventre. Il nous fit tous monter et sortit le dernier. A une demande de récompense on répondit que tout le monde avait fait son devoir, sans quoi le premier-maître Marty aurait dû être le premier cité.
Nommé mécanicien principal, il embarque sur le Protée, le 1" septembre 1917. En donnant le projet complet d'un réchauffeur sur lequel il bûchait depuis un an et demi, il permet de porter à 27 noeuds la vitesse du bateau primitivement inférieure à 23 noeuds. Des dix officiers mécaniciens de la flotte des torpilleurs, Marty est encore classé le premier et reçoit, le 6 février 1919, un témoignage officiel de satisfaction du ministre. Le Moniteur Officiel de la Flotte du 11 janvier 1919 publie cette citation à l'ordre de l'armée navale :
La division des flottilles de l'Adriatique, pendant plus de trois ans dans le voisinage de l'ennemi, toujours en alerte, a conservé jusqu'au dernier jour son ardeur et son esprit d'offensive, malgré des pertes s'élevant au quart de son effectif de torpilleurs et à la moitié de son effectif de sous-marins. S'est particulièrement distingué dans les opérations qui ont abouti au sauvetage de l'armée serbe en 1916.
Au milieu des fatigues de ces croisières en Adriatique, Marty, qui travaille avec ses équipes comme un marin, trouve moyen, la nuit d'écrire des études originales sur des matières techniques, l'usure des condenseurs et des turbines, la meilleure utilisation de l'huile lourde dans la chauffe. Atteint à la fin de la guerre d'une forte grippe infectieuse avec congestion pulmonaire et crachements de sang, Marty resta quarante jours dans un hôpital de Naples et refusa de prendre les trente jours de convalescence auxquels il avait droit. Il répondait ainsi aux reproches de son frère : Que veux-tu, j'avais réparé les machines et ne pouvais laisser à un autre la responsabilité de la direction. Surtout nous trouvant dans un endroit particulièrement dangereux, le champ de mines des Dardanelles.
Ce que nous venons d'apprendre sur sa vie de marin, justifie entièrement les appréciations élogieuses envoyées par ses maîtres, ses chefs et ses amis quand ils eurent appris son malheur. Son caractère nous apparaît comme d'une élévation rare, éclairé par la lumière intérieure de l'amour du travail, des idées et des hommes. Voici ce que dit M. Prat, docteur ès lettres, professeur de philosophie au collège de Perpignan :
Il ne m'appartient pas d'apprécier les actes pour lesquels André Marty, mon ancien et malheureux élève a été si sévèrement condamné. Je n'ai pu avoir sur cette triste affaire que des renseignements très vagues et très incomplets. Mais je connais bien André Marty. J'ai toujours eu pour lui la plus affectueuse estime. Il a été dans ma classe non seulement un élève irréprochable, intelligent, appliqué, consciencieux, il était de plus une belle nature morale, généreuse, désintéressée. Il était aimé de ses camarades et de ses professeurs. Je n'arrive pas à me persuader qu'un homme comme André Marty qui représentait une valeur sociale, qui était un homme de devoir dans toute l'acception du terme, ait pu commettre un crime contre la Patrie.
Voici l'opinion de M. Debelmas, ancien professeur de sciences d'André Marty, ancien principal du collège de Perpignan : J'ai toujours estimé André pour ses grandes qualités. Il a été mon élève, j'ai eu avec lui de longues conversations, et nous avons entretenu une correspondance presque ininterrompue pendant de longues années. Je sais ce qu'il vaut; ses paroles comme ses écrits étaient toujours inspirés par le plus pur sentiment du devoir et je le crois absolument incapable de commettre une action contraire à l'honneur.
Voici enfin, pour achever de le peindre, un extrait d'une lettre que Marty lui-même écrivait au moment où il fut promu officier : Je suis enfin chef et je puis appliquer mes principes sur mes hommes; ailleurs c'était impossible. Par tous les moyens, je les ai favorisés, j'ai adouci leur sort, éclairé leur intelligence. Ce sont des hommes d'élite. Voilà l'armée démocratique.
Et j'ajoute : Citoyens, voilà le chef et voilà les hommes pour qui nous demandons aujourd'hui un geste de justice humaine. Encore mal remis de sa maladie récente, Marty apprend à son arrivée en mer Noire la mort de son père et d'une grand-mère qu'il aimait tendrement. Quelques semaines plus tard, dans des conditions que nous connaissons mal, et sans que la défense ait même fait état de son admirable passé, sans qu'aucun témoin à décharge ait pu intervenir, André Marty était condamné par le conseil de guerre réuni le 4 juillet 1919 à Constantinople, sur le Condorcet, à la dégradation militaire, à vingt ans de travaux forcés et à vingt ans d'interdiction de séjour, sous l'inculpation:
1° D'avoir voulu former un complot contre l'autorité du commandant de son bâtiment, en vue de rentrer en France;
2° D'avoir excité les marins à rentrer en France.
Il y a un an de cela, et Marty est actuellement à Nîmes, soumis à l'horrible régime des maisons centrales, privé de toute liberté, non seulement matérielle, mais intellectuelle et morale, puisque toute lecture même lui est interdite. Une disposition votée par la commission de législation laisse au Président de la République le soin d'étendre par voie de grâce les limites de l'amnistie prochaine. Puisse le premier magistrat du pays ouvrir largement ses mains pour le pardon ! Vers lui nous nous tournons pour lui dire: Monsieur le Président, au pays qui a besoin de leur force et de l'apaisement que lui apportera votre geste de justice, à vous-même aussi et aux traditions de votre famille, vous devez d'amnistier tous les marins de la mer Noire. Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/282
PREMIERS COMBATS POUR LA PAIX
EINSTEIN A PARIS
LANGEVIN A BERLIN
Cependant de nouveaux périls commençaient à menacer la paix. Par haine de la démocratie, les réactionnaires français refusaient aux républicains allemands l'appui qu'ils devaient accorder si facilement à Hitler quelques années plus tard. Dans le domaine scientifique, Langevin lutte de toutes ses forces poile combattre les méfaits d'un chauvinisme qui cache sous un voile faussement patriotique les plus sordides intérêts de classe. En 1922, il réussit à faire inviter son ami, le physicien allemand Einstein, par le Collège de France, pour qu'il y expose ses dernières découvertes. Albert Einstein n'était pas seulement un grand physicien[5]. C'était aussi un démocrate sincère et courageux. Passé en Suisse en 1914, il avait refusé de s'associer à l'odieux manifeste des 93 intellectuels allemands qui s'étaient déclarés solidaires du pangermanisme et avait signé, par contre, le contre-manifeste que d'autres intellectuels allemands, plus rares, publièrent — toujours pendant la guerre — contre les excès du militarisme.
Au point de vue politique également la position d'Einstein présente des contradictions. Son pacifisme sincère et courageux qui lui valut bien souvent la haine des bellicistes américains, n'est pas exempt de certaines illusions.
Revenu à Berlin après 1918, il se trouvait eu butte, malgré son génie, à l'hostilité des nationalistes d'outre-Rhin. Mais les chauvins français de l'époque voyaient sur-tout en lui un Juif et un intellectuel progressiste, ami de Rathenau[6]. Ils essayèrent par tous les moyens[7] d'empêcher sa venue à Paris. Einstein vint cependant. C'était une victoire pour Langevin et les démocrates français qui avaient soutenu son effort, mais c'était aussi pour Einstein un geste lourd de conséquences. Quelques années plus tard, Paul Langevin rendait hommage au courage qu'avait montré son ami dans ces circonstances[8].
A côté de la bonté, il a le courage, disais-je. Vous savez quelle a été son attitude pendant la guerre, attitude qui lui a valu, dans l'Allemagne qu'il habitait, où il était professeur depuis peu de temps, bien des hostilités, bien des difficultés. Le fait même qu'en 1922 il soit venu en France, lui a valu de nouvelles animosités. Au cours des années qui ont suivi la guerre et que l'Allemagne a passées dans un état de grand bouleversement, il a été un des plus visés, un des plus exposés à ces violences qui se sont manifestées, par exemple, par le meurtre d'un homme à qui je ne puis m'empêcher de penser à propos d'Einstein : Rathenau, un Juif lui aussi, de grande valeur intellectuelle et de grand courage. Lorsque Einstein, en 1922; reçut l'invitation du Collège de France, c'est Rathenau, alors ministre et qui devait peu de temps après être victime de son courage, qui lui a conseillé de venir à Paris. A ce moment, en effet, j'ai reçu à deux jours d'intervalle deux lettres d'Einstein : la première me disant qu'il ne croyait pas pouvoir accepter l'invitation qui lui était faite de venir en France, et la deuxième le lendemain commençant par ceci : Rathenau m'a dit que c'était mon devoir d'accepter, et j'accepte. Il est donc venu à Paris : vous savez les difficultés auxquelles il fut ensuite exposé pour avoir accompli ce qui était bien alors un acte de courage; il a dû accepter temporairement une situation à l'Université de Leyde, non seule-ment en raison de la misère dans laquelle il était tombé en un temps où les marks qu'il touchait pour son traitement de, professeur n'avaient plus aucune valeur, mais aussi parce qu'on n'était pas très certain qu'il n'y eût pas danger pour lui à rester en Allemagne. Depuis cette époque, ses conceptions pacifistes sont demeurées très entières et il ne craint pas de les affirmer chaque fois qu'il le juge utile.
En invitant Einstein à Paris, Langevin ne voulait pas seulement rendre hommage au physicien génial, il voulait aussi tendre une main fraternelle au courageux démocrate qui, en pleine guerre, s'était levé contre les crimes du militarisme allemand. C'est dans un même désir de soutenir les vrais républicains d'outre-Rhin que Langevin ne craignit pas peu après de se rendre à Berlin. Nationalistes allemands et français firent chorus pour feindre, des deux côtés de la frontière, une patriotique indignation et le préfet de police de Berlin interdit au savant français de prendre la parole. Paul Langevin tourna, d'ailleurs, cette interdiction en faisant lire, en sa présence, la traduction de son allocution dans les diverses réunions où il était invité... Vingt ans après, les fascistes allemands et les « nationalistes » français devenus leurs valets devaient essayer de prendre leur revanche. Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/285 Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/286 Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/287 Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/288 Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/289 Page:Langevin - La Pensée et l'action, 1950.djvu/290
AUX COTES DU GRAND PARTI DE LA CLASSE OUVRIERE
LE MOUVEMENT AMSTERDAM-PLEYEL
Quand il faisait venir Einstein à Paris, quand il allait lui-même à Berlin, et aussi quand il prenait la défense d'André Marty, Langevin agissait encore comme les grands intellectuels progressistes du début du siècle; il accomplissait courageusement ce qui lui paraissait nécessaire pour la défense de la justice et de la paix, mais, la Ligue mise à part, il agissait généralement seul, en dehors des groupements et des partis. Devant la montée grandissante du fascisme dans le monde et sous diverses influences que nous avons déjà étudiées à propos de son évolution du rationalisme traditionnel vers le matérialisme dialectique, son action devait bientôt prendre un caractère à la fois plus systématique et moins individuel, et le grand parti de la classe ouvrière, le parti communiste était appelé à jouer un rôle de plus en plus important dans sa vie de citoyen. Paul Langevin n'y adhère pas encore, si son gendre Jacques Solomon, sa fille Hélène Solomon-Langevin, et l'une de ses brus, Mme Luce Langevin en font déjà partie, mais il appuie de toute son autorité morale ses initiatives pour la défense de la paix et de la liberté. En 1932, à la veille de la prise du pouvoir par Hitler, il est invité, en tant que président de la Société française de Pédagogie, au Congrès des Instituteurs qui a lieu à Clermont-Ferrand. Il y dénonce publiquement l'impuissance de la Société des Nations en face de la guerre menaçante et met à nu l'insuffisance des mesures qu'elle propose. C'est aux peuples eux-mêmes qu'il entend faire appel pour éviter de nouvelles catastrophes : "J'ai encore, pour ma part, assez de confiance dans le bon sens et dans la volonté de vivre des hommes, pour les croire capables de réagir devant la vision stimulante des faits", écrit-il, à ce propos, au président Édouard Herriot dans une réponse à une lettre où celui-ci protestait contre les critiques avait faites au sujet de la Conférence de Genève. En cette même année 1932 s'était réuni à Amsterdam, sous l'égide de Romain Rolland et d' Henri Barbusse, un premier Congrès international contre le fascisme et la guerre. Après la prise du pouvoir par Hitler, un deuxième rassemblement, groupant des milliers de délégués de tous les pays, se tint en 1933 à Pleyel et y décida la création d'un Comité mondial permanent. Le mouvement d'Amsterdam-Pleyel était né. En face de la catastrophe imminente, Paul Langevin, qui sentait de plus en plus profondément la nécessité de remplacer les protestations isolées par des actions de masses unissant tous les hommes de bonne volonté, accepta de devenir président du Comité mondial aux côtés d'Henri Barbusse et de Romain Rolland. Il s'acquitta de ses fonctions avec un dévouement sans bornes, trouvant toujours le temps malgré toutes ses occupations de multiplier les démarches à Genève ou auprès des gouvernements intéressés. Mais l'action de Paul Langevin, dans cette période tendue qui va de 1932 à 1939, ne se limite pas à cette présidence. Il fut l'un des animateurs de la campagne en faveur de Georgi Dimitrov, l'un des membres les plus actifs du Comité Thaelmann, l'un des animateurs aussi de ce Front Populaire, où se réalisait enfin, malgré les défauts qui finirent par ruiner l'oeuvre, cette large union des forces prolétariennes et des autres forces laborieuses qu'il avait toujours souhaitée. Il joua un rôle extrêmement actif aux séances du Comité de Vigilance des Intellectuels dont il était l'un des présidents, et lorsque Munich vint y amener une tragique division, il y mena le combat contre ceux qui, comme Challaye et Emery, préparaient, sous prétexte de « pacifisme intégral », leur future collaboration avec l'envahisseur et leur future trahison de la patrie et de l'humanité. De cette activité prodigieuse, de nombreux textes parus dans "Front Mondial", dans "Clarté", dans "Paix et Liberté", dans "Vigilance", dans "la Vie Ouvrière" et dans bien d'autres périodiques progressistes, sont le témoignage. Les pages ci-après en contiennent quelques-uns choisis parmi les plus significatifs.
