La Navigation aérienne (1886)/II.IV

IV

CERFS-VOLANTS, PARACHUTES ET AÉROPLANES


Archytas de Tarente et le cerf-volant. — Le parachute de Sébastien Lenormand. — Jacques Garnerin. — Cocking. — Letur. — De Groof. — Aéroplanes de Henson et Stringfellow. — Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin. — De Louvrié. — Du Temple.

Archytas de Tarente, celui-là à qui l’on a attribué la construction d’une colombe mécanique, est l’inventeur du cerf-volant à plan incliné formé d’une matière solide, plus dense que l’air et qui se soutient dans l’air sous l’influence d’un point d’appui c’est le plus simple des aéroplanes. Le cerf-volant d’Archytas remonte à 400 ans avant notre ère, et la théorie du cerf-volant n’est pas encore faite. Elle a dérouté les mathématiciens. « Le cerf-volant, ce jouet d’enfant méprisé des savants, disait le grand Euler en 1756, peut cependant donner lieu aux réflexions les plus profondes. »

Marey-Monge disait que le cerf-volant obéit à des conditions mystérieuses, il s’est livré à de nombreuses études sur cet intéressant appareil et il arrivait à conclure que la queue du cerf-volant est un organe indispensable, et qu’un cerf-volant « chargé d’une queue qui a la moitié de son poids, monte deux fois plus haut qu’un cerf-volant sans queue !

Cependant les cerfs-volants japonais, en forme d’oiseau aux ailes étendues, fonctionnent admirablement et ils n’ont pas la moindre queue Plan incliné dans l’air, le cerf-volant a conduit les aviateurs à l’idée de l’aéroplane, plan qui doit être poussé dans l’air par un moteur, sous un angle déterminé. Nous allons arriver à l’aéroplane en partant du cerf-volant et passant par le parachute. Quand les ballons firent leur apparition dans le monde en 1775, on avait depuis longtemps oublié les descriptions de Léonard de Vinci et de Veranzio et le parachute fut découvert une seconde fois. À qui revient l’honneur d’avoir construit le premier parachute à la fin du siècle dernier ? Il est certain que Blanchard dès ses premières ascensions se servit de petits parachutes pour lancer des chiens et des animaux dans l’espace. Son vaisseau volant était muni d’un parachute. Il n’est pas moins certain que Sébastien Lenormand, peu de mois après l’ascension des premiers aérostats, effectua du haut de la tour de l’Observatoire de Montpellier une descente en parachute qui excita vivement l’attention publique. Ceci résulte d’une enquête qui a été faite à ce sujet, lorsque Garnerin prit un brevet d’invention pour le système qu’il venait d’expérimenter.

Voici en quels termes Sébastien Lenormand a revendiqué lui-même son invention ; on va voir que son droit de propriété a été reconnu.

Le 26 décembre 1783 je fis à Montpellier, dans l’enclos des ci-devant Cordeliers, ma première expérience en m’élançant de dessus un ormeau ébranché, et tenant en mes mains deux parasols de trente pouces de rayon, disposés de la manière dont je vais l’indiquer. Cet ormeau présentait une saillie à la hauteur d’un premier étage un peu haut ; c’est de dessus cette saillie que je me suis laissé tomber.

Afin de retenir les deux parasols dans une situation horizontale sans me fatiguer les bras, je fixai solidement les extrémités des deux manches aux deux bouts d’un liteau de bois, de cinq pieds de long, je fixai pareillement les anneaux aux deux bouts d’un autre liteau semblable et j’attachai à l’extrémité de toutes les baleines des ficelles qui correspondaient au bout de chaque manche.

Il est facile de concevoir que ces ficelles représentent deux cônes renversés, placés l’un à côté de l’autre, et dont les bases étaient les parasols ouverts. Par cette disposition j’empêchais que les parasols ne fussent forcés de se reployer en arrière par la résistance de la colonne d’air. Je saisis la tringle inférieure avec les mains et me laissai aller la chute me parut presque insensible lorsque je la fis les yeux fermés. Trois jours après, je répétai mon expérience, en présence de plusieurs témoins, en laissant tomber des animaux et des poids du haut de l’Observatoire de Montpellier.

