La Navigation aérienne (1886)/II.III

III

LES HÉLICOPTÈRES


Premier hélicoptère de Launoy et de Bienvenu en 1784. — Appareil de Sir George Cayley en 1796. — Le spiralifère et le strophéor. — Nadar et le manifeste de l’aviation. — MM. de Ponton d’Amécourt et de La Landelle. — Babinet. — Hélicoptères Pénaud, Dandrieux. — Tentative de M. Forlanini.

L’école du vol aérien peut être divisée en deux systèmes différents. On peut essayer de s’élever de l’air par le battement d’ailes artificielles ; c’est ce mode d’action que nous venons d’étudier ; on peut encore tenter de s’insinuer en avant, à l’aide d’un plan incliné agissant sur l’air et poussé par un moteur. Le plan incliné peut avancer horizontalement ; il constitue alors l’aéroplane que nous examinerons dans la suite ; il peut encore tourner en forme d’hélice, il constitue dans ce cas l’hélicoptère qui fait l’objet de ce chapitre.

Nous avons vu, dans la première partie de cet ouvrage, que Léonard de Vinci et Paucton, des époques différentes, avaient eu l’idée des hélicoptères.

La plus ancienne des petites machines de ce genre qui ait fonctionné, est celle de MM. Launoy et Bienvenu ; elle a été présentée à l’Académie des sciences en 1784, et on l’a vue fonctionner longtemps au Palais-Royal. Les ailes de l’hélice avaient, d’après Dupuis Delcourt, 0m,30 d’envergure.
Fig. 24. — Hélicoptère de Launoy et Bienvenu (1784).
La rapidité du mouvement déterminait l’ascension du système. L’exécution de cette petite machine (fîg. 24), dont le moteur consistait en un fort ressort, était due à ses deux auteurs. Launoy, naturaliste, avait fourni les idées relatives au vol des oiseaux, Bienvenu, mécanicien, avait agencé et confectionné la machine.

Nous reproduisons ici une curieuse lettre que les inventeurs ont publiée dans le Journal de Paris à la date du 19 avril 1784. Cette lettre est accompagnée d’une note du rédacteur, qui a vu fonctionner le petit appareil.

Nous ignorons quels sont les moyens dont M. Blanchard prétendait se servir pour s’élever en l’air sans le secours d’un aérostat, ni ceux qu’il a adoptés pour sa direction ; nous présumons qu’il a reconnu l’insuffisance des premiers, puisqu’il y a renoncé ; à l’égard du second, l’expérience n’ayant pu avoir lieu, on ne peut savoir ce qu’il en aurait obtenu. Voulez-vous bien nous permettre de prévenir le public, par la voie de votre journal, que nous croyons être parvenus à pouvoir élever en l’air et diriger dans l’atmosphère une machine par les seuls moyens mécaniques sans le secours de la physique.

Notre machine en petit nous a parfaitement réussi. Cette tentative heureuse nous a déterminés à en exécuter une un peu plus grande qui puisse mettre le public à portée de juger de la réalité de nos moyens. Nous nous proposons d’après elle de faire l’expérience en grand et de monter nous-mêmes dans le vaisseau. Nous n’avons dans ce moment d’autre but que de prendre date, et nous attendons de votre goût pour les arts que vous ne nous refuserez pas cette faveur.

Nous avons l’honneur d’être, etc.

Bienvenu, machiniste-physicien,
Rue de Rohan, 18.
Launoy, naturaliste.
Rue Plâtrière, au bureau des eaux minérales.

Note des rédacteurs. — Avant de nous engager à insérer la lettre de MM. Bienvenu et Launoy, nous avons cru devoir nous assurer de l’essai en petit ; nous ne pouvons dissimuler que nous avons été singulièrement frappés de la simplicité du moyen qu’ils ont adopté, et nous attestons que cet essai, dans son état d’imperfection, s’est échappé plusieurs fois de nos mains et a été frapper le plafond. Nous ignorons ce que deviendra ce moyen appliqué en grand. Les auteurs paraissent n’avoir aucun doute sur le succès. Avant de prévenir le public sur la machine qu’ils travaillent dans ce moment, nous en prendrons nous-mêmes connaissance, et ce ne sera qu’après des expériences répétées que nous en ferons mention.

