La Mystification fatale/Deuxième Partie/I


Texte établi par Léandre d’André, Imprimerie André Coromilas (p. 103-107).



DEUXIÈME PARTIE

EXAMEN DE LA PROCESSION DU SAINT-ESPRIT D’APRÈS LES TÉMOIGNAGES DE L’ÉCRITURE ET DE LA TRADITION




§ I. — Léon IX et Michel Cérulaire. — Benoît XII et les Arméniens.


Quoique les papes successeurs de Benoît VIII eussent permis l’usage de chanter à la messe le symbole avec l’addition, ils ne se décidaient pas, semble-t-il, à se déclarer pour la doctrine qu’il contenait, et louvoyaient ainsi entre les deux partis. Cette conduite équivoque n’était pas sans raison : les papes en effet devaient envoyer aux patriarches d’Orient leurs lettres d’avénement avec leur profession de foi, ils devaient donc soigneusement éviter d’altérer, par addition, le symbole qu’ils étaient rigoureusement tenus d’y insérer ; sans quoi l’union n’aurait pu se maintenir. Mais le virus inoculé dans l’église de Rome ne pouvait y couver longtemps sans produire ses effets.

Une trentaine d’années s’est-elle à peine écoulée depuis la défection de Benoît VIII, que la Mystification fatale reprend son cours pernicieux avec plus d’intensité. Léon IX, dans l’excommunication qu’il lança contre Michel Cérulaire patriarche de Constantinople, renverse toutes ses données historiques, et au lieu d’accusé devient accusateur. Entre autre reproches qu’il y fait, il taxe les Grecs d’avoir mutilé le symbole de la foi, en retranchant le Filioque qui s’y trouvait originairement. Cette excommunication fut placée par les légats du Pape, sur le maître-autel de Sainte-Sophie, au moment où le clergé allait commencer la célébration de la messe. Si l’on osait formuler un mensonge si colossal à Constantinople même, qu’on s’imagine de quels flots de mensonges on devait inonder l’Occident, et même l’Orient, après la conquête des croisés.

Cultivant le même mensonge que Léon IX, et comptant sur l’ignorance des Arméniens, rentrés de gré ou de force dans le giron du papisme pendant les croisades, Benoît XII leur écrit : « quoiqu’il n’ait pas été expressément défini, dans le concile de Chalcédoine, que le Saint-Esprit procède du Fils comme du Père, cela a été pourtant défini dans les conciles d’Éphèse et de Constantinople. Le concile de Chalcédoine en approuvant tout ce qui avait été défini par les conciles antérieurs a donc approuvé aussi ce dogme ; mais vos ancêtres ayant rejeté les décisions de ce concile, ont rejeté en même temps ce qui regarde la procession du côté du Fils[1]. »

Outre le mensonge des décrets d’Éphèse et de Constantinople, admirez la perspicacité de ce pontife infaillible ! Comme le concile de Chalcédoine avait approuvé tous les dogmes décrétés dans les conciles antérieurs, et que les Arméniens avaient rejeté ce concile pour le seul et unique motif de leur divergence sur la double nature de Jésus-Christ, il s’ensuit, qu’ils devaient avoir aussi repoussé le reste des dogmes chrétiens[2].

Je n’ai pas à m’occuper ici des altercations, accusations et récriminations réciproques qui eurent lieu entre Léon et Michel ; mais je ne puis me défendre d’en rapporter ici un détail, qui rentre pleinement dans mon sujet. Dans une lettre que Léon adressait à Michel, il lui racontait entre autres choses, que l’empereur Constantin avait concédé au pape Sylvestre la dignité impériale avec tous les priviléges qui y sont attachés, et il se mettait à lui citer une grande partie de ce fameux acte de donation, afin, y disait-il, qu’on ne soupçonne pas la domination temporelle de la papauté comme appuyée sur des fables ineptes inventées par de vieilles commères, afin, en un mot, que la vérité soit établie et le mensonge confondu. Léon craignant le sourire du mépris se met à le prévenir. Et ici encore se présente une autre mystification qui, comme celle dont nous nous occupons, a eu grand cours et crédit en Occident et qui comme elle a produit des maux infinis à la Chrétienté. Puisse notre travail servir, comme celui de Laurentius Vala, sinon à dissiper complétement les ténèbres, du moins à réaliser notre épigraphe : « Un po’ più di luce, un peu plus de lumière ! »

Le dogme gotho-vandale et carolin est devenu romain et pour ainsi dire papelin, la Mystification prédomine et il ne reste donc qu’à en soutenir le triomphe par tous les moyens possibles : per fas et nefas. Outre les arguments frivoles et ineptes dont nous avons déjà donné une idée, on a eu recours à des moyens plus efficaces : mensonges patents et solennels, comme celui de Léon IX et de Benoît XII ; falsifications éhontées dans les textes des Saints Pères et autres écrivains ecclésiastiques ; des écrits supposés, des forgeries de pièces fabriquées ad hoc ; tout a été mis à contribution. Avant et pendant le règne de Charlemagne, ces honnêtes moyens avaient déjà été prodigués, mais à partir de l’époque où nous sommes arrivés le mal atteignit de bien plus vastes proportions.


  1. What Benedict XII, told abbot Barlaam in private audience has been already criticised ; what he wrote to the Armenians in his official character is stil more portentous. In a letter addressed by him, a. d. 1341, to his dear son in Christ the catholicos, or primate of the Armenians, he sends them a list of 117 points on which they had fallen away from the truth and needed correction. Their forefathers, he tells them, had taught originally that the Holy Ghost proceeds from the Son as well as the Father ; but this doctrine they had long since abandoned — 612 years ago is his statement — after which he proceeds : ‘Now, although it was not expressly defined in the council of Chalcedon, that the Holy Ghost proceeds from the Son as from the Father, yet this had been defined in the councils of Ephesus and Constantinople ; as therefore, the council of Chalcedon approved of all that had been defined in the said previous councils, in rejecting the council of Chalcedon the Armenians rejected the rulings of the said councils that had been approved by it, and among them the doctrine that the Holy Spirit proceeds from the Son as from the Father.’

    Such a declaration as this, on what had passed at Ephesus and Constantinople by the pope, must have made the catholicos, unless he was ignorant of all that he ought to have known best, doubt whether he stood on his head or his heels. The excuse for Benedict is that he was only saying what western theologians had got into the habit of repeating over and over again till they believed it. The work on the procession attributed to Alcuin is, perhaps, the earliest instance of a similar assertion. On the teaching of the council of Ephesus some remarks have been made previously. The council of Constantinople certainly condemned those who denied the divinity of the Holy Ghost ; but as to what it laid down — ‘I believe in the Holy Ghost, the Lord and Giver of life : Who proceedeth from the Father : Who with the Father and the Son together is worshipped and glorified’ — the remark of Dr. Neale is not without force : ‘The addition of the “Filioque” in the second clause, while it is omitted in the first, is a most pregnant argument… No words, not absolutely denying, could more strongly imply a denial of the double procession.’ Reverence for Him whose words they are, ‘Who proceedeth from the Father,’ in all probability deterred the council from either adding to them or going beyond them.

  2. L’abbé d’Avalon, continuateur de l’histoire des Conciles par Roisselet, rapporte cette lettre de Benoît XII (tom. V pag. 356—7), mais honteux d’un tel mensonge, il en supprime cette particularité.