M. Montgolfier était alors dans cette ville, il en eut connaissance et répéta mes expériences à Avignon avec M. de Brante, dans le courant de mars 1784, en changeant quelque chose mon parachute, dont j’avais communiqué la construction à M. l’abbé Bertholon, alors professeur de physique.

L’Académie de Lyon avait proposé un prix d’après le programme suivant :

Déterminer le moyens le plus sûr, le plus facile, le moins dispendieux et le plus efficace de diriger à volonté les globes aérostatiques.

J’envoyai un mémoire au concours, ce fut dans les premiers jours de 1784, j’y insérai la description de mon parachute dans la vue de m’assurer la priorité de la découverte.

L’abbé Bertholon fit imprimer quelque temps après un petit ouvrage, sur les avantages que la physique et les arts qui en dépendent peuvent retirer des globes aérostatiques et l’on y trouve, page 49 et suivantes, des détails sur le parachute et sur les expériences que nous fîmes ensemble.

Le citoyen Prieur avait inséré dans le tome XXI des Annales de chimie une note historique sur l’invention et les premiers essais des parachutes, il en attribuait la gloire à M. Joseph Montgolfier ; je réclamai, et ce savant distingué s’empressa d’insérer dans le tome XXXVI, page 94, une notice qu’il termine par cette phrase « La justice et l’intérêt de la vérité prescrivaient également la publicité que nous donnons à la réclamation du citoyen Lenormand, ainsi qu’aux preuves, qui paraissent en effet lui assurer la priorité de date pour les premières expériences des parachutes. » Plusieurs journaux répétèrent ce qu’avait avancé le citoyen Prieur.

Voici, monsieur, l’article relatif à mon parachute, due j’extrais mot à mot du mémoire que j’adressai à l’Académie de Lyon, et dont j’ai parlé plus haut ; j’y joins aussi la copie de la planche qui l’accompagnait.

Description d’un parachute.

Je fais un cercle de 14 pieds de diamètre avec une grosse corde ; j’attache fortement tout autour un cône de toile dont la hauteur est de 6 pieds ; je double le cône de papier en le collant sur la toile pour le rendre imperméable à l’air ; ou mieux, au lieu de toile, du taffetas recouvert de gomme élastique. Je mets tout autour du cône des petites cordes, qui sont attachées par le bas à une petite charpente d’osier, et forment avec cette charpente, un cône tronqué renversé. C’est sur cette charpente que je me place. Par ce moyen j’évite les baleines du parasol et le manche, qui feraient un poids considérable.


Fig. 31. — Premier parachute de Sébastien Lenormand.

Je suis sûr de risquer si peu, que j’offre d’en faire moi-même l’expérience, après avoir cependant éprouvé le parachute sur divers poids pour être assuré de sa solidité.

Les propriétés du parachute étaient donc très connues, lorsqu’un élève du physicien Charles, Jacques Garnerin, ayant été fait prisonnier de guerre, et se trouvant enfermé en Autriche, eut l’idée de s’évader à l’aide d’un appareil qui lui permettrait de se précipiter du haut d’une tour. Il ne réussit pas à s’échapper par ce procédé, mais quand il eut recouvré la liberté, il résolut de mener à bien l’expérience qu’il avait imaginée pendant sa captivité.

La première tentative d’une descente de ballon exécutée en parachute eut lieu le 22 octobre 1797, au parc Monceau, en présence d’une foule considérable, parmi laquelle se trouvait l’astronome Lalande. Jacques Garnerin s’éleva sous un parachute plié, attaché à un ballon. À 1 000 mètres de hauteur, il coupa la corde qui le maintenait sous l’aérostat, et il s’abandonna dans les airs. Des cris de stupeur retentirent, mais on vit le parachute s’ouvrir et osciller au milieu de l’atmosphère. Ce premier parachute avait seulement 7m,80 de diamètre. La descente fut très rapide, elle se termina par un choc violent qu’eut à subir Garnerin dans sa petite nacelle, en touchant la terre. L’intrépide expérimentateur, en fut quitte pour une contusion au pied, légère blessure, puisqu’elle ne l’empêcha pas de revenir à cheval, vers son point de départ, où il fut accueilli par des acclamations. Lalande courut à l’Institut pour annoncer à ses collègues le succès de cette grande expérience d’aviation.