L’appareil de Launoy et Bienvenu fonctionna dans la salle des séances de l’Académie des sciences, le 28 avril 1784 ; il fut l’objet d’un rapport d’une commission. Ce rapport existe aux Archives de l’Institut, écrit de la main de Legendre. Il est daté du 1er mai 1784 et signé par les quatre commissaires, Jeaurat, Cousin, général Meusnicr et Legendre. Nous le reproduisons textuellement.

Nous, Commissaires nommés par l’Académie, avons examiné une machine destinée à s’élever dans l’air ou à s’y mouvoir suivant une direction quelconque, par un procédé mécanique et sans aucune impulsion initiale. Cette machine, imaginée par MM. Launoy et Bienvenu, est une espèce d’arc que l’on bande en faisant faire à sa corde quelques révolutions autour de la flèche qui est en même temps l’axe de la machine. La partie supérieure de cet axe porte deux ailes inclinées en sens contraire, et qui se meuvent rapidement, lorsqu’après avoir bandé l’arc, on le retient vers son milieu. La partie inférieure de la machine est garnie de deux ailes semblables qui se meuvent en même temps que l’axe et qui tournent en sens contraire des ailes supérieures.

L’effet de cette machine est très simple. Lorsqu’après avoir bandé le ressort et mis l’axe dans la situation où l’on veut qu’il se meuve, dans la situation verticale, par exemple, on a abandonné la machine a elle-même, l’action du ressort fait tourner rapidement les deux ailes supérieures dans un sens, et les deux ailes inférieures en sens contraire ; ces ailes étant disposées de manière que les percussions horizontales de l’air se détruisent et que les percussions verticales conspirent à élever la machine. Elle s’élève en effet et retombe ensuite par son propre poids.

Tel a été le succès du petit modèle du poids de trois onces, que MM. Launoy et Bienvenu ont soumis au jugement de l’Académie. Nous ne doutons pas qu’en mettant plus de précision dans l’exécution de cette machine, on ne parvienne facilement à en construire de plus grandes, et à les élever plus haut et plus longtemps ; mais les limites en ce genre ne peuvent être que très étroites. Quoiqu’il en soit, ce moyen mécanique par lequel un corps semble s’élever de soi-même nous a paru simple et ingénieux.

Les Anglais ont revendiqué en faveur d’un de leurs compatriotes, sir George Cayley, l’invention de l’hélicoptère.
Fig. 25. — Hélicoptère de sir Georges Cayley (1795).
D’après M. J.-B. Pettigrew, George Cayley aurait donné en 1796 une démonstration pratique de l’efficacité de l’hélice appliquée à l’air. Son appareil était presque identique à celui des deux constructeurs français que nous venons de citer. Nous figurons ce système d’après le dessin qui en a été publié dans le journal de Nicholson pour 1809 (fig. 25). Sir George Cayley a donné le mode de construction de cet hélicoptère, nous reproduisons ce passage curieux de son travail.

Comme ce peut être un amusement pour quelques-uns de nos lecteurs de voir Une machine s’élever en l’air par des moyens mécaniques, je vais terminer cette communication en décrivant un instrument de cette espèce que chacun peut construire en dix minutes de travail a et b sont deux bouchons dans chacun desquels on a planté quatre plumes d’ailes d’un oiseau, de manière qu’elles soient légèrement inclinées comme les ailes d’un moulin à vent, mais dans des directions opposées pour chaque Un arbre arrondi est fixé dans le bouchon a et se termine en pointe effilée. À la partie supérieure du bouchon b, l’on fixe un arc de baleine avec un petit trou au centre pour laisser passer la pointe de l’arbre. On joint alors l’arc par des cordes égales de chaque côté, à la partie supérieure de l’arbre, et la petite machine est complète, On monte le ressort en tournant les volants en sens contraire de manière que le ressort de l’arc les déroule, leurs bords antérieurs étant ascendants ; on place alors sur une table le bouchon auquel est attaché l’arc, et avec le doigt, on presse suffisamment fort sur le bouchon supérieur pour empêcher le ressort de se détendre ; si on l’abandonne subitement, cet instrument s’élèvera jusqu’au plafond.

