La Nitro-glycérine et la dynamite


LA NITRO-GLYCÉRINE ET LA DYNAMITE

Depuis l’époque de l’invention de la poudre à canon jusqu’à notre siècle, l’histoire des substances explosibles ne compte pas de progrès saillants. Mais depuis un petit nombre d’années, elle s’est signalée par des découvertes nouvelles d’une importance considérable. C’est surtout en 1846, lorsque M. Schœnbein produisit pour la première fois le coton-poudre, que l’art de préparer les matières fulminantes vit s’ouvrir de nouveaux horizons. M. Schœnbein s’était borné à signaler les effets balistiques du coton-poudre, sans indiquer son mode de préparation. La nouvelle substance étonna singulièrement le monde scientifique. Ce coton, qui ne diffère en aucune façon apparente de la ouate ordinaire, qui brûle comme la poudre au contact d’une flamme, causa une véritable stupéfaction parmi les chimistes. Grâce à de persévérantes recherches, on ne tarda pas à découvrir le mode de préparation de la nouvelle substance ; on l’obtint par l’action de l’acide nitrique sur les matières cellulosiques telles que coton, papier, etc.[1]. M. Schœnbein se décida alors à publier son procédé de préparation, qui consistait à faire agir sur le coton cardé, un mélange d’acide nitrique et d’acide sulfurique.

Emploi de la dynamite en temps de guerre. — Sautage de palissades, exécuté par l’intermédiaire d’un fil électrique.

Peu de temps après, en 1847, M. A. Sobrero eut l’idée d’étudier l’action spéciale de l’acide nitrique sur d’autres substances organiques, sur la glycérine notamment, qui s’obtient, comme on le sait, dans la saponification des corps gras. La glycérine, ce principe doux des huiles, comme l’appelait Scheele, cette matière inoffensive, à la saveur douce et sucrée, se transforme sous l’action de l’acide nitrique en un liquide détonant, terrible, le plus énergique des produits explosifs connus. « La nitro-glycérine, suivant l’opinion de M. Berthelot, disloque les montagnes ; elle déchire et brise le fer, elle projette des masses gigantesques. »

Mais cette nitro-glycérine découverte par Sobrero resta longtemps sans application ; on ne considéra guère cette substance que comme un produit dangereux, et pendant dix-sept ans elle demeura à l’état de curiosité de laboratoire. C’est seulement en 1864, qu’un ingénieur suédois, M. Nobel, commença à l’utiliser dans l’industrie et à mettre à profit dans le tirage des mines et des roches son énorme force explosive.

On ne tarda pas à reconnaître en Amérique et en Europe que l’emploi de la nitro-glycérine offrait, dans le sautage des roches, une économie considérable sur la poudre de mine utilisée auparavant. Mais la difficulté de régler les conditions de sa détonation causa successivement des accidents effroyables. On cita des exemples nombreux d’explosion spontanée de nitro-glycérine, bien faits pour terrifier ceux qui étaient disposés à utiliser la nouvelle matière. Les explosions survenues à Aspinwall, à San Francisco, à Sidney, à Hirschberg en Silésie, alarmèrent à juste titre les gouvernements des divers pays civilisés ; elles furent en effet si soudaines, si effroyables, que jamais semblables sinistres ne s’étaient signalés dans les annales de l’industrie. Le lecteur va en juger par quelques faits que nous croyons intéressant de reproduire, d’après un mémoire lu à la Société des ingénieurs de Londres.

En 1866, le steamer l’Européen débarquait sa cargaison le long du warf de la compagnie d’Aspinwall. Tout à coup une explosion formidable se fait entendre. Le pont, les agrès et les flancs du navire volent en éclats et sont projetés au loin. Quinze personnes sont littéralement mises en pièces par la détonation. L’Européen avait à son bord plusieurs caisses de nitro-glycérine, qui avaient fait explosion au moment où des porteurs les avaient trop brusquement maniées. Quelques jours après, le steamer le Pacifique débarquait à San Francisco deux barils de nitro-glycérine. À peine ces barils furent-ils portés en ville, qu’ils éclatèrent spontanément. La détonation fit plusieurs victimes ; elle se produisit avec une violence si extraordinaire que tout un quartier fut littéralement ébranlé, comme il aurait pu l’être sous l’action d’un tremblement de terre.

