Calmann Lévy, éditeurs (p. 189-196).


À L’ACADÉMIE





Pour la réception d’un Tel
Promu récemment immortel
J’avais — honneur accidentel ! —
Une bonne place « de centre » ;
Grâce à mon précieux billet
Perdu comme un grain de millet

Dans la foule qui babillait
Doucement je me glisse, et j'entre…

Ah ! que de monde, diantre, diantre !


Devant tout ce monde, hagard,
Je lance un douloureux regard
Du côté de monsieur Pingard,
Qui, me souriant avec grâce,
Du fin bout de ses doigts discrets
Me montre sur un banc, tout près,
Contre une dame en chapeau frais
Une place, une ombre de place…

— « Pardon, madame ! » Et je me tasse.


Sur ma banquette, au bout du rang,
J’étais serré comme un hareng,
Ou bien comme un vulgaire orang-
Outang à l’étroit dans sa cage ;
Pourtant je ne regrettais rien

Car ma voisine était fort bien :
Jolis cheveux, charmant maintien,
Taille pleine… sans rembourrage…

Et ça me donnait du courage.


Quand tout le monde fut tassé,
Et bras à bras cadenassé,
Un beau discours a commencé,
Noblesse, grâce, humeur badine,
Rien n’y manquait… C’était charmant.
Un véritable enchantement.
J’écoutais d’abord gentiment…
Mais bien vite — qu’on m’assassine !... —

Je fus distrait par ma voisine.


Pardonne-moi, grand Richelieu !
Au lieu d’être attentif, au lieu
De savourer, droit comme un pieu,
Ce beau discours plein de faconde,

J’admirais un tout petit nez,
Des traits gentiment chiffonnés,
Des cheveux indisciplinés
Frisant sur une nuque ronde…

Je vous ai dit qu’elle était blonde ?


Ce joli profil tentateur
Se trouvant juste à la hauteur
Du verre d’eau de l’orateur
Hypnotisait mon œil en quête ;
Le cœur troublé d’un vague émoi
En cherchant l’un, bien malgré moi,
Je rencontrais l’autre, et, ma foi !
Tel qu’un bon chien, lorsqu’il arrête…

Je ne détournais pas la tête.


Pendant qu’avec grâce et douceur
Là-bas, l’élégant bénisseur
Enterrait son prédécesseur

Sous une avalanche de roses,
Je humais l’enivrant parfum
Qui du collet de loutre brun
Sortait et vers mon nez à jeun
Arrivait par petites doses…

Et je rêvais à bien des choses !


Le premier discours avalé
Un autre orateur a parlé.
Travail également perlé
Et même élégance rythmique…
Mais je n’écoutais toujours pas
Et me disais tout bas, bien bas :
« Ah ! quelle femme ! quels appas !
« Quelle merveille anatomique…

« C’est la Vénus académique ! »


Et pendant le second discours
— Que ces discours me semblaient courts ! —

Je me réjouissais toujours
De mon suggestif voisinage.
J’entrevoyais de prompts succès,
Je m’exaltais avec excès,
Je palpitais, je frémissais
Comme un amoureux à fleur d’âge…

Et je me mettais tout en nage.


La séance finit… trop tôt.
En enfilant mon paletot
Je la laissai, comme un vrai sot,
Partir dans la foule animée…
« Bah ! me disais-je, point d’efforts !
Je la retrouverai dehors… »
À mon tour je glisse et je sors…
Hélas ! envolée en fumée…

Plus trace de ma bien-aimée !…


Je rentrai, la pleurant toujours.
Le soir, je lus les deux discours.
Ils me semblèrent… bien moins courts…
Pourquoi ? Qu’un autre le devine !
Moi, ce que je sais seulement,
C’est qu’à minuit, en m’endormant,
J’appréciais assurément
Leur éloquence noble et fine…

Mais j’ai rêvé de ma voisine !