En 1842, d’après M. Pettigrew, M. Philipps éleva un modèle beaucoup plus volumineux au moyen de palettes tournantes. L’appareil de M. Philipps était fait entièrement de métal et pesait complet et chargé 2 livres. Il consistait en un bouilleur ou générateur de vapeur et quatre palettes soutenues par huit bras. Les palettes étaient inclinées sur l’horizon de 20 degrés ; à travers les bras s’échappait de la vapeur d’après le principe découvert par Héron d’Alexandrie. La sortie de la vapeur faisait tourner les palettes avec une énergie considérable. Il paraît, si l’on en croit certains récits du temps, que le modèle s’éleva à une très grande hauteur, et traversa deux champs avant de toucher terre. La force motrice employée était obtenue par la combustion d’un charbon mêlé de salpêtre. Les produits de la combustion se mêlant l’eau de la chaudière sortaient à haute pression de l’extrémité des huit bras[1].

Les expériences relatées précédemment des hélicoptères de Launoy-Bienvenu et de Cayley ont été continuées par les marchands de jouets. On sait que depuis de longues années, surtout vers 1855, on trouve dans les bazars, sous le nom de spiralifères, des petites hélices s’élevant dans l’air sous l’action de la rotation obtenue par une tige de bois qui tourne quand on déroule violemment une cordelette qu’on y a enroulée au préalable. Au spiralifère on vit se joindre le strophéor, qui avait été exécuté déjà précédemment. Le strophéor ne diffère de l’hélicoptère que parce qu’il est en métal et monte beaucoup plus haut, avec une rapidité beaucoup plus considérable. Ces constructions n’avaient pas dépassé le domaine du fabricant de joujoux, quand, à la fin de 1863, Nadar lança son fameux Manifeste de l’automotion aérienne, qui fut accueilli par la presse dans tous les pays du monde, et souleva un mouvement presque universel en faveur du Plus lourd que l’air. Voici quelques-uns des principaux passages de ce manifeste, qui a fait époque dans l’histoire de la navigation aérienne

Ce qui a tué, depuis quatre-vingts ans tout à l’heure qu’on la cherche, la direction des ballons, c’est les ballons.

En d’autres termes, vouloir lutter contre l’air en étant plus léger que l’air, c’est folie.

À la plume — levior vento, si le physicien laisse parler le poète, — à la plume vous aurez beau ajuster et adapter tous les systèmes possibles, si ingénieux qu’ils soient, d’agrès, palettes, ailes, rémiges, roues, gouvernails, voiles et contre-voiles, — vous ne ferrez jamais que le vent n’emporte pas du coup ensemble, au moment de sa fantaisie, plume et agrès.

Le ballon, qui offre à la prise de l’air un volume de 600 à 1 200 mètres cubes d’un gaz de dix à quinze fois plus léger que l’air, le ballon est à jamais frappé d’incapacité native de lutte contre le moindre courant, quelle que soit l’annexe en force motrice de résistance que vous lui dispensiez.

De par sa constitution et de par le milieu qui le porte et le pousse à son gré, il lui est à jamais interdit d’être vaisseau : il est né bouée et restera bouée.

La plus simple démonstration arithmétique suffit pour établir irréfragablement, non seulement l’inanité de l’aérostat contre la pression du vent, mais dès lors au point de vue de la navigation aérienne, sa nocuité.

Étant donnés le poids qu’enlève chaque mètre cube de gaz et la quotité de mètres cubés par votre ballon d’une part et, d’autre part, la force de pression du vent dans ses moindres vitesses, établissez la différence — et concluez.

Il faut reconnaître enfin que, quelle que soit la forme que vous donniez à votre aérostat, sphérique, conique, cylindrique ou plane, que vous en fassiez une boule ou un poisson, de quelque façon que vous distribuiez sa force ascensionnelle en une, deux ou quatre sphères, de quelque attirail, je le répète, que vous l’attifiez, vous ne pourrez jamais faire que 1, je suppose, égale 20, — et que les ballons soient vis-à-vis de la navigation aérienne autre chose que les bourrelets de l’enfance[2].

Pour lutter contre l’air, il faut être spécifiquement plus lourd que l’air.

De même que spécifiquement l’oiseau est plus lourd que l’air dans lequel il se meut, ainsi l’homme doit exiger de l’air son point d’appui.

Pour commander à l’air, au lieu de lui servir de jouet, il faut s’appuyer sur l’air, et non plus servir d’appui à l’air.

En locomotion aérienne comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce qui résiste.

L’air nous fournit amplement cette résistance, l’air qui renverse les murailles, déracine les arbres centenaires fait remonter par le navire les plus impétueux courants.

De par le bon sens des choses, — car les choses ont leur bon sens, — de par la législation physique, non moins positive que la légalité morale, toute la puissance de l’air, irrésistible hier quand nous, ne pouvions que fuir devant lui, toute cette puissance s’anéantit devant la double loi de la dynamique et de la pondération des corps, et, de par cette loi, c’est dans notre main qu’elle va passer.

