La Maison aux phlox/3/23

Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 189-191).

IV

Promenade

Vous marchez dans l’étroite rue. Vous longez la maison verte, la maison jaune, les maisons grises et blanches qui penchent sur le trottoir leurs galeries et leurs ombres ; leurs ombres immobiles que dépassent vos ombres mouvantes, glissant sur la terre ensoleillée du chemin.

La rue s’allonge, déserte, au pied des villas les yeux éteints pour l’hiver. La rue s’allonge, déserte et silencieuse, d’un grand silence parfait, reposant, prolongé jusqu’au calme sommet des montagnes, un silence immense et riche.

Croisant la rue déserte passent d’autres petites rues aussi vides, aussi muettes, qui montent vers l’église blanche, le couvent rouge ; ou descendent vers la plaque bleu dur du lac nu, qui se voit à présent de partout, à travers les balais défeuillés des trembles, la fine ramure des bouleaux, la touffe échevelée des branchettes du saule.

Au bout du lac brillent des façades blanches, que le soleil frappe et dont les vitres semblent de mica. Ces maisons se mirent dans l’eau où les feuillages auparavant les empêchaient de se voir. Elles se reflètent avec une exactitude parfaite, qu’aucune ride ne modifie, car l’eau a froid. La réalité et son reflet sont si semblables que vous croiriez un monde à l’envers.

Puis la rue déserte traverse la petite rue qui conduit à l’autre rive du lac, le lac est fini. Des fenêtres habitées vous regardent ; quelques magasins, deux restaurants ; vous continuez ; vos ombres dévient sur le sol blond, la rue déserte tourne, semble se fermer. Une maison blanche paraît rejoindre une belle façade jaune, de l’autre côté.

Mais vous découvrez vite que la rue, au lieu de finir, plonge abrupte, au fond d’une grande vallée où des routes se croisent, où fume parfois le train, où s’alignent des chalets aux couleurs vives au bord du ruban bleu et noué de la Rivière-du-Nord.

Et la petite rue déserte, de son sommet dévale émerveillée vers ce grand creux qu’entourent de si imposantes montagnes pelées par l’automne, jumelles ou diverses, épointées, arrondies, touchant le ciel ou se dessinant sur d’autres cimes qui, plus loin, se dressent d’un extraordinaire bleu. Çà et là se niche un toit dans la vaste solitude, et, le soir, une lampe marque de sa lumière le grand cirque assombri.

La lumière dans la montagne, la lumière dans la montagne déserte, immense et noire, où règne souverain, le grand, le riche silence…

8 novembre 1935.