En présence de semblables sinistres, tout le monde se révoltait contre l’emploi de la nitro-glycérine, et l’opinion réclamait avec instance le bannissement d’une substance que l’on était en droit de considérer comme un danger public. Peu à peu l’usage de la nitro-glycérine devint moins fréquent jusqu’en 1867, époque à laquelle M. Nobel eut l’idée de mélanger cette substance explosible avec un corps inerte, pulvérulent comme la silice : la nitro-glycérine, divisée par son mélange avec le corps pulvérulent, ne perd en aucune façon ses propriétés énergiques, mais elle ne détone que sous l’action d’une forte amorce de fulminate de mercure, son maniement devient pratique et exempt de péril. Ce mélange de nitro-glycérine et d’une poudre inerte, fut désigné sous le nom de dynamite.

Désormais les craintes justifiées dont l’usage de la nitro-glycérine était l’objet, cessèrent d’exister : l’emploi de cette force nouvelle, mise entre les mains des industriels par la chimie, se généralise de jour en jour ; les gouvernements, loin d’interdire aujourd’hui l’usage de la dynamite, en encouragent en quelque sorte les applications. C’est ainsi que, tout récemment, une commission chargée d’examiner un projet de loi sur le prix de vente de la nouvelle matière explosible a présenté son Rapport à l’Assemblée nationale[2] et reconnaît l’innocuité de son emploi[3].

Il nous paraît intéressant, à ce sujet, d’étudier les propriétés, le mode de préparation, les différentes applications de la nitro-glycérine et de la dynamite.

La nitro-glycérine se prépare dans le laboratoire en laissant tomber goutte à goutte de la glycérine dans un mélange formé de 2 parties en poids d’acide sulfurique et de 1 partie d’acide nitrique concentré. À chaque addition de glycérine, on agite le mélange et on le laisse refroidir. Il se dégage pendant cette opération des torrents de vapeur rutilantes. La quantité de glycérine employée est de 2 à 3 grammes environ pour 4 à 5 grammes d’acide nitrique. On laisse la réaction se produire pendant plusieurs minutes, on jette le tout dans un vase d’eau : la nitro-glycérine obtenue se rassemble au fond du vase sous forme d’un corps huileux blanchâtre. On la lave à grande eau par décantation et on la recueille à l’aide d’une pipette.

M. Kopp, en 1866, opéra ces réactions sur une bien plus grande proportion ; il put traiter à la fois dans un grand vase en grès 500 grammes de glycérine par 2 kilogrammes d’acide sulfurique mélangé de la moitié de son poids d’acide nitrique fumant. Pendant le siège de Paris, un chimiste distingué M. Paul Champion, assisté de M. H. Pellet, perfectionna singulièrement aussi le mode de production de la nitro-glycérine ; il parvint à préparer à la fois plusieurs kilogrammes de cette terrible substance par divers procédés qu’il a étudiés à la suite de nombreuses expériences[4]. MM. Champion et Pellet se signalèrent pendant le siège par les services qu’ils rendirent à la défense, pour faire sauter des arbres, des murailles, etc., au moyen du produit explosif qu’ils préparaient eux-mêmes.

La nitro-glycérine est un liquide huileux, doué d’une odeur faiblement éthérée et aromatique, qui produit des maux de tête. Sa saveur, d’abord légèrement sucrée, est âcre et brûlante. La nitro-glycérine est soluble dans l’éther, l’esprit de bois (alcool méthylique), et l’alcool ordinaire. Ce curieux composé ne détone pas sous l’action d’une flamme ou de la chaleur ; il ne fait explosion que par l’effet d’un choc.