Le parachute ne subit presque aucune modification après Garnerin. Il fut muni d’une ouverture centrale circulaire, destinée à laisser passer l’air à sa partie supérieure ; cette ouverture tend à éviter les oscillations de la descente, mais elle n’est pas nécessaire, d’après l’avis des spécialistes compétents. Après un grand nombre de descentes en parachute, exécutées par Garnerin et par sa nièce Elisa Garnerin, par Blanchard, par Mme Blanchard, par Louis Godard et par Mme Poitevin, on abandonna cet appareil ; il n’a en réalité aucune utilité aérostatique, et ne sert qu’à donner une démonstration expérimentale intéressante.

L’appareil de Garnerin n’est-il pas susceptible d’être perfectionné ? Sa forme est-elle le plus favorable au but qu’il s’agit d’atteindre ? Certains aviateurs pensent que le parachute de Garnerin pourrait être avantageusement modifié. En 1816, Cayley, dont nous avons déjà parlé précédemment, et qui est considéré comme l’un des partisans les plus distingués du plus lourd que l’air dans la Grande-Bretagne, exprimait l’opinion suivante : Les machines de ce genre, qui ont certainement été construites en vue de procurer une descente équilibrée, ont reçu, chose étonnante, la pire des formes qu’on puisse imaginer pour atteindre ce but.

L’inventeur anglais Cocking partageait ces idées, mais il eut la témérité de se confier à des surfaces de dimensions insuffisantes, disposées à l’inverse d’un parachute ordinaire. Son appareil avait la forme d’un cône renversé il devait fonctionner la pointe en bas.

Le 27 septembre 1856, Cocking exécuta son expérience avec l’aéronaute anglais Green, qui, convaincu de la justesse des raisonnements de l’inventeur, n’hésita pas à l’enlever attaché à la nacelle de son ballon. Ils s’élevèrent tous deux du Wauxhall à Londres, et montèrent jusqu’à l’altitude de 1 200 mètres. À cette hauteur, Green coupa la corde, qui reliait au ballon Cocking et son appareil. Le parachute retourné se précipita dans l’air avec une vitesse désordonnée ; sa surface mal calculée se déforma, et l’on vit avec stupeur le malheureux aviateur être précipité vers le sol avec une rapidité toujours croissante (fig. 32). Cocking fut broyé par le choc, et l’on releva son corps en lambeaux.

En 1853, un Français, Letur, imagina de munir un parachute de deux grandes ailes analogues à celles des coléoptères, et qui lui permettraient de se diriger pendant la descente vers un point déterminé (fig. 33). Il exhiba son appareil à l’Hippodrome de Paris à la fin de mai 1853[1], mais il n’exécuta pas son expérience. L’année suivante, le 27 juin 1854, Letur fut enlevé à Londres dans le ballon de William Henry Adam. Celui-ci était accompagné par un ami. Le parachute volant de Letur était attaché à 25 mètres au-dessous de la nacelle de l’aérostat. Une catastrophe analogue à celle de Cocking allait se produire. En voici le récit d’après le journal anglais le Sun :

La descente en parachute de l’aéronaute français, M. Letur, dont l’ascension avait eu lieu à Cremorn-Gardens, il y a quelques jours, s’est terminée d’une manière fatale pour lui. Il paraît que lorsque le ballon fut arrivé au-dessus de Tottenham, M. Adam, l’une des personnes qui occupaient des places dans la nacelle, trouvant l’endroit favorable, se prépara à descendre. Il coupa deux des cordes qui attachaient le parachute au ballon mais il s’aperçut que la troisième corde était engagée dans l’appareil de la machine.

Tout près de la station du chemin de fer de Tottenham, deux employés du chemin de fer s’étaient d’abord saisis de l’ancre attachée au parachute, mais force leur fut bientôt de lâcher prise. M. Adam, pour éviter les dangers que présentaient des arbres dans le voisinage, se mit à jeter du lest néanmoins, on heurta les arbres.


Fig. 33. — Appareil de Letur (1854).

