La Mort de notre chère France en Orient/35

Calmann-Lévy (p. 201-204).


XXXV

LETTRE D’UN COMBATTANT
DE L’ARMÉE D’ORIENT


Saint-Hippolyte (Doubs), ce 10 décembre 1919.
Mon Commandant,

Permettez à un ancien combattant de l’armée d’Orient d’apporter son faible témoignage à la cause que vous défendez si éloquemment.

Pendant plus de deux ans, j’ai parcouru la Macédoine et les Balkans et je dois à la vérité de dire qu’il n’existe en ces pays qu’un seul peuple sympathique et très proche de nous : c’est le Turc.

Au milieu des races abâtardies qui peuplent ces régions, races de pillards, de parjures et de bandits, les Turcs par leur beauté physique et leurs qualités de cœur font tache : eux seuls pratiquent les règles de l’hospitalité, eux seuls considèrent l’étranger comme un frère et non comme un ennemi.

Et si cet étranger est un Français, il devient un dieu, car ils professent pour la France un amour profond ; ce mot de France fait image dans leur esprit, c’est un symbole de justice, de bonté, d’intelligence. Que ce soit à Salonique, à Yemdjé Vardar, à Osloff, à Uskub, chaque fois que je fus l’hôte d’une famille turque, bien que seul, sans armes, je fus traité non seulement avec courtoisie mais avec sympathie. Le muphti et le muezzin n’ont jamais manqué de me rendre visite et de m’inviter à partager leur frugal repas.

Les Grecs, les Bulgares et les autres peuples qui se partagent les Balkans, n’ont jamais cessé de détrousser les Français et de les exploiter. C’est sans doute pour ces raisons que divers journaux de France accablent les pauvres Turcs, — les Annales par exemple, où le bonhomme Chrysale qui ne les connaît même pas publiait dernièrement sur eux des jugements terribles.

Si cet écrivain avait partagé l’hospitalité turque et vu les Grecs, ces nobles descendants de Léonidas, refuser de sortir des tranchées, le 17 septembre 1918, lors de l’offensive, il changerait peut-être de note. S’il avait vu, comme moi, l’enrôlement de l’armée grecque à Salonique, enrôlement fait de force, il aurait peut-être d’autres idées sur cette question.

Je me souviendrai toujours des paroles qu’un pharmacien roumain d’Uskub prononçait au lendemain de notre offensive : « Nous sommes tous de joie d’être libérés des Bulgares, mais… demain, nous aurons la domination serbe… Hélas ! la domination turque est à jamais disparue. »

Lorsqu’on a pénétré dans une mosquée et que l’on a pu comparer le recueillement des Turcs avec la conduite ignoble des orthodoxes dans leurs églises, on sent de suite qu’il existe un abîme entre ces deux peuples.

Je ne saurais trop le proclamer : nous n’avons qu’un ami dans les Balkans : le Turc.

Les Grecs nous haïssent. Les Bulgares les imitent. Quant aux Serbes, ils ne nous aiment pas et nous ne les aimons pas. J’ai suffisamment habité Belgrade pour m’en rendre compte.

Un seul peuple est capable de dominer les Balkans et d’être responsable de l’ordre en cette région : c’est le Turc. Il peuple du reste tous les villages de la Macédoine, ce qui le dispense de fonder de nombreuses et onéreuses colonies militaires. Le Grec en est incapable ; parjure et grossier, voleur et pillard, il est haï des Serbes, des Bulgares et des Turcs. Son seul désir d’aspirer à l’hégémonie, révolte les peuples balkaniques.

Le Bulgare, malgré ses comités de propagande, ses « papas » lâches et ivrognes, n’est pas assez fort et suscite lui aussi trop de haines.

Veuillez m’excuser, mon Commandant, d’abuser de votre patience en vous écrivant une si longue lettre, mais c’est un devoir pour moi de rendre hommage à la nation turque dont vous êtes l’interprète et le défenseur en France.

Signé : J. DAMIEN,
Lieutenant de réserve,
Receveur de l’Enregistrement.