La Maison aux phlox/3/07

Texte établi par Imprimerie Populaire,  (p. 129-131).


II

La petite sacristine

Par hasard, la grande sacristine étant absente, c’est Esther qui ce matin la remplace. Esther, neuf ans, pas beaucoup plus haute qu’une botte, délicate, fine, gracieuse. La messe vient de finir dans la chapelle minuscule, que la lumière du matin envahit, les hautes fenêtres s’ouvrant sur de grands morceaux de ciel bleu découpés et fleuris du feuillage des sapins sombres. C’est calme ; on entend bourdonner au dehors les mouches que la chaleur réjouit. Esther s’est levée et est entrée bravement dans le chœur, pendant que les plus vieux achevaient leur action de grâces. Esther est évidemment ravie de la mission qu’elle a enfin obtenue. Hier soir, parce qu’on refusait de lui permettre d’allumer les lampions, elle pleurait. Ce matin, elle triomphe.

Elle va et met d’abord l’Évangile dans son étui. Elle agit avec sagesse, lentement, le visage aussi grave que possible. Mais un visage d’enfant est un beau livre ouvert. Elle bat des paupières, s’efforce de voiler la lueur qui scintille dans ses si grands yeux bruns ; l’éclair luit quand même, et au coup d’œil furtif qu’elle jette sur les assistants, on reconnaît qu’elle est heureuse et toute pénétrée de son importance. Pensez donc. Marcher si près du bon Dieu, multiplier les génuflexions, éteindre des cierges hauts qu’on n’atteint qu’avec peine même dressée sur la pointe des pieds, ranger l’autel, le recouvrir du tapis de feutre, et mettre ce tapis bien droit, en s’appliquant… Elle penche la tête à droite, à gauche. Elle est contente de son rôle, mais ne se doute pas qu’elle est fine à regarder, pour chacun de ses gestes. Elle n’est pas fière de ses épais cheveux bruns dont elle n’apprécie pas la couleur trop pâle, ne pouvant pas savoir à son âge, que ces reflets blonds qui les ondulent sont une véritable richesse. Elle ne se soucie pas de ses yeux, de ses yeux extraordinaires, frangés de cils touffus, frisés, comme on en voit souvent sur les images, mais jamais, ou presque, dans la réalité. Elle ne sait pas qu’elle est une distraction pour ceux qui l’aiment, dont elle interrompt l’action de grâces, qui se prennent à suivre avec attendrissement ses pas menus, son attention qui touche, sa douceur d’attitude, et sa joliesse…

Quand ils sont sages, les petits enfants, quand ils mettent toute leur âme dans leurs mouvements, quand ils posent pour nous sans le savoir, on pleurerait à les voir, tant il y a de grâce pure, et de charmes en eux. Esther ne pense pas à la parole de Jésus, à son « Laissez venir à moi… », mais Jésus sans doute suit avec nous les gestes de sa petite sacristine, la bénit, et lui pardonne d’avoir, pour procéder plus tôt à cette importante fonction, écourté ses prières, et récité son chapelet en disant : « Je vous salue Marie » sur un grain, et « Sainte Marie » sur un autre.

Août 1920.