Accident merveilleux et espouvantable d’un feu inremediable, lequel a bruslé et consommé tout le Palais de Paris


Accident merveilleux et espouvantable du desastre arrivé le 7 mars 1618, d’un feu inremediable, lequel a bruslé et consommé tout le Palais de Paris.

1618



Accident merveilleux et espouvantable du desastre arrivé le 7e jour de mars de ceste presente année 1618, d’un feu inremediable, lequel a bruslé et consommé tout le palais de Paris1. Ensemble la perte et la ruyne de plusieurs marchands, lesquels ont esté ruynez et tous leurs biens perdus.
À Paris, chez la vefve Jean du Carroy, rue S.-Jean-de-Beauvais, au Cadran.
M. DC. XVIII.

Messieurs, l’auteur, estant curieux de vous faire entendre une chose prodigieuze et espouvantable, laquelle est du tout digne de memoire et remarquée de plusieurs hommes de qualité, tant spirituels que temporels, voyant un accident arriver au meilleur morceau de ceste fameuse ville de Paris, lieu où l’on doit faire la vraye et naturelle justice, nommé le Pallais des roys de France, et le plus digne de tout cet univers, à cause d’une chapelle vrayement nommée Saincte, non d’un seul homme, mais de toute la chrestienté, laquelle Dieu a preservé d’un gouffre de feu abominable et inremediable, lequel est descendu du ciel en façon d’une grosse estoile flamboyante, de la grosseur d’une coudée de longueur et un pied de large2, sur la minuict3, lequel feu a bruslé et consommé l’espasse d’un jour et demy durant, dans la grande salle du Palais de Paris, sans y savoir mettre aucun remède, comme demonstrant que ce feu voulloit demonstrer la justice de Dieu et l’ire et le courroux de la très saincte Trinité, demonstrant aux pecheurs qu’il faut qu’ils se convertissent et ayent tousjours Dieu en leur memoire, sans s’amuser à amasser des biens terriens et delaisser les moyens de parvenir au royaume de Dieu ; tellement que ce feu commença le septiesme jour de mars, à une heure après minuit, à monstrer sa force et brusler et consommer toutes les anciennes antiquittez de ce royaume françois, car en une nuict fait plus de deluge que cent hommes ne sçauroient avoir refaict en un an. C’est une chose impossible à l’homme, tel qu’il soit, d’avoir veu un feu si vehement et si cruel qu’estoit celuy-là : car vingt mille personnes ne pouvoient, avec toutes leurs forces et à force d’eauë, estaindre la grande furie de ce feu. Premierement, la chapelle où on cellebroit la messe, dans la grande salle du Pallais, est du tout consommée ; tous les roys4 qui estoient en statuë de pierre de taille, sont du tout consommez ; la voûte de la grande salle flamboyoit ainsi comme si la pierre eust esté du souffre ; toutes les boutiques des marchands, tant de l’entrée que dans la salle, ont esté toutes bruslées et consommées, si bien que la perte faicte par ce feu est cause de la ruyne de beaucoup de pauvres marchands, lesquels avoient tous leurs moyens dans leur boutique5.

Alors ce feu se jetta dans le derrière du costé de la rivière, et commença à gaigner la prison de la conciergerie6, et montra sa force, evidemment à cause du vent qu’il faisoit, et aussi de la grande secheresse du bois, lequel estoit anciennement servant à la dicte prison : de façon que sur les cinq heures du matin jusques à huict heures, l’on voyoit d’une lieue autour de Paris flamber ce feu et consommer tousjours plus de vingt heures durant, sans que jamais les forces des hommes, milliers à milliers, ne l’ont sceu estaindre, tant par eauë que par industrie artificielle, et mesmes des pauvres prisonniers, lesquels ont enduré de grandes fatigues à cause de la furie de ce feu ; tellement que tout le meilleur du Pallais a esté bruslé, sauf la galerie des prisonniers, laquelle a esté sauvée, tant par les marchands qui avoient interest que par ceux qui y ont donné confort et ayde, si bien qu’à la fin l’on y a donné si bon ordre que peu à peu on a trouvé le moyen le faire mourir et esteindre, après une grande perte et un grand travail de corps de plus de deux milles personnes y travaillans ; mais nostre Dieu a preservé sa saincte Chapelle, demonstrant à son peuple qu’il desire estre honoré et glorifié.

