Calmann Lévy, éditeurs (p. 197-202).


NOUVELLE ANNÉE





Le temps, d’un geste familier,
A retourné son sablier ;
Janvier va remplacer décembre,
Et, de l’horloge, à petit bruit,
Les douze larmes de minuit
Viennent de rouler dans la chambre.
Le front couronné de jasmin
Et de frais rubans pomponnée,
Voici venir la jeune année…
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !


Aux devantures des marchands
Brillent des pantins alléchants,
Dardant l’émail de leurs prunelles ;
Cette nuit, dans leurs draps frileux,
Les garçons font des rêves bleus
Où passent des polichinelles.
Les filles voient sur leur chemin
Quelque poupée enrubannée…
Voici venir la jeune année :
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Les grands sont de la fête aussi.
Madame, qui n’a pour souci
Que de paraître toujours belle,
Voit passer dans les cieux sereins
Des anges portant des écrins
Et des bijoux par ribambelle.
Oh ! le beau rêve surhumain,
D’être plus qu’une châsse, ornée…

Voici venir la jeune année :
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Monsieur, lui, quarante ans passés,
Ventre rond, cheveux… espacés,
— L’âge des ambitions mûres —
Rêve qu’on rend justice, enfin,
À son esprit puissant et fin
Aux combinaisons toujours sûres.
De quel joli trait de carmin
Sa boutonnière est dessinée…
Voici venir la jeune année ;
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Victime du calendrier
La demoiselle à marier
Qui commence à monter en graine,
Voit surgir un époux exquis
Du fond d’un sac de chez Marquis
Annuelle et modeste étrenne.

Oh ! que vite et sans examen
Son âme entière s’est donnée…
Voici venir la jeune année !
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Plein de son rêve habituel,
X…, candidat perpétuel
À l’immortelle Académie,
Se voit, vainqueur incontesté,
Discourant, l’épée au côté,
Devant une assemblée amie.
Tel que Titus, le grand Romain,
Il ne perdra point sa journée…
Voici venir la jeune année :
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Le ministre, être passager,
Toujours prêt à déménager
Pour peu que la Chambre le veuille,
Rêve qu’on a créé pour lui

Et qu’on lui remet aujourd’hui
Un immuable portefeuille.
Nargue du parlement gamin
Arbitre de sa destinée !
Voici venir la jeune année :
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Maigre dans ton habit râpé,
Et ce soir sans avoir soupé
Cherchant le sommeil sur la paille,
Ô triste gueux, comme tu dois
Rêver en te léchant les doigts
De quelque céleste ripaille !
Ton corps sec comme un parchemin
Danse une gigue irraisonnée…
Voici venir la jeune année :
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !

Et toi, pauvre amant délaissé,
Qui dans notre siècle pressé

Crois à l’amour, cette folie,
Rêve, oh ! rêve suavement,
Don Quichotte du sentiment,
À l’infidèle qui t’oublie !
Regarde… Elle te tend la main…
Elle t’aime, ta Dulcinée…
Voici venir la jeune année :
Bonsoir, hier ! Bonjour, demain !