Le parachute fut ballotté avec une grande violence dans les branchages, que l’on entendait craquer de la station, à la distance d’un quart de mille. Cependant M. Adam parvint à descendre sur le champ, tout près de la station de Marshlane. Les ancres du parachute étant demeurées attachées à des branches, à peu de distance de l’endroit où M. Adam et son ami étaient descendus, ceux-ci s’empressèrent de courir au secours du malheureux Français, qui n’avait pas voulu quitter le parachute et s’y tenait accroché avec force. Une foule immense fut bientôt sur le théâtre de l’accident, et l’on parvint après beaucoup d’efforts à dégager le malheureux M. Letur, qui, n’ayant pas perdu connaissance, quoique fortement brisé par de nombreuses contusions, poussait des cris et des gémissements. On le transporta à la taverne du chemin de fer près de la station. M. Barrett, propriétaire, le fit placer dans une chambre. On courut chercher un médecin. M. le docteur Lieks arriva.

Ce pauvre M. Letur, qui ne parle pas du tout anglais, ne cessait de répéter : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » On le mit dans un lit. Le docteur Lieks examina attentivement ses blessures. Les contusions extérieures parurent peu graves, mais le docteur jugea qu’une lésion interne d’une nature grave et mortelle devait avoir eu lieu. Dans la soirée, plusieurs personnes arrivèrent de Cremorn-Gardens, et entre autres M. Franchel, l’ami intime, du blessé, et qui l’avait engagé à venir en Angleterre par spéculation. M. Franchel, très ému et rempli de compassion pour le sort du malheureux déclara qu’il ne le quitterait pas. Cette assurance parut améliorer beaucoup l’état moral du blessé, qui pensa que sa famille pourrait avoir de ses nouvelles par l’intermédiaire de cet ami.

M. Franchel n’a pas quitté le blessé jusqu’à son dernier soupir, qu’il a rendu jeudi dernier, et il avait même déclaré qu’il ne quitterait l’hôtel qu’après avoir rendu les derniers devoirs il son ami. Jusqu’à sa mort, M. Letur a gardé sa pleine connaissance. Il s’est entretenu avec calme avec M. Franchel, à qui il a exprimé ses dernières volontés. Il avait quarante-neuf ans. On dit qu’il laisse sa famille dans l’indigence, à Paris. Sa malheureuse femme est dans un état de grossesse très avancé.

Parmi les personnes qui ont montré le plus d’intérêt pour ce malheureux a été M. Simpton, propriétaire de Cremorn-Gardens. Le parachute n’a pas été très endommagé. Il reste déposé à la taverne pour être examiné par le coroner et le jury.

Cette catastrophe causa une vive émotion et donna lieu à une enquête du coroner, Nous extrayons les passages les plus intéressants du procès-verbal qui a été publié à cette époque.

Aujourd’hui, à quatre heures de l’après-midi, M. Baker, coroner d’East-Middlesex, et un jury compose d’hommes très recommandables, se sont réunis à l’hôtel du Chemin-de-Fer, pour s’y livrer à une enquête sur la mort, de M. Letur, aéronaute français, âgé de quarante-neuf ans, mort des suites de ses blessures dans une descente en parachute.

Un grand nombre de personnages spéciaux et scientifiques assistaient à l’enquête, et notamment MM. Green, Coxwell, Hampton, aéronautes distingués. M. Adam, secrétaire, de M. Simpson, propriétaire de Cremorn-Gardens, où avait eu lieu l’ascension, représentait ce dernier.

M. William Henry Adam, aéronaute à Cremorn-Gardens, dépose en ces termes : « Le 27 juin, le défunt s’est enlevé à Cremorn-Gardens avec son parachute. Il était accompagné de M. Adam et d’un ami de ce dernier. La nacelle du ballon était environ 80 pieds au-dessus du parachute de M. Letur. Celui-ci, attaché au siège sur lequel il était placé, faisait mouvoir, à l’aide de ses pieds, deux vastes ailes avec lesquelles il guidait sa machine. Ses mains étaient entièrement libres.

