La Mystification fatale/Première Partie/II



§ II. — L’insertion du Filioque dans les actes de ce Concile est-elle une falsification ultérieure ?


D’où peut venir cette contradiction, et que doit-on en penser ? Quelle autre chose si ce n’est de conclure que le texte de ce symbole, qui avait alors cours dans les Espagnes, se trouvait faussé, et que ces gens croyaient de bonne foi ne réciter ce symbole que dans son état original et primitif, tandis qu’il avait subi une notable altération. Zernicavius fait la remarque que, dans les anciennes éditions des conciles, dans celle de Cologne de 1530, et dans celle de Paris de 1535, on ne trouve point le filioque, et que dans celle de Madrid de 1543, où il se trouve, il est noté dans la marge comme interpolé. Tandis que, dans les éditions postérieures, celle appelée royale, en 1644, et celle de Paris, en 1671, il y est inséré. De cela, dit-il, on doit, inférer que dans ces deux dernières éditions, comme dans celles qui les ont imitées dans la suite, on a commis une falsification[1].

Je crois qu’il faut penser tout le contraire, c’est-à-dire que les anciennes éditions, pour parer à cette fausseté historique, ont été falsifiées par la suppression du filioque, et que les modernes en l’y insérant de nouveau ont rétabli le texte primitif de ces actes. Voici les raisons de mon assertion. Comment peut-on admettre que le filioque ne se trouvât pas dans l’état primitif de ces actes lorsque l’anathématisme III dit : « Quiconque ne croit pas au St-Esprit, ou qui ne croit pas qu’il procède du Père et du Fils, ou ne dit pas qu’il est coéternel au Père et au Fils, et qu’il leur est égal, qu’il soit anathème ? » En outre, je trouve que le même phénomène de la présence du Filioque se retrouve dans divers conciles de Tolède, qui ont suivi le troisième, aussi bien que dans d’autres conciles célébrés dans les Espagnes. Ainsi, il faudrait encore taxer de falsification les actes des conciles de Tolède IV, VI, VIII, XI, XII, XVI, XVII, sans compter ceux de Mérida. Ce qui est énorme et inacceptable.

En effet dans les actes du concile IV, assemblé en l’an 633, et composé des évêques de l’Espagne et de la Gaule Narbonnaise, tous pays occupés par des Goths et des Suèves, le canon premier dit, qu’il faut suivre la foi promulguée à Nicée et à Constantinople, et néanmoins le texte du symbole s’y trouve avec le filioque sans qu’il ait précédé aucune discussion, aucune considération sur la convenance de son insertion, mais comme une chose indiscutable et revue. (Labbe, tome VI, pag. 1450.)

De même pour les actes du concile VI, assemblé l’an 638, le canon premier, qui est une profession de foi calquée et amplifiée sur le patron du symbole officiel, comprend le filioque, sans aucune discussion ou considération préalable. (Labbe, tome VI, pag. 1490). De même pour les actes du concile VIII, en l’an 653, le roi Recesvinthe, qui le convoqua, dit, dans son discours d’ouverture, qu’il faut suivre, vénérer et aimer la foi catholique telle que la tradition apostolique l’a consignée, et que les saints conciles de Nicée et de Constantinople l’ont définie. Puis vient le canon premier, où le Symbole est énoncé avec l’addition. (Labbe, tome VII, pag. 410—411). De même pour les actes du concile XI, en 675, dans le discours d’ouverture les Pères qui y sont assemblés déclarent, au commencement de leur profession de foi, suivre celle qui avait été promulguée à Nicée, Constantinople, Éphèse et Chalcédoine, puis dans l’exposition du dogme de la Trinité on y voit la double procession. (Labbe, tome VII, pag. 541.) De même pour le concile XII en l’an 681, dans le discours d’ouverture prononcé par le roi Ervigius, qui l’avait convoqué, il y proteste, comme de la part de l’Assemblée, de devoir suivre les décisions des quatre conciles œcuméniques ; puis vient le canon premier, qui énonce le symbole avec l’addition. Au concile XVI, en 693, le roi Égica récite le symbole avec le filioque sans avertissement préalable. (Labbe, tome VI, pag. 1327.) Au XVII concile, en l’an 694, le même roi Égica dans son discours d’ouverture dit entre autres choses : « Id circo credentes et confitentes ea quae in omnibus sanctis conciliis sanctorumque patrum oraculis gloriosa professio protulit, symboli etiam seriem quae totius sanctae fidei continet sacramenta, oris nostri confessione proferimus. » Puis il se met à réciter le symbole avec le filioque, sans faire aucune mention de la nécessité de son insertion. De là il résulte qu’il le considérait comme faisant partie intégrante et originale de ce symbole. (Labbe, tome VI, pag. 1361.) Comment peut-on admettre que le filioque ne se trouvât pas dans l’état primitif des actes de ce concile lorsque l’anathématisme III dit : « Quiconque ne croit pas au St-Esprit, ou qui ne croit pas qu’il procède du Père et du Fils, ou ne dit pas qu’il est coéternel avec le Père et le Fils, et qu’il leur est égal, qu’il soit anathème ? » Outre ce concile, tenu dans la ville de Tolède, il y en a eu encore un autre de 666 à Mérida (Emeritense in Lusitania), où le symbole avec le filioque forme le premier des vingt-trois canons qui y furent décrétés. Un autre à Braga en l’an 675, où le symbole en question fut récité avec l’addition, et dans ces deux cas sans aucune discussion ou avertissement de la nécessité de son insertion. (Labbe, tome VI, pag. 397, tom. VII, pag. 561).[2]

  1. Voir Zernicavius, tome I, pag. 315, et Ffulkes, Christ. divis. tome II, pag. 257—258. Bellarmin dans son traité De Christo, lib. II, cap. 21, et Mansi dans sa Nouvelle Collection, tome IX, pag. 97—98, voyant cette grossière méprise, sont d’avis que ces éditions ont subi une dernière falsification.
  2. On cite encore les actes d’un autre concile tenu à Braga, en l’an 411, où l’on trouve une profession de foi, garnie du « filioque, » mais c’est une pièce forgée vers le milieu du XII siècle. Voyez dans l’histoire des conciles par Roisselet, pag. 159 du vol. XII, où cette supercherie est dévoilée.

    Pour tout ce qui concerne les conciles sus-mentionnés, voir l’histoire chronologique et dogmatique des Conciles par Roisselet de Saucliers, tome II et III, où sont indiquées les diverses collections des Conciles, outre la collection de Labbe, qui toutes font mention de ce que nous citons ici, et sur lesquelles nous nous sommes guidés dans ces investigations. S’il y a quelque inexactitude dans l’indication des tomes et des pages, elle est due aux collecteurs.