« Si l’on soumet, dit M. Abel, à l’influence d’une source de chaleur suffisamment intense une portion de la masse liquide, on obtient à l’air libre une inflammation et une combustion graduelles que n’accompagne aucune explosion. Il arrive même, lorsqu’on met la nitro-glycérine à l’abri du contact de l’air, que l’on rencontre une véritable difficulté pour faire naître et développer avec certitude la force explosive à l’aide d’une source de chaleur ordinaire. Mais si l’on soumet la matière à un choc brusque, comme celui d’un marteau vigoureusement frappé sur une surface dure, on obtient une explosion accompagnée d’une détonation[5]. »

En général, pour faire détoner la nitro-glycérine on produit une espèce de choc ou d’ébranlement au moyen de l’explosion d’une amorce fulminante ; le fulminate de mercure réussit dans presque tous les cas à ébranler la masse et à la décomposer subitement.

M. Berthelot, à qui l’on doit un magnifique travail sur les matières explosibles, nous mentionne quelques chiffres du plus haut intérêt, qui donnent une idée de l’extraordinaire puissance de la nitro-glycérine : « 1 kilogramme de nitro-glycérine, dit le savant chimiste, détonant dans une capacité égale à 1 litre, développera une pression théorique de 243 000 atmosphères, quadruple de celle de la poudre, une température de 93 400 degrés, et une quantité de chaleur égale à 19 700 000 calories ; le travail maximum sera presque triple de celui de la poudre. 1 litre de nitro-glycérine pèse 1 kil. 60. En détonant dans une capacité complètement remplie, comme il arrive dans un trou de mine, ou bien quand on opère sous l’eau, cette substance devrait développer une pression de 470 000 atmosphères, huit à dix fois aussi grande que celle produite par le même volume de poudre. La chaleur dégagée étant de 38 000 000 calories, le travail maximum pourra s’élever à plus de 16 milliards de kilogrammètres, valeur quintuple de celle du travail maximum de la poudre sur le même volume. Ces chiffres colossaux ne sont sans doute jamais atteints dans la pratique, surtout à cause des phénomènes de dissociation ; mais il suffit qu’on en approche pour expliquer pourquoi les travaux et surtout les pressions développées par la nitro-glycérine surpassent les effets produits par toutes les autres matières explosibles usitées dans l’industrie. Les rapports que les chiffres signalent entre la nitro-glycérine et la poudre, par exemple, s’accordent assez bien avec les résultats empiriques observés dans l’exploitation des mines[6]. »

On conçoit, d’après ces faits, quels peuvent être les ressources que la nitro-glycérine met entre les mains de l’industrie dans le travail des mines, dans la perforation des tunnels, etc., mais malheureusement ce capricieux agent détone parfois, comme nous l’avons vu par les accidents cités plus haut, sous l’influence d’un choc insignifiant. Une caisse de nitro-glycérine est posée lourdement sur le sol ; il n’en faut peut-être pas davantage pour déterminer l’explosion de la terrible substance. Aujourd’hui la nitro-glycérine ne s’emploie plus guère qu’à l’état de dynamite.

La dynamite, dont le nom vient du grec (δύναμις, force, puissance), est un mélange mécanique de nitro-glycérine et de silice poreuse. Cette silice constitue par la porphyrisation une poudre blanche qui peut absorber par le mélange jusqu’à 75 pour 100 de nitro-glycérine : « L’absorption de la nitro-glycérine dans les grains de silice, dit M. Barbe, auteur d’un remarquable mémoire sur la dynamite, place le liquide dans les interstices d’une substance poreuse susceptible de mobilité et ne transmettant pas les chocs même les plus violents. Les petits canaux de cette silice forment de petits réservoirs d’huile explosive dans lesquels le liquide n’est maintenu que par l’action de capillarité. Les chocs violents appliqués à de grandes masses de dynamite produisent une compression des molécules, leur déplacement, peut-être même l’écrasement partiel de quelques vaisseaux infiniment petits, mais les particules de la masse de nitro-glycérine elle-même ne reçoivent pas le choc nécessaire à leur explosion. Ces considérations ont été entièrement confirmées par la pratique. Le mélange de la nitro-glycérine et de la silice s’effectue très-simplement. La porosité de la silice assure une répartition uniforme. »

Il existe un grand nombre d’autres substances pulvérulentes propres à servir d’absorbant de la nitro-glycérine. Le kaolin, le gypse, et surtout le sucre en poudre, donnent de bons résultats d’après les travaux de MM. Ch. Girard, Millot et Vogt. D’après les travaux de M. Paul Champion, le plâtre peut absorber jusqu’à 50 pour 100 de nitro-glycérine, le carbonate de magnésie 75 pour 100. Ce dernier chimiste utilisait pendant le siège de Paris une dynamite formée de cendres de boghead (résidu de la fabrication du gaz riche d’éclairage) mélangées à 55 pour 100 de leur poids de nitro-glycérine.