L’ascension se fit, très heureusement ; en arrivant à Conden-Town, M. Adam songea à descendre. La descente étant déjà commencée, M. Adam demanda à M. Spearham, armateur, qui était avec lui dans la nacelle, si le parachute s’était ouvert, ce qui aurait dû être fait immédiatement. M. Spearham répondit que non.

M. Adam vit alors que le parachute et les cordes se trouvaient mêlées. L’humidité du gazon sur lequel le parachute était resté deux heures avant l’ascension avait exercé de l’influence sur les cordes toutes neuves.

Il fallut songer à descendre définitivement. C’est alors que le parachute se heurta avec violence contre les branches des arbres que l’on avait vainement tenté d’éviter. De là et par suite des secousses et des commotions, la mort de M. Letur.

Le coroner, après l’interrogatoire des témoins, a résumé l’affaire, et le jury, après une courte délibération, a rendu un verdict constatant que la mort avait été accidentelle.


Fig. 34. — Machine volante de Groof.

En 1872, un Belge, nommée de Groof, voulut réaliser une machine volante jouant à la fois le rôle d’ailes battantes et de parachute. Comme Cocking et Letur, il entreprit d’expérimenter son système de vol planeur, en se séparant d’un aérostat qui l’enlèverait à une assez grande hauteur dans l’atmosphère. En 1873, il voulut commencer ses essais à Bruxelles, mais il ne réussit pas. Comme jadis Degen, il fut roué de coups par la foule et devint ensuite l’objet des railleries impitoyables de ses concitoyens.

De Groof ne se lassa point ; au commencement de l’année suivante il fit insérer dans un grand nombre de journaux politiques l’annonce suivante, que nous reproduisons textuellement :

L’aéronaute demandé, se présenta dans la personne de M. Simmons, praticien anglais, et les expériences furent préparées à Londres, pour être exécutées dans les jardins de Cremorne, comme cela avait eu lieu précédemment pour Cocking et Letur. Le sort de de Groof fut le même que celui de ses prédécesseurs !

Nous allons, avant de donner le récit de cette catastrophe, faire connaître quel était le système du malheureux inventeur.

L’appareil de Groof se composait de deux ailes de 11 mètres et d’une queue de 9 mètres, à l’aide desquelles il prétendait descendre lentement dans une direction déterminée, quand on le détacherait de dessous la nacelle d’un aérostat qui l’aurait élevé à une assez grande hauteur (fig. 34). Ce n’était pas le problème du vol complet que cet inventeur cherchait à résoudre, mais une sorte de vol partiel.

Une première expérience, exécutée le 29 juin 1875 il Cremorne, a réussi, en ce sens que de Groof parvint à conserver l’équilibre et à descendre à terre sans mésaventure, à peu près dans la direction où l’aurait porté un simple parachute.

Il avait été, dans cette première expérience, lâché dans l’air à une hauteur de 500 mètres au-dessus du sol. De Groof donna lui-même à l’aéronaute Simmons le signal de la séparation. Il déclare avoir crié « Lâchez ! » Il se trouva à terre sans accident, la queue de l’appareil ayant été légèrement endommagée.

Enhardi par ce succès relatif, de Groof voulut donner une nouvelle représentation de son expérience. Le 5 juillet 1874, il exécuta une ascension dans les mêmes circonstances que précédemment, se faisant attacher au-dessous de la nacelle du ballon de M. Simmons, un des aéronautes ordinaires de Cremorne.

Il paraît qu’après être monté à quelques centaines de mètres, le ballon s’est mis à descendre rapidement, sans doute à cause d’une condensation subite. De Groof, craignant d’être écrasé sous le ballon, prit peur et cria à M. Simmons de couper la corde. Il n’était plus à ce moment qu’à trente mètres de terre.

Les ailes n’ayant pu faire parachute, le malheureux de Groof tomba aussi lourdement qu’une pierre. Il avait perdu connaissance en arrivant à terre, où il reçut un coup terrible sur la nuque, et il expira, avant qu’on eût pu le transporter à l’hôpital de Chelsea, où sa femme accourut en même temps que son cadavre arrivait.


Fig. 35. — Machine aérienne à vapeur de Henson.