HOMMAGE A ROMAIN ROLLAND[9]
"Au nom du Comité mondial de lutte contre la guerre et le fascisme, que Romain Rolland a tant contribué à créer avec Barbusse, dont il est actuellement le président d'honneur et qu'il n'a cessé d'animer, au nom également du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, je viens apporter au grand citoyen du monde l'hommage de notre reconnaissance et de notre affectueuse admiration. Privés, par son état de santé, du contact personnel que nous aimerions tant; nous nous sentons cependant toujours proches de lui par le coeur et par la pensée, grâce à la grande voix qu'il nous fait entendre par delà les montagnes et à son constant labeur d'écrivain, d'artiste et de penseur. Sans avoir eu de relations personnelles avec lui, ni pouvoir m'honorer de son amitié, je me suis trouvé en communion constante, en résonance avec lui, depuis, ma jeunesse, depuis ma sortie de l'École Normale, au moment où commençait l'affaire Dreyfus qui a exercé, sur nous tous, une si profonde influence et nous a fait comprendre le devoir de ne pas séparer, comme Romain Rolland le dit lui-même, la pensée de l'action, le devoir de mettre notre art ou notre science au service de la justice et de la vie. Il était sorti lui-même, huit ans avant moi, de cette École Normale, dont je crois bien être le seul représentant parmi ceux qui prennent la parole ce soir et au nom de, laquelle, je suis heureux de lui dire qu'elle est fière de lui. Je ne l'y ai pas connu, mais j'ai bien vite aimé son art et sa pensée, que j'ai connus par l'intermédiaire des "Cahiers de la Quinzaine" de Péguy où l'humanité profonde de Beethoven et de son Michel-Ange, puis de la série de Jean-Christophe, m'a révélé des aspects nouveaux de la vie et frappé par une connaissance exceptionnelle de l'âme et de la culture allemandes. C'est cette connaissance qui permet à Romain Rolland de comprendre mieux qu'aucun d'entre nous, ce qui se passe en ce moment dans le pauvre et grand pays voisin et lui donne, plus qu'à tout autre, le droit d'en parler. Cette connaissance lui a permis de comprendre immédiatement, en 1914, le drame de la guerre et explique l'horreur qu'il en a éprouvée. Il y a vu, plus vite et mieux que personne, l'aboutissement et le déchaînement des intérêts économiques et des impérialismes, des égoïsmes individuels et collectifs. Au lendemain de la grande tuerie, il a conçu et propagé d'espoir d'en finir avec la violence et de réaliser la justice dans les relations entre les nations, comme entre les hommes, en faisant appel à la volonté de tous pour créer la paix, condition primordiale de la justice, puisque toute l'expérience humaine nous montre que la violence et la guerre ne peuvent engendrer que l'injustice. « Paix d'abord », c'est la formule qui a inspiré à notre grand Barbusse et à Romain Rolland, l'initiative du mouvement d'Amsterdam, devenu le mouvement mondial contre la guerre et le fascisme, formes conjuguées de toutes les violences et de toutes les régressions. Jusqu'il y a trois ans, nous avons pu croire à l'efficacité des appels individuels aux sentiments humains et à l'horreur de la guerre, puis nous avons assisté au développement dangereux de la régression fasciste, suprême convulsion d'un capitalisme expirant et nous avons senti ici même, toute la gravité de la menace qu'il représente, menace d'oppression et menace de guerre, puisqu'il a déchaîné la guerre actuelle en Afrique et prépare en Europe et en Extrême-Orient une agression contre le grand espoir que représente pour l'humanité la construction soviétique. Comme Rolland, et en grande partie grâce à lui, nous avons compris que la paix ne peut résulter que de la création d'une solidarité internationale rendue plus étroite et plus nécessaire par le rapprochement des nations qu'a réalisé le progrès technique; la paix troublée en un point du monde est aujourd'hui une menace de guerre pour le monde entier. La paix est vraiment devenue indivisible. Le danger est trop grand pour que nous ayons le temps de faire appel à la volonté individuelle des hommes. Les nations doivent affirmer leur désir de paix en souscrivant à des engagements collectifs ouverts à tous. Leur acceptation est aujourd'hui la véritable épreuve à laquelle se reconnaît la volonté de paix. Paix d'abord, puis désarmement et redressement des injustices dont souffre le monde. On ne discute pas avec des armes sur la table. C'est là notre espoir, c'est la tâche à laquelle nous ne faillirons pas, ô notre grand et cher Romain Rolland."
L'UNION NECESSAIRE
article pour un premier mai
Publié par La Vie ouvrière, le 1er mai 1937.
"Il s'impose de plus en plus, à notre esprit et dans les faits, que la fête du travail doit unir et unit de plus en plus tous ceux qui, manuels ou intellectuels, mettent leur confiance et leur espoir dans la possibilité de construire pour tous les hommes, un avenir meilleur de liberté, de justice et de paix. Je voudrais dire ici, très brièvement, à l'occasion du 1 Mai prochain, les raisons qui justifient cette foi commune et qui exigent cet effort commun. Il est certain, tout d'abord, que les diverses formes d'activité du corps et de l'esprit, que les disciplines de la pensée et de l'action de la science et de la technique, après être restées pendant des siècles trop séparées les unes des autres, se rejoignent aujourd'hui et s'unissent toujours davantage pour une fécondation réciproque qui doit permettre la libération matérielle et spirituelle, l'enrichissement de la vie pour tous. De là une solidarité entre tous les travailleurs, un intérêt commun à tous, qui se confond avec l'intérêt profond de notre espèce. De même que la libération matérielle, condition préalable de toute libération, est rendue possible par la mise en oeuvre des moyens d'action toujours plus puissants donnés par la science, le développement de celle-ci n'est possible que grâce aux moyens matériels mis à sa disposition par la technique et surtout grâce à un large recrutement de son personnel, à la mise en valeur de toutes les aptitudes, de toutes les richesses intellectuelles humaines par la diffusion de la culture et l'égalité de tous devant l'instruction. Non seulement la science, mais la technique elle-même à tous ses degrés et dans-tous ses domaines, exige une formation intellectuelle toujours plus élevée du travailleur : la fécondation du geste par la pensée, de la faculté d'agir par le souci de comprendre est commune à toutes les formes de l'activité humaine; c'est elle qui est à la base et qui constitue l'essentiel de ce mouvement stakhanoviste si chargé d'espérance et si souvent mal compris chez nous. Indépendamment du devoir humain qu'a la collectivité d'ouvrir à tous les joies de l'esprit, les raisons précédentes montrent l'intérêt supérieur d'une liaison constamment maintenue, d'une constante diffusion vers tous des vérités conquises ou des oeuvres créées par ceux qui ont le privilège de vivre dans la haute et pure atmosphère de la recherche scientifique, de l'invention littéraire ou artistique. La fermeture de l'esprit sur lui-même, les tentations de la science pour la science et de l'art pour l'art représentent autant de dangers pour l'avenir de l'espèce, par formation de castes ou de groupes, enkystés chacun dans une carapace générale-ment artificielle et verbale, incapables bientôt de se comprendre entre eux ou de communiquer avec le reste des hommes et destinés à disparaître. La source de toute inspiration véritable est dans la communion entre tous les hommes; l'expérience montre que celle-ci est non seulement nécessaire, mais toujours possible — aucune vérité n'a de sens humain ni de valeur humaine si elle n'est transmissible à tous les hommes; la soif de tous pour s'instruire en est la manifestation la plus haute, la plus instructive et la plus impérieuse à la fois. Une autre preuve de l'étroite solidarité qui lie tous les travailleurs, toutes les formes manuelles et spirituelles de l'activité humaine est que, autant leur union est nécessaire pour leur libération commune autant leur sont communs les dangers d'oppression qui les menacent et qui s'affirment aujourd'hui dans le fascisme de manière particulièrement aiguë. Liberté d'action et liberté de pensée ont les mêmes ennemis. Ceux-ci ont compris qu'on ne peut maintenir sous le joug les travailleurs manuels qu'en arrêtant le travail de la pensée, en détruisant les oeuvres de l'esprit, en proscrivant la culture sous toutes ses formes, de science, de littérature ou d'art. Le maintien d'une domination matérielle est solidaire du maintien d'une domination spirituelle, combattre l'une n'est pas possible sans combattre l'autre en même temps. Un autre aspect du devoir qui s'impose aux travailleurs intellectuels de se tenir en liaison étroite avec l'activité générale des hommes est que les oeuvres de l'esprit, libératrice par les moyens d'action et la culture qu'elle donnent, peuvent si elles sont mal utilisées, fournir des moyens d'oppression et de destruction particulièrement efficaces et dangereux. Tout nous montre en ce moment que le devoir de tous ceux qui s'efforcent de créer ou de développer ces moyens d'action est de veiller à l'usage qu'en font les hommes et de s'intéresser d'au-tant plus aux grands, problèmes généraux qu'il est davantage en leur pouvoir de les compromettre malgré eux. Toujours plus nombreux heureusement, sont ceux qui comprennent le caractère essentiel de la situation dans laquelle se trouvent actuellement les sociétés humaines, les causes profondes de la crise qu'elles traversent. L'ensemble de nos institutions, ce qui constitue la justice sous toutes ses formes, individuelle, sociale ou internationale, évolue lentement et s'adapte avec peine aux conditions sans cesse changeantes de la vie et en particulier au bouleversement récemment introduit par la science dans les moyens d'action dont disposent les hommes pour produire, pour construire et pour détruire. Plus que jamais dans l'histoire humaine on peut dire que la science est en avance sur la Justice dans tous les domaines, aussi bien en ce qui concerne les relations des individus entre eux que des individus avec le groupe ou des groupes entre eux. La science pose constamment à la justice de nouveaux problèmes que celle-ci, lente dans ses démarches, ne sait pas ou ne peut pas résoudre assez vite contre des intérêts coalisés et opposés à l'intérêt général. Ne pouvant arrêter la science, il nous faut promouvoir la justice, réaliser l'adaptation nécessaire de cette chose vivante comme la raison elle-même. De cette nécessité, l'intellectuel plus que tout autre a le devoir de ne pas se désintéresser. Nombreux sont ceux qui commencent à comprendre que la science, sous toutes ses formes, doit tendre la main à la justice pour l'aider à franchir les obstacles qui les séparent. La communion de tous, manuels et intellectuels dans la célébration de la fête du travail est le symbole de cette action nécessaire."
