La Navigation aérienne (1886)/IV.III

III

LE PREMIER AÉROSTAT ÉLECTRIQUE


Le petit aérostat dirigeable de l’Exposition d’électricité de Paris en 1881. — Construction d’un navire aérien à propulseur électrique par MM. Tissandier frères. — Expérience du 8 octobre 1883. — Deuxième expérience du 26 septembre 1884. — Conclusion.

Au commencement de l’année 1881, l’expérience du bateau électrique de M. G. Trouvé, dans lequel l’ingénieux constructeur employait un petit moteur dynamo-électrique actionné par une pile au bichromate de potasse de sa construction, me donna l’idée d’employer les moteurs électriques à la navigation aérienne. Henri Giffard se trouvait condamné par une maladie cruelle, il n’était plus possible de compter sur ses efforts et sur son concours : je résolus d’entreprendre des essais en petit a l’aide d’un modèle de dimension restreinte. Il n’est pas inutile de rappeler ici les avantages au point de vue aérostatique d’un moteur qui fonctionne sans feu, et dont le poids reste constant : ces conditions sont des plus favorables à la propulsion d’un ballon équilibré dans l’air[1].

J’ai installé à l’Exposition d’électricité, en 1881, un petit ballon allongé, gonflé d’air, qu’actionnait un minuscule moteur dynamo-électrique sur la bobine duquel était fixée une hélice, par l’intermédiaire d’une transmission à engrenage. Le générateur d’électricité était formé par deux petits accumulateurs, que mon savant ami Gaston Planté avait construits à mon usage. Ce petit ballon, attelé à un manège, au milieu de la grande nef du palais de l’Industrie, se mettait à tourner sous le jeu de son hélice, quand on mettait le moteur en action, et il atteignait une vitesse de 3 mètres environ à la seconde, avec une force motrice de 1 kilogrammètre (fig. 89). Le petit aérostat pouvait être gonflé d’hydrogène pur ; il enlevait alors son moteur et son générateur.


Fig. 89. — Petit aérostat électrique de M. Gaston Tissandier à l’Exposition d’électricité en 1881.

Ces premiers essais étaient encourageants ; ils me décidèrent à aller au delà. Mon frère Albert Tissandier joignit alors ses efforts aux miens, et c’est en collaboration, et à frais communs, que nous avons construit le premier aérostat électrique qui ait enlevé des voyageurs à l’air libre.

Voici la description succincte de notre appareil :

L’aérostat électrique a une forme semblable à celle des ballons de M. Giffard et de M. Dupuy de Lôme ; il a 28 mètres de longueur de pointe en pointe, et 9m,20 de diamètre au milieu. Il est muni, à sa partie inférieure, d’un cône d’appendice terminé par une soupape automatique. Le tissu est formé de percaline, rendue imperméable par un nouveau vernis d’excellente qualité[2]. Le volume du ballon est de 1 060 mètres cubes.


Fig. 90. — Nacelle de l’aérostat électrique de MM. Tissandier frères.

La nacelle a la forme d’une cage ; elle a été construite à l’aide de bambous assemblés, consolidés par des cordes et des fils de cuivre, recouverts de gutta-percha (fig. 90). La partie inférieure de la nacelle est formée de traverses en bois de noyer qui servent de support à un fond de vannerie d’osier. Les cordes de suspension enveloppent entièrement la nacelle ; elles sont tressées dans la vannerie inférieure et ont été préalablement entourées d’une gaine de caoutchouc qui, en cas d’accident, les préserveraient du contact du liquide acide contenu dans la nacelle, pour alimenter les piles.

Les cordes de suspension sont reliées horizontalement entre elles par une couronne de cordage, située à deux mètres au-dessus de la nacelle.

Les engins d’arrêt pour la descente, guide-rope et corde d’ancre, sont attachés à cette couronne, qui a en outre pour but de répartir également la traction.

La housse de suspension est formée de rubans cousus à des fuseaux longitudinaux qui les maintiennent dans la position géométrique qu’ils doivent occuper. Les rubans, ainsi disposés, s’appliquent parfaitement sur l’étoffe gonflée et ne forment aucune saillie, comme le feraient les mailles d’un filet. Il est très important de n’avoir point à la surface d’un ballon dirigeable de parties saillantes qui offrent à l’air une grande résistance.

La housse de suspension est fixée sur les flancs de l’aérostat, à deux brancards latéraux flexibles, qui en épousent complètement la forme, de pointe en pointe, en passant par l’équateur. Ces brancards sont formés de minces lattes de noyer adaptées à des bambous sciés longitudinalement ; ils sont consolidés par des lanières de soie. À la partie inférieure de la housse, des pattes d’oie se terminent par vingt cordes de suspension qui s’attachent par groupe de cinq aux quatre angles supérieurs de la nacelle.

