L’Illustration (p. 28-62).
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ACTE II

Même décor. Dehors, les tours du Palais sous la neige ; quatre heures de l’après-midi.


Scène Première

JEAN, NANETTE

Quand le rideau se lève, Jean regarde à travers la baie vitrée. Il a à la main une liasse de papiers. Puis, il quitte la fenêtre, s’assied à la table et regarde les papiers qu’il vient d’y déposer. Nanette est en train de tisonner à la cheminée.

Jean, le nez dans ses papiers. — Dis-moi donc, ma bonne, Marie-Louis est sorti ?

Nanette. — Oui, monsieur Jean ; oui, M. Marie-Louis est sorti. Il sort de très bonne heure, depuis quelques jours.

Jean. — Tout de suite après le déjeuner, n’est-ce pas ?

Nanette. — Oui.

Jean. — Et madame, comment va-t-elle ? Elle va mieux ?

Nanette. — Madame va très bien. Elle est sortie aussi.

Jean. — Mais elle n’est pas descendue pour le déjeuner. Je la croyais souffrante.

Nanette. — Elle était souffrante pour déjeuner, mon maître, mais elle ne l’était pas pour sortir… Et puis, c’est peut-être parce qu’elle était souffrante qu’elle a voulu prendre l’air.

Jean. — Oui, oui, le grand air… Il fait sec. Il gèle. Les lacs sont gelés.

Nanette. — Avant de partir elle m’a demandé ses patins. M. Marie-Louis aussi est sorti avec ses patins.

Jean. — Ah ! Il regarde Nanette qui semble ne plus vouloir rien dire ; puis, reprenant ses papiers) Tiphaine… Tiphaine… qui est-ce qui aurait dit qu’un Tiphaine ?… C’est une race maudite… (Il se lève, retourne à la fenêtre, revient, à Nanette.) Certainement ce Tiphaine est fou !

Nanette. — Il faut l’enfermer…

Jean. — Non, non ! Il faut le juger !… À cause de l’exemple, pour les autres fous ! (Il se rassied.) Béatrice et Marie-Louis sont allés patiner ensemble ?

Nanette. — Ils sont sortis ensemble…

Jean, montrant un journal. — Et dire qu’il y a des journaux pour répéter de pareilles infamies !… Pétrus Lamarque n’aurait pas attendu les preuves… Comme si l’on condamnait sans preuves… (Il se lève et vient près de Nanette.) Alors, ils sont sortis ensemble ?

Nanette. — Comme si de rien n’était.

Jean, pris d’une furie soudaine. — Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Il lui prend le poignet.

Nanette. — Vous me brisez le poignet, mon maître.

Jean. — Pourquoi as-tu dit : «  Comme si de rien n’était ? » Qu’est-ce qu’il y a ?

Nanette. — Il y a que, cette nuit, le lit de M. Marie-Louis était vide.

Jean, redevenu tout à fait calme. — Ah !… Eh bien ?

Nanette. — Eh bien ?

Jean. — Comment sais-tu cela ?

Nanette. — J’ai passé devant la porte entr’ouverte de la chambre, et j’ai bien vu que le lit était vide.

Jean. — Quelle heure était-il ?

Nanette. — Quatre heures sonnaient à l’horloge.

Jean. — Et, comment, à quatre heures du matin ?

Nanette. — Oh ! depuis longtemps je me doutais…

Jean, repris de sa furie. — De quoi te doutais-tu ?

Nanette. — Et puis, si je me suis levée, c’est que j’ai entendu des pas…

Jean. — Des pas ?…

Nanette. — Oui, je suis allée aussitôt dans le corridor, et j’ai vu un homme…

Jean. — Un homme…

Nanette. — Il marchait tout doucement… vers sa porte.

Jean. — Quelle porte ?

Nanette. — Celle de madame.

Jean. — Et qu’est-ce qu’il a fait ?

Nanette. — Il a collé son oreille contre la porte… on allait, certainement lui ouvrir… Aussi, je suis partie de peur d’être surprise, et il faisait un froid de loup… Jean, de plus en plus menaçant. — Et alors, parce que tu as vu « son lit vide et un homme qui allait coller son oreille contre la porte de ta maîtresse, tu en as conclu que, cet homme, c’était lui ? » (Nanette se tait.) Réponds… mais réponds donc ? (Nanette fait un signe affirmatif de la tête.) C’était lui ?

Nanette, avec force. — Je suis sûre que c’était lui…

Jean. — Tu mens !… C’était moi !

Long silence entre Nanette et Jean.

Nanette, timidement. — Vous aussi, vous aviez donc pensé ?…

Jean, se passant la main sur le front. — Nanette, tu ferais naître des soupçons dans les cœurs les plus simples, dans les consciences les plus droites ; les criminels soupçons, je les hais !… Et toi, tu les aimes, on dirait que tu les réchauffes avec joie, ces vilains oiseaux… Chaque fois que tu m’approches, tu en as sur toi, tu en apportes avec toi, tu les lâches autour de moi… J’ai beau vouloir les chasser, ils reviennent, repartent et reviennent ! (Se parlant à lui-même.) Comme des oiseaux de nuit, les soupçons volent autour de mon cœur !

Nanette. — Je ne pense qu’à votre bonheur, mon maître.

Jean. — Mais tu ne sais donc pas que je ne dois soupçonner rien ni personne… Un juge ne doit pas soupçonner… car alors, il condamnerait son père… et son aïeul… et sa mère !… Enferme tes soupçons dans une cage et emporte-les !

Nanette. — Le lit était vide…

Jean, avec furie. — Tu ne comprends rien !… Son lit était vide, mais la porte de sa chambre était ouverte… Il aurait fermé la porte de sa chambre, s’il avait été coupable… (Un silence.) C’était moi qui étais derrière la porte et je l’ai vu, lui, rentrer à l’aube de la ville… Il est jeune ! Ah ! me l’avoir fait soupçonner, m’avoir mis ça dans le cœur !

Nanette. — Vous savez bien que c’est une femme qui est capable de tout !

Jean. — Tu me l’as prouvé une fois, ça suffit. Oui, oui… c’est assez ! Si tu me l’as prouvé comme ce soir… c’est peut-être trop. (Avec égarement.) Quant à lui, je te défends… mon frère !… mon petit frère !… presque mon fils !…

Nanette. — Je m’en vais. Jean. — Ah ! oui, va-t’en !… J’aime mieux ne pas te voir dans ce moment. Cache-toi ! Quand je songe que je suis resté une nuit à l’attendre !… Une pareille chose dépasse tout ce qu’on peut imaginer !… Va-t’en, Nanette !… Va-t’en !

Nanette, s’en allant, passe près de la fenêtre et dit : — Les voilà !

Jean. — Qui ?

Nanette. — Mais eux ! Ils reviennent ensemble !

Jean, se précipitant à la fenêtre. — Puisqu’ils sont partis ensemble, pourquoi veux-tu qu’ils ne reviennent pas ensemble ? Va-t’en !

Nanette sort. Jean regarde un moment à la fenêtre, puis vient s’asseoir à la table, devant ses papiers.


Scène II

JEAN, MARIE-LOUIS

Il entre par la porte du premier plan à droite ; il a ses patins à la main.

Marie-Louis, derrière Jean qui regarde toujours ses papiers. — C’est l’affaire Tiphaine ?

Jean, se retournant. — Oui, c’est l’affaire Tiphaine. (Il regarde Marie-Louis, puis se lève et se dirige vers la porte du fond à gauche.) Je te demande pardon… j’ai à travailler.

Il sort.


Scène III

MARIE-LOUIS, la belle Mme LAMBERT, BÉATRICE, Me AGA.

Ces trois derniers entrent par la porte du premier plan à droite.

Béatrice, allant jeter ses patins au coin de l’âtre et présentant sa bottine au feu. — Dieu !… que je me suis amusée !

Mme Lambert, s’asseyant. — Moi, mon enfant, je vous envie… ces jeux ne sont plus de mon âge…

Maître Aga, à Béatrice. — Vous en avez eu un succès ! Je ne vous connaissais pas ce joli talent.

Béatrice. — Oh ! Marie-Louis est bien plus fort que moi !… Il sait écrire son nom sur la glace… Mais qu’avez-vous donc, Marie-Louis !… Vous voilà changé en statue…

Marie-Louis, encore stupéfait du brusque départ de son frère. — Moi, je n’ai rien… Vous ne trouvez pas que jean n’est plus le même depuis quelques jours ?… Il était là tout à l’heure, quand je suis entré, et il est sorti brusquement avec ses papiers… Cette affaire Tiphaine semble le préoccuper beaucoup.

Mme Lambert. — Dites donc, Aga ? À propos de l’affaire Tiphaine, je compte toujours sur vous pour une place de faveur. Ne m’oubliez pas. Mon mari est mal avec le président Sautton, il ne lui parle plus.

Maître Aga. — Depuis quand ?

Mme Lambert. — Eh ! mais, depuis l’histoire de notre petite noce à Montmartre… Il paraît qu’elle a fait scandale.

Maître Aga. — Je vous crois ! J’ai reçu pour ma part un mot du bâtonnier. Le conseil de l’Ordre va me nommer un rapporteur !…

Mme Lambert. — Tout cela est de la faute du bon juge Pâté qui n’a pas su se tenir.

Maître Aga. — Ah ! il était saoul !