DEFENSE DE LA PAIX ET DE LA LIBERTE
Article publié par Clarté, n° 23, juillet 1938.
"Il ne faut pas, dans l'intérêt même de la paix, que l'horreur de la violence, commune à tous les hommes de bonne volonté, puisse prévaloir sur l'amour de la justice et de la liberté, sur les sentiments nécessaires de solidarité humaine envers les héroïques et toujours plus nombreuses victimes du fascisme international. Je crois qu'on n'insistera jamais trop, dans la période critique où nous sommes, sur la liaison profonde qui existe entre la défense de la paix et celle de la liberté, sur l'impossibilité de les séparer dans notre pensée comme dans notre action. Il est d'élémentaire bon sens, et d'ailleurs confirmé par l'histoire, que s'incliner devant la force ne peut conduire qu'au règne toujours plus brutal de la force; chacune des journées tragiques où nous vivons nous en apporterait la preuve, s'il était encore nécessaire. De là vient le danger d'une attitude, dite de pacifisme intégral, qui, d'origine intellectuelle, comme.en témoigne le bel article de René Maublanc dans le dernier numéro de cette revue, menace de gagner en profondeur, et a certainement influé récemment sur l'attitude des gouvernements démocratiques pour déterminer, ou tout au moins pour justifier, la politique dite de non-intervention. Il apparaît chaque jour plus évident que cette politique favorise le chantage il la guerre, augmente sans cesse l'audace et le cynisme des violents et nous acculerait fatalement à la guerre dans les pires conditions, même si nous allions jusqu'au dernier renoncement en adoptant la formule égoïste et lâche "Plutôt la servitude que la mort!" qui rejoint singulièrement sur le plan de l'action ou plutôt sur le plan de l'inaction l'autre formule trop souvent entendue et qui exprime une autre forme d'égoïsme : «Plutôt Hitler que la révolution!» Car il est dans la logique de la force et de la doctrine dont se réclament les maîtres ainsi acceptés que ceux-ci n'hésiteraient pas à envoyer leur troupeau d'esclaves vers une mort ignominieuse. La contradiction tragique dans laquelle nous nous trouvons ainsi placés prend sa source dans la légitime horreur ressentie par nous tous devant les abominations de la grande guerre, devant celles, pires encore, peut-être, des massacres de populations sans défense auxquels nous assistons en Espagne ou en Chine et qui nous donnent, hélas! une faible idée de ce que serait une conflagration générale, où joueraient il plein les moyens techniques de destruction mis par la science, à la disposition des hommes. L'abdication nous y conduirait; seul peut nous en protéger un suprême effort d'intelligence et de volonté. Pour clairement comprendre l'état actuel du monde, pour confirmer et rendre efficace notre ardente volonté de justice et de paix, il est tout d'abord nécessaire que nous ayons tous pleine-ment conscience de l'immense espoir que permettent nos possibilités d'action dans la paix. Beaucoup d'entre nous se sont employés à développer cette conscience, à inspirer le courage nécessaire pour regarder la situation en face et pour construire le monde nouveau exigé par la puissance nouvelle dont nous disposons. Ni l'horreur, ni la crainte ne suffisent pour déterminer l'action efficace : il y faut la confiance et la foi dans la possibilité d'un avenir meilleur; c'est là que se nourrit l'héroïque et constant sacrifice de nos frères espagnols. L'action contre la guerre, la recherche de ses causes et la dénonciation de ses horreurs passées ou possibles, ont pu nous paraître suffisantes aussi longtemps que nous avons pu espérer convaincre tous les peuples et les amener à l'union nécessaire. De là le mouvement d'Amsterdam dont la naissance en 1932 a été presque immédiatement suivie par l'éclatante confirmation du danger fasciste qu'a représentée le succès de l'hitlérisme en Allemagne. Ce danger fasciste s'est montré, par ses origines et par ses effets, si étroitement lié à celui de la guerre, qu'une même lutte a dû être engagée à la fois contre eux deux. Amsterdam se conjuguant avec Pleyel, comme la défense de la paix se conjugue nécessairement avec celle de la justice et de la liberté. Nous nous sommes trouvés, dès lors, en face d'une situation parfaitement claire et qui, s'il était possible, se préciserait davantage encore chaque jour : les dirigeants du régime économique injuste et périmé, sous lequel vit encore la plus grande partie du monde soit-disant civilisé, exploitant avec une diabolique astuce à la fois l'égoïsme des privilégiés, les injustices com-mises au lendemain de la guerre et le désarroi de ses propres victimes, particulièrement des jeunes gens laissés sans perspective d'avenir et sans emploi, par le développement même de la technique, mettant à profit leur goût de l'aventure et de l'action, plutôt que de la réflexion! ont fait de ces derniers ses défenseurs et ses gardes d'assaut dans une-suprême tentative pour maintenir sa domination. Cette domination, contraire à toute justice et toute raison devant les possibilités sans bornes de la machine, ne peut plus s'appuyer que sur la violence et sur l'abêtissement généralisés. D'où le spectacle auquel nous assistons : déchaînement sans frein des moyens de destruction; destruction des êtres humains pour terroriser, destruction des produits du travail pour maintenir le profit des privilégiés, étouffement de la pensée libre et de la science elle-même, propagande effrénée par la parole et par le fait en faveur des mystiques inhumaines où la prévalence et la volonté de domination d'une race ne sont, au fond, que des moyens pour justifier et assurer la prévalence et la domination d'une caste, choisie de préférence au sein de cette race, pour établir ou consolider ainsi dans le monde une féodalité nouvelle, fondée sur l'égoïsme des uns, l'ignorance et la terreur des autres, sur la démoralisation de tous. Devant l'insuffisante défense de ceux qui, comme nous, sont inspirés d'un autre idéal, l'audace et la brutalité de nos adversaires vont constamment croissants. A l'intérieur de l'Allemagne, et maintenant aussi de l'Autriche, l'hitlérisme a renchéri en persécutions physiques, morales et intellectuelles, en régressions de tous ordres, sur le fascisme italien, celui-ci a bientôt pris sa revanche en exécutant et en glorifiant les massacres d'Éthiopie, en provoquant chez nous l'abominable assassinat des frères Rosselli; puis est venue l'Espagne où les gouvernements italien et allemand font l'essai des nouvelles méthodes de guerre en entraînant leurs techniciens aux pires des crimes. En Extrême-Orient, l'invasion japonaise impose à la Chine des douleurs sans mesure. Et si nous continuons à laisser faire, à contempler, sans que le rouge de la honte nous monte au front, le sublime sacrifice de nos frères d'Espagne et de Chine en attendant celui de la Tchécoslovaquie, si nous ne comprenons pas que l'attitude égoïste de continuel reniement, de continuelle acceptation est celle qui conduit le plus sûrement à la guerre, si nous ne comprenons pas qu'il suffit de ne pas céder au chantage pour faire cesser le chantage, notre tour viendra bientôt où les hitlériens du dehors et du dedans nous traiteront plus brutalement encore s'il est possible, comme peut nous le faire prévoir la sanglante répression de la Commune, où les moyens d'action étaient cependant bien primitifs à côté de ceux dont la violence dispose aujourd'hui. Disons-nous bien que si nos ancêtres, lointains ou proches, dont le courage a protégé les débuts et la lente évolution de notre espèce contre tous les dangers venus de la nature ou des hommes eux-mêmes, si nos ancêtres avaient procédé comme les nations dites démocratiques le font aujourd'hui, ni cette espèce, ni sa civilisation n'existeraient plus. En dehors de la vie personnelle de chacun de nous, vie personnelle infiniment précieuse puisque c'est le caractère propre et la dignité de notre espèce que de la valeur d'un seul individu peut dépendre le sort et l'avenir de tous, il est pourtant des choses qui valent d'être défendues : tout le trésor lentement accumulé au cours des siècles, trésor d'art et de science, avec un commencement, à peine plus qu'une espérance, de justice et de liberté, trésor que nous avons le devoir de transmettre, en l'augmentant par notre effort, à ceux qui nous continueront. L'étroite solidarité qui nous lie à nos ancêtres et à nos descendants implique la solidarité avec ceux qui meurent actuellement en Espagne et en Chine pour notre défense commune. De même que les premiers hommes, pour les protéger à la fois contre le froid et contre les grands fauves entouraient d'un cercle de flammes leurs femmes, leurs enfants et leurs biens les plus précieux, élevons entre[10] la guerre, le fascisme et nous la flamme toujours plus haute de notre foi en un idéal de liberté, de justice et de paix."
LA REVOLUTION FRANCAISE ET LA SCIENCE
Ce texte a paru dans le numéro spécial de Paix et Liberté de 1939, consacré au 150ème anniversaire de la Révolution française, sous le titre : Science et Liberté.
"Plus que sous aucun autre signe, la Révolution est née et s'est poursuivie sous celui de la Raison. Il est incontestable que la foi profonde des hommes de cette époque en l'efficacité de l'effort intellectuel a été inspirée par l'immense développement qu'avaient pris, depuis la Renaissance, à travers le XVIIème et le XVIIIème siècles, les sciences de l'univers, de la nature et de l'homme. Copernic, Galilée, Newton, les encyclopédistes ont montré la voie et donné confiance en lui-même à l'effort de réflexion et d'information précise qui a préparé la Révolution; ils ont permis à celle-ci, par leur exemple, de se développer sur un plan scientifique à partir de faits et de statistiques, et ,par des réformes logiquement déduites à partir de principes d'ordre général et universel clairement exprimés. A son inspiration et à ses méthodes scientifiques, la Révolution doit le retentissement profond qu'elle a eu dans le monde entier et les traces si durables qu'elle a laissées malgré la réaction qui l'a suivie. De cette liaison étroite entre la science et la vie qui caractérise notre grande Révolution, nous pouvons trouver une preuve nouvelle dans le fait que la réaction fasciste actuelle remet en question, avec la même violence, la valeur de la science et la valeur des principes de 1789. Ainsi, scientifiquement conduite, et contrairement à l'absurde légende suivant laquelle elle aurait déclaré n'avoir pas besoin de savants, la Révolution n'a cessé d'affirmer sa confiance dans la science et de faire appel à la collaboration des savants, aux plus grands d'entre eux, pour résoudre les multiples problèmes posés par la construction et la défense d'un monde nouveau. Pouchet, dans son livre sur « Les sciences pendant la Terreur », dit : « L'an II marque bien réellement une date dans l'histoire des sciences françaises; à ce moment, non seulement elles sont représentées par une pléiade d'hommes illustres, non seulement elles voient grandir et naître une foule d'établissements d'enseignement, mais elles ont sauvé le pays. Le grand Comité de Salut Public mérite qu'on lui rende cette justice que, plus qu'aucun gouvernement au monde, il a honoré les sciences et compris leur rôle social. » Dans son "Histoire de l'École Polytechnique", Lefébure de Fourcy écrit : « Il y avait alors auprès du Comité de Salut Public une espèce de Congrès de savants où la plupart des sciences exactes et naturelles se trouvaient dignement représentées. C'est de là que partaient, à la voix du Comité souverain, ces instructions lumineuses, ces inventions soudaines, ces expédients ingénieux et rapides qui, dégageant les procédés des arts des mille ornières de la routine, élevaient tout à coup leur produit au niveau des immenses besoins de la Révolution. » C'est ainsi que furent résolus les difficiles problèmes de la production intensive du salpêtre, de la soude, de l'acier. Dans leur défense devant le tribunal qui les jugeait après le 9 Thermidor, Bertrand Barère, Jean-Marie Collot d'Herbois et Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, membres du Comité de Salut Public, disaient : « Nous avions besoin d'acier; nous l'avions demandé à la fabrication, ce sont les savants qui nous le donnèrent. » L'envoi, pour la première fois clans l'Histoire, d'une mission de savants aux armées, appartient au Comité de Salut Public; Bonaparte n'a fait qu'imiter cet exemple au moment de l'expédition d'Egypte. La commission temporaire des poids et me-sures, créée le 11 septembre 1793 avec mission de réaliser les nouvelles unités du mètre et du kilogramme, comprenait Gaspard Monge, Jean-Charles de Borda, Joseph-Louis Lagrange, Pierre-Simon de Laplace, Jean-Baptiste Delambre, Pierre Méchain, Charles-Augustin Coulomb, l'abbé René-Just Haüy, Alexandre-Théophile Vandermonde, Claude Berthollet, Antoine Lavoisier, qui tous ont laissé une trace profonde dans la science. Au même moment, en pleine lutte intérieure et extérieure, le 9 septembre 1793, est mise en vente la cinquante-septième livraison de l'«Encyclopédie» rédigée par Monge, Antoine-François Fourcroy, Jean-Dominique Cassini, Henri Duhamel. Dans la série des fêtes organisées cette même année, la dernière est consacrée à l'Électricité, dont la science naissait à peine et dont rien ne laissait soupçonner l'extraordinaire importance technique qu'elle devait prendre un siècle plus tard. Un effort considérable est fait pour créer une véritable organisation scientifique et l'enseigne-ment des sciences à tous les degrés. La Convention donne leur forme actuelle à l'Institut de France, au Muséum d'Histoire naturelle, fonde les Écoles normale, supérieure et polytechnique, et ces admirables Écoles centrales dont le programme réalisait de véritables humanités modernes, à la fois scientifiques et classiques, mais dont l'enseignement, tout imprégné de l'esprit philosophique du XVIIIème siècle, fut jugé trop jacobin par le Consulat, qui les supprima. Un enseignement primaire public fut organisé pour la première fois dans l'intention d'étendre à tous les bienfaits de l'instruction et fit l'objet d'un admirable rapport de Condorcet à la Convention. Les plus grands savants se mirent à la disposition des pouvoirs publics pour la réalisation de cet enseignement. Le 8 Pluviôse, an II, la Convention ouvre un concours pour les livres élémentaires à mettre entre les mains de la jeunesse et désigne, pour constituer le jury, des savants tels que Lagrange, Daubenton, Monge, Hailé. Enfin, les savants ont marqué leur confiance dans la Révolution, non seulement en collaborant à l'immense effort scientifique, éducatif et technique de celle-ci, mais encore en participant à l'action politique générale : Condorcet fut élu, en 1792, président de l'Assemblée Législative où il était député de Paris; le chimiste Fourcroy fut président et le grand mathématicien Monge vice-président du Club des Jacobins."