C’est au tour de l’air de céder devant l’homme ; c’est à l’homme d’étreindre et de soumettre cette rébellion insolente et anormale qui se rit depuis tant d’années de tant de vains efforts. Nous allons à son tour le faire servir en esclave, comme l’eau à qui nous imposons le navire, comme la terre que nous pressons de la roue.

Nous n’annonçons point une loi nouvelle : cette loi était édictée dès 1768, c’est-à-dire quinze ans avant l’ascension de la première Montgolfière, quand l’ingénieur Paucton prédisait à l’hélice son rôle futur dans la navigation aérienne.

Il ne s’agit que de l’application raisonnée des phénomènes connus.

Et quelque effrayante que soit, en France surtout, l’apparence seule d’une novation, il faut bien en prendre son parti si, de même que les majorités du lendemain ne sont jamais que les minorités de la veille, le paradoxe d’hier est la vérité de demain.

L’automotion aérienne, d’ailleurs, ne sera pas absolument une nouveauté pour tout le monde…

J’arrive à MM. de Ponton d’Amécourt, inventeur de l’Aéronef, et de la Landelle, dont les efforts considérables, depuis trois années, se sont portés sur la démonstration pratique du système, à l’obligeance desquels nous devons la communication d’une série de modèles d’hélicoptères s’enlevant automatiquement en l’air avec des surcharges graduées.

Si des obstacles que j’ignore, des difficultés personnelles ont empêché jusqu’ici l’idée de prendre place dans la pratique, le moment est venu pour l’éclosion. La première nécessité pour l’automotion aérienne est donc de se débarrasser d’abord absolument de toute espèce d’aérostat.

Ce que l’aérostation lui refuse, c’est à la dynamique et à la statique qu’elle doit le demander. C’est l’hélice la Sainte Hélice comme me disait un jour un mathématicien illustre — qui va nous emporter dans l’air ; c’est l’hélice, qui entre dans l’air comme la vrille entre dans le bois, emportant avec elles, l’une son moteur, l’autre son manche.

Vous connaissez ce joujou qui a nom spiralifère ? — Quatre petites palettes, ou, pour dire mieux, spires en papier bordé de fil de fer, prennent leur point d’attache sur un pivot de bois léger.

Ce pivot est porté par une tige creuse à mouvement rotatoire sur un axe immobile qui se tient de la main gauche. Une ficelle enroulée autour de la tige et déroulée d’un coup bref par la main droite lui imprime un mouvement de rotation suffisant pour que l’hélice en miniature se détache et s’élève à quelques mètres en l’air. d’où elle retombe, sa force de départ dépensée. Veuillez supposer maintenant des spires de matière et d’étendue suffisantes pour supporter un moteur quelconque, vapeur, éther, air comprimé, etc., que ce moteur ait la permanence des forces employées dans les usages industriels, et, en le réglant à votre gré comme le mécanicien fait sa locomotive, vous allez monter, descendre ou rester immobile dans l’espace, selon le nombre de tours de roues que vous demanderez par seconde votre machine.

Mais rien ne vaut, pour arriver à l’intelligence, ce qui parle d’abord aux yeux. La démonstration est établie d’une manière plus que concluante par les divers modèles de MM. de Ponton d’Amécourt et de la Landelle.

On voit en définitive que le manifeste de Nadar se résumait ainsi : 1o supprimer les ballons, que l’on ne saurait songer à diriger dans l’atmosphère ; 2o créer la navigation aérienne par la construction d’un grand hélicoptère mécanique.

Pour trouver le capital nécessaire aux études et aux constructions, Nadar construisit le Géant, dont on connaît les aventures dramatiques. Quelle que fût ensuite l’ardeur dépensée en faveur du Plus lourd que l’air, Nadar et ses amis n’arrivèrent à aucun résultat pratique. On fit fonctionner de petits hélicoptères-jouets dans l’une des séances de la nouvelle Société de Navigation aérienne, mais nous allons voir un peu plus loin que les tentatives faites pour aller au delà ne furent pas couronnées de succès, malgré les affirmations de M. Babinet de l’Institut, que l’un peut considérer comme le chef de l’École d’alors.