Mme Lambert, à Béatrice. — Et figurez-vous qu’il s’est battu avec un sergent de ville !… Enfin, l’affaire est arrangée, mais il y a eu du potin et une discussion très aigre entre le président Sautton et Lambert… Sautton rendait mon mari responsable… Il lui disait qu’il avait « prostitué la robe de la justice dans les ruisseaux de Montmartre… » Lambert lui a répondu que les ruisseaux de Montmartre n’étaient pas plus sales que ceux de la rue du Bac… où il habite… Il a compris… Il faisait une tête !…

Maître Aga. — Sa tête de cornard !… Juge très dangereux à rencontrer au coin d’un tribunal, dans les affaires compliquées d’adultère ! Il sait que sa femme le trompe et il se venge sur tous les amants ! En voilà un qui regrette que les magistrats n’aient pas de conseil de l’ordre !

Mme Lambert. — Pourquoi ?

Maître Aga. — Pourquoi, chère madame ?… parce qu’il le chargerait de venger son honneur outrage !… Il ferait comme Me Barbot qui, l’an dernier s’est plaint au Conseil de ce que son confrère Me Billard l’avait… fait cocu

Mme Lambert. — Non !…

Maître Aga. — On ne tue plus l’amant, on braque sur lui l’ordonnance de 1822.

Mme Lambert. — Vous m’intriguez ! Et qu’est-ce qu’on lui a fait, à Me Billard ?

Maître Aga. — Il a été appelé au Conseil… Ses confrères lui ont fait honte de sa conduite. On lui a fait comprendre que, si sa nature le poussait à jeter le trouble dans les ménages, il y avait d’autres ménages que les ménages d’avocat…

Marie-Louis. — Aga ! Aga ! Mme Lambert est capable de vous croire.

Maître Aga. — Mais je n’exagère rien. Du reste, vous avez été avocat et vous devez savoir jusqu’où va la tyrannie du Conseil de l’ordre…

Marie-Louis. — Peut-être. Il n’empêche que le privilège des avocats a du bon. Vous ne pouvez nier qu’il donne au public des garanties exceptionnelles et le débarrasse des hommes d’affaires…

Maître Aga. — Il le débarrasse des hommes d’affaires ! Eh bien ! Et nous, qu’est-ce que nous sommes, si nous ne sommes pas des hommes d’affaires ? On vient nous trouver que lorsqu’on a une affaire !…

Marie-Louis. — Oui, mais vous ne devez l’accepter que lorsqu’elle est honorable.

Maître Aga. — Enfant ! Avec votre système, il n’y aurait jamais qu’un avocat à la barre et il y en a toujours deux qui prétendent, chacun, que l’affaire de l’autre n’est pas honorable du tout ! Et il est « honoré » pour le dire, car nous ne sommes pas payés, nous sommes « honorés », et nous ne pouvons réclamer ces honoraires comme si ces honoraires étaient déshonorants ! Nous sommes à empailler ! Quand je songe que je n’ai pas le droit d’écrire à un client pour lui réclamer le prix de mon travail !…

Mme Lambert. — Comment faites-vous ?

Maître Aga. — Quand il ne s’est pas encore exécuté, la veille du procès, je lui envoie un petit bleu dont les termes ne varient guère : « Je vous attends demain matin à mon cabinet, apportez les pièces. » Et le client, après s’être demandé à quelles pièces il peut bien être fait allusion, puisqu’il les a données toutes, finit par comprendre qu’il s’agit des pièces de cent sous !

Mme Lambert. — Très ingénieux !

Maître Aga. — Oui, madame, nous en sommes encore là. Oh ! vous ne savez pas jusqu’où ça peut aller ? Cent ans après la Révolution, je ne puis manger une choucroute à Montmartre, à trois heures du matin, sans redouter les foudres du Conseil de l’ordre ! Demandez à Marie-Louis. Il connaît son « Cresson ».

Marie-Louis. — Par cœur (Il récite.) « Fréquenter les cafés avec peu de décence et de manière à s’attirer d’humiliants sarcasmes…

Maître Aga, continuant à réciter. — « …d’humiliants sarcasmes… se dégrader par certaines compagnies ?… Mme Lambert.) Ça, c’est, pour vous !

Mme Lambert. — Charmant !… Lambert vous invitera encore à souper !…

Maître Aga, continuant à réciter très haut. — « C’est encourir les pénalités les plus graves ! » Tenez !… pour cette affaire de Montmartre, où j’ai cependant défendu un sergent de ville que le juge Paté manquait d’assommer, je peux être privé de mon droit de plaider pendant six mois.

Mme Lambert. — Tiphaine est sauvé.

Maître Aga. — Vous, si vous continuez à faire la méchante, vous n’aurez pas votre entrée.

Mme Lambert, suppliante. — Ah ! mon petit Aga !…

Maître Aga. — Comme les femmes sont lâches ! Vous tenez donc beaucoup à entendre condamner un homme à mort ?… Mais enfin, qu’est-ce qui peut bien vous plaire, à vous autres femmes, dans ce lugubre spectacle ? Il est étrange de voir avec quel entrain vous y accourez, avec quelle patience vous l’attendez, avec quel héroïsme vous le subissez ! Car le plus souvent, vous y êtes très mal à l’aise, vous y étouffez… et ça pue !…

Mme Lambert. — Vous ne savez pas !… Il y a le frisson…

Maître Aga. — Lequel ?

Mme Lambert. — Le frisson de la Cour d’assises.

Maître Aga. — Mais encore, de quoi est-il fait ?

Mme Lambert. — De mille choses que l’on ne trouve que là : il nous vient des juges que nous avons devant nous, du peuple que nous avons derrière, de la haine que nous ressentons à cette minute-là pour le président, quel qu’il soit, et de notre sympathie pour l’accusé quel qu’il soit, si celui-ci risque sa tête dans ce duel avec un homme qui ne risque, lui, que d’être ridicule… ce qu’il redoute, d’ailleurs, par-dessus tout, — que vous dirais-je encore ? Il nous vient, justement, de toutes les odeurs spéciales qui se sont donné rendez-vous au fond du prétoire, odeurs de vice, odeurs de bêtes, odeurs de fauves et de cette anxiété de la peine de mort qui planent de compagnie et qui vous étreignent le cœur jusqu’au frisson… le frisson de la cour d’assises…

Maître Aga. — Eh bien, c’est du propre !… Je me doutais bien qu’il devait y avoir quelque chose pour expliquer comment, pendant les seize heures d’audience du procès Radiskol, pas une de vous ne soit sortie… Et pendant l’entr’acte, je veux dire la suspension d’audience, les unes mouraient de faim et de soif, si j’en excepte Diane des Gabies, qui avait eu la précaution d’apporter un pâté et du champagne — et les autres mouraient du désir de sortir… et ne sortaient pas ! Seize heures !… On ne risquait rien d’ouvrir les fenêtres, le lendemain et de cirer le parquet !… Ce qui fit dire à Me Thraséas que, si les femmes avaient tous les courages, elles avaient aussi toutes les faiblesses.

Mme Lambert. — Oh ! maître Aga ! maître Aga !

Béatrice. — Maître Aga, je compte également sur vous pour une entrée.

Mme Lambert. — Eh quoi ! ma petite, vous vous remettez à fréquenter le Palais ?

Béatrice. — Puisqu’il n’y a plus que là qu’on s’amuse !…

Maître Aga. — Mais, madame, vous n’avez qu’un mot à dire à votre mari…

Béatrice. — Mon mari m’a interdit toute distraction.

Mme Lambert. — Nous irons ensemble au procès et nous ne lui demanderons aucune permission… Au fait, vous avez raison… il faut sortir le plus possible, mon enfant.. Marie-Louis, votre congé ne sera pas expiré, vous serez de la partie ?

Maître Aga. — Elle ne sera pas gaie. Tiphaine a la manie de la persécution à travers les âges, il n’était pas encore né qu’il en voulait déjà à la maison des juges !

Mme Lambert. — Heureusement que vous êtes là pour la défendre… Mais, dites-moi, Aga, vous devez être très ennuyé… Comment allez-vous concilier les intérêts de votre client et l’amitié qui vous lie à la maison des juges ? Comment allez-vous soutenir Tiphaine qui n’invoque qu’une excuse à son crime, celle de prétendre que Pétrus Lamarque, l’ancêtre, est un bandit historique ?

Maître Aga. — En démontrant qu’il a tort.. mais qu’il est sincère… Compter sur moi, c’est un jeu d’enfant. Tout le monde sera content.

Mme Lambert. — Je vous vois d’ici… Vous avez vu plaider Me Aga, Béatrice ?

Béatrice. — Jamais.

Mme Lambert. — Ce sera une occasion. Il est très bien… Seulement un peu trop de gestes… trop d’effets de manche… On dirait une Loïe Fuller en deuil…

Maître Aga. — La psychologie de mon client est d’une simplicité qui touche à la niaiserie. On n’a pas dans sa famille trois guillotinés politique sans qu’un pareil antécédent ne vous fasse perdre un peu la tête : si, à cet antécédent, s’ajoute le fait qu’on est le fils peu fortuné d’un père qui est mort de faim, on est tout prêt à se montrer injuste envers la société, que l’on rend responsable d’un tas de malheurs, dont il ne faudrait accuser que le destin ! Imaginez que j’aie avec cela une bombe dans ma poche et que le fils du magistrat, premier auteur de tant de maux, soit président de chambre à la Cour de cassation, vous comprendrez pourquoi, l’autre jour, à la chambre des requêtes, on a cassé la patte à un pauvre garde municipal qui reste le seul, dans toute cette histoire, à ne comprendre rien du tout !