Après les applications si malheureuses et si funestes qui ont été faites du parachute aux appareils de vol aérien, arrivons aux aéroplanes que les aviateurs considèrent actuellement comme le système le plus avantageux que l’on puisse préconiser.

En 1843, MM. Henson et Stringfellow, en Angleterre, construisirent successivement de grands appareils formés de plans inclinés que deux roues en hélice devaient faire progresser au sein de l’air. L’appareil de M. Henson, qui fut présenté sous le nom de machine à vapeur aérienne, consistait en un chariot adapté à un grand cadre rectangulaire de bois et de bambou, couvert de canevas ou de soie vernie. Le cadre formant plan incliné, s’étendait de chaque côté du chariot, de la même manière que les ailes étendues d’un oiseau, mais avec cette différence qu’il devait rester immobile (fig. 35). Derrière, se trouvaient deux roues verticales en éventail, munies de palettes obliques destinées à pousser l’appareil. Ces roues jouaient donc le rôle de propulseurs. Cet appareil curieux, dont on parla beaucoup à l’époque où il fut imaginé, ne fonctionna jamais convenablement.

M. Stringfellow étudia de son côté un grand projet, dans lequel il avait eu l’idée de superposer en trois étages les plans de glissement dans l’atmosphère. Aucune expérience ne fut exécutée.

Ce que MM. Henson et Stringfellow ne surent réaliser, M. Victor Tatin, dont nous avons déjà parlé précédemment, l’exécuta en petit à une époque beaucoup plus récente.

Voici comment l’auteur a décrit lui-même son ingénieux aéroplane après avoir résumé quelques intéressantes considérations d’ensemble que nous reproduisons.

On désigne sous le nom d’aéroplanes, des appareils dont l’invention est assez récente, car le premier projet rationnel qu’on en ait publié est dû à Henson, et ne remonte qu’à 1842. C’est, du reste, le type qui depuis lors a toujours été reproduit.

Le principe de cet appareil consiste à maintenir sur l’air un vaste plan auquel des hélices propulsives communiquent un rapide mouvement de translation. Personne, que nous sachions, n’avait obtenu de bons résultats au moyen des aéroplanes, avant Pénaud, qui employa encore le caoutchouc tordu pour mettre en mouvement ces petits appareils si étonnants par la simplicité de leur mécanisme (fig. 36). Cet ingénieux expérimentateur n’a malheureusement réalisé que des types d’aéroplanes de petites dimensions. La maladie qui devait nous l’enlever, a sans doute entravé ses recherches. Quelques années avant sa mort, il avait cependant publié, avec le concours d’un de nos amis communs, M. P. Gauchot, ingénieur distingué, un projet d’aéroplane de grandes dimensions ; la mort de Pénaud dut en empêcher la réalisation. Cette construction eût sans doute entraîné d’assez fortes dépenses, mais nous croyons qu’elle eût donne la preuve victorieuse de la supériorité de l’aéroplane sur tous les appareils que nous avons décrits ci-dessus.


Fig. 36. — Aéroplane d’Alphonse Pénaud.

À l’époque où Pénaud se rattachait définitivement à l’emploi de l’aéroplane comme à la méthode la plus capable de donner des résultats pratiques, nous poursuivions encore la création d’appareils basés sur l’imitation du vol de l’oiseau. Nos yeux s’ouvrirent enfin à l’évidence et nous entrâmes dans la voie que, depuis lors, nous n’avons plus cesse de suivre. Nous ne tardâmes pas à nous applaudir de ce changement, car, dès nos premiers essais, les résultats furent très satisfaisants.


Fig. 37. — Aéroplane à air comprimé de Victor Tatin, expérimenté en 1879.