Le gouvernail, formé d’une glande surface de soie non vernie, maintenue à sa partie inférieure par un bambou, y est aussi adaptée à l’arrière.

Le moteur est constitué par une machine dynamo de Siemens ; construite spécialement, et ayant une force de 100 kilogrammètres sous le poids de 45 kilogrammes. — L’hélice de propulsion est à deux palettes ; elle est attelée à la machine par l’intermédiaire d’une transmission à engrenage. Elle a 2m,80 de diamètre et fait 180 tours à la minute. La pile au bichromate de ma construction est formée de 24 éléments à grande surface de zinc et à grand débit.

Voici les poids des différentes parties de ce matériel :

Aérostat, avec ses soupapes.
170 kilogrammes
Housse, avec le gouvernail et les cordes de suspension.
70
Brancards flexibles latéraux.
34
Nacelle.
100
Moteur, hélice et piles avec le liquide pour les faire fonctionner pendant 2 h. 30.
280
Engins d’arrêt (ancre et guide-rope).
50
Poids du matériel fixe.
704
Deux voyageurs avec instruments.
150
Poids du lest enlevé.
386
Poids total
1240 kilogrammes

Depuis la fin de septembre 1882, l’appareil à gaz construit dans notre atelier d’Auteuil était prêt à fonctionner, l’aérostat était étendu sur le terrain, sous une longue tente mobile, afin de pouvoir être gonflé immédiatement ; la nacelle et le moteur étaient tout arrimés sous un hangar qui les contenait mon frère et moi, nous n’attendions plus que le beau temps pour exécuter notre expérience.

Dès le samedi 6, une hausse barométrique a été signalée le dimanche 7, le temps s’est mis au beau, avec vent faible nous avons décidé que l’expérience aurait lieu le lendemain, lundi 8 octobre 1883.

Le gonflement de l’aérostat a commencé à 8 h. du matin et a été continué sans interruption jusqu’à 2 h. 50 de l’après-midi. Cette opération a été facilitée par des cordes équatoriales qui pendaient à droite et à gauche de l’aérostat, et le long desquelles on descendait les sacs de lest. Le navire aérien étant tout à fait gonflé (fig. 91), il a été procédé de suite à l’installation de la nacelle et des réservoirs d’ébonite, contenant chacun 50 litres de la dissolution acide de bichromate de potasse. À 5 h. 20 m., après avoir entassé le lest dans la nacelle et avoir procédé à l’équilibrage, nous nous sommes élevés lentement dans l’atmosphère par un faible vent E. S. E.

La force ascensionnelle était, en comptant 10 kilogrammes d’excès de force pour l’ascension, de 1 250 kilogrammes. Le volume du ballon étant de 1 060 mètres, le gaz avait donc une force ascensionnelle de 1 180 grammes par mètre cube, résultat qui n’avait jamais été obtenu jusqu’ici dans les préparations en grand de l’hydrogène.

À terre, le vent était presque nul, mais comme cela se présente fréquemment, il augmentait de vitesse avec l’altitude, et nous avons pu constater par la translation de l’aérostat au-dessus du sol qu’il atteignait, à 500 mètres de hauteur, une vitesse de 5 mètres à la seconde.


Fig. 91. — Expérience du premier aérostat électrique de MM. Tissandier frères dans leur atelier d’Auteuil, le 8 octobre 1885. (D’après une photographie.)

Mon frère était spécialement occupé à régler le jeu de lest, dans le but de bien maintenir l’aérostat a une altitude constante et peu éloignée de la surface du sol. L’aérostat a très régulièrement plané à une hauteur de quatre ou cinq cents mètres au-dessus de la terre il est resté constamment gonflé, et le gaz en excès s’échappait même par la dilatation, en ouvrant sous sa pression la soupape automatique inférieure, dont le fonctionnement a été très régulier.