Marie-Louis. — Tout vous fait rire, Aga…

Maître Aga. — Et vous, tout vous fait peur…

Marie-Louis. — C’est vrai… Vous parlez de votre client avec une désinvolture qui ne sera égalée que par l’intérêt lyrique que vous manifesterez pour lui à l’audience, et vous m’en voyez tout déconcerté… Quand vous avez ces grands accents…

Mme Lambert. — … de trompette…

Maître Aga, souriant. — Laissez-le dire…

Marie-Louis. — …ces accents qui m’ont profondément remué, moi, plusieurs fois… ce n’étaient donc, comme le dit Mme Lambert, que des accents de trompette… ils ne venaient pas du cœur…

Maître Aga. — Mais, mon cher, si tous mes accents devaient venir du cœur, depuis que je plaide, j’aurais une lésion cardiaque !…

Marie-Louis. — Vous croyez rarement à ce que vous dites ?

Maître Aga. — Jamais ! Ou plutôt ce que je dis et ce que je crois ont si peu de chose à faire ensemble que je ne tente jamais une rencontre. Dans notre métier, la bonne foi n’est pas nécessaire.., je dirai même qu’elle est nuisible… Elle empêche de voir clair dans les intérêts du client !

Marie-Louis. — Mais c’est épouvantable ! Je connais cent avocats qui plaident…

Maître Aga. — Et qui sont toujours de bonne foi ?… Vous m’avouerez que c’est comme s’ils ne l’étaient jamais. On n’est pas si souvent de bonne foi que ça… c’est un luxe que l’on peut se payer quand on n’a pas de clientèle… La bonne foi n’est pas plus nécessaire pour faire un bon avocat que la conscience pure pour faire un bon juge.

Marie-Louis proteste avec énergie.

Mme Lambert. — Mais c’est la fréquentation des anarchistes qui vous fait parler de la sorte !

Maître Aga. — Non, c’est celle du palais !

Mme Lambert. — Si Jean vous entendait…

Maître Aga. — Justement. Jean a la conscience pure et n’est pas un bon juge. Il condamne tout le temps.

Marie-Louis. — Mais enfin, qui est un bon juge ?

Maître Aga. — Le président… votre père… En voilà un qui n’a pas la conscience pure et il acquittait toujours…

Marie-Louis. — Qui vous a dit que mon père n’avait pas la conscience pure ?

Maître Aga. — La belle Mme Lambert…

Mme Lambert, riant. — Moi, je vous ai dit ça ?… Il est à guillotiner, cet Aga !…

Maître Aga, à Marie-Louis. — Consolez-vous, ce n’est tout de même pas une canaille… Mais serait-il la dernière des crapules que ça ne l’empêcherait pas de discerner un homme honnête d’un qui ne l’est pas, ni lui ferait confondre l’Évangile avec un rapport de police. La justice, c’est la justice… Ce n’est pas parce que j’aurai mal à la tête que deux et deux ne feront pas quatre …

Marie-Louis. — Sans doute, mais cela pourra me gêner dans mes additions… Et c’est là où je vous tiens ! S’il est utile d’avoir l’esprit libre pour bien compter, il est nécessaire d’avoir une conscience nette pour bien juger… La conscience, c’est l’esprit du juge… et, à l’audience, il ne devrait pas chercher à en avoir d’autre ! C’est l’avis de Jean et, après m’être interrogé, je m’y tiens… après m’être cruellement interrogé, Aga…

Maître Aga. — Oh ! je sais… Vous êtes dans la période de l’examen de conscience… Ça vous passera… Tenez, voici votre père, Marie-Louis, nous allons lui faire présider le conflit, voulez-vous ?

Marie-Louis. — Je ne demande pas mieux…


Scène IV

LES MÊMES, plus LE PRÉSIDENT

Il entre par la porte du premier plan, à gauche.

Le Président. — De quoi s’agit-il ?

Il s’assied auprès de Mme Lambert et lui prend les mains dans les siennes.

Maître Aga. — De savoir si, pour être bon juge, il faut être en état de grâce…

Marie-Louis. — Oui, mon père… je prétends, et cela me semble tout naturel, non seulement qu’il faut souhaiter au juge une conscience pure, mais encore que celle-ci lui est nécessaire pour bien juger.

Le Président. — Mes enfants, vous agitez des problèmes bien graves… j’aimerais mieux vous voir jouer au nain jaune.

Mme Lambert. — Nous revenons de patiner… On peut bien s’instruire… Allons, répondez un peu, pour voir…

Le Président. — Eh bien, je vais vous répondre en toute sincérité… Il n’est heureusement pas nécessaire d’avoir une conscience pure pour rendre la justice, sans quoi je n’aurais jamais osé m’asseoir au tribunal, et il est inutile de la souhaiter, parce qu’elle est impossible.

Maître Aga. — Bravo ! j’ai gagné…

Mme Lambert. — C’est de la franchise, ou je ne m’y connais pas !

Marie-Louis. — Mais, mon père, je ne comprends plus… je ne comprends plus…

Le Président. — Mais comprends donc, mon fils, que la justice est éternelle et objective. C’est en son nom que l’on absout et que l’on condamne, et point au nom du magistrat qui n’est qu’un homme, c’est-à-dire une montagne de péchés. Par les paroles sacramentelles de la Loi, le magistrat fait descendre la justice dans le prétoire, comme le pitre fait descendre Dieu sur l’autel par les paroles sacramentelles de l’Église. Le juge peut être un diable et le prêtre un démon, rien n’empêchera la justice d’être là, ni Dieu !

Maître Aga. — Il a raison !

Béatrice. — J’aime à voir comme dans la maison des juges, vous vous entendez sur l’idée que vous devez avoir de la justice… (Elle va à Marie-Louis.) Qu’avez-vous, Marie-Louis, vous paraissez accablé ?

Marie-Louis, très triste. — Mon Dieu, oui, Béatrice… je suis accablé !… Les paroles de Jean que vous avez entendues… celles de mon père aujourd’hui…

Le Président, à Marie-Louis affectueusement. — Ne prends pas trop à la lettre ce que je t’ai dit, mon enfant… Il y a malheureusement beaucoup de vérité dans ma façon de voir, mais il ne faut pas que cela t’empêche de rester l’honnête garçon que nous aimons tous…

Il lui serre fortement la main.

Marie-Louis. — Eh ! mon père… il y a des moments où je me demande si je suis honnête… des moments où je me trouve indigne… oui, indigne… des moments où j’ai honte d’être magistrat… quand je vois avec quelle facilité nous expédions notre triste besogne… comment nous frappons au petit bonheur.. au hasard… C’est terrible !… Oui, au hasard… le plus souvent nous ne savons rien de l’individu qui nous passe par les mains… et… pan ! pan !… un an, deux ans de prison… est-ce que c’est bien honnête ce que je fais là ?… Tenez ! un jour j’ai souhaité qu’un pauvre bougre que nous venions de condamner m’envoyât sa savatte à la figure… Ça m’aurait soulagé.

Protestations et rires. Marie-Louis reste grave et triste.

Le Président. — Et lui, ça lui aurait valu deux ans de plus !… Que veux-tu, mon bon Marie-Louis, chacun fait ce qu’il peut… l’inculpé pour tromper la société, le juge pour la sauvegarder… et ni l’un ni l’autre ne sont parfaits ; l’inculpé n’est jamais un parfait bandit et le juge est rarement un parfait honnête homme… Cite-moi donc ici-bas une œuvre qui soit parfaite… Le tribunal, c’est encore ce qu’on a trouvé de mieux pour nous débarrasser des assassins et des voyous.

Marie-Louis. — En êtes-vous sûr, mon père ?… Moi pas… Certains soirs, je sors du Palais, le cœur malade, le cerveau hanté par cette idée qu’il y a autre chose à faire pour nous que cette œuvre imbécile qui consiste à punir à tort et à travers… Ce sont toujours les mêmes cas qui viennent devant nous, presque toujours dans les mêmes conditions, pourquoi ? Comment prévenir le retour de ces faits ? Voilà ce que nous devrions étudier dans les prétoires et, en dehors de la lamentable besogne du tribunal, je voudrais voir les juges, riches de leurs observations sans nombre, se réunir en assemblées, comme des savants honnêtes qui cherchent et qui tâtonnent, assemblées d’où ils indiqueraient à la société les mesures prophylactiques à prendre… le régime à suivre… les milieux à surveiller… les hôpitaux moraux à créer. Est-ce que je sais ?… Mais il faut autre chose !… Non ! ce que nous faisons n’est pas honnête… Non, mon père, je ne suis pas un honnête homme…

Maître Aga. — Vous exagérez, Marie-Louis…

Le Président. — Comme tu te tourmentes, mon pauvre enfant.

Marie-Louis. — Eh ! oui !… je me tourmente… je cherche partout la vérité et elle me fuit.., j’ai confiance en vous, j’ai confiance en Jean… vos vérités se contredisent… Je m’interroge, rien ne me répond… J’interroge… et je reçois trop de réponses… que penser ? que faire ? où vais-je ?

Mme Lambert. — … Me reconduire… Vous allez me reconduire, Marie-Louis… Cela vous remettra… et vous aussi, Béatrice, venez… Au revoir, mon président… Il fait beau, je ne suis plus fatiguée, nous allons suivre les quais…

Maître Aga. — On s’en va ?

Mme Lambert. — Oui, mais on ne veut pas de vous ! Vous allez encore taquiner Marie-Louis.

Elle prend le bras de Marie-Louis sous le sien.

