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Plantation du décor. Premier acte


ACTE PREMIER


Un salon chez les Chanal. — À gauche deuxième plan, une porte à deux battants, menant aux appartements. Au fond, grande baie vitrée ouvrant sur un vaste hall comme il s’en trouve dans les appartements modernes. — À droite, partant du deuxième plan pour se relier avec le fond, grande baie vitrée en pan coupé donnant sur le cabinet de travail de Chanal. — Ces deux baies sont chacune à quatre vantaux, les deux du milieu mobiles, les deux autres fixes. Aux vitrages des « brise-bise » en guipure. — À droite premier plan, une cheminée surmontée d’une glace à trumeau. — Sur la cheminée, sa garniture ; au pied, des chenets.

Mobilier riche et de bon goût. — À gauche premier plan, à un mètre environ du décor, pour permettre la circulation autour, un piano « quart de queue » dit « crapaud », revêtu de sa housse en étoffe ancienne. — Le clavier est tourné vers le milieu de la scène, perpendiculairement au public ; le côté formant angle droit avec le clavier est donc parallèle à la rampe. — Adossé à ce côté du piano, face au public, un petit canapé à deux personnes ; (coussins). — Contre le mur de gauche, à hauteur du canapé et le regardant, un fauteuil. Contre le même mur, mais au-dessus de la porte, une chaise. — Devant le piano, son tabouret et une chaise volante. À droite de la scène, à quelque distance de la cheminée, une table de salon assez grande (1 m. 20 environ) de forme rectangulaire mais aux angles arrondis, est placée perpendiculairement à la scène, le côté étroit parallèle à la rampe ; sur la table un encrier, un buvard, etc ; à droite de la table un tabouret pour s’asseoir ; à gauche, une chaise pareille au mobilier ; sous la table, un tabouret de pied. — Entre la cheminée et la baie du cabinet de travail, un fauteuil. — Entre les deux baies du fond, une petite table volante dite « Rognon ». — Au milieu de la scène, entre la table rognon et le piano, une chaise volante visiblement hors de sa place habituelle. — Boutons électriques : un, à droite de la cheminée, l’autre, près et au-dessus de la porte de gauche. — Sur le piano un phonographe, le pavillon tourné du côté du public ; deux boîtes de cylindres, l’une pleine, l’autre vide (le cylindre que cette dernière contenait étant déjà en place dans le phonographe au lever du rideau). — Bibelots un peu partout, tableaux, plantes ad libit. — Lustre. — Dans le cabinet de travail, on aperçoit le bureau de Chanal et le fauteuil de bureau placés de telle sorte que, lorsque la porte est ouverte, la personne assise au bureau est vue de dos par le public. — Dans le hall, contre le mur de droite, une grande table profil au public et dont une partie seule est en évidence. — Devant la table ou à côté, suivant la place dont on dispose, un petit fauteuil. — Sur la table, un petit plateau d’argent, un buvard, encrier, etc. — Toutes les entrées par le hall se font de gauche.


NOTA. — Toutes les indications sont prises de la gauche du spectateur placé censément au centre de la salle ; « un tel passe à droite ; un tel passe à gauche », signifiera donc qu’un tel sera à droite, qu’un tel sera à gauche du spectateur. Même l’expression « un tel est à gauche d’un tel » indiquera qu’un tel est à gauche de cet un tel par rapport à ce même spectateur, alors qu’en réalité et par rapport à lui, il sera à sa droite. Cependant, quand les indications, au lieu de « à droite de… à gauche de… » porteront « à la droite de… à la gauche de… », il est évident qu’il s’agira alors de la gauche et de la droite réelles, du personnage désigné.



Scène première

CHANAL, puis FRANCINE.
Au lever de rideau, Chanal debout à l’angle du piano (côté clavier) et du canapé, achève d’apprêter le phonographe ; il y a introduit un cylindre, appliqué à la place voulue le diaphragme enregistreur[1] ; après quoi il remonte l’appareil, prend un papier sur la table, tousse comme quelqu’un qui s’apprête à parler, puis, après avoir mis la machine en mouvement, déclamant dans l’orifice du pavillon avec de l’émotion dans la voix.
Chanal.

Ma chère sœur !… (Il tousse.) Hum !… Ainsi, c’est un fait accompli ! De ce jour, te voilà mariée ! Ce matin t’a faite femme devant la loi ; ce soir te fera femme devant la nature. (Parlé.) Pas mal, ça ! (Reprenant.) Combien cette pensée me trouble, moi, qui sais de quoi il retourne !