Un petit aéroplane d’environ 0m2,7 de surface était remorqué par deux hélices tournant en sens inverse ; le moteur était une machine à air comprimé, analogue à une petite machine à vapeur dont la chaudière était remplacée par un récipient relativement grand et d’une capacité de 8 litres ; malgré le peu de poids dont nous pouvions disposer, nous avons pourtant pu donner à ce récipient une solidité suffisante pour qu’il puisse résister, à l’épreuve, à plus de 20 atmosphères dans nos expériences, la pression n’en a jamais dépassé 7 ; son poids n’était que de 700 grammes. La petite machine développant une force motrice d’environ 2kgm,6 par seconde, pesait 500 grammes ; enfin, le poids total de l’appareil, monté sur roulettes était de 1k,750 (fig. 37) cet ensemble quittait le sol, à la vitesse de 8 mètres par seconde, quoique les résistances inutiles fussent presque égales à celles dues a l’ouverture de l’angle formé par les plans au-dessus de l’horizon. L’expérience a été faite en 1879 dans l’établissement militaire de Chalais-Meudon. L’aéroplane, attaché par une cordelette au centre d’un plancher circulaire, tournait autour de la piste ; il a pu s’enlever du sol, et passer même une fois au-dessus de la tête d’un spectateur. Nous ne pouvons que renouveler ici les remerciements que nous avons déjà adressés à MM. Renard et Krebs, pour leur extrême obligeance et l’intérêt qu’ils semblaient prendre à nos essais.

Après ce résultat, nous avions formé le projet d’étudier avec cet appareil les avantages ou les inconvénients de l’emploi de plans plus ou moins étendus, d’angles plus ou moins ouverts, et enfin, de diverses vitesses dans chacun de ces cas ; mais nos ressources, alors plus qu’épuisées par ces longs et coûteux travaux, ne nous le permirent pas et, il notre grand regret, nous avons dû depuis, nous contenter d’indiquer le programme de nos expériences, sans pouvoir le réaliser nous-même.

L’expérience que nous venons de rapporter corroborait, d’ailleurs, nos prévisions, et nous pensons aujourd’hui pouvoir tracer les lignes principales d’un aéroplane, sans crainte de commettre de grave erreur. Dans un aéroplane, comme dans un ballon, la résistance il la translation croit comme le carre de la vitesse ; la force motrice devra donc, ici aussi, croire comme le cube de cette vitesse, mais comme, pour un angle donné et supposé invariable, la poussée de sustention et la résistance à la translation seront toujours dans le même rapport, le poids disponible augmentera avec le carré de la vitesse, de sorte qu’on se trouve sur ce point, plus avantage qu’avec l’emploi des ballons.

Il faut remarquer, par contre, qu’avec le système aéroplane, les grandes constructions ne procureront que l’avantage de pouvoir obtenir des moteurs relativement plus légers et plus économiques.

Il est bien évident que les premiers essais qu’on pourrait traiter avec des aéroplanes ne seraient que d’une courte durée. Ayons d’abord des vues modestes. Qu’une machine aérienne fonctionne seulement une heure, une demi-heure même, à la vitesse d’une quinzaine de mètres par seconde, et le progrès accompli sera immense ; on peut même dire que le problème sera entièrement résolu. Après ce premier pas, viendront rapidement les perfectionnements qu’indiquera l’expérience ; les moteurs nouveaux deviendront un but de recherches qui ne tarderont pas à être fécondes, et l’humanité se trouvera enfin en possession du plus puissant engin qu’elle ait jamais imaginé.

Beaucoup d’autres systèmes ont été proposés par les aviateurs. Michel Loup, en 1852, décrivit l’appareil que représente notre gravure (fig. 38).
Fig. 38. — Aéroplane de Michel Loup. (1852).
C’était un système formé par un plan de glissement devant s’avancer au moyen de quatre ailes tournantes. L’appareil était muni d’un gouvernail et de roues il affectait l’aspect d’un oiseau quand on le voyait de profil.

Nous ne devons pas oublier de mentionner le nom d’un mathématicien pratique dont les travaux étaient fort dignes d’intérêt : de Louvrié. Il avait imaginé un système d’aéroplane, dont les ailes pouvaient être repliées comme celles de l’oiseau. Son système de cerf-volant parachute, dont nous donnons le schéma (fig. 39), fut soumis à l’examen de l’Académie des sciences, mais aucune expérience ne put avoir lieu.

Dans cet appareil il devait y avoir une hélice de propulsion, ou un moteur à mélange détonant produisant une réaction sur l’air.


Fig. 39. — Aéroscaphe de Louvrié.