Maître Aga. — Je jure… Non, je ne jure rien… je n’ai pas le temps. (Il regarde sa montre.) Il faut que je rentre chez moi. J’attends un dossier.

Mme Lambert. — Encore quelque bandit.

Maître Aga. — Que non pas, chère madame, que non pas ! Il s’agit d’une très grave affaire civile… Mon Intention, du reste, après m’être fait une renommée nécessaire, en défendant à la barre des assises et de la correctionnelle les pires ennemis de la société, est de me consacrer à la défense des intérêts de ses meilleurs soutiens, de messieurs les grands propriétaires !…

Le Président, à Marie-Louis. — Voyons, ne sois pas triste, mon fils… C’est la bonne crise, ne la regrette pas… Tu en sortiras meilleur encore… Ceux qui ne l’ont pas, dans notre carrière, cette crise initiale, sont de pauvres gens… je me rappelle… on se réveille la nuit.. on a peur d’avoir commis une erreur judiciaire…


Scène V

LES MÊMES, M. DE FABER

De Faber, entrant. — … Une erreur judiciaire, qu’est-ce que ça veut dire ? Que signifient ces mots ; une erreur judiciaire ?… Moi, je prétends que, s’il ne fallait condamner que lorsqu’on est sûr de quelque chose, on ne jugerait jamais !

Ils se mettent tous à rire, même Marie-Louis.

Maître Aga, entraînant Marie-Louis. — Vous voilà consolé. Allons-nous-en !

Tous sortent, excepté le président et M. de Faber.


Scène VI

LE PRESIDENT, DE FABER

Le Président. — Eh bien, Faber, qu’y a-t-il

De Faber. — Ce qu’il y a ?… Vous vous doutez bien un peu de ce qu’il y a ?… Il y a que c’est une honte !… Ah ! les misérables !…

Il cherche quelque chose dans sa poche.

Le Président. — Quels misérables ?

De Faber. — Ceux qui ont écrit cela !…

Il montre un journal.

Le Président, avec un sourire amer. — Il s’agit encore de l’affaire Tiphaine ?

De Faber. — Évidemment… On ne parle plus que de ça… Aga ne vous a rien dit ?…

Le Président. — Rien d’intéressant.

De Faber. — … Ne m’étonne pas… comme toujours il ne s’intéressera à son affaire que la veille de l’audience… Ce sont ses secrétaires qui vont chez le juge et qui s’occupent de sa publicité… Et ils la soignent… Quel saltimbanque !… Mais lisez donc ?…

Le Président, repoussant le journal que M. de Faber lui tend. — Inutile, mon cher, j’ai lu tous les journaux ce matin.

De Faber. — Et aussi du soir ?… Avez-vous lu les journaux du soir ? Vraiment, votre calme me stupéfie… Jean est-il là ?… J’espère que vous allez poursuivre… (Il déploie le journal. Lisant : ) : « Le crime de la maison des juges. » Depuis dix minutes, on hurle ça sur le boulevard du Palais… C’est gai de recevoir ça dans le nez, en sortant de l’audience. Nous avons tous l’air d’être compromis… « Le crime de la maison des juges ! » Vous allez poursuivre, hein ?

Le Président, se décidant à prendre le journal, s’asseyant et lisant. — …Ah ! c’est le Peuple, un journal révolutionnaire…

De Faber, se promenant fébrilement pendant que le président lit. — Un journal révolutionnaire !… Un journal révolutionnaire !… Si vous n’aviez pas permis aux journaux modérés de reproduire les déclarations insensées de Tiphaine contre votre maison, il ne se serait pas trouvé de journaux révolutionnaires pour y ajouter foi… Avec ça qu’ils prétendent maintenant que les preuves existent…

Le Président. — Les preuves de quoi ?

De Faber, agacé et criant. — … Du crime de la Maison des juges !… Lisez donc, là… (Il récite.)… « En fouillant dans les archives… »

Le Président, froissant le journal. — C’est trop bête…

De Faber. — Vous allez poursuivre…

Le Président. — Mais laissez-moi donc. Je ne peux pas empêcher ces imbéciles d’écrire l’histoire de France à leur manière.

De Faber. — Si ! Vous devez les en empêcher ! Pour l’avenir comme pour le passé, il ne faut pas qu’il y ait de doute sur la culpabilité de Tiphaine. Que vous permettiez qu’on écrive le contraire, cela dépasse toute imagination !

Le Président. — Je ne permets rien. Je ne m’en occupe pas. J’estime que toutes ces déclamations anarchiques n’ont aucune importance. J’ajouterai, mon cher Faber, que je vous trouve étrange d’être plus excité que moi… Il ne s’agit pas de vous ?

De Faber. — Je vous demande pardon !… Il s’agit de moi… Il s’agit de nous tous. La manœuvre crève les yeux. Au lendemain du jour où nous avons tous décidé au Palais de fêter solennellement le centenaire de l’ancêtre, de notre ancêtre à tous, vous entendez, de notre chef, de celui que nous considérons avec orgueil comme notre maître, alors que l’on apprend que le gouvernement y apportera un concours éclatant, les partis avancés se ruent, avec rage, sur cette occasion inespérée de l’affaire Tiphaine pour faire échouer la manifestation prodigieuse que nous avons organisée. Déjà, l’ancêtre était à leurs yeux comme la manifestation vivante du principe abhorré de la force et du châtiment… maintenant qu’on leur permet d’écrire que c’est un assassin… que va-t-il advenir de nous ?… Je vous vois, en robe, dans la rue lors de la manifestation… On nous jettera des pommes cuites… Il faut poursuivre !


Scène VII

LES MÊMES, JEAN

Il vient du dehors, dépose son chapeau d’un geste résolu.

Jean. — M. de Faber a raison, mon père : il faut poursuivre… Je reviens du Palais. J’ai rencontré Lambert qui m’a montré l’article infâme. Comme il se rendait chez M. le grand réquisiteur, je lui ai dit qu’il pouvait lui annoncer que nous allions déposer une plainte entre ses mains… Si je ne l’ai déjà fait, c’est que je voulais vous voir auparavant pour vous prier de faire la démarche vous-même…

De Faber. — Votre père hésite…

Jean. — C’est impossible !… Vraiment, mon père, ne connaîtrions-nous plus notre devoir ?

Le Président. — Voilà un bien grand mot, mon fils.

Jean. — Immense… Mais c’est vous qui m’avez appris à le connaître… Comment ne serions-nous pas d’accord pour châtier ceux qui ont osé attaquer l’ancêtre !

Le Président. — Jean, ne crois-tu point que la meilleure façon de prouver que nous ne doutons pas de sa vertu est encore de mépriser de telles attaques, de les ignorer, de les pardonner… On nous met directement en cause, nous, magistrats ! Eh bien, prouvons que nous sommes tellement au-dessus de ces vilenies que, passant notre temps à condamner pour les autres, il nous est doux de pardonner quand il ne s’agit que de nous-mêmes… (Le président fait un signe commandant le silence ; il montre le plafond.)… L’entendez-vous ? Il marche… Il marche depuis si longtemps que rien, ni personne ne pourra l’atteindre…

Jean, saisissant le journal. — Ah ! brûlons cette misérable feuille !

Il la jette au feu.

Le Président. — Évidemment, tu préférerais brûler l’auteur de l’article, mais ça ne se fait plus.

De Faber. — Écoutez…

On entend soudain une rumeur sur le quai. Elle grandit, se fait plus distincte. Les trois personnages en scène prêtent l’oreille… Enfin, passe sous la fenêtre une troupe invisible de camelots qui crient à l’envi.

Les Camelots, dans la coulisse. — … Demandez !… le crime de la maison des juges !… Histoire de trois têtes… La croix de l’ancêtre… Le crime des Lamarque… Pétrus, le vendu !…

Jean se tient la tête de ses deux mains dans une manifestation de désespoir sans borne.

Le Président. — Ah ! les misérables !… (Montrant le plafond.) Il va entendre… il va entendre !…

De Faber. — Il s’est arrêté… ne vous semble-t-il pas ?… Il ne marche plus…

Les Camelots, dans la coulisse. Ils s’éloignent — Histoire de trois têtes !… Pétrus, le vendu !…

Le Président, les yeux au plafond. — Oh ! mon père !… mon père !… (Il se précipite vers Jean et lui prend la main.) Ah ! oui ! nous allons poursuivre !…

Jean. — J’ai cru que j’allais mourir…

De Faber, à demi-voix. — Il ne marche plus…

Le Président. — Tout de suite… Allons tous au Palais… Toute la maison des juges… Où est Marie-Louis ?

Jean. — Oh ! oui, mon père… qu’on nous voie tous entrer chez le grand réquisiteur… On comprendra… Marie-Louis ! Comment Marie-Louis n’est-il pas là dans un pareil moment ?…


Scène VIII

LES MÊMES, NANETTE

Nanette. — Monsieur Jean ?…

Jean. — Où est Marie-Louis, Nanette ? Il faut lui dire…

Nanette. — M. Marie-Louis est sorti avec madame.

Jean. — Mais je croyais qu’ils étaient rentrés ?

Nanette. — Ils sont ressortis ensemble.

Jean, dans une grande exaltation. — Comprenez-vous cela, mon père, qu’il ne soit pas là à cette heure ? C’est insensé ! Qu’ont-ils à se promener dans les rues, quand on crie de pareilles choses !…

Nanette. — Je voulais vous dire, monsieur Jean… M. le réquisiteur général et M. le grand réquisiteur demandent à vous voir ainsi que M. le président… mais je ne savais pas que M. le président fût rentré… On peut les faire monter ?