DECLARATION A LA CONFERENCE NATIONALE DU PARTI COMMUNISTE FRANCAIS A GENNEVILLIERS
Le 26 décembre 1938.
Au cours des six années de luttes ardentes qui séparèrent la prise du pouvoir par Hitler du début de la seconde guerre mondiale, Paul Langevin avait pu vérifier dans les circonstances les plus tragiques, la justesse des thèses politiques du parti communiste français, en même temps qu'il voyait chaque jour davantage de quel secours le matérialisme dialectique pouvait lui être dans ses propres recherches scientifiques. C'est ainsi une sorte de gratitude envers le parti et envers le marxisme que traduit la déclaration que fit Paul Langevin au Congrès de Gennevilliers, et par laquelle il nous a semblé naturel de terminer cette série de textes d'avant la dernière guerre.
"C'est l'honneur de votre Parti d'unir étroitement la pensée et l'action. On a dit qu'un communiste devait toujours s'instruire; mais je veux vous dire que plus je suis instruit, plus je me sens communiste. Dans cette grande doctrine, illustrée par Marx, Engels, Lénine, j'ai trouvé l'éclaircissement de choses que je n'aurais jamais comprises dans ma propre science. Lénine, aussi bien que Marx, Engels, se sont pénétrés de la pensée de ceux qui ont préparé la Révolution française. Votre Parti est le seul à avoir des idées claires : c'est une sorte d'élargissement de la Révolution française comme la doctrine de Marx-Lénine-Engels est un élargissement de la pensée des grands penseurs français du XVIIIème siècle."
LES ANNEES TRAGIQUES
LA "DROLE DE GUERRE" ET LE PROCES DES DEPUTES COMMUNISTES
Les événements de 1939 sont encore trop frais dans notre mémoire pour qu'il soit nécessaire de les rappeler en détail. Le succès d'Hitler à Munich en septembre 1938, l'occupation de la Tchécoslovaquie tout entière en mars 1939 sont autant de causes d'inquiétude pour ceux qui, comme Langevin, veulent sauver la liberté et la paix du monde menacées par l'impérialisme nazi. Ils surexcitent l'audace de la cinquième colonne qui travaille en France, comme en Angleterre, avec l'appui du capitalisme le plus réactionnaire. Au cours de l'été 1939, Hitler s'en prend à la Pologne. Sous la pression de l'opinion démocratique de leurs pays, les gouvernements de Paris et de Londres engagent à Moscou des négociations avec l' U.R.S.S. Mais les pourparlers traînent en longueur. Daladier et Chamberlain n'ont aucune envie de les voir aboutir. Leur but caché est, ainsi que l'écrit Maurice Thorez, d'amener les armées hitlériennes aux frontières de l'Union soviétique à travers la Pologne et les pays baltes; de pousser l'Allemagne hitlérienne à la guerre contre l'Union soviétique, tandis que les gouvernements de Paris et de Londres, comme devait le prouver la « drôle de guerre », n'auraient pas bougé[11].
Pour faire échec à ce plan machiavélique, l' U.R.S.S. signe le 23 août un pacte de non-agression avec l'Allemagne. Ce pacte lui assurera quelques mois de répit qu'elle mettra à profit pour consolider sa défense. Hitler, continuant la poursuite de ses buts impérialistes, attaque la Pologne. Chamberlain et Daladier se voient contraints de déclarer à l'Allemagne une guerre qu'ils n'ont pas envie de lui faire. Mais l'occasion semble bonne aux partis bourgeois français, des fascistes aux socialistes, pour chercher à écraser le parti communiste. Le pacte germano-soviétique est présenté comme une trahison à la cause de la liberté par le gouvernement et la presse bourgeoise de droite et de gauche, tandis que les journaux communistes sont interdits. La déclaration de Maurice Thorez, le 25 août, au groupe parlementaire, appelant à la résistance si Hitler persévérait dans ses desseins d'agression, est systématiquement étouffée. Par tous les moyens la classe au pouvoir veut semer le désarroi dans le camp des progressistes pour pouvoir plus sûrement frapper les communistes. Au début d'octobre, la police s'en prend au Comité mondial contre le fascisme et la guerre dont les buts s'identifient pourtant avec ceux que prétend poursuivre le gouvernement français. Dans une protestation très digne et très ferme adressée au président Daladier, Paul Langevin souligne cette contradiction et pose au président du Conseil quelques questions embarrassantes auxquelles il répondra seulement en renforçant la répression contre les communistes et tous ceux qui avaient pu s'associer à leur action. Peu de temps après ces perquisitions, les députés communistes sont poursuivis pour avoir envoyé, le premier octobre, au président Édouard Herriot, une lettre demandant la convocation des Chambres et la discussion publique des problèmes relatifs à la conduite de la guerre. On les arrête, on les déchoit illégalement de leurs mandats, on les met au droit commun et enfin on les défère au tribunal militaire. Langevin, depuis longtemps, a percé à jour toute l'hypocrisie du jeu gouvernemental. Il sait quels bas calculs de classe peuvent se cacher derrière un jacobinisme de façade. Il sait aussi que les communistes n'ont pas trahi, que ce sont eux, au contraire, qui, comme toujours, sont à l'avant-garde de la défense des véritables intérêts de la France. Le 29 mars 1940, il vient à la barre témoigner en faveur des 44 députés inculpés. Dans la grande tourmente de la guerre, le texte complet de cette courageuse déposition a malheureusement été perdu. Nous devons donc nous contenter de reproduire le passage suivant du "Chemin de l'Honneur", de Florimond Bonté, qui résume l'intervention de Langevin et qui traduit bien la profonde impression qu'elle produisit alors sur tous ceux qui l'entendirent:
L'éclatant témoignage de Paul Langevin[12]
Paul Langevin, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des Sciences et de la Société Royale de Londres, grand-officier de la Légion d'honneur, commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique. Ce grand maître de la science française, dont les travaux font honneur à la France, et à son génie, se trouvait à la barre. Et c'était ce savant qui descendait des sommités scientifiques, quittait son laboratoire de recherches pour venir exprimer publiquement en quelle estime il tenait les militants communistes français, chez qui il proclamait reconnaître les plus hautes valeurs morales. Il expliquait au tribunal combien il avait été frappé de retrouver parmi les communistes, porté à leur degré le plus élevé, le souci du bien public et du développement du bien public et la volonté inébranlable d'améliorer constamment la situation matérielle et morale des travailleurs, de ceux qui, par leur travail, font la force et la grandeur du pays. Il partageait, disait-il, leur idéal de justice sociale et leur volonté d'en obtenir la réalisation par un effort humain de transformation matérielle et morale du monde. Pour y parvenir, lui aussi, mettait sa confiance dans la possibilité d'un élargisse-ment, d'une élévation sans limite de la science et de la conscience des hommes : science de la nature dont les applications, si elles étaient vraiment mises au service de tous, permettraient, dès maintenant, leur libération, la suppression de la misère, de l'ignorance et des souffrances, science du développement des sociétés humaines, permettant de comprendre leur évolution et niellant particulièrement en évidence l'influence exercée sur l'organisation sociale par les conditions de travail et de la production nécessaire à l'entretien de la vie.
"Les hommes de science savent, déclarait Paul Langevin[13], qu'il y a un incontestable et continuel progrès dans la connaissance du monde et de ses lois; qu'à mesure que se perfectionnent nos moyens d'information et d'action, à travers l'incessant conflit des doctrines et des théories, se dégage toujours plus pure la grande ligne de notre représentation du monde, la haute figure de celle que nous appelons la vérité, et dont omis sommes certains qu'elle n'a qu'un seul visage, constamment modelé et embelli par le temps et par notre effort. Il en est de même pour cette vérité humaine : la justice. A chaque étape du développement de nos moyens d'action et de production correspond une forme stable de l'organisation des sociétés humaines, une forme supérieure de vie en perpétuel enfantement, une vérité sociale vivante. On doit compter parmi les meilleurs serviteurs ceux qui consacrent leur existence à la chercher et à la faire prévaloir. Et j'ai le devoir de proclamer qu'ils sont de ceux-là, les militants communistes actuellement devant vous, et il ne peut avoir que mauvaise conscience, défiance de lui-même, un régime qui les persécute."
Paul Langevin a parlé. Le commandant de la garde le reconduit jusqu'à la sortie de la salle d'audience. Paul Langevin passe devant nous. Il nous salue d'une inclinaison de la tête et du geste de la main. Noue le suivons des yeux. Qu'importe la condamnation! Qu'importe la prison! puisque nous avons eu la joie, le bonheur, de recevoir pour notre Parti, le seul à avoir suivi et à suivre une ligne française et à avoir défendu, et à défendre la cause de la France et de l'humanité, les marques de la plus chaleureuse sympathie d'un Français parmi les plus grands, dont les mérites et le génie rejaillissent en rayons de lumière sur notre patrie.
L'arrestation
La mise en liberté surveillée
La fuite en Suisse
Bientôt c'est la défaite et aussitôt commencent les persécutions. Langevin qui avait d'abord accompagné a Toulouse les laboratoires parisiens repliés est revenu dans la capitale et il est, le 30 octobre 1940, le premier des grands intellectuels français qui soit arrêté par les Allemands. Ce savant progressiste, pourtant déjà âgé, de 68 ans, représentait en effet, pour les nazis, le symbole même de cette France révolutionnaire et patriote qu'ils sentaient survivre en dépit des désastres militaires et de la trahison des hommes de Vichy. Après s'être d'abord dirigée vers Fresnes, puis être allée jusqu'à Longjumeau, pour mieux cacher le lieu de l'incarcération du grand savant, l'automobile de la Gestapo le ramena finalement à Paris, à la prison de la Santé, où il devait rester au secret dans une cellule infecte, pendant 38 jours, réussissant quand même à y poursuivre ses travaux théoriques[14].