Quelques minutes après le départ, j’ai fait fonctionner la batterie de piles au bichromate de potasse, composée de quatre auges à six compartiments, formant vingt-quatre éléments montés en tension. Un commutateur à mercure nous permet de faire fonctionner à volonté six, douze, dix-huit ou vingt-quatre éléments, et d’obtenir ainsi quatre vitesses différentes de l’hélice, variant de soixante à cent quatre vingt tours par minute. Avec 12 éléments en tension, nous avons constaté que la vitesse propre de l’aérostat dans l’air, était insuffisante, mais au-dessus du bois de Boulogne, quand nous avons fait fonctionner notre moteur à grande vitesse, à l’aide des 24 éléments, l’effet produit était tout différent. La translation de l’aérostat devenait subitement appréciable, et nous sentions un vent frais produit par notre déplacement horizontal. Quand l’aérostat faisait face au vent, alors que sa pointe de l’avant était dirigée vers le clocher de l’église d’Auteuil, voisine de notre point de départ, il tenait tête au courant aérien et restait immobile, ce que nous pouvions constater en prenant sur le sol des points de repère au-dessous de notre nacelle.

Après avoir procédé aux expériences que nous venons de décrire, nous avons arrêté le moteur, et l’aérostat a passé au-dessus du Mont-Valérien. Une fois qu’il eut bien pris l’allure du vent, nous avons recommencé à faire tourner l’hélice, en marchant cette fois dans le sens du courant aérien ; la vitesse de translation de l’aérostat était accélérée ; par l’action du gouvernail nous obtenions facilement alors des déviations à gauche et à droite de la ligne du vent. Nous avons constaté ce fait en prenant comme précédemment des points de repère sur le sol ; plusieurs observateurs l’ont d’ailleurs vérifié, à la surface du sol.

À 4 h. 55 m., nous avons opéré notre descente dans une grande plaine qui avoisine Croissy-sur-Seine les manœuvres de l’atterrissage ont été exécutées par mon frère avec un plein succès. Nous avons laissé l’aérostat électrique gonflé toute la nuit, et le lendemain, il n’avait pas perdu la moindre quantité de gaz ; il était aussi bien gonflé que la veille. Peintres, photographes ont pu prendre l’aspect de notre navire aérien, au milieu d’une foule nombreuse et sympathique, que la nouveauté du spectacle avait attirée de toutes parts.

Nous aurions voulu recommencer le jour même une nouvelle ascension ; mais le froid de la nuit avait déterminé la cristallisation du bichromate de potasse dans nos réservoirs d’ébonite, et la pile, qui était loin d’être épuisée, se trouvait cependant ainsi hors d’état de fonctionner. Nous avons fait conduire l’aérostat à l’état captif sur le rivage de la Seine près du pont de Croissy, et là, à notre grand regret, nous avons dû procéder au dégonflement, et perdre en quelques instants le gaz que nous avions mis tant de soins à préparer.

Sans entrer dans de plus longs détails au sujet de notre retour[3], nous pouvons conclure de cette première expérience :

Que l’électricité fournit à l’aérostat un moteur des plus favorables, et dont le maniement dans la nacelle est d’une incomparable facilité ; Que dans le cas particulier de notre aérostat électrique, quand notre hélice de 2m,80 de diamètre tournait avec une vitesse de 180 tours à la minute, avec un travail effectif de 100 kilogrammètres, nous arrivions à tenir tête à un vent de 5 mètres environ à la seconde et, en descendant le courant, à nous dévier de la ligne du vent avec une grande facilité ;

Que le mode de suspension d’une nacelle un aérostat allongé, par des sangles obliques maintenues au moyen de brancards latéraux flexibles, assure une stabilité parfaite au système.

À la suite de l’ascension que nous avons exécutée le 8 octobre 1885, nous avons dû modifier quelques parties du matériel et refaire notamment de toutes pièces le gouvernail (fig. 92), dont le rôle n’est pas moins important que celui du propulseur.

Nous avons exécuté, le vendredi 26 septembre 1884, un deuxième essai ; il a donné tous les résultats que nous pouvions attendre d’une construction faite exclusivement dans un but d’étude expérimentale. Notre aérostat, dont la stabilité n’a jamais rien laissé à désirer, obéit à présent avec la plus grande sensibilité aux mouvements du gouvernail, et il nous a permis d’exécuter au-dessus de Paris des évolutions nombreuses dans des directions différentes, et de remonter même, à plusieurs reprises, le courant aérien avec vent debout, comme ont pu le constater des milliers de spectateurs.