Jean. — Le réquisiteur général ? Allez, Nanette !…

Le Président. — Oui ! Oui ! Faites-les monter…

Nanette sort.

De Faber. — Je vous quitte… Je suis heureux de vous voir poursuivre et soyez persuadés que M. le réquisiteur général et M. le grand réquisiteur seront de cet avis…

Il sort.


Scène IX

LE PRÉSIDENT, JEAN, LE RÉQUISITEUR GÉNÉRAL, LE GRAND RÉQUISITEUR

Le Réquisiteur général. — Mon président… (Tous les quatre se serrent la main.) Vous devez souffrir, mon cher Jean…

Le Grand Réquisiteur. — Je suis sûr que M. l’avocat général ne souffre pas… Jean Lamarque n’est pas un sentimental, et je l’en félicite… Ces infamies ne vous atteignent en rien, et vous avez le cœur assez haut, Dieu merci ! pour qu’il ne soit point troublé par le cri salarié de quelques camelots…

Le Réquisiteur général. — Hélas ! je crois connaître Jean mieux que vous monsieur le grand réquisiteur… Sous des dehors plus que sévères,… il cache une âme tendre et délicate… et qui souffre de tout… N’est-ce pas la vérité, mon cher président ?

Jean. — Messieurs, je ne sais pas si j’ai l’âme tendre, mais j’ai le cœur orgueilleux, je souffre, je l’avoue, nous souffrons tous ici dans notre orgueil… et dans le vôtre … On a attaqué la maison des juges : elle se défendra… Vous la défendrez, monsieur le grand réquisiteur et, ce faisant, vous défendrez la justice elle-même qui est attaquée dans la personne de l’ancêtre.

Le Président. — Monsieur le réquisiteur général, monsieur le grand réquisiteur, nous avions l’honneur de nous rendre au Palais pour déposer une plainte entre vos mains… Vous êtes venus… Recevez-la !

Un silence.

Le Réquisiteur général, embarrassé. — C’est que, M. le grand réquisiteur et moi, nous ne pensions point que, dans les circonstances présentes, vous vous arrêteriez à cette… ligne… de conduite… N’est-ce pas, monsieur le grand réquisiteur ?

Le grand inquisiteur ne répond pas.

Jean. — Comment… dans les circonstances pré-sentes ?… Ce sont justement les circonstances présentes…

Le Réquisiteur général. — Je veux dire qu’il ne serait peut-être pas politique…

Le Président. — Laisse parler M. le réquisiteur général, je t’en prie, Jean…

Le Réquisiteur général. — Il ne serait peut-être pas politique, au moment où nous nous apprêtons à fêter d’une façon aussi solennelle l’ancêtre, de laisser croire que nous attachons quelque importance… N’est-ce pas votre avis, monsieur le grand réquisiteur ?

Le Grand Réquisiteur. — L’affaire est trop grave et touche à des intérêts si vastes, que je ne me permettrais pas d’avoir une opinion après vous, monsieur le réquisiteur général.

Le Président. — Je ne m’explique pas vos paroles, messieurs… Nous poursuivrons.

Le Réquisiteur général. — Vraiment, mon cher président, je ne vous comprends pas…

Jean, éclatant. — Eh ! il faut comprendre pourtant !… C’est l’heure !… On s’attaque à quoi ?… À la maison des juges !… Et c’est à la tête que l’on veut la frapper ! C’est son chef que l’on vise ! Oubliez-vous que vous êtes solidaire de ses œuvres et que l’ancêtre couvre tout votre régime de sa grande ombre ? Quand, pour sauver la jeune liberté de l’anarchie, les Chambres eurent institué un comité de salut public présidé par le procurateur, qui est-on allé chercher pour l’asseoir dans la chaise du grand juge ! Un homme dont l’illustre vertu dominât toutes les consciences, même les plus timorées, qui redoutaient la résurrection des Fouquier-Tinville ! Et ce ne fut qu’un cri quand il apparut : il était l’image vécue de la justice descendue sur la terre ! La liberté doit tout à Pétrus Lamarque ! Il l’a portée dans ses bras magnifiques. Il l’a gardée de la trame des complots et l’a sauvée du poignard des assassins, à l’heure sinistre où les Tiphaine allaient accomplir leur abominable forfait. Il est le père de la patrie. On l’attaque ! Défendez-le ! N’attendez même point notre plainte. Votre devoir, le devoir du parquet est de poursuivre d’office !

Le Réquisiteur général, après un silence. — Je vous en prie, monsieur le grand réquisiteur, je crois que vous avez une communication à faire à ces messieurs.

Le Grand Réquisiteur, très froid. — Messieurs, j’ai, en effet, une communication à vous faire. Cet après-midi, j’ai reçu la visite de M. le conseiller Lambert qui m’a dit vous avoir rencontré, monsieur l’avocat général. Vous l’aviez chargé de me prévenir que vous alliez déposer une plainte contre le journal le Peuple.

Jean. — C’est exact…

Le Grand Réquisiteur, de plus en plus froid. — Quand M. le conseiller Lambert entrait dans mon cabinet, M. le juge d’instruction Leperrier en sortait. M. le juge d’instruction Leperrier était venu me dire qu’il comptait sur moi pour vous décider à ne déposer aucune plainte, dans le cas où vous l’eussiez résolu, après les publications du journal le Peuple.

Jean, se levant. — Leperrier !… Leperrier a fait cela ?

Le Président. — De quel droit ? Pour quel motif ?

Jean, avec colère. — De quoi Leperrier se mêle-t-il ?

Le Grand Réquisiteur. — M. Leperrier prétend qu’il vous faut éviter à tout prix le scandale d’un débat public… Je suis persuadé que ce juge d’instruction est animé des meilleures intentions pour votre maison… Je crois même, monsieur le président, qu’il serait utile, puisqu’il est chargé de l’affaire Tiphaine, que vous ayez une entrevue avec lui…

Le Président. — Moi !

Jean, protestant. — C’est impossible !…

Le Grand Réquisiteur, à Jean. — Oui, je sais que toute intimité a cessé depuis longtemps entre vous et M. Leperrier… Aussi, vous voyez, je ne conseille cette entrevue qu’à votre père…

Jean. — Ni moi, ni mon père ne verrons M. Leperrier !

Le Grand Réquisiteur, se levant ainsi que le réquisiteur général, affirmant. — Si ! Je suis prié de vous demander cette entrevue, monsieur le président.

Jean. — Mais dans quel but ?

Le Grand Réquisiteur. — Oh ! je l’ignore… je n’ai demandé aucune explication à M. Leperrier, et n’en désire aucune… (Il serre la main du président.) C’est entendu, monsieur le président ?

Le Président, après une hésitation. — Puisque vous le voulez.

Le grand réquisiteur et le réquisiteur général sortent.


Scène X

LE PRÉSIDENT, JEAN

Jean, très agité. — Je soupçonne quelque machination de Leperrier… Ah ! cet homme… Il y a des moments où je comprends le crime !… Quand je pense à tout ce qu’il m’a pris… je me demande avec anxiété ce qu’il peut bien pouvoir me prendre encore… Ah ! on ne saura jamais ce qu’il m’a fait souffrir… personne ne s’en est douté… (Il est accablé sous le poids du souvenir.) Non, pas même vous, mon père ! (Montrant Béatrice qui rentre.) pas même cette femme… ma femme !…


Scène XI

LES MÊMES, BÉATRICE, MARIE-LOUIS

Béatrice, allant au président. — Qu’y a-t-il ?… Vous paraissez tout triste…

Jean. — Il n’y a que vous de gaie aujourd’hui dans cette maison !

Béatrice. — Très gaie ! Nous sommes allés patiner, Marie-Louis et moi !…

Marie-Louis. — Nous avons rencontré Mme Lambert et Me Aga… Nous sommes revenus avec eux… nous les avons reconduits.

Béatrice, avec affectation. — Oh ! la joie folle de glisser, d’être deux à avoir l’unique désir du même chemin, de la même courbe, de la même fuite sur la glace. Et puis, il est des instants où l’on est comme immobile dans la vitesse, avec le grand vent frais sur le visage. (Regardant amicalement Marie-Louis sans coquetterie.) … et le bras de notre bon Marie-Louis à la ceinture !…

Jean, se levant, très agité. — Il faudra, il faudra, Béatrice, retourner sur les lacs glacés avec Marie-Louis. Cela est excellent pour votre santé, et je me félicite de retrouver chez vous une humeur que je ne connaissais plus depuis longtemps…

Béatrice. — C’est entendu ! Nous y retournerons demain… C’est Marie-Louis qui m’a appris à patiner. C’est un excellent professeur !

Jean, d’une brutalité soudaine. — Vous resterez à la maison ! On ne sort pas en ce moment de la maison des juges ! Qui vous fait sourds ainsi tous les deux que vous n’entendiez pas ce que l’on crie dans la rue !… Vous resterez à la maison !

Béatrice. — À la maison !… Je resterai à la maison ?

Marie-Louis. — Mais, Jean ! Qu’est-ce que cela signifie ?

Béatrice. — À la maison !…

Le Président. — Béatrice, je vous en prie… il faut pardonner à Jean.

Béatrice, continuant, à Jean. — Mais vous me croyez donc bien votre prisonnière pour me parler de la sorte ?