Nous pouvons bien cognoistre que ce feu nous signifie un commencement de l’ire de Dieu, et Dieu est couroucé contre nous, car ce feu nous signifie l’achevement du monde et une ferme croyance que nous devons avoir en la misericorde spirituelle de Dieu, et nous tenir tousjours prêts pour combattre contre l’ennemy de nos ames et embrasser la croix de nostre vray Dieu et sauveur pour nous asseurer ; et mesme, en ce sainct temps de caresme, nous nous devons reconcilier en Dieu et lui demander pardon et misericorde de nos pechez, pour et à celle fin que nous parvenions à l’heritage qu’il nous a acquis par sa mort et passion, le suppliant d’avoir pitié de nous et nous preserver doresnavant de tels accidens.

Arrest de la cour de Parlement sur le divertissement faict au Palais, pendant l’incendie y advenu, des sacs, procez, pièces et registres qui y estoient1.
À Paris, par Fed. Morel et P. Mettayer, imprimeurs ordinaires du Roy.
M.DC.XVIII.
Avec privilége de Sa Majesté.

La cour, sur la plainte à elle faite par le procureur general du roy du divertissement faict au Palais, pendant l’incendie y advenu, des sacs, procez, pièces et registres qui y estoient, a enjoint et enjoint à toutes personnes, de quelque qualité, estat et condition qu’ils soient, qui ont pris et emporté, trouvé par accident ou autrement parvenu en leurs mains, en quelque façon que ce soit, des sacs, procez, pièces, tiltres, registres, minuttes et autres papiers, qu’ils ayent promptement à iceux porter et mettre ès mains de M. Jehan du Tillet, greffier de ladite cour, ou son commis, en sa maison, seize rue de Bussi, en ceste ville de Paris, sans aucuns retenir par dol, fraude ou autrement, à peine de punition exemplaire ; desquels sacs, registres, papiers et tiltres ledit greffier ou son commis tiendra registre des noms, surnoms et demeure de ceux qui les auront portez, dont il en baillera descharge, et faict taxe s’il y eschet, pour estre lesdits sacs et pièces par après remis aux greffiers civil, criminel et autres qu’il appartiendra ; fait inhibitions et defenses, sur les mesmes peines, à tous marchands, apothicaires, papetiers, cartiers, merciers, espiciers et autres, achepter directement, ou indirectement par personnes interposées, aucuns parchemins, papiers escrits en minutte ou grosses, ny employer à leurs pacquets et mestiers, ains, si aucuns leur sont offerts et portez, leur enjoinct les retenir et denoncer à justice. Et à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance, sera le present arrest leu et publié tant à son de trompe, cry public, que aux prosnes des eglises des paroisses ; ordonne que le procureur general du roy aura commission pour informer de la retention et recellement, et luy permet obtenir monition afin de revelation. Faict en parlement le huictiesme mars mil six cens dix-huict.

Signé : Voysin8.




1. On connoît, à propos de cet accident, la fameuse épigramme si fréquemment attribuée à Théophile, et qui est en réalité de Saint-Amant :

Certes, ce fut un triste jeu
Quand à Paris dame Justice,
Pour avoir mangé trop d’espice
Se mit tout le Palais en feu.

(Les Œuvres de Saint-Amant, etc. Paris, 1661, in-8, p. 192.)

Entre autres relations faites sur cet incendie, nous pouvons citer : Récit de l’embrasement de la grande salle du Palais de Paris le 7 mars 1618, in-8 ; Incendie du Palais le 7 mars 1618 ; Boutray, Histoire de l’incendie et embrasement du Palais, 1618, et un article de M. Paul Lacroix, dans le journal l’Artiste, du mois de février 1836. Le Père Lelong, Bibliothèque historique de la France, t. III, p. 343, nº 34,541, a cité les pièces indiquées tout à l’heure, mais il n’a pas connu celle que nous donnons ici. M. Paul Lacroix l’a eue, au contraire, entre les mains : il en cite un fragment.

