La Muse qui trotte/39
DIALOGUES DE NOËL
ean, c’est Noël demain. Quelle belle journée !
As-tu mis ton soulier près de la cheminée ?
Non, dedans, c’est plus sûr. Mais c’est donc bien vrai, dis,
Que le petit Jésus descend du Paradis
Chaque nuit de Noël, dans le plus grand mystère,
Pour donner des joujoux aux enfants de la terre ?
Si c’est vrai !
Tu l’as vu ?
Non, mais maman le dit.
Elle l’a vu ?
Mais oui !
Comment qu’il est ?
Tout petit… les yeux bleus… deux gouttes d’eau de pluie.
Il doit bien se salir en passant dans la suie !
Non, il est toujours blanc.
Comment qu’il fait alors ?
Tu le sauras plus tard. Dors, mon petit Jean, dors !
Polichinelle bleu… cheval noir… moutons roses…
Sans se salir… Tout ça, c’est de drôles de choses !
Oh ! la belle poupée !… Et que je suis contente !
J’aimais mieux le cheval que m’a donné ma tante.
Sa queue était plus longue… il avait de grands yeux…
C’est ce que tu n’as pas que tu trouves le mieux.
Il est pourtant joli, ton cheval !
Et la crinière !… Vois, Jeanne, des crins de brosse !
Pourtant…
Qu’une fille en jupons !… Et moi, je m’y connais !
Allons ! qu’on me réponde et qu’on lève la tête,
Mademoiselle… il faut obéir !
Tu veux la raisonner, lui faire la leçon…
Elle ne t’entend pas, puisqu’elle est tout en son !
C’est vrai, mais ça m’amuse !
Qu’elle entend, qu’elle parle… On n’y peut rien connaître
À ces grands secrets-là, vois-tu bien… Très souvent,
Dans les contes de fée, on fait parler le vent,
Les poissons bavarder en sautant sur les vagues,
Et les arbres causer dans la forêt…
Des blagues !
Il fait froid. Le soleil paraît blanc dans le ciel.
Regarde, chère sœur !
C’est aujourd’hui Noël !
Noël !… Quels souvenirs !… Que de choses passées
Depuis lors !… Soixante ans ! Tout change : les pensées
Seules, dans ce jardin desséché d’ici-bas,
Restent fraîches toujours… et ne se fanent pas !
Contre un pauvre cheval qui ne sut point te plaire ?
Et toi de ton bonheur, alors que tu reçus
Une grande poupée avec de l’or dessus ?
Tu voulais m’empêcher de causer avec elle ;
Tu la prétendais bête autant qu’elle était belle…
Elle ne t’entend pas, me criais-tu très fort,
Elle ne parle pas !…
Enfant, j’étais sceptique et je doutais sans cesse ;
Vieux, je ne doute plus ; — et bénis la vieillesse
Qui, comme un vent léger de l’arrière-saison,
De ce nuage obscur lave mon horizon.
Le bonheur des humains n’est qu’un tissu de songes.
L’homme doit, jeune ou vieux, croire à ces doux mensonges
Qui font la vie aimable et les chagrins moins lourds.
Ô beaux princes charmants en habits de velours,
Ô princesses, d’azur et d’étoiles coiffées,
Ô peuple exquis et pur de nos contes de fées,
Je crois à vous ! Je crois qu’on peut dormir cent ans,
Que sur les lacs d’argent, par les nuits de printemps,
Dansent les farfadets aux fines ailes bleues ;
Je crois aux talismans, aux bottes de sept lieues,
Aux monstres, aux géants, aux palais enchantés,
À tout ce qui conduit loin des réalités
Dont nos cœurs sont frappés comme d’autant d’épées…
Jeanne, tu disais vrai… Ça parle, les poupées !