Le 25 novembre 1940, Langevin subit un interrogatoire très détaillé. Les Allemands le questionnèrent sur les relations qu'il avait pu avoir avec tel ou tel homme politique, avec tel ou tel savant progressiste, sur sa position à l'égard de l'Allemagne, sur sa participation à la prétendue campagne d'excitation a la guerre. Des réponses de Langevin, telles qu'elles figurent au procès-verbal, nous détacherons deux fragments, d'abord ce qu'il dit de l'Allemagne :
« J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour la contribution allemande à l'oeuvre de civilisation dans les différents domaines, des sciences, de la littérature, des arts ou du progrès technique. J'ai désiré connaître l'Allemagne et la faire connaître à mes enfants en y allant spontanément passer deux périodes de vacances, en 1903 à Göttingen et en 1912 à Heilbronn. J'ai été invité, au titre scientifique, à participer à trois congrès de Naturforscher : en 1903 à Cassel, en 1911 à Karlsruhe, et en 1912 à Heidelberg. J'ai en outre été invité en 1924 et en 1925, à faire à l'Université de Hambourg des conférences sur la technique des ultrasons que j'ai créée. J'ai toujours considéré comme hautement désirable une collaboration entre la France et l'Allemagne dans tous les domaines, économiques ou intellectuels. Je me suis efforcé d'y contribuer, non seulement par les relations que j'ai nouées avec des savants allemands au cours des congrès auxquels j'ai participé, mais encore en prenant l'initiative, il y a une dizaine d'années d'une collaboration entre le "Journal de Physique" que je dirige, et les "Physikalische Berichte", que dirigeait alors le Dr Scheed avec qui je me suis rencontré plusieurs fois, et qui s'était montré d'accord avec mon projet. Je considère seulement que cette collaboration, pour être efficace et durable, doit être fondée sur les règles de toute morale humaine, applicables aux nations comme aux individus : le respect de la personnalité et le devoir de solidarité envers tous. »
Nous citerons ensuite intégralement les remarques que Paul Langevin a faites à la fin de son interrogatoire. Il y résumait d'une manière digne et fière toute action d'intellectuel au service de la justice et de la paix :
INTERROGATOIRE DU 25 NOVEMBRE 1940 A LA SANTE
Remarques de M. Langevin
Mon action a toujours été :
1° uniquement sur le plan humain; je ne me suis placé au point de vue d'aucune race, d'aucune secte, ou d'aucun parti politique;
2° uniquement située dans le domaine des idées, pour la défense de celles qui me sont chères : de justice individuelle et collective, de liberté et de paix. J'ai toujours cherché à convaincre ceux auxquels je m'adressais des dangers et de l'absurdité de la guerre et de la possibilité de la faire disparaître par une organisation de justice et de police internationales et surtout par le développement de la collaboration entre les peuples. Je n'ai jamais à aucun moment, dit ou écrit un mot dans le sens d'une provocation à la guerre;
3° absolument au grand jour, sur la base de l'exposition et de la discussion publiques des idées et des faits. Je n'ai jamais participé à aucune action occulte d'aucune sorte;
4° absolument désintéressée : j'y ai consacré à peu près tout ce que je possédais et n'ai aucune fortune ni d'autres ressources que mon traitement ou ma pension de retraite éventuelle.
Signé : P. Langevin.
Cependant la nouvelle de l'incarcération de Langevin a soulevé dans le monde entier une vague de protestations. A l'étranger, la Suisse, l' U.R.S.S., les U.S.A. (ces deux derniers États n'étaient pas encore entrés dans la guerre) le réclamaient à l'Allemagne et lui offraient l'hospitalité. A Paris même, malgré l'occupation nazie, les étudiants communistes organisèrent une manifestation au Quartier Latin, le 8 novembre, jour où le grand physicien aurait dû commencer son cours au Collège de France[15]. De nombreux savants, avec en tête, Joliot-Curie, multiplièrent, d'autre part, les interventions en sa faveur. Sans accepter qu'il puisse partir pour l'étranger, les Allemands jugèrent cependant plus opportun de reculer un peu devant l'indignation générale.
Ils envoyèrent Paul Langevin — que Vichy avait entre temps destitué de toutes ses fonctions universitaires — en résidence surveillée à Troyes. Il put y poursuivre, non sans difficultés, une certaine activité scientifique [purement théorique évidemment, faute de laboratoires[16]] et fit même quelques cours à l'École Normale d'institutrices. En janvier 1942 les nazis l'arrêtèrent pour la seconde fois, pour le relâcher quelques jours après. Ces alertes successives, en dépit de la bonne humeur courageuse avec laquelle il les accueillait, n'avaient pas été sans altérer la santé de Paul Langevin. C'est alors que deux coups très douloureux vinrent le frapper dans ses affections les plus chères. Son gendre Jacques Solomon, qui était aussi son plus proche collaborateur dans le domaine de la physique, celui qu'il appelait son « fils spirituel »[17], et sa fille Hélène Langevin-Solomon, tous les deux membres du parti communiste, furent tour à tour arrêtés pour leur participation à la résistance clan-destine. Le 23 mai 1942, Jacques Solomon était fusillé par les nazis au Mont-Valérien, au côté de son ami le philosophe Georges Politzer. Peu de temps après, Hélène Solomon était déportée à Auschwitz d'où elle ne devait revenir que par miracle. En même temps la surveillance des policiers allemands et des fonctionnaires vichyssois se resserrait. On pouvait tout craindre pour Langevin qui constituait pour les nazis et les collaborateurs un otage de choix, ou une victime toute désignée, suivant leur humeur. (Qu'on songe au sort de Jean Zay et de Mandel assassinés le 22 juin 1944, quinze jours après le débarquement !) Les amis de Paul Langevin, justement inquiets, le décidèrent à quitter la France. Il s'enfuit de Troyes, le 2 mai 1944, avec de faux papiers au nom de Léon Pinel, son grand-père maternel, faux papiers que lui avait confectionnés et apportés son disciple et ami Joliot-Curie. Quelques jours plus tard, il était en sûreté en Suisse, après avoir traversé la frontière du côté de Porrentruy, aidé de deux F.T.P. qui durent parfois le porter pour éviter de trop dures épreuves à ce vieillard de 72 ans dont le coeur commençait à donner des signes de fatigue.
LE RETOUR EN FRANCE
Le 22 septembre 1944, Paul Langevin franchissait à nouveau la frontière près d'Annemasse pour rentrer flans la France libérée. Les héroïques F.T.P. de. Haute-Savoie lui firent à Annecy une émouvante réception. Deux sections de maquisards lui présentèrent les armes tandis qu'on lui remettait une carte de membre d'honneur des F.T.P. Malgré sa fatigue, le grand savant passa une bonne partie de cette nuit dans la patrie retrouvée à se documenter sur la situation militaire et politique de la France. Il n'oubliait pas non plus le travail idéologique qu'il avait entrepris dans la Pensée au côté de Georges Cogniot et dont la guerre avait brutalement interrompu le développement :
"..., Langevin nous entretenait maintenant, écrit un témoin de ces premiers contacts avec la France[18], de son oeuvre la plus chère: la Pensée. Nous fûmes invités à délibérer longuement sur le sujet suivant : Comment retrouver ceux qui, les premiers, avaient soutenu la revue? Cette question préoccupait beaucoup le savant. Maintes fois il nous demanda conseil."
Deux jours plus tard, c'est à la France tout entière qu'il s'adressa, par l'intermédiaire de la radio de Lyon, traçant avec une extraordinaire fermeté de vue politique, un programme de relèvement pour notre pays :
DECLARATION FAITE A LA RADIO DE LYON
(24 septembre 1944)
"Les deux jours écoulés depuis mon retour dans notre France meurtrie, mais libérée, laisseront en moi d'émouvants souvenirs en même temps qu'ils m'apportent une grande espérance. Partout dans la campagne traversée comme dans la grande cité lyonnaise, sous la protection d'une jeunesse armée et disciplinée, malgré la gêne duc à d'impressionnantes destructions, la vie active a repris. Puisant des forces nouvelles dans la volonté de se montrer digne de ses héros et de ses martyrs et de maintenir l'union scellée dans la souffrance, un peuple fort et recueilli se sent en marche vers un nouvel et grand avenir. Il sait que son devoir envers ceux qui se sont sacrifiés comme à l'égard des générations futures est de ne rien laisser perdre des possibilités actuelles, si chèrement achetées, pour réaliser par de profondes réformes de structure, plus de justice sociale et plus de liberté. Tout en continuant, aux côtés de ses alliés, la lutte contre le barbare ennemi du dehors, qui s'est laissé conduire par des guides déments hors de l'humanité, il doit, pour ce qui concerne le passé, faire justice de l'ennemi du dedans en poursuivant sans faiblesse ceux qui, par leurs actes, se sont placés hors de la nation. Puis, ce sera la grande tâche de la reconstruction où, sans laisser aux forces hostiles le temps de se ressaisir et de reprendre leur ancienne domination, noua devons réaliser, maintenant que la libération du pays est faite, celle de chacun de ses enfants : libération matérielle par une transformation profonde du régime économique et des conditions du travail, libération spirituelle par une organisation de l’enseignement qui permette à chacun le complet développement de ses aptitudes pour le plus grand profit de la collectivité et ceci sous une forme qui maintienne et assure l’union de tous au profit de chacun.
Je quitte aujourd’hui Lyon pour aller à Paris où je porterai l’impression très profonde que j’ai reçue hier de sentir la volonté lyonnaise pour l’union de tous dans un vaste Front National.
L’ADHÉSION AU PARTI COMMUNISTE
Bien que sa santé ait durement souffert pendant ces années d’épreuve, Langevin ne songe pas au repos. Il sent, au contraire, et plus fortement peut-être qu’il ne l’a jamais senti dans son existence, que la lutte pour un monde meilleur demande des sacrifices toujours plus grands. S’il a pu croire dans sa jeunesse que la protestation de quelques intellectuels isolés pouvait à elle seule faire reculer les forces du mal, il sait désormais — et par quelles douloureuses expériences que le penseur est bien peu de choses sans l’appui d’un peuple organisé pour l’action. Il veut s’unir davantage encore à ceux qui se battent pour conquérir l’avenir. Déjà, à la fin de la réception d’Annecy, comme l’un de ceux qui prenaient congé de lui, multipliait à son égard les formules de respect, Langevin lui avait répliqué « avec douceur » [19] :
Pourquoi ne m’appelez-vous pas tout simplement : « Camarade » ? C’est mon plus beau titre… et ne l’ai-je pas mérité ?
Ce titre de camarade qu’il revendiquait si justement de la part de ces F. T. P. trop respectueux à son gré, il va le consacrer dès son arrivée à Paris, en adhérant au parti qui incarne tous les espoirs de la France laborieuse et patriote, au Parti Communiste.
Le mercredi 27 septembre 1944, l’Humanité publiait l’article suivant :
PAUL LANGEVIN, HONNEUR DE LA PENSÉE FRANÇAISE, A APPORTÉ HIER À JACQUES DUCLOS SON ADHÉSION AU PARTI COMMUNISTE
Paul Langevin, le grand savant à l’autorité mondiale, qu’aucune cause juste n’a jamais laissé indifférent, le grand patriote que la Gestapo jeta à la Santé avant de le placer en résidence surveillée à Troyes — d’où il ne s’est échappé qu’en mai dernier — a accompli hier un acte qui exprime les sentiments profonds de milliers d’intellectuels français.
Après avoir rendu visite à Marcel Cachin à l’Humanité où les deux hommes s’étreignirent en frères heureux de leur accord sur tous les problèmes de la pensée et de l’action, Paul Langevin s’est rendu au secrétariat du Parti communiste où il a été reçu par Jacques Duclos qui s’entretenait précisément avec le poète de la patrie, notre camarade Louis Aragon dont les chants et les ballades publiés dans la clandestinité, ont si puissamment contribué à maintenir son énergie l’âme française.
Au secrétaire du Parti, Paul Langevin a déclaré qu’il entrait dans nos rangs pour y prendre la place de son gendre, le physicien Jacques Solomon, tombé avec Georges Politzer, soue les balles du peloton d’exécution hitlérien.
Avec l’adhésion apportée au Parti communiste par Paul Langevin, peu de jours après la bienvenue publique que le Comité central du Parti souhaitait au meilleur disciple du grand savant, Frédéric Joliot-Curie — courageusement affilié au Parti dans les jours sombres de 1942 — s’accomplit le couronnement historique de longs siècles de pensée française. De Montaigne et de Rabelais à Descartes, de Descartes à Diderot et autres Encyclopédistes, des Encyclopédistes à Marcelin Berthelot, de Marcelin Berthelot à Paul Langevin et à Joliot-Curie, la tradition est ininterrompue.