La dynamite offre l’aspect d’une matière pulvérulente ; elle est généralement formée, quand elle est bien préparée, de 64 à 70 pour 100 de nitro-glycérine et, de 36 à 40 pour 100 de matière pulvérulente. La dynamite à 60 pour 100, bien fabriquée, soumise au choc du marteau sur une enclume, ne détone pas comme la nitro-glycérine. Si la température s’élève à 40 ou 50 degrés centésimaux, l’explosion a lieu. Elle se produit encore, mais partiellement, sans s’étendre aux parties avoisinantes si on la frappe violemment quand elle est étendue en couche très-mince. Nous ne décrirons pas les expériences qui ont été faites par de nombreux expérimentateurs sur l’action du choc sur la dynamite, nous nous bornerons à résumer ces travaux divers, en disant avec MM. Bolley, Kundt et Pestalozzi : « On peut faire tomber d’une grande hauteur des caisses remplies de dynamite sans qu’il y ait explosion. » Cette substance détonante bien emballée peut donc être presque impunément transportée ; cependant quand elle est à l’état libre et qu’elle est soumise à un choc violent, produit entre deux corps durs, fer contre fer, par exemple, elle ne manque pas de se décomposer.

Les derniers observateurs que nous venons de citer ont étudié l’action de la chaleur sur la dynamite. Voici ce qu’ils disent à ce sujet : « On place une cartouche de dynamite dans un étui de fer blanc ouvert à une extrémité. Jetée dans le feu, cette dynamite brûle sans faire explosion. Après avoir mis de la dynamite dans le même tube, on le ferma avec un bouchon métallique à vis et on le plaça de nouveau dans un feu ardent. On eut bientôt une forte détonation, et les charbons furent dispersés de tous côtés. De ces expériences on peut conclure que la dynamite à nu ou sous une enveloppe présentant une faible résistance, ne peut faire explosion sous l’action du feu le plus intense, et qu’au contraire, dans les mêmes circonstances, elle peut produire une explosion considérable quand elle est enfermée dans une enveloppe de quelque résistance. »