Fig. 26. — Hélicoptère à vapeur de M. de Ponton d’Amécourt (1865).
Voici, disait le savant physicien dans le Constitutionnel, ce que dit le public, par lettres, de France, d’Espagne, d’Angleterre, d’Italie ; dans des rencontres au milieu des rues ; par des interpellations de salon ; par des conseils d’amis, etc. : « Parlez-nous de l’art de voler par l’hélice. »

Mais je n’ai rien à dire de nouveau attendez la construction d’un hélicoptère qui, avec le zèle de M. Nadar, ne peut tarder à se produire. Surtout, ne confondez pas son ballon géant, qui est réalisé, avec son hélicoptère, qui va être réalisée incessamment. Un ballon monte et plane dans les airs. Un hélicoptère y vole, s’y dirige, s’y maîtrise au gré du voyageur. Un enfant commence à se tenir debout ; plus tard, il marche. De même le ballon s’élève et l’hélice marche ou plutôt marchera.

M. de Ponton d’Amécourt, un des plus fervents partisans de l’aviation, qui, ainsi que notre savant et vénérable ami, M. de la Landelle, s’était occupé de l’aviation par l’hélice, bien avant les tentatives de Nadar, fit de grands efforts pour réussir. Il construisit, en 1865, un hélicoptère à vapeur qui devait enlever son moteur et son générateur. Ce charmant petit modèle, qui a figuré à l’Exposition aéronautique de Londres en 1868, est fort gracieusement construit (fig. 26). La chaudière et le bâti sont en aluminium et les cylindres en bronze. Le mouvement de va-et-vient des pistons est transmis par des engrenages à deux hélices superposées de 264 centimètres carrés de surface et dont l’une tourne dans le sens inverse de l’autre. L’appareil vide qui se trouve actuellement au siège de la Société de navigation aérienne, pèse 2kgm, 770. La chaudière a 0m, 08 de hauteur sur 0m, 10 de diamètre. La hauteur totale du système est de 0m, 62.

Malheureusement le générateur ne peut résister à une pression suffisante ; quand cet hélicoptère fonctionne, il parvient à s’alléger notablement, il a une certaine force ascensionnelle, mais il n’arrive pas à quitter le sol[3].

Les journaux illustrés ont, à l’époque du Géant, publié un autre projet de grand hélicoptère à vapeur (fig. 27), attribué à M. de la Landelle, mais nul essai d’appareil de ce genre ne fut entrepris et n’aurait pu être exécuté en raison de l’insuffisance des moteurs dont on pouvait disposer. Il y eut beaucoup de projets et de mémoires écrits sur le plus lourd que l’air par l’hélice[4] ; mais on ne vit paraître aucune machine fonctionnant, et la grande agitation produite par l’initiative de Nadar ne tarda pas à être oubliée.

On en revint un peu plus tard au premier appareil de Launoy et Bienvenu. Alphonse Pénaud le modifia en remplaçant le ressort dont se servait ces premiers inventeurs par un fil de caoutchouc tordu ; cet appareil donna un résultat tellement supérieur à ce qu’on avait obtenu qu’il put presque passer pour une création nouvelle. Voici en quels termes Alphonse Pénaud a décrit son système.

Fig. 27. — Projet de navire aérien à hélice attribué
à M. de la Landelle.

Tous les hélicoptères, pour la plupart coûteux, délicats, se brisant facilement en retombant, avaient un grave défaut c’est que leur marche, qui ne durait qu’un instant, semblait plutôt un saut aérien qu’un véritable vol ; à peine étaient-ils partis, leurs hélices s’arrêtaient, et ils redescendaient.

Préoccupé, il y a quelques années, de l’insuffisance de la démonstration, je fis des recherches sur les moyens d’avoir des modèles plus satisfaisants. La force des ressorts solides était seule d’un emploi simple ; mais le bois, la baleine, l’acier, ne fournissent qu’une force minime eu égard il leur poids ; le caoutchouc était bien plus puissant, mais la charpente nécessaire pour résister à sa violente tension était nécessairement assez lourde. J’eus alors l’idée d’employer l’élasticité de torsion du caoutchouc, qui donna enfin la solution tant cherchée de la construction facile, simple et efficace des modèles volants démonstrateurs.