La doctrine du communisme scientifique qui a armé pour la lutte nationale tant de dizaines, de milliers de héros a été représentée par ses initiateurs eux-mêmes comme reposant pour une part importante sur des fondements français. L'adhésion des meilleurs représentants de la Pensée française, qu'il s'agisse des savants nu des poètes. des ingénieurs ou des artistes, démontre avec éclat la justesse de cette affirmation. Le Parti communiste fait appel à tous les intellectuels français pour entrer dans ses rangs afin d'y travailler plus efficacement à la rénovation et à la renaissance de notre pays.
L'HOMMAGE SOLENNEL DU 3 MARS 1945
Le 3 mars 1945, sur l'initiative du Front National Universitaire, la France rendait un solennel hommage à Paul Langevin à l'occasion de son 73ème anniversaire. Dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, absolument comble, on notait la présence des plus hautes personnalités de la science, des arts, de la politique, du mouvement syndical et même de l'armée : Frédéric Joliot-Curie et François Mauriac, Aimé Cotton et le docteur Henri Mondor, Georges Duhamel et le général Kœnig. Après les hommages des universitaires et des savants et le salut du Conseil National de la Résistance, Georges Cogniot, dans une vibrante allocution, rappela la force et l'ancienneté des liens qui unissaient l'illustre savant et le grand parti de la classe ouvrière, dans les rangs duquel il venait d'entrer. Paul Langevin se leva à son tour et, très ému, répondit aux nombreux orateurs par une courte allocution. Après avoir évoqué quelques souvenirs personnels, il tint à confirmer publiquement, en des termes inoubliables, son adhésion au Parti Communiste[20] :
"La conviction profonde qu'il est à la fois possible et nécessaire de mettre la vraie Science et la haute culture à la disposition de tous les hommes m'a depuis longtemps porté vers les difficiles problèmes de l'enseignement et m'a valu l'honneur de participer aujourd'hui, aussi activement que me le permet mon état de santé, à la grande tâche de fonder notre éducation nationale sur une base vraiment démocratique et humaine. La justice à l'école, condition nécessaire de la justice sociale, représente un des liens étroits qui doivent unir la justice et la science. Les Grecs qui avaient fait de Minerve la déesse commune à ces deux aspects de l'effort humain, voulaient sans doute signifier par là que l'un ne va pas sans l'autre et que l'humanité souffre dès que les moyens d'action créés par la Science ne sont pas exclusivement mis au service de la Justice. La Science a évolué si rapidement depuis bientôt deux siècles que la Justice, toujours un peu boiteuse, n'a pu suivre au même pas, et que nos organisations sociales ou internationales ne correspondent plus à nos moyens d'action. Pour établir l'harmonie, il est nécessaire que la Science tende la main à la Justice, par l'application des méthodes scientifiques à l'étude des problèmes humains, et par un développement de la conscience civique chez ceux qui contribuent au développement de la science. A l'exemple des intellectuels qui, au temps de l'affaire Dreyfus, mirent leur force d'esprit au service de la justice individuelle, c'est aujourd'hui un devoir, pour ceux qui créent la science, de veiller à l'usage qu'en font les hommes. Cette conviction m'a conduit, depuis plus de vingt ans, aux côtés de bons camarades de combat, à consacrer une partie de mes forces à la défense de la justice sociale ou internationale, principalement au sein de la Ligue des Droits de l'Homme, avec des guides tels que Ferdinand Buisson et Victor Basch. J'ai suivi depuis son début, avec un intérêt passionné, l'immense expérience soviétique parce que je l'ai sentie en marche vers la justice en s'appuyant sur la science. A mesure que je les ai mieux connues, j'ai donné à ses idées directrices une adhésion de plus en plus complète confirmée par mon inscription récente au Parti communiste français. Ces idées prolongent, dans la grande ligne du progrès humain, en l'adaptant aux conditions nouvelles, le mouvement de pensée de notre XVIIIème siècle. Je leur sais gré de m'avoir aidé mieux comprendre l'évolution de ma propre science et de m'avoir confirmé dans ma confiance en l'avenir de l'effort humain. J'ai conservé cette confiance intacte au cours des années de lutte que nous venons de traverser et que j'ai revécues avec émotion en écoutant le Dr Sicard de Plauzoles, Georges Cogniot et Jacques Debû-Bridel. Elle m'a constamment soutenu dans l'épreuve. Comment ne s'augmenterait-elle pas encore à nous sentir ce soir si fortement unis dans un espoir commun ? Elle doit inspirer et soutenir notre volonté de défendre contre toute agression le trésor de culture et de civilisation lentement, douloureusement accumulé par nos ancêtres au cours de siècles sans nombre, et de le transmettre à nos enfants, en y ajoutant toujours un peu plus de science, un peu plus de justice et un peu plus d'amour. Merci à vous tous du plus profond de mon coeur."
VISAGE DE JACQUES SOLOMON[21]
Pour compléter cette émouvante allocution de Paul Langevin, nous avons tenu à y adjoindre le très bel hommage qu'il devait rendre, deux ans plus tard, à la mémoire de son gendre, Jacques Solomon auquel l'attachaient si profondément des liens intellectuels aussi bien que des liens familiaux.
"Quatre années déjà se sont écoulées depuis que nous avons perdu en Jacques Solomon un des jeunes hommes sur qui nous pouvions le mieux compter pour la pensée et pour l'action. Commencée sous le signe de l'intelligence, sa trop brève existence s'est achevée sous celui du courage civique. Savant de grande classe avant vingt-cinq ans, il est mort en héros à trente-quatre; il laisse un exemple dont beaucoup de jeunes se réclament aujourd'hui et qui restera un des plus purs. Des liens, intellectuels d'abord, puis d'autres plus humains, se sont établis entre lui et moi; nous avons, pendant dix ans, vécu très près l'un de l'autre. Bien des images de lui me sont restées présentes que je voudrais évoquer ici en les rattachant aux moments essentiels de sa courte et lumineuse carrière. Je situe mon premier souvenir de lui dans le cadre pittoresque du Congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences à Constantine où il avait accompagné son père, l'éminent docteur Iser Solomon, médecin, radiologiste et physicien. L'insatiable curiosité d'esprit de Jacques m'avait frappé. Son visage attentif que dominait un front puissamment modelé annonçait l'intelligence claire, profonde et souple que j'appris bien vite à aimer et qui se manifesta dès ses premiers travaux. Les problèmes les plus difficiles attiraient son esprit, comme les plus hautes cimes attiraient son corps, de Petite taille, mais rendu robuste par l'alpinisme auquel il consacrait toutes ses périodes de liberté, entretenant ainsi le bel équilibre que j'ai toujours admiré en lui. Les guides de Chamonix aimaient l'accompagner et je les ai vus souvent venir le tenter, dès que le moment leur semblait propice à quelque course nouvelle. J'aime à croire que ce goût pour la fréquentation des régions élevées, pour la sérénité des grandes idées et des vastes étendues, que le double entraînement de l'esprit et du corps ne sont pas étrangers à la force d'âme dont il a su raire preuve aux heures douloureuses. Jacques, que l'exemple de son père et le milieu dans lequel il vivait, avaient orienté vers la médecine, et qui était externe des hôpitaux au moment de son mariage, vint habiter chez moi et commença la préparation de l'internat. Son goût pour la réflexion abstraite et la séduction des idées nouvelles lui firent abandonner bientôt pour la physique théorique la carrière médicale qu'il savait plus facile pour lui qui lui semblait moins belle. Mais moins de deux ans après, Jacques était docteur ès science avec une thèse remarquable dans laquelle il résolvait un des problèmes les plus difficiles de la théorie quantique des champs. Puis ce fut, en sept ou huit ans, une succession continue de travaux, plus de quarante notes ou mémoires, couronnés en 1939 par la publication dans un important volume, du cours Peccot dont il avait été chargé l'année précédente au Collège de France. Pendant cette période, il participa de la manière la plus active à la vie scientifique si intense, soit ici, soit à l'étranger, passant successivement, pour étudier ou pour enseigner, à Copenhague, à Zurich, à Berlin, à Londres, à Cambridge, à Kharkow, à Moscou, entraînant Hélène avec lui et nouant des relations de travail ou d'amitié avec les représentants les plus éminents de la physique théorique en Europe, Niels Bohr, Wolfgang Pauli, Léon Rosenfeld, Moeller, Félix Bloch, Klein, Fowler, Mott, Peierls, Plessett, Guido Beck, et bien d'autres dont je revois les visages près du sien. La guerre interrompit cette activité féconde, mais Jacques la reprit dès sa démobilisation en 1940 et la continua même au cours de sa vie clandestine. Ce sont les problèmes du rayonne-ment stellaire qui l'occupent alors et je me rappelle lui avoir envoyé de Troyes, peu de temps avant son arrestation, un volume du récent Congrès d'Astrophysique sur les supernovae. Le devoir qu'il avait reconnu au savant, et qu'il a su remplir jusqu'au sacrifice, de s'intéresser aux problèmes humains, politiques et sociaux, l'avait conduit, suivant d'abord son goût pour la pensée abstraite, vers la philosophie. Avec son exceptionnelle facilité de travail, il avait lu et assimilé les oeuvres des grands tuteurs, depuis Descartes jusqu'à Hegel, Marx, Engels et Lénine. J'ai souvenir d'avoir, au cours de longues soirées, bénéficié de l'effort qu'il avait ainsi fourni et avoir mieux compris, grâce au matérialisme dialectique dont il était maître, l'évolution de la science que nous aimions tous deux. Je le revois aussi, à la veille de Munich, pendant les vacances de 1938, dans le châlet où, au pied du glacier des Bossons, entre deux courses de montagne, il travaillait à la traduction d'un livre d'Engels avec Georges Politzer qui fut, dans la pensée et dans l'action, son compagnon jusqu'à la mort[22]".
"Sur le plan de la pensée, ce travail commun les conduisit à s'occuper d'économie politique et d' autres questions d'importance sociale que Jacques, sans que son travail personnel parût en souffrir, consacra beaucoup de temps à présenter dans des articles accessibles au grand public. En même temps, depuis son retour de Berlin, où il avait, en 1933, assisté à la tragique prise de possession du pouvoir par les nazis, il participa de manière active à l'action politique et à la lutte contre le fascisme, voyant avec lucidité venir la catastrophe et s'efforçant avec nous de la conjurer. Après avoir éprouvé ensemble les émotions de ces années dramatiques, la surprise du 6 février, les espoirs du Front populaire, les hontes de la non-intervention en Espagne et de la trahison de Munich, nous fûmes séparés par la mobilisation de 1939 qui incorpora Jacques, en souvenir de ses études de médecine interrompues, dans le service de santé militaire, comme gestionnaire d'un hôpital de Rouen, replié successivement à Chères, à Arromanches, puis à Agen (d'où je vis arriver successivement Hélène et lui à Toulouse où m'avait amené l'exode de mes laboratoires parisiens). Démobilisé à Agen à la fin de juillet 1940, il doit attendre un mois pour pouvoir remonter à Paris où j'étais rentré moi-même quelques semaines auparavant. Mon arrestation, le 30 octobre 1940, décida de son sort. C'est, en grande partie, pour protester contre elle qu'il entreprit avec ses compagnons de lutte et de sacrifice la publication de l'Université Libre et commença avec Hélène, la vie clandestine qui devait durer plus d'un an et les conduire, lui à la torture et à la mort, elle à plus de trois années d'emprisonnement et de déportation. Il y a aujourd'hui quatre ans que Jacques est mort, un an qu'Hélène est de retour. L'émotion que j'éprouve en évoquant ces souvenirs resterait trop personnelle si elle ne s'élargissait à la pensée de tant de martyrs, aux sacrifices desquels chaque jour apporte ses anniversaires. En pensant à ceux qui le touchent de plus près, le vieil homme que je suis pense à ceux des autres. Puisse l'évocation de la vie si pure et si bien remplie de Jacques Solomon rappeler à tous ceux qui ont souffert dans leur chair ou dans leurs affections combien nous sommes proches les uns des autres et ce que représente pour nous tous le commun sacrifice de tous nos héros."