L’aérostat a été gonflé avec le grand appareil gaz hydrogène dont nous avons parlé précédemment. À 4 heures de l’après-midi, il était entièrement arrimé et prêt à partir. Nous avons essayé à terre la machine dynamo-électrique ; mon frère et moi, nous sommes montés dans la nacelle avec un ancien marin, notre cordier, M. Lecomte, qui, ayant bien voulu se charger des manœuvres du gouvernail, a pris place à la partie supérieure de la cage de bambou, sur un petit banc de vigie construit spécialement à cet effet. L’ascension a eu lieu à 4 h. 20 m., au milieu des applaudissements et des clameurs d’une foule considérable réunie dans les environs. Mon frère Albert s’était chargé du jeu de lest destiné à maintenir l’aérostat au même niveau. M. Lecomte, tenant de chaque main les drosses du gouvernail, faisait virer de bord selon la direction que nous voulions prendre ; quant à moi, je m’occupais spécialement de faire fonctionner le moteur et de prendre le point.


Fig. 92. — Aérostat électrique de MM. Tissandier frères avec son nouveau gouvernail. — Expérience du 26 septembre 1881.

À 400 mètres d’altitude, nous avons été entraînés par un vent assez vif du N.-O., et aussitôt l’hélice a été mise en mouvement, d’abord à petite vitesse ; quelques minutes après, tous les éléments de la pile montés en tension, ont donné leur maximum de débit. Grâce aux dimensions plus volumineuses de nos lames de zinc et à l’emploi d’une dissolution de bichromate de potasse plus chaude, plus acide et plus concentrée, il nous a été donné de disposer d’une force motrice effective de 1 cheval et demi environ, avec une rotation de l’hélice de 490 à 200 tours à la minute.

L’aérostat a d’abord suivi presque complètement la ligne du vent, puis il a viré de bord sous l’action du gouvernail et, décrivant une demi-circonférence, il a navigué vent debout. Nous sentions alors un air très vif qui soufflait avec assez de force et nous indiquait que nous luttions contre le courant. En prenant des points de repère sur la verticale, nous constations que nous nous rapprochions très lentement, mais sensiblement, de la direction d’Auteuil, ayant une complète stabilité de route. La vitesse du vent était environ de 5 mètres à la seconde, et notre vitesse propre, un peu supérieure, atteignait à peu près 4 mètres à la seconde. Nous avons ainsi remonté le vent au-dessus du quartier de Grenelle pendant plus de 10 minutes ; ce mouvement d’évolution nous conduisit jusqu’au-dessus de l’église Saint-Lamhert.

Nous avions constaté avant notre ascension, par le lancement de petits ballons d’essai, et par l’observation des nuages, que les courants aériens supérieurs étaient trop rapides pour qu’il pût nous être permis de revenir au point de départ ; il nous eût été d’ailleurs de toute impossibilité de descendre dans notre terrain très exigu, et tout entouré d’arbres élevés et de constructions.

Après notre première évolution, la route fut changée et l’avant du ballon tenu vers l’Observatoire ; on nous vit recommencer dans le quartier du Luxembourg une manœuvre de louvoyage tout à fait semblable à celle que nous avions exécutée précédemment, et l’aérostat, la pointe avant contre le vent, a encore navigué quelques minutes à courant contraire pour remonter ensuite d’une façon très appréciable dans la direction du nord.

Après avoir séjourné pendant 45 minutes au-dessus de Paris, l’hélice a été arrêtée à la hauteur du pont de Bercy, et l’aérostat laissé il lui-même, tout en étant maintenu à une altitude à peu près constante, a été aussitôt entraîné par un vent assez rapide. Il passa au sud du bois de Vincennes. À partir de cette localité, il nous a été facile de mesurer encore une fois, par le chemin parcouru au-dessus du sol, notre vitesse de translation, et d’obtenir ainsi très exactement celle du courant aérien lui-même. Cette vitesse n’était pas constante ; elle variait de 3 mètres à 5 mètres par seconde, et a changé fréquemment pendant le cours de notre expérience. Arrivés au-dessus de la Varenne-Saint-Maur, à 5 h. 50 minutes, nous avions tout disposé pour la descente, devenue nécessaire par l’approche de la nuit. Le soleil se couchait au-dessus des brumes, quand nous remarquâmes que le vent diminuait sensiblement de vitesse. Mon frère me fit observer que puisque notre pile était loin d’être épuisée, nous pourrions profiter de cette accalmie pour recommencer de nouvelles évolutions, ne serait-ce que pendant quelques minutes. Aussitôt je pris mes dispositions pour remettre la machine en mouvement nous vîmes alors l’aérostat obéir facilement à son action, et remonter avec beaucoup plus de facilité que précédemment, le courant aérien devenu momentanément presque nul. Si nous avions eu encore une heure devant nous, il ne nous aurait pas été impossible de revenir vers Paris.

Cette manœuvre, à notre grand regret, dut être arrêtée promptement ; il ne fallait pas songer retarder plus longtemps la descente.