L’emploi de la dynamite dans l’industrie a acquis depuis peu une importance considérable : quand on veut se servir de cette substance explosible, on la fait détoner en enflammant une amorce au fulminate de mercure mélangé de nitrate de potasse (salpêtre). La cartouche de dynamite peut être munie d’une mèche analogue à celle que l’on utilise depuis longtemps dans les mines pour l’explosion de la poudre. Mais il est très-avantageux, dans un grand nombre de cas, de faire partir la dynamite à distance à l’aide d’un courant électrique dirigé par un fil conducteur. Après avoir placé la dynamite dans le trou de mine que l’on veut faire sauter, après y avoir superposé l’amorce destinée à la faire détoner, munie au préalable de fils de platine, on adapte à ceux-ci les fils conducteurs de l’électricité, que l’on déroule jusqu’au point d’où l’on veut déterminer l’explosion. Il ne s’agit plus que de faire passer le courant électrique dans les fils conducteurs ; il arrive jusqu’aux fils de platine dont l’amorce est munie, il jaillit sous forme d’étincelle, enflamme une petite mèche de coton-poudre, fait détoner le fulminate de mercure et produit enfin l’explosion de la dynamite. — Un exploseur magnéto-électrique, très-employé pour ce mode d’expérimentation, est dû à M. Bréguet ; il consiste en une armature de fer doux en contact avec les pôles d’un aimant. Nous ne décrirons pas les dispositions de cet appareil, nous nous bornerons à dire qu’il suffit de donner un coup de poing sur un bouton auquel l’armature est adaptée par l’intermédiaire d’un levier, pour donner naissance à une étincelle électrique due aux courants d’induction qui ont pris naissance. Cet appareil ne nécessite ni pile, ni aucun accessoire ; il est toujours prêt à fonctionner et offre les plus sérieux avantages. — Une de nos gravures représente le sautage de palissades, opéré en temps de guerre, au moyen de cet instrument vraiment remarquable. Une ou plusieurs cartouches de la matière explosible ont été placées à la base des palissades à faire sauter, des fils conducteurs de l’électricité mettent en relation ces cartouches avec l’exploseur que l’on voit représenté sur le premier plan. Un coup de poing, donné sur le bouton de l’appareil, fait passer un courant électrique dans les fils conducteurs, l’étincelle jaillit à leur extrémité et détermine la détonation de la dynamite. Un mur peut être lézardé et fissuré à distance, comme le représente la gravure ci-dessus, et cela par le seul intermédiaire d’un fil métallique presque invisible, conducteur du courant électrique. Les applications de la dynamite à la guerre ouvrent ainsi à l’art militaire de nouveaux horizons ; cette substance d’une si grande puissance peut servir à abattre avec une étonnante promptitude des palissades, des murs, des maisons et des ouvrages d’art. Quelques parcelles de dynamite, placées dans des orifices ouverts dans un tronc d’arbre, font immédiatement tomber l’arbre entier quand on détermine leur explosion. Cette matière fulminante a aussi été efficacement employée à ouvrir des tranchées dans un sol gelé, sur lequel la pioche était sans action. Elle peut encore déterminer le brisement rapide des canons ennemis : il n’est pas, en un mot, de destructeur plus énergique, et de matière plus détonante, plus puissante. Nous ne croyons pas nécessaire d’ajouter que ces qualités en font un agent précieux dans la confection des torpilles que la marine étudie aujourd’hui avec si grande attention et dont il a été précédemment question. (Voy. Les Torpilles offensives)

Effets produits par l’explosion de cartouches de dynamite sur un mur.

Les applications de la dynamite à l’industrie ne sont pas moins importantes ; le mélange de nitro-glycérine et de silice est employé journellement au percement des galeries et des tunnels ; le mont Saint-Gothard est ouvert actuellement par la dynamite entassée dans les trous de mine que l’on perfore dans ses flancs. La dynamite sert à l’abatage des roches, des minerais, dans les mines et les carrières, au fonçage des puits, aux travaux de tranchées des chemins de fer, aux travaux sous-marins. Elle est souvent usitée pour le brisement des glaces, pour l’exploitation des terrains gelés. Elle rend enfin de grands services pour la division des blocs métalliques, de loups ou de laminoirs, que l’industrie ne saurait diviser en fragments sans son concours.

M. Barbe, qui a étudié de près ces différentes applications de la dynamite, nous donne le récit de curieuses expériences qu’il a exécutées lui-même. Dans les carrières de calcaire de Volcksen, en Hanovre, trois coups de mine chargés de 5 kilog. de dynamite, ont détaché 600 000 kilogrammes de roche ! Dans le creusement d’un puits, le même expérimentateur a vu la dynamite produire des effets extraordinaires. La roche, à partir du trou central, se fissurait suivant des lignes rayonnantes et se disloquait complètement, de telle sorte qu’il était facile de l’extraire au coin. Rapportons encore une expérience très-intéressante faite dans une argile très-grasse, très-ferme, où la poudre à canon ne produisait aucun effet. La nouvelle matière explosible donna des résultats étonnants : « Une montagne entière, dit M. Barbe, fut soulevée et déchirée dans tous les sens. »

« Les ponts métalliques tombés, dit M. P. Champion sont d’un relèvement difficile à cause de leur poids et de la longueur des pièces qui les composent ; on a souvent avantage à les briser en fragments, dont l’extraction s’exécute ensuite à l’aide des moyens ordinaires. Dans ce cas, ainsi que nous l’avons pratiqué au pont en tôle de Billancourt, il suffit en général d’appliquer des récipients pleins de dynamite contre les parois métalliques les plus résistantes. C’est ainsi qu’avec une charge de 5 kilogrammes de dynamite, nous avons pu briser et disjoindre les rivets réunissant des plaques de tôle d’une épaisseur de 12 millimètres chacune. »

Un dernier usage de la dynamite nous reste à signaler, c’est celui qu’on a pu en faire pour la pêche. Dans les travaux sous-marins, on a remarqué depuis longtemps que, lorsqu’une forte charge de dynamite avait fait explosion, l’ébranlement formidable se communique à la masse d’eau qui s’étend au-dessus du lieu de la commotion, et cause la mort ou l’étourdissement des poissons, que l’on voit immédiatement remonter à la surface de l’eau et y flotter complètement inertes.