Jean, revenu au calme. — Excusez-moi, Béatrice, je regrette de toutes les forces de mon âme cette stupide colère… L’heure est si triste pour nous… je n’ai pas su me contenir.

Le Président. — Vraiment, Jean, tu es très-coupable… L’épreuve passagère que nous subissons n’est pas une raison suffisante de ta soudaine irritation contre Béatrice… Je ne te reconnais plus… Il faut qu’il se passe dans ton esprit quelque chose que je ne sais pas. Toi ordinairement si calme !… Voyons, qu’y a-t-il ?

Jean. — Eh ! vous le savez bien, mon père…

Le Président. — Non, ce n’est pas cela… il y a autre chose…

Jean. — Il n’y a pas autre chose… mon père… il ne faut pas qu’il y ait autre chose !

Béatrice, au président. — Ne cherchez pas… je vais vous expliquer sa colère… Elle venait de ce qu’il m’a surprise, rapportant du dehors, dans cette mortelle demeure, un peu de vie et un peu de clarté, — de ce qu’il m’a entendu rire, moi qui n’ai pas ri depuis quatre ans !… Mais maintenant, voyez-vous, je rirai tous les jours ! Oui, j’ai décidé cela… Même quand on criera ce que vous savez dans les rues, contre la maison des juges ! Qu’est-ce que me fait votre maison, à moi ? J’ai assez souffert, je ne veux plus souffrir…

Le Président. — Mais, ma pauvre enfant, on vous torture donc ?

Béatrice. — Vous me le demandez ? Vous, le meilleur de tous, vous avez assisté à cette torture comme si elle m’était due, comme si c’était un spectacle de justice ?…

Le Président. — Je vous ai conseillé une longue patience, Béatrice, et de tout espérer du temps. Que pouvais-je faire de plus ?

Marie-Louis. — Il faut faire quelque chose de plus, mon père… Il faut dire à Jean que le martyre de Béatrice a assez duré… il faut lui dire qu’il est temps qu’il se souvienne qu’avant d’être un juge, il est un homme… dites-lui que nous attendons, après tant d’années d’expiation, un mot de pitié pour Béatrice… que tous nous souffrons ici du malheur qui les sépare… qu’il a assez souffert, lui aussi… car il souffre, car il souffre… N’est-ce pas, Jean, que tu souffres ?

Jean détourne la tête.

Le Président, à Jean. — Mon fils… Tu n’oublieras donc jamais ?

Béatrice. — Que voulez-vous lui faire oublier ?

Le Président. — Écoute-moi, Jean, on n’a pas le droit…

Jean. — Je ne sais pas si l’on a le droit… mais, moi, je me rappelle un jour terrible où j’ai eu le devoir…

Béatrice. — Le devoir de vous tromper et de me frapper sans pitié !

Marie-Louis. — Béatrice, laissez mon père parler à Jean…

Béatrice. — Pourquoi ?… Qu’attendez-vous de lui ? Il a fait son métier de juge ! (À Jean ) Ah ! si votre père est un magistrat qui vole son pain, vous savez gagner le vôtre !

Jean, accablé. — J’ai agi en toute justice ! Béatrice veut quitter la pièce.

Le Président, arrêtant Béatrice. — Restez, Béatrice, je le veux. (À Jean.) Admets que tu aies frappé en toute justice… Mais un homme n’a pas le droit, Jean, d’être si juste que cela ! Te crois-tu donc personnellement si à l’abri de toute défaillance, que tu n’aies jamais envisagé le bienfait du pardon !… Mes fautes, à moi, sont innombrables, mais je les bénis, puisqu’elles m’ont appris à pardonner !… Je t’ai vu grandir sans péché et t’approcher du tribunal plein d’orgueil, eh bien, je t’ai souhaité moins pur, t’ayant trouvé trop sévère… Voici Béatrice que tu as tant aimée… crois-tu que, depuis quatre années que tu lui fais expier une faute…

Béatrice, hautaine. — Quelle faute ?

Le Président, avec un geste suppliant, à Béatrice. — Ou ce que tu as cru fermement et cruellement, hélas être sa faute, crois-tu que depuis quatre années qu’elle supporte son humiliation d’épouse et de mère, crois-tu qu’il n’eût pas été doux de lui pardonner ? (Un silence.) Tu ne réponds pas ?… (Dans une émotion profonde.) Mais quels sont donc les hommes de ce temps-ci ? D’où venez-vous ? Où allez-vous avec tant d’assurance ? Quelle âme est la vôtre ? (À Jean.) Où trouves-tu cette force de châtier ?

Béatrice, terriblement ironique. — Dans sa conscience de granit ! Vous ne savez pas, vous, père, ce que c’est qu’une conscience de granit !… l’orgueilleuse conscience de la maison des juges… Vous n’en avez pas hérité… Elle a sauté une génération… Vous parlez de pardon… Ici ?… (Égarée.) Mais vos paroles vont faire hurler les murs… Regardez donc les ancêtres ! Ils sont déjà prêts à descendre de leur cadre… Tenez, celui-là, dans le coin, qui ressemble si étrangement à Jean, il me montre du doigt chaque fois que je passe… Et cet autre dont la lèvre m’injurie…Tous, vous m’entendez, ils me soupçonnent… Ils m’espionnent… et tous ils me croient coupable, parce que ça a été leur métier autrefois !… J’ai accusé la vieille servante… J’ai eu tort… ce sont eux qui m’ont dénoncée… Ils voulaient me chasser ! C’est vrai, j’étais trop gaie !… (s’apitoyant) trop jeune… trop heureuse de vivre… Je faisais sans doute trop de bruit dans leur tombeau !… Mais je vais m’en aller… je ne veux plus les voir, ni eux, ni vous, ni mon mari, ni mon enfant… (Elle pleure.) Je vais m’en aller toute seule, toute seule.

Marie-Louis. — Jean !… Aie pitié…

Le Président. — Pardonne…

On entend les sanglots de Béatrice.

Marie-Louis. — Ah ! oui… Je ne peux plus la voir souffrir…

Béatrice, dans ses larmes. — Je vais partir…

Jean, à Marie-Louis. — Tu ne peux plus la voir souffrir…

Marie-Louis. — C’est trop… et toi aussi, tu pleures. Tu vois bien que tu pleures… Pardonne, puisque tu l’aimes encore…

Jean. — C’est vrai !… Je l’aime encore ! Ah ! Tu as deviné cela, toi !

Marie-Louis. — Ouvre-lui tes bras !…

Jean. — C’est toi, c’est toi qui me dis cela ? Béatrice !

Il s’approche d’elle.

Béatrice, se levant. — Non ! Non ! Adieu !… Je ne veux plus vous entendre, c’est fini !… (Avec une résolution farouche.) Je ne veux plus vous voir… je ne veux plus voir cette maison, ni celle d’en face ! (Elle montre le Palais de justice.) Ah ! sortir de l’ombre… de l’ombre de ces tours, qui ne me quitte pas… de quelque côté que l’on se tourne, ici, on les aperçoit… Quand on voudrait oublier que l’on est dans la maison des juges et qu’on lève la tête, c’est le Palais de justice que l’on regarde !… Ah ! comme je les hais, ces tours sinistres, qui me rappellent à toute heure du jour et souvent de la nuit votre plus sinistre métier !… Ne plus les voir !… Tenez, plutôt que de rester ici, je préférerais être enfermée dans ces tours… pour ne plus les voir ! Oui ! la Conciergerie plutôt que la maison des juges !

Jean. — Béatrice…

Béatrice, continuant. — … Plutôt que la maison des juges !… Entendez-vous bien, Jean ? Sachez que vous m’avez rendue si malheureuse, que j’ai envié le sort des misérables qui pleurent derrière ces pierres… Au moins, de temps à autre, la clémence des geôliers leur fait voir un coin de ce ciel bleu, mais moi, monsieur, moi, quand je me mets à la fenêtre de votre maison, où vous m’avez tenue plus captive que si j’avais été enchaînée, c’est encore une prison que je vois !

Jean. — Béatrice, écoutez-moi !

Béatrice. — Ah ! comme je vous hais !

Le Président. — Ma fille !

Béatrice. — Je ne suis pas votre fille, je ne suis rien ici… Jean n’a même pas voulu que je sois la mère de mon fils !… Laissez-moi… Je vous hais tous !

Marie-Louis. — Je ne vous ai jamais fait de mal, Béatrice !…

Béatrice. — Tous !… Tous !… (S’attendrissant.) Vous avez fait de moi une femme qui n’a plus que de la haine, moi dont le cœur était plein d’amour…

Elle pleure.

Jean. — Écoutez-moi, Béatrice… C’est moi qui vous le demande aujourd’hui. Vous m’avez questionné pendant quatre ans et je me suis tu, et vous m’avez haï à cause de mon silence… et vous avez cru que je vous haïssais… Eh bien, non ! je n’ai pas cessé de vous aimer !

Béatrice. — Vous m’aimez… vous osez dire…

Jean. — Oui je me suis tû, car je craignais que ma première parole ne vous dît que je vous aimais encore… Vous ne comprenez pas… Vous avez souffert ! Et moi aussi, j’ai beaucoup souffert. Mon père me parle de la douceur du pardon, croyez-vous que je n’y ai pas pensé ?… Vous pardonner ! Mais mon sœur ne désirait que cela !

Le Président. — Eh ! insensé ! que ne l’as-tu fait ?

Jean. — Oui, oui, il est doux de pardonner… (Avec amertume.) Hélas ! dans ma conscience, je ne le pouvais pas !… Étant si sévère pour les autres, j’ai craint de ne l’être pas assez…

Béatrice. — … Pour moi !