2. Le Mercure françois donne à cet incendie des causes moins surnaturelles. Rapportant ce qu’on en disoit dans le public, il parle d’une chaufferette allumée qu’un marchand auroit laissée dans son banc, et, suivant une autre version, « d’un bout de flambeau » laissé sur un banc par la fille du concierge, et qui auroit communiqué le feu à une corde gagnant les combles. (Mercure françois, 1618, t. 5, p. 25.)

3. « Sur les deux heures et demie après minuict, la sentinelle du Louvre, du costé de la Seine, aperçut comme un cercle de feu sur le haut de la couverture de la grande salle du Palais. » Ibid., p. 18.

4. « Les pilliers furent, par la violence du feu, tous gastez, la table de marbre réduicte en petits morceaux, et les statues des roys nichées contre les parois et piliers toutes défigurées et perdues. » Id., p. 22–23. — Pour la fameuse table de marbre, qui fut détruite alors et ne fut pas remplacée, on peut voir un très curieux passage de la Description de… Paris au XVe siècle, par Guillebert de Metz, publiée par M. Le Roux de Lincy, 1855, in-8, p. 53. — Quant aux statues des rois, cet incendie, dont elles eurent tant à souffrir, fut pour Peiresc l’occasion de faire, à propos de l’une d’elles, une singulière découverte. « Peiresc, dit Requier, son biographe, accourut au fort de la nuit à ce triste spectacle avec Jacques Gillot, membre distingué du Parlement. Il y mena ensuite successivement presque tout ce qu’il y avoit de sçavant dans la capitale, pour voir celles des statues de nos rois dont il restoit quelque chose, les autres ayant été réduites en cendres. Aucun de ces savants ne pouvant dire de qui étoit la statue qu’on avoit vue avant l’incendie avec le visage mutilé, Peiresc prouva, par une niche qui restoit, que c’étoit celle de Henri d’Angleterre, que Charles VII s’étoit contenté de mutiler sans la faire abattre, parcequ’il destinoit une place à la sienne autre que celle que l’usurpateur avoit occupée. » Vie de Nicolas-Claude Peiresc, Paris, 1770, in-8, p. 171.

5. « Quant aux marchands accourus pour sauver leurs biens…, ils veirent leurs moyens consumez sans y pouvoir donner secours ; il y eut quelques marchandises sauvées au quatrième pillier, mais peu… » Mercure françois, id., p. 19.

6. « Sur les cinq heures un quart, le feu prend à une tourelle près la Conciergerie… Il s’éleva une clameur pitoyable de miséricorde et de secours… par les prisonniers, qui se vouloient sauver de force. Mais Monsieur le procureur général en fit conduire les principaux par Defunctis, prévost de robbe courte, aux autres prisons de la ville. » Id., 20–21. — Ce Defunctis est le même qui, ayant fait à Fæneste « la plus grande trahison », lui avoit rendu si deplaisante à dire, à cause du dernier mot, cette prière : « Laus Deo, pax vivis, requies Defunctis. » Les Aventures du baron de Fæneste. Édition Jannet, p. 63.

7. C’est cet enlèvement des pièces et registres épargnés par le feu qui donna lieu à l’opinion, encore répandue aujourd’hui, que l’incendie avoit été allumé afin de faire disparoître tout ce qui étoit relatif au procès de Ravaillac, si plein, disoit-on, de révélations compromettantes pour une foule de personnes. Toutefois, un grand nombre de pièces avoient été préservées. En outre des greffes, dont nous parlerons plus loin, on avoit sauvé les papiers du parquet des gens du roi et ceux du greffe du trésor.

Le Mercure françois (1618), t. 5, p. 24–25, donne aussi la teneur de cet arrêt.

8. Ce greffier, accouru au premier bruit du feu, « estant entré, par le costé du Jardin du roi, dans ses greffes, sauva ses registres et ce qu’il y avoit. » Mercure françois, id., p. 19. — C’est ce même greffier qui, seize ans auparavant, avoit lu au maréchal de Biron sa sentence de mort. V. Journal de L’Estoille, 31 juillet 1602.