« Entre des mains exercées, la dynamite peut donner lieu à des résultats importants. On insère dans une cartouche du poids de 50 à 60 grammes une amorce surmontée d’une mèche Bickford, de 30 à 40 centimètres de longueur, que l’on fixe par une ligature solide. On attache la cartouche à un fragment de bois qui doit servir de flotteur et qui est muni d’une corde longue de un mètre, à l’extrémité de laquelle on place une pierre assez lourde pour entraîner ce flotteur. Dans ces conditions, la cartouche surnage à un mètre au-dessus du fond de la rivière. On descend avec précaution sous l’eau la cartouche ainsi préparée et on l’abandonne après avoir mis le feu à la mèche. Au moment de l’explosion, si la distance de la cartouche à la surface de l’eau est d’environ 2m,50, on n’entend qu’un bruit analogue à celui d’un coup de fouet. Quelques secondes après, l’eau est soulevée en forme de boule de 1m,50 de diamètre. Les poissons les plus rapprochés de l’explosion ne tardent pas à monter à la surface et sont tués sur le coup. Les autres n’apparaissent que quelques instants et ne sont qu’étourdis. L’approche de la main qui veut les saisir suffit quelquefois pour les ranimer et les faire disparaître. Aussi doit-on se hâter de les recueillir avec un filet. » Cette méthode est de celles qui sont complètement prohibées en France par les lois de la pêche. Elle est actuellement employée, en Norwége, pour pêcher les poissons marins qui arrivent par bancs innombrables à certaines époques de l’année et produit des résultats merveilleux. L’explosion d’une cartouche puissante amène à la surface de la mer des monceaux de poissons, tellement considérables, que les pêcheurs ont à peine le temps de les recueillir.

On voit, par ces résultats, que la dynamite peut être considérée comme une arme nouvelle d’une puissance formidable, mise entre nos mains par la chimie moderne ; cette matière détonante n’offre plus les dangers de la nitro-glycérine pure, elle se présente aujourd’hui comme le plus admirable outil dont l’homme dispose, pour attaquer la matière inerte, dans les grands travaux de son industrie.

Gaston Tissandier.

  1. L’action de l’acide nitrique sur la matière cellulosique peut s’expliquer par la réaction suivante :
    2(C12H10O10) + 5(AzO3HO) = 1OHO + C24H15O155AzO5
    Matière cellulosique + Acide nitrique = Eau + Coton poudre ou pyroxyline
    Déjà, en 1832, le chimiste Braconnot avait découvert la xyloïdine, matière qui brûle facilement et qui s’obtient par l’action de l’acide nitrique sur l’amidon.
  2. Voy. Journal officiel de la république française, no 219. — Assemblée nationale ; séance du 11 juillet 1873.
  3. Nous parlons ici de la dynamite fabriquée. Il va sans dire que les opérations de la production que nécessite d’abord la fabrication de la nitro-glycérine sont toujours périlleuses. C’est ainsi qu’une épouvantable catastrophe a encore eu lieu récemment à Saint-Médard-en-Salles, dans la Gironde. L’atelier affecté à la préparation de la dynamite a fait explosion. Un ouvrier a été tué sur le coup ; quatre autres grièvement blessés.
  4. Nous renvoyons le lecteur qui serait désireux de mieux apprécier les études récentes dont la dynamite a été l’objet, à l’ouvrage de M. Paul Champion : la Dynamite et la Nitro-glycérine. (J.-B. Baudry. Paris, 1872.)
  5. Annales de chimie et de physique.
  6. Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. LXXI, 1870.