LES DERNIERES ANNEES
Paul Langevin a cependant repris son activité d'avant-guerre. Il a même accepté de nouvelles tâches et malgré les années, malgré sa santé affaiblie, il se donne, sans compter, sans prendre en considération les avis des médecins ou l'affectueuse insistance de ses proches. Il a repris la présidence de l'Union Rationaliste et de diverses sociétés pédagogiques. Il préside France-U.R.S.S. Il a remplacé à la tête de la Ligue des droits de l'Homme, Victor Basch, sauvagement assassiné par les miliciens. Il a été élu conseiller municipal de Paris et pour la première et la dernière fois, représente ses concitoyens dans une assemblée élective... Et il continue à diriger l'École de Physique et Chimie, trouve encore le temps d'avoir une activité intellectuelle intense : préparation de ses cours au Collège de France; rédaction d'un très important travail scientifique non encore publié sur le ralentissement des neutrons rapides, direction de la Pensée, qui, clandestine pendant l'occupation sous le nom de la Pensée libre, a repris sa publication au grand Jour dès la fin de 1944; interventions à l'Union Nationale des Intellectuels pour défendre la paix à nouveau menacée; et enfin, pour nous en tenir à l'essentiel, présidence et direction effective, avec l'aide du docteur Henri Wallon, de la Commission de réforme de l'enseignement.
De cette extraordinaire activité des dernières années de Paul Langevin, les textes publiés dans les autres parties de ce recueil, sur l'ère des transmutations ou sur les rapports entre culture et société, ont déjà donné une faible idée. Ceux que nous avons groupés dans cette dernière partie et qui se rapportent davantage aux problèmes politiques et sociaux, peuvent par leur hauteur de vues, être considérés comme de suprêmes messages. On y retrouve les thèmes généraux chers à l'illustre physicien, mais exprimés souvent avec une gravité boute particulière. Les douloureuses épreuves de la guerre, l'adhésion consciente et réfléchie au parti communiste français, l'approche de la mort aussi, peut-être, semblent avoir donné à la pensée de Paul Langevin une force nouvelle et une orientation plus marquée vers les actes réalisateurs. Paul Langevin, en effet, a définitivement résolu en ce qui le concerne, le grand problème qui tourmente tant d'intellectuels honnêtes, celui de l'union de la pensée et de l'action. Il y a là pour lui une expérience suprême dont il veut faire profiter ceux qui le prennent pour guide spirituel, et ce n'est certes pas par hasard que la dernière conférence qu'il fit en public, alors que son état de santé était déjà très mauvais, ait été intitulée "la Pensée et l'Action", titre qui nous a paru également le seul qui puisse convenir pour ce recueil. Ce souci d'aboutir à l'action doit être rattaché au désir — déjà si net dans "La Valeur humaine de la Science", de fonder sur des bases strictement scientifiques une éthique nouvelle qui lierait le comportement individuel aux besoins et aux aspirations véritables de l'espèce, tels que les grands penseurs progressistes l'ont peu à peu dégagés des enseignements de l'histoire. La grandeur du communisme apparaît ici en ce qu'il libère l'humanité et la met sur le chemin du bonheur grâce à la science et à l'asservissement qu'elle permet des forces naturelles. Ces idées qui rejoignent et illustrent certaines des thèses essentielles de Marx sur la libération de l'homme, étaient très chères à Paul Langevin et il songeait au moment de sa mort à les développer dans un livre qui, en un certain sens, aurait été une sorte de testament spirituel.
MESSAGE DE NOEL
(Allocution radiodiffusée, 1945)
"Une tradition très anciennement humaine nous fait, dans la saison d'hiver propice aux réunions de famille et d'amis, ou de groupes plus larges encore, autour d'un symbole de naissance ou à propos du retour de l'année nouvelle, resserrer et rendre plus conscients les liens qui nous unissent à ceux que nous aimons à des titres divers. Nous y cherchons et nous y trouvons de nouvelles raisons d'espérer et de vivre. Ce besoin de rapprochement traduit sans aucun doute le sentiment très profond chez nous que la véritable espérance prend tout son sens et s'épanouit seulement en fonction de l'étroite solidarité qui unit les hommes et les générations. L'individu conscient d'être périssable ne peut s'isoler sans être conduit à désespérer. Je pense depuis longtemps qu'il existe un lien étroit entre le vice d'égoïsme, dont notre espèce a tant de peine à se délivrer, et l'illusion tenace d'une vie future, illusion soigneusement entretenue par les heureux de ce monde chez les déshérités, pour leur faire accepter un passage résigné dans une vallée de larmes. Nos raisons d'espérer et d'agir ne peuvent se développer vraiment que sur une large base de solidarité humaine, tout d'abord au sein de groupes différents allant de la famille jusqu'à la nation, puis entre ces groupes eux-mêmes.
Ainsi chaque être humain, consciemment inséré dans la vie de l'espèce, se sent dépositaire d'un trésor de culture issu de l'effort de ses ancêtres, et qu'il a le devoir de transmettre à ses descendants, en l'enrichissant dans la mesure de ses forces. Nos ancêtres ayant, à travers maintes épreuves, réussi à vivre puisque nous sommes présents, ont dû nécessairement, avant de la transmettre, faire confiance à la vie, c'est-à-dire espérer. Cette confiance, héréditairement transmise depuis les origines les plus lointaines, est la base profonde de notre espérance, et nous fait un devoir de prolonger cette vie individuelle ou collective. Le groupe que constitue notre France vient, par sa résistance à l'oppression pendant les années peut-être les plus sombres de son histoire et par son grand effort de libération, de donner une preuve nouvelle de sa vitalité. La claire conscience des causes de son malheur, sa volonté nettement exprimée d'y remédier dans la justice sociale et dans la paix nous permettent d'espérer qu'elle aura raison des égoïsmes encore déchaînés. Mettant en valeur mieux qu'autrefois, les richesses matérielles et humaines dont elle est si largement pourvue, elle saura reprendre sa place parmi les nations et, fidèle à son passé, jouer le rôle essentiel qui lui revient dans la nécessaire organisation du monde en face des dangers, anciens et nouveaux, qui nous menacent tous. J'ajouterai enfin, puisque jeunesse est synonyme d'espoir, qu'une raison profonde d'optimisme est pour moi la jeunesse de l'espèce humaine, dont le passé, d'à peine un million d'années depuis la découverte du feu, est insignifiant par rapport aux milliards d'années que notre science actuelle lui accorde pour donner naissance sur la terre à. des formes de vie dont notre imagination est impuissante à prévoir la richesse et la beauté."
SUR LA DEVISE « LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE »[23]
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Liberté. — "Au moment où, après six années de guerre ou d'esclavage, la nation tout entière va être appelée à fixer pour longtemps son destin en se donnant une Constitution nouvelle qui lui permettra de se montrer à la fois fidèle à son passé et consciente de ses riches possibilités d'avenir, au moment où, après le cauchemar de l'occupation et la honte de Vichy, un jour nouveau se lève sur notre République et fait briller d'un éclat plus vif que jamais sa devise retrouvée, 'il peut être utile de méditer un moment sur le sens profond des trois mots sacrés qui composent celle-ci, sur l'enrichissement que lui ont apporté l'expérience des vivants et le sacrifice des morts.
Du politique au philosophique, du concret à l'abstrait, je ne connais pas de mot ayant un sens plus riche et plus varié que celui de liberté, pas de notion ayant donné lieu à plus (le controverses, ayant plus évolué au cours des siècles. Liberté d'action, d'opinion, d'expression, autant d'aspects divers et de conquêtes non encore terminées sur un terrain où s'opposent tant d'intérêts individuels ou collectifs et où l'humanité s'efforce de trouver une synthèse harmonieuse, favorable au développement de la vie. Depuis les sociétés primitives où l'individu, étroitement lié au groupe, n'était libre, au sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot, ni à aucun moment de sa vie, ni dans aucun de ses actes ou de ses pensées, de cette situation vers laquelle voudrait nous ramener la régression fasciste, à travers une série de crises dont la plus récente n'est pas la moins tragique ni la moins douloureuse, s'est progressivement dégagée la notion de la personne humaine et de ses droits. Entre l'esclavage antique, dont il subsiste encore des traces dans le monde et où l'homme pouvait être la propriété de l'homme, à la lutte actuelle contre l'exploitation de l'homme par l'homme, se sont placées, pour ne parler que de notre pays, toute une série de conquêtes : abolition du servage et déclaration des droits de l'homme par notre grande Révolution, liberté de la presse en 1830, suffrage universel en 1848, libertés syndicales et sociales sous la Troisième République.
Ce qui nous importe aujourd'hui, c'est de voir clairement comment notre quatrième République doit prolonger cette oeuvre en réalisant certaines conditions sans lesquelles les résultats acquis perdent la plus grande partie de leur efficacité. On a souligné depuis longtemps le fait que, sur le plan individuel comme sur le plan collectif, il n'y a pas de liberté politique sans liberté économique. L'ouvrier ou le paysan dont la vie matérielle dépend du bon plaisir d'un patron ou d'un gros propriétaire ne peuvent en général être considérés comme libres, même dans l'exercice de leurs droits politiques. De même une nation n'est pas libre dont les ressources sont détenues par une minorité d'individus isolés ou groupés en trusts. C'est avant tout le souci de défendre de tels intérêts particuliers qui a donné naissance au fascisme, ennemi de toutes les libertés, manifestant ainsi jusqu'à l'évidence l'étroite solidarité du politique et de l'économique. L'inconcevable faiblesse de tous les gouvernements devant les puissances d'argent est à l'origine de la terrible crise dont nous ne sommes pas encore sortis, et c'est seulement lorsqu'elles auront été mises hors d'état de nuire que nous aurons vraiment extirpé les racines du fascisme et que pourra enfin s'ouvrir pour notre espèce une ère de justice et de vraie liberté. Un autre aspect essentiel de la notion de liberté est qu'elle ne peut se concevoir au point de vue strictement individuel. La liberté de chacun est étroitement liée à celle de tous; l'homme seul, écrasé par la nécessité de pourvoir à ses besoins matériels, et par les forces de la nature ne saurait être vraiment libre. Après que le Moyen âge eut réalisé des libérations et franchises collectives, communales, corporatives et autres, le grand mouvement de la Réforme, prolongé par celui du XVIIIème siècle et de la Révolution, achevant de dégager la notion de la personne humaine, limitée d'abord aux cas exceptionnels du chef, du héros et du saint, puis étendue successivement à tous pour aboutir à notre Déclaration des droits de l'homme, s'est orientée nettement dans le sens individualiste et romantique, bien que soient encore trop souvent employés les termes déplaisants et d'élites et de masses. Les formules de la Déclaration des Droits : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l'exercice des droits naturels de chacun n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits » et l'adage « La liberté de chacun finit où commence celle d'autrui », sont insuffisants : elles donnent l'impression que l'organisation de la liberté dans une société humaine consiste dans l'ajustement, la juxtaposition de libertés individuelles qui se limitent réciproquement au lieu de s'exalter, comme elles le font réellement; elles semblent impliquer que seul l'homme isolé serait complètement libre. S'il est vrai que le développement, l'enrichissement de la vie, depuis les formes les plus primitives jusqu'à nos sociétés humaines les plus évoluées, va dans le sens d'une différenciation et d'une solidarité croissantes entre individus dont chacun a le double devoir de développer sa personnalité et de la mettre au service de l'être collectif, le plus libre est celui qui met le mieux en valeur ses possibilités, qui se développe dans le sens le plus conforme à sa nature et à ses aptitudes, et cela n'est possible qu'au prix d'une solidarité, d'une entraide croissante au sein d'un groupe de plus en plus vaste et de plus en plus différencié. La liberté s'accroit donc pour chacun lorsque l'union devient plus grande entre nous, à tous les degrés de l'organisation humaine, depuis l'individu jusqu'à la nation. Solidarité dans la diversité, ni égoïsme, ni conformisme, voilà une des formules de la vraie liberté. Autre formule essentielle : pas de liberté dans le désordre et dans l'ignorance. L'individu le plus libre n'est-il pas celui qui sait le mieux prévoir les conséquences de ses actes, qui a le plus clairement conscience des lois naturelles et humaines ? Celui qui, pour affirmer sa liberté, se mettrait en opposition avec ces lois, s'exposerait ou exposerait les autres à d'inutiles souffrances qui le rappelleraient bientôt à l'ordre. A ce point de vue, les lois humaines ont pour but essentiel de mettre les hommes en garde contre les conséquences de leurs actes, de les obliger à réfléchir avant d'agir. Elles doivent être, et sont effectivement, d'autant plus strictes, d'autant plus dures, que l'ignorance générale est plus grande. La science est donc facteur essentiel de libération parce qu'elle permet de prévoir et d'alléger la peine des hommes, de dominer les forces naturelles en se conformant à leurs lois. La liberté de chacun conditionnant celle des autres, une société est donc d'autant plus libre que chacun de ses membres est plus conscient, plus cultivé et plus instruit. Nous rejoignons ici l'aspect philosophique du problème de la liberté. Mon but, aujourd'hui, n'est pas d'y insister. Je veux seulement rap-peler qu'à travers la croyance grecque à l'inéluctable destin, en passant par les idées des stoïciens, de Baruch Spinoza, par le déterminisme absolu de notre XVIIIème siècle, s'est dégagée la formule : « La liberté augmente avec la conscience de la nécessité. » Bien qu'elle souligne la liaison étroite et profonde entre la science et la liberté, et traduise cette grande leçon que, dans le monde matériel comme dans le monde moral, on ne peut dominer la nature qu'en se conformant à ses lois, cette formule implique la contradiction entre liberté et nécessité, autour de laquelle tourne depuis des millénaires le vieux problème de la liberté. D'un côté l'existence des lois naturelles et la doctrine du déterminisme absolu qu'elles ont suggéré avec pour conséquence, le fatalisme d'un destin préétabli, de l'autre les évidentes possibilités de l'action qui permettent à l'homme de transformer le monde et de se modifier lui-même. Je dirai seulement que la synthèse nécessaire pour surmonter cette contradiction nous apparaît plus proche depuis que la physique moderne a pénétré dans le monde atomique et y a été conduite à remanier profondément la vieille notion du déterminisme absolu. La science ici encore, non seulement préparera, mais justifiera les possibilités de l'action, et rendra constamment celle-ci plus humaine, plus juste et plus libre."