Francine, costume tailleur, son chapeau sur la tête, un boa de fourrure au cou, entrant en coup de vent.

Me voilà, moi !

Soubresaut de Chanal, qui se retourne vivement en fronçant les sourcils, lui fait de la main un geste impératif pour lui imposer silence, puis reprenant son aspect placide, se remet à discourir dans le pavillon du phonographe. — Francine devant ce jeu de scène, reste coi.
Chanal, poursuivant son discours.

… Et je ne suis pas près de toi, lors d’une pareille épreuve ! Hélas ! un océan nous sépare ; je veux du moins que ma voix traverse les mers, pour t’en donner les conseils… de mère…

Francine, qui pendant ce qui précède, tout en considérant son mari avec un étonnement amusé, est redescendue peu à peu de façon à se trouver au-dessus de l’épaule gauche de Chanal, pouffant de rire. Ah ! Ah !

Nouveau soubresaut de Chanal, même air furieux, même geste impératif.

Chanal, reprenant brusquement sa physionomie calme et continuant.

Tu vas connaître le grand mystère à quoi rêvent les jeunes filles…

Francine, rieuse, lui parlant par-dessus l’épaule, juste en regard du pavillon.

Mais qu’est-ce que tu fabriques ?…

Chanal, brusque.

Mais tais-toi donc !

Francine, railleuse, tout en retirant son chapeau, puis piquant l’épingle à chapeau dedans.

Oh ! oh ! Monsieur est à la grinche !

Chanal, bourru.

Mais vas-tu te taire, nom d’un chien ? Comment veux-tu que je parle au phonographe !

Francine, retirant son boa et le passant à son bras.

Eh ! je m’en moque de ton phonographe !… A-t-on idée de cette invention idiote…

Chanal, exaspéré.

Oh !…

Il arrête le mouvement du phonographe d’un geste brusque, le cylindre s’arrête.
Francine, qui est redescendue, passant devant le canapé.

… de choisir le salon pour parler dans le phonographe ?

Chanal.

C’est extraordinaire, cette manie de parler ! Tu ne veux pas te taire ?… Voilà un cylindre gâché !

Francine, remontant derrière le piano dans la direction de sa chambre afin d’y porter les effets qu’elle vient de retirer.

Oh ! bien, un de perdu… !

Chanal, remontant légèrement et parallèlement à Francine, de façon à se trouver à l’autre bout du clavier.

Non !… non !… pas « dix de retrouvés !… » Les proverbes, ça ne dit que des bêtises !… et toi aussi !

Francine, qui avait déjà entr’ouvert la porte pour sortir, piquée par cette appréciation, laissant retomber le battant de la porte et faisant un pas vers son mari. Quoi ?

Chanal.

Tu vois que je suis en train de parler dans mon instrument…

Francine, haussant les épaules.

Oh ! pfutt… Qu’est-ce que tu lui disais, à ton instrument ?

Chanal, maussade et maronnant.

Je lui disais… je lui disais… rien !… Seulement, tu arrives, là… je prononçais le discours que j’ai préparé pour Caroline à l’occasion de son mariage avec son Yankee… tu te mets à jacasser, naturellement le phonographe, ce pauvre appareil, il ne sait pas ! il ne distingue pas ; il enregistre ce qu’il entend…

Il est redescendu devant son phonographe dont il retire le diaphragme enregistreur pour le remplacer par le diaphragme répétiteur.
Francine, avec un rire joyeux.

Elle est bien bonne !… Alors, tout ce que nous avons dit, ça y est ?…

En ce disant, elle a déposé son chapeau et son boa sur le piano dont elle fait le tour pour redescendre n°(2) près de Chanal.
Chanal, qui a achevé son changement de diaphragme.

Mais dame !… Tiens, si tu en doutes !…

Il fait manœuvrer l’appareil…
Le Phonographe, répétant, voix de Chanal.

Ma chère sœur… (Bruit de toux.) Hum !… Ainsi, c’est un fait accompli… De ce jour te voilà mariée ! ce matin t’a faite femme devant la loi, cette nuit te fera femme devant la nature… Pas mal, ça !…

Chanal, étonné de cette interruption.

Quoi ?

Francine, moqueuse.

C’est toi qui le dis !

Toutes ces répliques et les suivantes sont dites, cela va de soi, sur la voix du phonographe ; celui-ci continuant à parler, sans interruption.
Le Phonographe, qui a continué sur les paroles précédentes.

Combien cette pensée me trouble, moi qui sais de quoi il retourne !… (Voix de Francine.) Me voilà, moi…

Chanal, à Francine, railleur à son tour.

