La Moustache des filous arrachée


La moustache des filous arrachée.
Jacques Du Lorens

vers 1630



La Moustache des filous arrachée, par le sieur Du Laurens1.

Muse et Phebus, je vous invoque.
Si vous pensez que je me mocque,
Baste ! mon stil est assez doux ;
Je me passeray bien de vous.
Je veux concilier la moustache,
Et si je veux bien qu’il le sçache,
De cet importun fanfaron
Qui veut qu’on le croye baron,
Et si n’est fils que d’un simple homme.
Peu s’en faut que je ne le nomme.
Il se veut mettre au rang des preux
Pour une touffe de cheveux,
Et se jette dans le grand monde
Sous ombre qu’elle est assez blonde,
Qu’il la caresse nuict et jour,
Qu’il l’entortille en las d’amour2,
Qu’il la festonne, qu’il la frise,
Pour entretenir chalandise,
Afin qu’on face cas de luy :
Car c’est la maxime aujourd’huy
Qu’il faut qu’un cavalier se cache
S’il n’est bien fourny de moustache.
S’il n’en a long comme le bras,
Il monstre qu’il ne l’entend pas,
Qu’il tient encor la vieille escrime,
Qu’il ne veut entrer en l’estime
D’estre un de nos gladiateurs,
Mais plustost des reformateurs,
Et qu’avec son nouveau visage
Il pretend corriger l’usage,
Ce qu’il ne pourroit faire, eust-il
Glosé sur le docteur subtil3.
L’usage est le maistre des choses ;
Il fait tant de metamorphoses
En nos mœurs et en nos façons,
Que c’est le subject des chansons.
Quiconque ne le veut pas suivre,
Fait bien voir qu’il ne sçait pas vivre.
Les roses naissent au printemps ;
Il faut aller comme le temps.
Le sage change de methode :
On luy voit sa barbe à la mode,
Et ses chausses et son chappeau ;
En ce differant du bedeau,
Qui porte, quelque temps qu’il fasse,
Mesme bonnet, et mesme masse4 ;
Son habit fort bien assorty,
Comme une tarte my-party,
Toutesfois sans trous et sans tache.
Il n’entreprend sur la moustache
De nostre baron pretendu,
De peur de faire l’entendu
Et en quelque façon luy nuire,
Car c’est elle qui le fait luire,
Qui fait qu’il se trouve en bon lieu
Et qu’il disne où il plaist à Dieu ;
Car il n’a point de domicille,
Et s’il ne disnoit point en ville,
Sauf vostre respect, ce seigneur
Disneroit bien souvent par cœur.
Bien que pauvreté n’est pas vice,
Ceste moustache est sa nourrice,
Son honneur, son bien, son esclat.
Sans elle, ô dieux ! qu’il seroit plat !
Ce beau confrère de lipée,
Avecque sa mauvaise espée
Qui ne degaine ny pour soy
Ny pour le service du roy.
Quoy qu’il ait eu mainte querelle,
Elle a fait vœu d’estre pucelle5
Comme son maistre le baron
Fait estat de vivre en poltron,
Je dis plus poltron qu’une vache,
Nonobstant sa grande moustache,
Qui le fait, estant bien miné,
Passer pour un determiné,
Capable, avec ceste rapière,
De garder une chenevière6.
Il tient que c’est estre cruel
Que de s’aller battre en duël.
Qu’on le soufflette, il en informe,
Et vous dit qu’il tient cette forme
D’un postulant du Chastelet,
Qui n’avoit pas l’esprit trop let,
Et le monstra dans une affaire
Qu’il eut contre un apotiquaire
Pour de pretendus recipez
Où il y en eust d’attrapez.
La loy de la chevalerie,
C’est l’extrême poltronnerie.
Il fait pourtant le Rodomont
À cause qu’il fut en Piedmont,
Ou, que je n’en mente, en Savoye,
D’où vient ce vieux habit de soye,
Qui merite d’estre excusé
Si vous le voyez tout usé :
Il y a bien trois ans qu’il dure.
Fust-il de gros drap ou de bure,
Aussi bien qu’il est de satin,
Il eust achevé son destin.
Mais sa moustache luy repare
Tout ce que la nature avare
Refuse à son noble desir.
C’est son delice et son plaisir,
C’est son revenu, c’est sa rente,
Bref, c’est tout ce qui le contente,
Et fait, tout gueux qu’il est, qu’il rit
Qu’avec grand soin il la nourrit ;
Qu’il ne prend jamais sa vollée
Qu’elle ne soit bien estallée ;
Que son poil, assez deslié,
D’un beau ruban ne soit lié,
Tantost incarnat, tantost jaune.
Chacun se mesure à son aune :
Il y a presse à l’imiter.
Les filoux osent la porter
Après les courtaux de boutique ;
Tous ceux qui hantent la pratique,
Laquais, soudrilles7 et sergens,
Quantité de petites gens
Qui veulent faire les bravaches,
Tout Paris s’en va de moustaches.
Ils suivent leur opinion
Contre la loy de Claudion.
Vous n’entendez que trop l’histoire…
Nos gueux s’en veulent faire à croire
En se parant de longs cheveux.
Pensez qu’au temple ils font des vœux
Et prières de gentils-hommes.
Ô Dieux ! en quel siècle nous sommes !
Qu’il est bizarre et libertin !
Quant à moy, j’y perds mon latin,
Et suis d’advis que l’on arrache
À ce jean-f..... sa moustache.
Le mestier n’en vaudra plus rien,
Nostre baron le prevoit bien :
C’est ce qui le met en cervelle.
La sienne n’est pas la plus belle.
Il sent bien que son cas va mal.
Je le voy dans un hospital,
Ou qui se met en embuscade
Pour nous demander la passade.
Il peut reussir en cet art,
Car il est assez beau pendart
Pour tournoyer dans une eglise ;
Mais je luy conseille qu’il lise,
S’il veut estre parfait queman8,
Les escrits du brave Gusman,
Dit en son surnom Alpharache9.
Bran ! c’est assez de la moustache.