Jean. — Non… pour moi ! Vous entendez : pour moi ! Oui, c’est à moi que j’ai refusé votre pardon !…

Le Président. — Mais pourquoi ? Mais pourquoi ?

Jean. — Vous ne devinez pas, mon père, quel courage quel effroyable courage il faut avoir pour ne pas pardonner ! Être le juge de sa femme, l’aimer et la condamner à ne plus vous aimer !… Sentir que l’on est prêt à devenir le dernier des lâches, en oubliant tout dans un baiser et passer dans la maison avec une figure impassible de juge… de juge honnête, sans peur, sans grâce et sans faiblesse pour les siens, pour lui-même, comme pour les autres !… Tenez, mon père, il y a eu des jours où je souffrais tant…

Béatrice. — Je ne vous crois pas…

Jean. — Vous ne croyez pas que je souffrais, Béatrice, vous ne croyez pas que je vous aime encore ?…

Béatrice. — Vous dites que vous m’aimez !… Mais si vous m’aviez aimée, vous auriez senti que je n’étais pas coupable !… J’ai trop attendu un mot de vous… un pauvre soupir… avec une patience inlassable… Non, vous ne m’aimez pas ! J’aurais deviné que vous pleuriez sur moi… et nos larmes auraient bien fini par se rencontrer…

Jean. — Des nuits entières, j’ai pleuré à votre porte !…

Béatrice. — À ma porte !…

Jean. — Oui, j’ai souffert, là, pendant des heures incomparables…

Béatrice. — Pourquoi me dites-vous tout cela aujourd’hui ? Je n’ai nul besoin de le savoir… Et puis, je ne vous crois pas… car ce serait trop absurde. Un amour pareil m’épouvanterait plus que votre haine… À ma porte ! Des nuits entières à ma porte !…

Jean. — J’y étais cette nuit encore !

Béatrice. — Cette nuit !

Jean. — L’épouvantable nuit ! Mais il faut que je vous dise cela, Béatrice, et à toi aussi, Marie-Louis, c’est nécessaire. Il faut que mon cœur se décharge de tout cela qui l’étouffe… Oui, oui, c’est trop lourd à porter.

Béatrice et Marie-Louis. — Quoi ? Quoi ?

Le Président. — Parle, mon enfant !

Jean. — N’est-ce pas, mon père, c’est bien votre avis, il faut que je parle… Quand j’aurai parlé, quand j’aurai dit la chose tout haut, j’en serai débarrassé… Ah ! vous ne savez pas jusqu’à quel point je vous aime, Béatrice… jusqu’à être jaloux !

Il regarde Marie-Louis.

Béatrice. — Jaloux !

Marie-Louis, se levant sous le regard de son frère. — De qui ?

Jean. — De toi !

Le Président. — Mon pauvre enfant !

Béatrice, pleine de stupeur. — Jaloux de Marie-Louis ! Il était jaloux de Marie-Louis !

Jean. — Oui, oui… de mon frère… je suis jaloux de mon frère… Mais maintenant c’est fini… j’ai dit la chose tout haut. C’est passé… C’est fini…

Béatrice, elle saisit le bras de Marie-Louis qui a poussé une sourde exclamation et qui semble souffrir horriblement. — Vous entendez, Marie-Louis !… (Elle a un rire éclatant) Comment a-t-il pu devenir jaloux ?

Elle regarde Marie-Louis.

Marie-Louis, égaré. — Oui, oui… comment peut-on ?…

Béatrice continue à fixer Marie-Louis.

Jean. — Ces soupçons étaient le plus, grand crime qui pût se promener dans cette maison !…

Béatrice. — … Le plus grand crime !… Marie-Louis, je vous disais bien que vous aviez tort de m’empêcher de partir !… Jean est fou !… Sa justice le rend fou ! et, si je restais, je sens que je deviendrais folle, moi aussi !

Elle sort.

Jean, dans un grand cri. — Béatrice !… Il ne faut pas partir !

Béatrice ne l’entend pas.


Scène XII

LE PRÉSIDENT, JEAN, MARIE-LOUIS

Jean, allant à Marie-Louis. — Me pardonneras-tu jamais ? (Il serre longuement la main de son frère. À son père : ) Je ne pouvais pas avoir ça dans le cœur sans le dire… Maintenant, la maison est propre…


Scène XIII

LES MÊMES, NANETTE

Nanette. — Monsieur ! Monsieur !

Le Président. — Qu’y a-t-il, Nanette ?

Nanette. — M. Abel Leperrier !

Mouvement général.

Jean. — Ici ?

Nanette. — Il demande à voir M. le président tout de suite… il voulait monter derrière moi… Il est venu par le petit escalier qui donne sur la cour…

Le Président. — Fais-le monter dans mon bureau, Nanette ; je m’y rends tout de suite.

Jean. — Faites-le monter ici, mon père… Je désire… je veux assister à cette entrevue, j’en aurai le courage… Il est bon aussi que Marie-Louis soit présent.

Le Président. — Tu me promets, Jean…

Jean. — Oh ! soyez tranquille…

Nanette. — Alors, je l’introduis ici ?

Le Président. — Ici.

Nanette sort.


Scène XIV

LE PRÉSIDENT. JEAN, MARIE-LOUIS, LEPERRIER

Il entre par la porte du premier plan, à droite.

Leperrier, après avoir salué les trois personnages en scène, s’arrête auprès de la porte. — Je vous demande pardon, monsieur le président, de cette sorte de violation de domicile… mais je devais vous voir de toute urgence, car je désirais vous remettre en mains propres cela !

Il sort un dossier plié de sa poche et le dépose sur la table.

Le Président. — Qu’est-ce que cela ?

Leperrier. — Ce sont les preuves de l’innocence des frères Tiphaine…

Mouvement général. Sourde exclamation de Jean.


Scène XV

Les mêmes, L’ANCÊTRE

La porte qui est au-dessus de l’escalier à droite s’ouvre, et l’ancêtre apparaît au haut des marches. Il est enveloppé dans une ample houppelande : grande barbe blanche, longs cheveux. Il est à peine courbé et se soutient sur un bâton. Il reste immobile au haut des marches, tel une statue ; les personnages en scène sont disposés de telle sorte qu’ils n’aperçoivent pas l’ancêtre pendant toute cette scène.

Le Président, d’une voix hésitante. — Les preuves !… Alors… il y a eu erreur judiciaire ?

Leperrier. — Non.

Le Président. — Comment ! non ?

Leperrier. — Il n’y a pas eu erreur judiciaire… Les juges, ou plutôt l’un des juges, ou, si vous voulez, le premier des juges, celui qui commandait aux autres, savait que les frères Tiphaine étaient innocents… qu’ils n’avaient jamais tenté d’assassiner le procurateur.

Jean veut faire un mouvement vers Leperrier, mais le Président le retient.

Le Président. — Prenez garde, Leperrier, vous prononcez là des paroles… En quoi consistent les preuves de cette innocence ?

Leperrier. — Elles résultent des preuves de la culpabilité du grand juge ! Je vous les apporte. J’ai pu mettre la main dessus à l’heure où nos ennemis, les ennemis de la justice, croyaient les saisir. Il y a là les témoignages accablants des ouvriers habiles qui ont travaillé pour l’État, et la preuve de l’ordre donné par le procurateur et transmis par le grand juge qui en fut récompensé

Jean. — Vous en avez menti !

Le Président, arrêtant Jean. — Laisse-le finir !

Leperrier. — Il y a là de quoi changer la face de l’histoire pendant trente ans… de quoi faire rugir d’allégresse le parti de la Révolution ! Vous savez, vous, monsieur, le président, que je suis un magistrat honnête et qu’en vous livrant un pareil dossier je ne le fais que parce que je suis persuadé que la condition de l’accusé n’en saurait être aggravée, au contraire… Il savait que ces preuves existaient, mais dans quelles archives fallait-il puiser ou faire puiser pour les mettre au jour ? Il l’ignorait. D’autres, depuis l’éclat politique que l’on a donné à cette affaire, travaillaient pour lui, ou plutôt pour eux. J’ai pu les devancer. On ne trouvera rien ; on ignorera même que l’on a trouvé quelque chose. Il n’y a que vous qui le saurez et moi !… MM. le grand réquisiteur et le réquisiteur général eux-mêmes, je me hâte de le dire, ne savent rien… Ils se doutent seulement qu’il est nécessaire de montrer quelque clémence pour Tiphaine et de terminer au mieux ce procès, en trouvant à l’accusé des circonstances atténuantes que l’on fera développer par son avocat, ce sera facile. Déjà, la mentalité de Tiphaine me paraît suspecte, et le rapport des médecins experts ne manquera pas d’établir combien sa responsabilité est mitigée…

Le Président. — Vous avez fini, monsieur ?

Leperrier, continuant. — Je vous dis toutes ces choses parce que je sais le souci que vous avez de la justice, et pour que vous n’ayez aucune crainte sur le sort d’un accusé que l’on prive de pièces qui ne sont même point judiciaires… de documents historiques que nous ne sommes pas après tout obligés de lui fournir. Enfin, vous songerez qu’en brûlant ces papiers vous servez la justice… et moi, j’estime que j’aurai accompli mon devoir en servant la maison des juges…

Le Président, troublé. — Vous parlez avec une extraordinaire assurance, Leperrier…

Jean. — Je ne sais si M. Leperrier parle avec assurance ou non… Je sais à coup sûr qu’il parle trop…

Leperrier. — Jean, rappelle-toi notre ancienne amitié… Je te jure ! Ah ! je te jure !…

Jean, interrompant brutalement. — Il parle trop… et nous l’avons trop entendu…

Leperrier. — Réfléchissez…

Jean. — Mon père, dites donc à cet homme de quitter notre maison sur-le-champ avec ses papiers.

