La Maison aux phlox/3/08

Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 131-134).

III

La fin d’un conte

Il fait soleil sur la mer, et la minuscule chapelle qui regarde la grève, les portes grandes ouvertes, se laisse inonder de lumière. À côté, le bosquet de sapins respire l’air bleu. C’est silence profond. Mais dans l’allée de cailloux vient tout à coup Grisette l’ânesse traînant à son plus grand trot, dans sa charrette jaune, deux fillettes en robes claires. On dirait une image d’été, et c’est l’automne. Marthe la blonde, debout, tient énergiquement les cordeaux. La charrette cahote. Le silence se trouble. Esther, la plus petite fille, saute sur le sol en criant pour exhorter Grisette à l’obéissance, Grisette qui s’entête et refuse d’arrêter.

Grisette cède enfin. La voiture est toute remplie de feuillages. Marthe et Esther ont dépouillé la forêt de mousses velues et de courants délicats. Et à pleins bras, elles jonchent de verdure le perron de la chapelle recueillie.

Elles parlent, s’interpellent. Le silence a fui, mais la vie est plus belle encore que le silence. Ah ! les jolis gestes de deux petites filles gracieuses qui s’empressent à dérouler des feuillages, devant la mer, dans le soleil, à l’entrée d’une chapelle.

La moisson déposée, les fillettes remontent dans leur équipage. Grisette veut regagner l’écurie. Marthe agite autour de ses oreilles un beau fouet neuf, cependant qu’Esther, doucement encourage l’ânesse : « C’est pour les noces, Grisette, avance donc, pour les noces ! »

Et Grisette à la fin repart, et prend une route serrée par des rangées de sapins en longue file ; et, pour voir passer l’équipage et les lutins qui les mènent, il semble que les arbres se rapprochent encore.




C’est la fin d’un beau conte, qui se prépare. Il y a longtemps, longtemps, un petit garçon et une petite fille s’aimaient. Ils s’aimaient sans le savoir, sans le vouloir, sans y penser, mais ils s’aimaient et depuis toujours. Ils avaient dans les mêmes paysages, passé tous leurs étés, et sans cesse partagé les mêmes jeux. Et Grisette, déjà, en ce temps-là vivait en leur compagnie, vivait pour eux, et soumise, s’il lui plaisait de l’être.

Grisette a vieilli. Les petits enfants grandis ont passé Grisette à ceux qui venaient derrière eux. Un jour, que le soleil brillait plus, ou un soir que la lune s’était levée plus rouge sur la mer obscure, à un moment plus poétique, à une heure plus touchante, après la prière dans la chapelle pieuse peut-être, le petit garçon et la petite fille d’hier, qui s’aimaient toujours, ont senti qu’ils s’aimaient autrement. Et dans la chapelle qui les a vus passer de l’enfance à la jeunesse, ils vont s’unir demain.




Des fées travaillent à la hâte autour de la Vierge bleue de l’autel. Et les courants enlevés à la forêt, s’allongent en guirlandes, se mêlent aux fleurs blanches, et donnent peu à peu au sanctuaire un aspect de fête. Dans la maison, on dispose partout des bouquets ; du cristal brille sous les lumières ; dans de belles coupes posent des roses à profusion à côté d’argenteries qui s’étalent en telle quantité qu’on les dirait venues soudain, sous la puissance de miraculeuses baguettes ; et dans la cuisine, tout un monde s’agite autour de plats merveilleux.

Et demain vient. Et demain passe. La chapelle illuminée et fleurie, le geste de la mariée blanche et belle qui reçoit l’anneau, les chants pieux, les attitudes recueillies, la joie de la jeunesse agenouillée, la gravité émue des mères, tout passe. On va tourner la page. L’histoire du petit garçon et de la petite fille qui s’aimèrent toujours est finie !

Mais ne commence-t-elle pas plutôt ?

Septembre 1920.