1. Sans doute Jacques Du Lorens, de qui l’on a un recueil de satires. La pièce que nous donnons ici ne s’y trouve pas.

2. C’étoit la moustache à l’espagnole. G. Naudé, dans le Mascurat, parle des caricatures qui couroient de son temps contre les Espagnols, et où on les représentoit avec « leur nez à la judaïque, leurs moustaches recroquillées en cerceau. » Le propre du courtisan étoit, selon Auvray, de toujours

Bransler le corps, faire un cinq pas,
Trousser les crocs de sa moustache.
Trous(Satyres du sieur Auvray, l’Escuelle, p. 232.)

3. Duns Scott.

4. Les bedeaux de l’Université portoient aux processions, devant le recteur et les quatre facultés, une masse ou bâton à tête garni d’argent.

5. Ceci nous rappelle le couplet qu’on fit contre le maréchal de Villeroy :

Quand Charles sept contre l’Anglois
—.N’avoit plus d’espérance,
De Jeanne d’Arc Dieu fit choix
—.Pour délivrer la France.
Ne t’embarrasse pas, grand roi !
—.Cent fois plus sûre qu’elle,
Dans le fourreau de Villeroi
—.Il est une pucelle.

6. Lieu semé de chenevis. On y mettoit, pour empêcher les oiseaux d’approcher, un mannequin habillé en homme, que le Dict. de Trévoux appelle épouvantail de chenevière.

7. Le soudrille étoit un garnement qui devoit son nom aux drilles ou lambeaux dont il étoit habillé. Une pièce de Saint-Amant a pour titre Cassation des soudrilles.

8. Pour quémandeur, mendiant.

9. Ce roman de Math. Aleman étoit alors à la mode. G. Chappuis en avoit donné une traduction françoise en 1600, et, trente ans après, Chapelain devoit en donner une autre.