Parmi les plus fervents disciples de l’aviation par les aéroplanes, nous aurons encore à citer les frères du Temple. Dès l’année 1857, M. Félix du Temple, alors lieutenant de vaisseau, prit un brevet d’invention pour un appareil de locomotion aérienne imitant le vol des oiseaux. Bientôt aidé de son frère, M. Louis du Temple, capitaine de frégate, auteur d’ouvrages de mécanique estimés, il eut l’idée de l’aéroplane que nous représentons (fig. 40).


Fig. 40. — Aéroplane monté sur roue de M. du Temple (1857).

Cet aéroplane, formé de deux grandes ailes et d’une queue, était monté sur roue. À l’avant se trouvait une hélice d’aspiration, mise en mouvement par une machine à vapeur très légère. M. Louis du Temple a étudié avec un grand mérite les moteurs légers, et tout le monde connaît la chaudière à vapeur qui lui est due. Malgré les efforts les plus persévérants, aucun résultat d’expérimentation pratique de l’aéroplane ne put être obtenu.


Fig. 41. — Aéroplane de Thomas Moy (1871).

En 1858, Jullien, dont nous allons résumer plus loin les remarquables expériences d’aérostat allongé, voulut étudier ce que peuvent donner les appareils plus lourds que l’air. Il présenta à la Société d’encouragement pour l’aviation[2] un modèle d’aéroplane automoteur ne pesant que 56 grammes quoique ayant 1 mètre de longueur. Les propulseurs étaient des hélices à deux palettes. Le moteur, une simple lanière de caoutchouc analogue à celle qu’employait Pénaud. M. de la Landelle en a donné la description :

L’appareil, qui marchait en ligne droite et horizontale, papillonnait durant cinq secondes et parcourait une distance de douze mètres. La force dépensée était de 72 grammètres par seconde.

L’inventeur se proposait de construire un appareil de plus grande dimension, pesant 200 grammes et fonctionnant pendant 20 secondes, mais il ne donna pas suite à cette idée.

Vers la même époque M. Carlingford prit en Angleterre et en France un brevet d’invention pour un chariot ailé, muni d’une hélice de traction. Cet aéroplane singulier était destiné à être lancé en l’air au moyen d’une balançoire à laquelle on devait l’avoir préalablement suspendu. La seule force de l’homme qui s’y trouvait suspendu devait en outre permettre à l’appareil de voler comme l’oiseau dans toutes les directions.

Les projets d’aéroplanes sont innombrables et les aviateurs se nomment légion. Mais que de fois leurs projets sont absolument chimériques ! Figurons à titre de curiosité de ce genre, un projet d’appareil proposé par Thomas Moy en 1874[3] (fig. 41). Deux plans inclinés seraient animés de mouvement dans l’air sous l’influence de grandes roues à hélice. Il est facile de figurer une machine sur le papier ; mais l’art de la construire et de la faire fonctionner est plus difficile. C’est ce qu’oublient trop souvent les hommes que leur imagination entraîne loin du domaine de la science expérimentale.

Nous avons décrit les principes de l’aviation, nous avons parlé des expériences qui ont été faites. On a vu que malgré l’incontestable intérêt des études et des constructions exécutées, le plus lourd que l’air n’a pas réalisé jusqu’ici la navigation aérienne.

Est-ce à dire que la solution du problème de l’aviation n’est pas possible ? Nous nous garderons de prononcer ce mot ; mais il nous paraît certain qu’avec les ressources actuelles de la mécanique contemporaine, le problème ne saurait être résolu d’une façon pratique, les moteurs dont on dispose, étant beaucoup trop lourds.

  1. Le Constitutionnel du 1er juin 1855 donne le récit d’une visite faite à l’Hippodrome pour voir l’appareil de Letur, par M. le duc de Gênes, accompagné de l’aide de camp de l’Empereur.
  2. Société d’encouragement pour l’aviation, ou Locomotion aérienne au moyen d’appareils plus lourds que l’air. 1 broch. in-8o, Paris. J. Claye. 1807.
  3. Nous avons emprunté le dessin de cet aéroplane et de quelques-uns de ceux que nous venons de mentionner au Tableau d’aviation, dressé par M. E. Dieuaide, un de nos plus zélés historiens de la navigation aérienne.