L’atterrissage eut lieu près du bois Servon, à Marolles-en-Brie, canton de Boissy-Saint-Léger (Seine-et-Oise), à une distance de 25 kilomètres du point de départ, après un séjour de 2 heures consécutives dans l’atmosphère.

Le vent de terre était assez vif ; notre guide-rope fut incapable de nous arrêter. Il fallut jeter l’ancre, qui ne mordit pas immédiatement, et notre nacelle eut à subir l’action de deux légers chocs qui nous permirent d’éprouver la solidité de notre matériel. Il n’y eut absolument rien d’endommagé.

La nouvelle disposition que nous avons adoptée mon frère et moi pour le gouvernail, nous paraît devoir être signalée, comme très favorable à la stabilité de route. Cet organe, confectionné en tissu de percaline lustrée, est placé à la pointe-arrière extrême et il fait sensiblement saillie au delà de cette pointe. Il est divisé en deux parties bien distinctes la moitié de sa surface, environ, est maintenue rigide et constitue la quille du navire aérien, tandis que le gouvernail proprement dit, qui forme la suite de cette quille, peut être incliné à droite et à gauche et déterminer, quand l’hélice est en rotation, un mouvement correspondant de tout l’appareil. Le gouvernail et la quille, tendus par des cordelettes, sont montés sur un châssis de bambou, relié d’une part aux brancards longitudinaux de l’aérostat, et d’autre part à une pièce de bois de noyer très solide, fixée au-dessous de l’hélice, à la partie inférieure de la nacelle.

La translation de l’aérostat dans l’air est facilitée par la rigidité de sa surface, et un ballon dirigeable doit être toujours bien gonflé. Notre navire aérien est muni, à sa partie inférieure, d’une soupape automatique qui favorise ces conditions. Elle est réglée de telle sorte qu’elle augmente sensiblement la pression intérieure, tout en permettant à l’excès de gaz formé par la dilatation, de s’échapper au dehors.

L’ascension du 26 septembre 1884 aura donné une démonstration expérimentale de la direction des aérostats fusiformes symétriques avec hélice à l’arrière ; et cela, sans qu’il ait été nécessaire de rapprocher, dans la construction, les centres de traction et de résistance. La disposition que nous avons adoptée favorise considérablement la stabilité du système, sans exclure la possibilité de confectionner des aérostats très allongés et de très grande dimension, qui pourront seuls assurer l’avenir de la locomotion atmosphérique.

Les expériences et les constructions dont nous venons de donner la description, ont été exécutées avec des ressources tout à fait insuffisantes, et si nous ne les continuons pas, c’est qu’elles dépassent absolument la somme d’efforts que peuvent fournir des expérimentateurs isolés, livrés à eux-mêmes, quelles que soient leur énergie et leur volonté.

Il nous fallait, le jour de nos essais, recourir à des hommes de manœuvre inexpérimentés que nous devions chercher au hasard au moment voulu, la veille de nos expériences, et qui parfois entravaient nos opérations, au lieu de les faciliter nous passions la nuit sur notre terrain pour être prêts à faire nos préparatifs vers trois heures du matin. Nous n’avions pas de hangar d’abri pour remiser l’aérostat gonflé ; nous étions contraints de tout faire par nous-mêmes, mon frère s’occupant du gonflement, et moi de la fabrication du gaz.

Ceux qui se contentent de faire des projets et de les esquisser sur le papier, ne se doutent assurément pas des efforts qu’il faut réaliser pour les mettre à exécution, dans le domaine expérimental.

Les dépenses que nous avons du faire de nos propres deniers, ont dépassé cinquante mille francs. Les subventions que nous avons reçues de quelques sociétés savantes et de généreux donateurs, n’ont pas atteint le chiffre de quatre mille francs. Mais mon frère et moi, nous ne regrettons ni notre travail, ni nos fatigues, ni notre argent, si nos essais ont pu apporter quelques progrès à la navigation aérienne.

  1. Nous renvoyons le lecteur désireux d’avoir de plus amples détails à ce sujet, à la brochure que nous avons publiée sur les Ballons dirigeables (Gauthier-Villars, éditeur).
  2. Ce produit est préparé par M. Arnoul, fabricant de vernis à Saint-Ouen-l’Aumône.
  3. Nous dirons ici que notre matériel a pu être ramené à Paris sans que rien absolument ait subi la moindre avarie ; grâce un mode spécial de fermeture de nos réservoirs d’ébonite, pas une goutte de liquide n’a été répandue dans la nacelle, et pas un seul charbon mince de la pile n’a été cassé.