Leperrier. — Je ne partirai pas…

Jean. — Va-t’en !

Leperrier. — Je ne partirai pas d’ici avant de protester une dernière fois de ma loyauté et contre la trahison que vous m’avez prêtée… Il y a ici une victime, Jean.

Jean, menaçant. — Si tu ne pars pas…

Le Président. — Il faut vous en aller, monsieur.

Jean. — Tu ne vois donc pas que ta présence ici nous déshonore…

Leperrier. — Elle sauve la maison des juges ! Je la sauverai malgré vous ! Je sais ce que je lui dois. J’aurais pu brûler sans rien vous dire ces papiers. En te les apportant, j’ai recherché l’occasion de te crier une fois encore, Jean, qu’il y a ici une victime de ton erreur, de ta jalousie, de ton orgueil…

Jean. — Remporte tes papiers ! Que n’inventerais-tu pas ? Tu es capable de tout !

Leperrier. — Je n’ai pas inventé les preuves de l’innocence des frères Tiphaine.

Jean. — Malheureux !… si elles existent, tu es plus coupable encore, car elles appartiennent à l’accusé de demain !… Porte-les-lui de notre part !

Leperrier étourdi, par la colère et l’indignation de Jean, reprend son dossier et, après un geste d’adieu désolé, sort.


Scène XVI

Les mêmes, moins LEPERRIER

D’abord un silence.

Jean, rompant le silence. — Mais elles n’existent pas !…

Le Président. — Pourquoi n’as-tu pas voulu voir le dossier ?

Jean. — Parce que ce n’est pas vrai ! Marie-Louis est bien de cet avis, n’est-ce pas ?… Ce n’est pas vrai ! Est-ce que vous douteriez de l’ancêtre ?

Marie-Louis. — Si c’était vrai !…

Jean. — Ça n’est pas possible.

Le Président. — Non, non, ça n’est pas possible.

Jean. — Ça n’est pas possible, parce qu’alors il n’y aurait plus rien.

Le Président. — Oui, la justice serait finie…

Marie-Louis, secouant la tête, sceptique. — Il faut tout dire à l’ancêtre…

Jean. — Oui, oui. Maintenant il faut tout dire à l’ancêtre !

Le Président. — Oui oui, à l’ancêtre !… Allons demander à l’ancêtre !…

Le président, Jean, Marie-Louis se précipitent vers l’escalier. Ils aperçoivent l’Ancêtre en haut de l’escalier et s’arrêtent.

L’Ancêtre. — C’est vrai !… (Ils reculent pleins d’épouvante. Jean pousse un gémissement de bête blessée, l’ancêtre descend lentement les marches de l’escalier.) Vous voilà donc, ô les trois âges de ma jeunesse !… Une fois de plus vous vous dressez devant moi, vous venez me demander, anxieux et farouches : « Est-ce vrai ? » Car n’imaginez point, ô mes fils, que c’est la première fois que vous m’apparaissez ainsi avec vos yeux d’épouvante et vos bouches terribles qui me crient : « Est-ce vrai ? » Ô mes fils ! Ô les trois âges de ma jeunesse ! Depuis des années sans nombre vous êtes venus, croyez-moi, vous êtes venus !… Vous ne m’avez point quitté, vous dis-je, attachés comme des ombres, nuit et jour, à mes pas. Et je ne cesse de vous répondre : « C’est vrai ! » Et cependant, vous revenez toujours m’interroger, si bien qu’un autre que le vieux Pétrus eût pu prendre vos ombres pour des remords ! Ô les trois ombres de ma jeunesse ! J’étais comme toi, mon Marie-Louis, une pauvre petite âme de magistrat, timide et pleine de forfanterie, et j’écrivais en tremblant des réquisitoires qui me rappelaient mes devoirs du collège !… Quand je vis tomber ma première tête… j’eus peur et devins sévère pour moi-même, et dur pour les autres. Je m’astreignis à cette époque à plus de vertu que tu n’en pourras jamais imaginer, tu entends, toi, Jean ? Ma seconde image ! Mon second cœur de juge !… Le jour devait venir cependant, jour que tu connaîtras (À Jean.) où le ciel m’envoya une telle souffrance, que je connus la pitié !… La justice alors m’apparut comme une bonne mère, et je ne frappais plus en son nom qu’avec douceur. Ce fut une étape charmante à laquelle je ne m’attardai point cependant, comme tu l’as fait, toi, le premier de mes enfants, Louis, vieillard plein de sérénité qui crois ta route accomplie !… Il y a une quatrième étape, mais elle est terrible à franchir ! Oseras-tu ? Après avoir frappé avec hésitation, à cause des fautes de ta jeunesse, avec sang-froid, à cause de la raison de ton âge mûr, avec pitié, à cause de l’expérience de ton déclin, après avoir frappé pendant ces trois étapes, au nom de la justice, oserais-tu, comme moi, aller jusqu’à cette étape suprême où tu, demanderas ce que c’est que la justice des hommes, où tu la chercheras, où tu ne la trouveras pas, où dans la sincérité et dans le silence immense de ton cœur, tu la proclameras toujours mensongère et toujours impossible, et où cependant, appelé par le destin dans un poste d’où dépend la paix des sociétés, puisque tu es juge, et puisqu’il n’y a pas de justice, tu frapperas sans justice !… Oseras-tu cela ?… Je l’ai osé ! Et de ce que j’ai osé cela, qui est effrayant, voilà que les trois Pétrus de ma jeunesse ne lâchent plus le vieux Pétrus ! Mais je leur réponds : « Ce que j’ai fait n’est pas plus effrayant que ce que vous faites ! Vous faites votre devoir de magistrat, et j’ai fait le mien ! Mon crime était mon devoir !… »

Le Président. — Mais où est notre crime, à nous, mon père !… C’est donc un crime de juger les hommes ?

L’Ancêtre. — Le crime, mon enfant, n’est point d’emprisonner les hommes, ni de les tuer ; le crime est de les tuer et de les emprisonner au nom de la justice !… La justice n’a rien à faire là-dedans !… Eh !… ne vous révoltez pas, les trois Pétrus de ma jeunesse !

Jean. — Il n’y a plus rien ! Il n’y a plus rien !

L’Ancêtre. — Si !… Il y a la société… dont vous devez faire respecter les commandements. Mais, accomplissant une telle besogne qui demande du courage, n’imaginez point que vous mettez de la philosophie en actions !… Vous faites de la police, mes juges, pas autre chose. Vous dissipez les rassemblements, vous rétablissez la circulation, vous faites la place nette de ce qui gêne la société. Vous gardez les plates-bandes du riche, vous êtes de tragiques gardiens de squares !… Quant à vous prononcer en justice pure, comme vous ne pouvez séparer le fait du mobile, vous êtes des niais de croire à la pureté de votre justice ! Pour connaître le mobile du geste sanglant d’un homme, ô mes fils, il faudrait savoir ce qui s’est passé dans le ventre de la première femme, et encore de quoi était fait le premier feu de l’univers, et remonter ainsi jusqu’aux origines du monde, si le monde a des origines !

Jean, venant s’asseoir accablé au premier plan. — Il n’y a plus rien…

L’Ancêtre. — La justice n’est point dans nos temples… mais il ne faut pas le dire… La justice ! Ce mot-là nous facilite la besogne, et c’est sur ce mot-là que le monde a vécu ! Moi, j’ai ouvert la porte du tabernacle et je l’ai refermée tout de suite pour que les autres ne vissent point qu’il n’y avait rien derrière… Ce néant des tabernacles, c’est le grand mystère… Silence, mes fils ! il faut bien le garder ; nous sommes les défenseurs naturels et les soldats héroïques du mensonge nécessaire !… Et notre devoir absolu, absolu, est de supprimer l’impie, l’imprudent ou l’audacieux qui veut soulever le voile du temple ! Ô les trois âges de ma jeunesse ! Je vous le dis une dernière fois, et ne revenez plus me tourmenter… Ils furent trois jeunes gens à commettre le sacrilège, trois jeunes frères beaux comme des demi-dieux, éloquents et braves comme les fils de Cornélie, Ils avaient pénétré notre secret. Ils le révélaient dans les faubourgs. Le peuple les écoutait et les suivait dans un tumulte grandissant ; ils criaient que la justice n’avait jamais habité nos palais et que ce mensonge fut inventé pour l’éternelle servitude des hommes ; la dépouille de quelques riches citoyens fut traînée aux gémonies ; la voix du forum montait avec un tel bruit de tonnerre que l’on put croire que c’était la terre qui foudroyait les cieux… et toute la société en fut ébranlée ! C’est alors que le procurateur vint à moi et me dit de ses lèvres pâles : « Pétrus, aujourd’hui tu vas sauver la patrie ! » Le jour même, je lui donnai les trois têtes. Je jure que je n’avais pas la justice avec moi ! Mais, je suis un soldat de la société. On est d’un côté ou de l’autre de la société, comme on naît d’un côté ou de l’autre de la frontière ; et, comme un soldat qui n’a point à se préoccuper, avant le massacre, de la justice de sa cause, patriotiquement, j’ai frappé ! J’ai frappé ! J’ai frappé !


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