Là ! Te voilà, toi !

Le Phonographe, voix de Chanal.

Et je ne suis pas près de toi lors d’une pareille épreuve ! hélas ! Un océan nous sépare ! Je veux du moins que ma voix traverse les mers, pour t’en donner les conseils… de mère… (Rire.) Ah ! ah !… (Voix de Chanal.) Tu vas connaître le grand mystère à quoi rêvent les jeunes filles… (Voix de Francine.) Mais qu’est-ce que tu fabriques ? (Voix de Chanal.) Mais tais-toi donc !… (Voix de Francine.) Oh ! oh ! Monsieur est à la grinche… (Voix de Chanal.) Mais vas-tu te taire, nom d’un chien ! comment veux-tu que je parle au phonographe !… (Voix de Francine.) Eh ! je m’en moque de ton phonographe !… A-t-on idée de cette invention idiote… (Voix de Chanal.) Oh !…

Chanal, arrêtant le mouvement du phonographe.

Voilà ! Voilà ton œuvre !

Francine, allant s’asseoir à gauche de la table avec le plus grand sang-froid.

J’ai jamais dit un mot de tout ça.

Chanal, abasourdi.

Oh !

Francine.

Non !

Chanal, indiquant le phonographe.

Non, mais dis tout de suite qu’il ment.

Francine, têtue.

Je n’ai jamais dit du phonographe : « A-t-on idée de cette invention idiote ! », ce qui serait idiot ! J’ai dit : « a-t-on idée de cette invention idiote… (Appuyant.) de choisir le salon pour parler dans le phonographe ! » Il ne faudrait pas me faire dire ce que je n’ai pas dit !

Chanal.

Oui, oh ! ça, c’est un détail. (Indiquant le phonographe.) C’est pas de sa faute à lui, j’avais coupé.

Francine, bougonne.

Eh bien, quand on ne sait pas, on se tait !… C’est comme ça qu’on fait les potins.

Chanal, jovialement.

Je te fais ses excuses, là !

Francine.

Quant à ton cylindre, eh ! bien, tu le recommenceras ! d’autant que ce ne sera pas un mal, si ça te permet de supprimer ta phrase sur les mers.

Chanal.

Sur les mers ?

Francine.

Oui : « Je veux que ma voix traverse les mers pour t’en donner les conseils… de mère. » Tu trouves ça spirituel ?

Chanal, avec satisfaction de soi-même.

Quoi ? C’est drôle ! C’est une saillie.

Francine.

Justement ! On n’envoie pas une saillie pour le mariage de sa sœur ! C’est pas le frère que ça regarde !

Elle se lève.
Chanal.

Oh ! Charmant !

Francine, allant à lui.

C’est comme ce qui suit.

Chanal.

Quoi ?

Francine.

« Ce matin t’a faite femme devant la loi, cette nuit te fera femme devant la nature. » Tu trouves ça convenable à dire à une jeune fille ?

Chanal.

Je lui dis ce qui doit lui arriver.

Francine.

Eh bien ! elle s’en apercevra bien ! elle n’a pas besoin de toi pour ça ! Vraiment, faire un discours à une jeune mariée pour lui dire des cochonneries…

Chanal, se rebiffant.

Cochonneries !

Francine.

Ah ! non, mais si tu crois que ça fera plaisir au mari, ton initiation ! Tu es bien comme ces spectateurs qui, au théâtre, ont la manie de vous raconter la pièce au fur et à mesure qu’on la joue : « Vous allez voir, il va faire ceci, elle dira cela ! C’est extraordinaire ! » Alors, on s’attend à des choses…! Et rien du tout ! Naturellement, quand les scènes arrivent, rien ne porte ! On a une déception… parce que l’imagination dépasse toujours la réalité… Alors on dit : « Quoi, v’là tout ! » et l’effet est fichu ! Eh bien ! qu’est ce qui te dit que ce n’est pas cette déception que tu ménages à ta sœur ? Et qu’elle aussi ne dira pas : « Quoi, v’là’tout ! » ? Voilà un service à rendre au mari !… Laisse-les donc se débrouiller, ces enfants ! Caroline aura peut-être un moment d’estomaquement ! Elle dira peut-être : « Eh bien !… Eh ben ! quoi donc ? » Mais elle aura du moins l’attrait de la surprise et l’effet n’aura pas été raté.

Elle remonte.
Chanal, gouailleur, avec une pointe de dépit.

Ah ! là, de quoi je me mêle ? Tu es étonnante, tu tranches là… ! D’abord, qu’est-ce qui te dit qu’il ratera ?