Fraternité. - "Dans le recueillement qui convient au culte des morts, après les années douloureuses pendant lesquelles tant de sacrifices ont été consentis pour rendre possible la réalisation d'un monde plus juste et meilleur, comment ne pas voir que nos héros et nos martyrs nous ont donné le plus bel exemple de cette fraternité qui figure dans la devise enfin retrouvée de notre république. Quoi de plus fraternel que d'accepter la mort dans l'espoir de servir la grande cause humaine, ou de supporter la torture sans livrer les compagnons de lutte dont le sort dépend de votre courage. Ce sont là les plus sublimes aspects de l'affectueuse solidarité qui doit servir de lien à toute collectivité humaine et sans laquelle le groupe n'est que poussière. Une loi de notre conscience veut qu'à l'accomplissement de tout acte utile à la vie s'associe moralement un élément affectif qui en facilite ou en assure l'exécution. La nature ne veut ni travail sans joie, ni maternité sans amour, ni solidarité sans fraternité. En sens inverse, chez les êtres sains, pas de fautes sans regrets ni de crime sans remords.
Selon notre morale humaine, l'acte utile à la vie est celui qui va dans le sens d'un enrichisse-ment de celle-ci par différenciation toujours plus marquée des individus et liaison toujours plus étroite, plus consciente et plus nécessaire entre eux. D'où le double devoir de personnalité et de solidarité, la personnalité se développant par le travail dans la joie d'agir et de créer, la solidarité s'affirmant en fraternité par l'amour des hommes et l'effort de compréhension réciproque. Du fait même que depuis l'origine de la vie, nos ancêtres ont dû suivre ces règles pour survivre, se sont développées dans notre conscience, étroitement liées l'une à l'autre, la raison qui comprend et l'affectivité qui stimule. A mesure que progressait la civilisation, que s'élargissaient les groupes humains, que se multipliaient les liens entre eux, malgré les aberrations individuelles ou collectives dont nous venons d'avoir de si monstrueux exemples, la fraternité d'abord familiale comme l'indique son nom s'est étendue à la cité, à la nation et doit maintenant devenir internationale si notre espèce veut continuer à vivre. Nous y sommes aidés par le fait que la conscience profonde d'une destinée commune et de sensibilités très voisines établit, dans des conditions normales, un courant de sympathie entre deux êtres, quelles que soient leurs origines. Depuis des millénaires, toutes les fois que des intérêts ou des passions artificiellement entretenues ne les ont pas jetés les uns contre les autres, les meilleurs des hommes se sont reconnus comme frères. A eux d'imposer aujourd'hui leur foi conforme aux nécessités profondes de la vie."
LA PENSEE ET L'ACTION
DE L'ACTION A LA PENSEE
RETOUR VERS L'ACTION
ROLE SOCIAL DU SAVANT
Conférence prononcée le 10 mai 1946 à l'Union Française Universitaire et publiée ultérieurement, en 1947, par les soins de cette organisation.
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LA MORT
LE DERNIER HOMMAGE
DU PEUPLE DE PARIS
Le 19 décembre 1946, à 4 h. 30 du matin, Paul Langevin s’éteignait doucement dans son appartement de l’École de Physique et Chimie, après une courte et douloureuse maladie dont son cœur fatigué ne put supporter les souffrances.
Le peuple de Paris lui rendit, le surlendemain un dernier hommage en assistant en foule aux obsèques nationales que le Parlement unanime venait de voter. Répondant à l’appel du Parti Communiste, de la C. G. T. et de toutes les organisations progressistes, des dizaines de milliers d’ouvriers et d’intellectuels, accompagnèrent, malgré le froid très vif, son cortège funèbre du Collège de France au Père-Lachaise. Fraternellement unis dans la douleur, ils pleuraient le savant génial et le courageux camarade de combat dont la disparition laissait un vide immense dans le cœur de tous les hommes épris de bonté et de justice.
Quelques mois plus tard, le Parlement, une nouvelle fois unanime décidait que les cendres de Paul Langevin reposeraient au Panthéon au milieu des plus grandes gloires de la nation.
« Il est des êtres rares, faits de lumière et de bonté, devait écrire Frédéric Joliot-Curie, à l’occasion du transfert des cendres de Langevin[24], qui à travers la vie laissent sur leur passage les marques indélébiles de leurs grandes vertus.
Paul Langevin fut l’un de ces êtres exceptionnels, de ces êtres dont on compte très peu chaque siècle, qui par leur intelligence créatrice, leur souci de faire le bien autour d’eux, leur ardeur pour les justes causes sont à l’origine des réels progrès de l’humanité. »
Ces belles paroles du plus illustre et du fidèle disciple de Paul Langevin traduisent éloquemment le sentiment de tous ceux qui ont connu et aimé le grand savant. Sa voix s’est tue, mais sa pensée demeure vivante. Aujourd’hui encore, alors que tant de lourdes menaces pèsent à nouveau sur la paix du monde, son grand exemple continue à guider vers l’action nécessaire ceux qui se refusent à voir disparaître la civilisation humaine.
TABLE DES MATIÈRES
- ↑ A sa sortie de l'École Normale, Paul Langevin bénéficia d'une bourse de la Ville de Paris qui lui permit de passer un an en Angleterre (1897-1898) et de faire la connaissance de savants éminents comme Joseph John Thomson, Ernest Rutherford et Charles Thomson Rees Wilson.
- ↑ Paul Langevin refusa également d'entrer dans la franc-maçonnerie dont le caractère occulte convenait mal à son tempérament.
- ↑ Les efforts faits à la fin du XIXème siècle pour unifier les multiples mouvements socialistes français n'avaient pu empêcher en 1900 une nouvelle scission au Congrès de Wagram. L'affaire Dreyfus elle-même avait opposé Jean Jaurès à Jules Guesde, les deux futurs dirigeants du parti unifié. Guesde, en effet, tout en condamnant l'injustice dont était victime Alfred Dreyfus, se refusait à détourner les prolétaires de la défense de leurs propres revendications en faveur d'une cause qui n'était pas celle de l'un des leurs.
- ↑ Paul Langevin fait allusion ici aux travaux qu'il avait poursuivis pendant la guerre à la demande du Ministère de la Marine pour utiliser les ultra-sons à la détection des sous-marins.
- ↑ L'article de la Grande Encyclopédie Soviétique qui lui est consacré commence ainsi : « Einstein est le plus grand physicien de notre temps ». Il est, par contre, beaucoup plus réservé au sujet de ses conceptions philosophiques auxquelles il reproche fort justement un certain manque de « cohérence » due à l'influence de Mach.
- ↑ Walther Rathenau, homme politique allemand, partisan d'un rapprochement avec la France, assassiné en 1922, par les mêmes nationalistes allemands qui tuèrent Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.
- ↑ Parmi ces moyens, l'antisémitisme fut largement exploité. En 1935, le géologue Louis de Launay, Membre de l'Académie des Sciences n'écrivait-il pas encore (L'Eglise et la Science, p. 202): "Les conceptions mathématiques que développent aujourd'hui avec des airs de prophètes inspirés des savants juifs de Pologne, de Russie ou d'Allemagne et devant lesquelles la foule s'émerveille comme devant la lanterne magique de la fable, semblent par leur incohérence voulue, destinées à nous montrer que le génie est une forme de névrose contiguë à la folie".
- ↑ Conférence faite à la Société astronomique de France, sous le titre L'oeuvre d'Einstein et l'astronomie et publiée dans le bulletin de la Société astronomique, l'Astronomie, de juillet 1931.
- ↑ Allocution prononcée par Paul Langevin à la soirée organisée à l'occasion du 70ème anniversaire de Romain Rolland, publiée par l'Université Syndicaliste (février 1936).
- ↑ Le texte publié par Clarté porte, par erreur, "contre" au lieu de "entre".
- ↑ Maurice Thorez, Fils du peuple, Editions Sociales, Paris, 1949, p. 159.
- ↑ Florimond Bonté, Le Chemin de l'Honneur, Editions Hier et Aujourd'hui, 1949, pp. 311, 312 et 313.
- ↑ Florimond Bonté cite ici de mémoire quelques paroles de Langevin.
- ↑ Le papier et l'encre lui ayant été refusés, il écrivait sur du papier hygiénique au moyen d'une allumette qu'il enduisait de "formocarbine", produit pharmaceutique en poudre noire, qu'il avait obtenu du médecin de la prison.
- ↑ Cf. l'article de François Lescure dans Les Lettres françaises du 18 novembre 1948, p. 1. Cette manifestation du 8 novembre peut être considérée comme le prélude de celle du 11 à l'Arc de Triomphe, où dix étudiants furent tués par les Allemands et une centaine arrêtés, pour être ensuite déportés.
- ↑ Pendant son séjour à Troyes, Langevin envoya deux mémoires aux Annales de Physique, l'un sur la radioactivité et l'autre sur la possibilité d'utiliser la résonance pour mesurer les forces de gravitation.
- ↑ Hommage à Paul Langevin, allocution de Paul Langevin, éd. de Paris, 1945, p. 47.
- ↑ P. L. (ex-Laffont). Le retour de Paul Langevin en France, la Pensée, n° 12 (mai-juin 1947), p. 78.
- ↑ Loc. cit., p. 78.
- ↑ Hommage à Paul Langevin, Union Française Universitaire, Paris, 1945, pp. 48-49.
- ↑ Introduction de Paul LANGEVIN à La Pensée Française, de Jacques Solomon. U.F.U., Paris, sans date. Le texte de Langevin, daté de mai 1946, l'un des derniers donc qu'il écrivit, a paru dans l'Université libre, revue fondée clandestinement dès 1940 par Jacques Solomon.
- ↑ II s'agit de la Dialectique de la nature. La traduction ne fut pas achevée.
- ↑ Ces fragments datent de 1945. Ils doivent correspondre à la préparation d'une conférence ou d'une causerie dont nous n'avons pu retrouver trace. Toute la partie concernant l'égalité manque, ainsi que la conclusion.
- ↑ Article paru dans les Lettres Françaises du 18 novembre 1948. Le transfert des cendres de Paul Langevin au Panthéon avait eu lieu la veille.