Fig. 28. — Hélicoptère à ressort de caoutchouc d’Alphonse Pénaud (1870).
J’appliquai d’abord le nouveau moteur à l’hélicoptère, et la figure 28 représente l’appareil que je montrai en avril 1870 à notre vénérable doyen, M. de la Landelle. Il est extrêmement simple ce sont toujours deux hélices superposées tournant en sens contraire leur distance est maintenue par de petites tiges, au milieu desquelles se trouve le caoutchouc. Pour mettre l’appareil en mouvement, on saisit de la main gauche l’une de ces petites tiges, et l’on fait tourner avec la main droite l’hélice inférieure dans le sens contraire à celui de la rotation utile. Lorsque la lanière de caoutchouc est ainsi tordue sur elle-même d’une façon suffisante, il ne reste plus qu’à abandonner l’appareil à lui-même ; on le voit alors (selon les proportions de ses différentes parties) monter comme un trait, à plus de 45 mètres, planer obliquement en décrivant de grands cercles, ou enfin, après s’être élevé de 7 à 8 mètres, voler presque sur place pendant 15 à 20 secondes, et parfois jusqu’à 26 secondes.

Malgré les efforts de Pénaud et d’un certain nombre de chercheurs, il fut impossible de tirer de l’hélicoptère aucun résultat pratique et la petite machine fut condamnée à rester jouet.


Fig. 29. — Hélicoptère-jouet de M. Dandrieux.
Nous donnons (fig. 29) l’aspect d’un de ces hélicoptères-jouets basés sur le même principe et construits par M. Dandrieux. Sous l’action du ressort de caoutchouc, l’hélice tourne et s’enlève à quelques mètres de hauteur avec les ailes de papillon en papier mince dont elle est agrémentée.

Le seul appareil de ce genre qui ait laissé derrière lui ses devanciers est celui de M. Forlanini, au sujet duquel nous allons donner quelques renseignements précis.

En 1878, le savant ingénieur italien M. Forlanini, ancien officier du génie, construisit un petit modèle d’hélicoptère à vapeur dont nous reproduisons l’aspect (fig. 30).

L’appareil comprend deux hélices, mais une seule d’entre elles est mise en mouvement par le moteur à vapeur à deux pistons. Les deux pistons sont calés à angles contrariés sur un arbre de couche, transmettent le mouvement à un arc qui porte l’hélice par l’intermédiaire de deux roues d’engrenage. La seconde hélice est fixée sur le bâti ; elle est destinée, comme dans le premier système de Launoy et Bienvenu, à empêcher l’appareil de tourner sur lui-même. Le manomètre est gradué jusqu’à 15 atmosphères. La distribution et la détente s’obtiennent pour chaque cylindre au moyen de deux bielles calées sur des excentriques fixés à l’arbre de couche[5].


Fig. 30. — Hélicoptère à vapeur de M. Forlanini (1878).

Le poids total de l’appareil est de 5 kilogrammes et demi, la surface totale des hélices est de 2 mètres carrés, la force motrice varie de 18 à 25 kilogrammètres. Le moteur proprement dit pèse 1 kilogramme et demi, celui de la petite chaudière sphérique chargée d’eau pèse 1 kilogramme.

Quand on veut expérimenter l’appareil, on chauffe le petit moteur sphérique représenté à la partie inférieure de notre figure, jusqu’à ce que la pression soit suffisante. On retire le système du feu, on ouvre le robinet les hélices se mettent en mouvement.

L’auteur affirme que lors d’une expérience faite devant le professeur Giuseppe Colombo et quelques autres spectateurs, l’appareil se serait élevé à 15 mètres de hauteur, et serait resté 20 secondes en l’air.

Quel que soit l’intérêt de ce résultat, nous ferons observer qu’il est encore loin de donner la solution du problème de la navigation aérienne par l’hélice.

La machine de M. Forlanini n’enlève pas son foyer. Elle ne fonctionne que pendant quelques secondes !

Voilà tout ce qu’a pu donner jusqu’ici l’hélicoptère.

  1. Rapport snr la première Exposition de la Société aéronautique de la Grande-Bretagne, tenue au Palais de Cristal à Londres en juin 1868, p. 10. — J. Bell Pettigrew. La locomotion chez les animaux. 1 vol. in-8o. Germer Baillière, 1874.
  2. On verra dans la dernière partie de cet ouvrage que des expériences récentes ont démontré l’inanité de ces raisonnements.
  3. L’Aéronaute, 12e année. 1879, p. 35
  4. Voy. Collection de mémoires sur la locomotion aérienne sans ballons, publiée par le vicomte de Ponton d’Amécourt, 6 brochures in-4o. Paris, Gauthier-Villars. 1864 à 1867.
  5. L’Aéronaute, 1879.