Francine, se retournant.

Qui ça ?

Chanal.

L’effet !

Francine, qui n’y était pas.

Ah ! le… l’effet ! oui, oui… Mais… la loi des probabilités !

Elle redescend vers la droite.
Chanal, haussant les épaules.

Ah ! laisse-moi donc tranquille, tu n’entends rien à l’art des préparations ! (En ce disant, il est allé à son phonographe ; pendant ce qui suit, il en retire le cylindre abîmé qu’il remet dans sa boîte, et le remplace par l’autre qu’il retire également de sa boîte.) Tiens ! va donc plutôt te mettre à table ! Sonne qu’on te serve ! (Elle va à la cheminée et sonne.) J’ai fini de déjeuner depuis un bon moment et tu n’as pas commencé ! Il n’y a pas de maison possible, si monsieur déjeune à une heure et madame à une autre.

Francine, redescendant un peu vers lui en passant au-dessus de la table.

Tu n’avais qu’à m’attendre ! Je n’ai pas pu rentrer plus tôt.

Chanal.

C’est ça ! C’est moi qui suis dans mon tort.

Étienne paraît.



Scène II

Les Mêmes, ÉTIENNE.
Chanal, à Étienne, tout en continuant d’arranger son phonographe.

Madame voudrait déjeuner.

Étienne.

Bien, monsieur.

Il sort.
Chanal, même jeu.

Mais enfin, qu’est-ce que tu peux faire dehors ? C’est tous les jours la même chose. Tu es sortie depuis neuf heures.

Francine, pincée.

C’est heureux ! Ça m’a permis de rentrer moins tard…

Chanal.

Vraiment, c’est à se demander… !

Francine, allant à lui et, le prenant par le bras gauche, le faisant pivoter.

Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que tu vas encore imaginer ?… Non, mais dis tout de suite que j’ai un amant.

Chanal, calme et ironique.

Ma foi…!

Francine.

Oh !… As-tu l’esprit assez perverti pour voir toujours le mal dans tout !… (Redescendant.) Un amant, j’ai un amant maintenant ! (Chanal hausse les épaules.) Quoi ? (Elle fait le geste de Chanal.) Qu’est-ce que ça veut dire, ce geste ?

Chanal, redescendant vers elle et avec bonhomie.

Mais non, ma pauvre enfant ! Je sais très bien que tu n’as pas d’amant.

Francine, étonnée et légèrement vexée.

Ah ?

Chanal.

Un amant, toi ? Ah ! je suis bien tranquille.

Francine, vexée.

Et pourquoi ça, je n’aurais pas d’amant ?

Chanal.

Parce que !… Parce que tout en toi démontre le contraire. Parce qu’il y a des femmes qui sont faites pour avoir des amants et d’autres qui ne le sont pas

Francine, révoltée.

Oh !

Chanal.

Parce que je n’ai pas vécu cinq ans avec toi sans te connaître à fond. Toi, un amant ? allons donc ! Tu as l’étoffe d’une brave petite femme, d’une bonne mère de famille… (Badin.) à qui il ne manque que des enfants pour l’être tout à fait ; mais ça, ça n’est pas de notre faute. (En ce disant, il l’embrasse joyeusement ; maussade, Francine dégage sa tête.) Enfin… enfin, tu n’as pas de tempérament… Que diable !… je le sais bien !

Il remonte vers le piano.
Francine, piquée, s’attachant à ses pas.

Ah ! c’est comme ça ! Eh bien ! je ne voulais pas te le dire, mais puisque tu m’y forces, (Frappant du poing sur le piano.) eh bien ! j’ai un amant, là !

Chanal, qui a fait le tour du piano de façon à être dans la partie cintrée. — Calme et moqueur.

Oui dà ?

Francine, en face de lui, devant le clavier.

Parfaitement !… et que j’aime !… et qui m’aime.

Chanal, la félicitant ironiquement.

Mais… c’est bien, ça !

Francine, furieuse de voir qu’elle n’atteint pas son but.

J’ai un amant, j’ai un amant, j’ai un amant !

Chanal, la regarde une seconde en souriant, puis.

Eh bien ! tu lui diras bien des choses de ma part !

Francine, indignée, redescendant.

Oh !

Chanal, suivant son mouvement et allant à elle.

Ah ! ma pauvre enfant, comme tu t’y prends mal pour me faire peur. Un amant, toi ! laisse-moi donc tranquille !… Tiens ! veux-tu que je te dise ? Tu te vantes.

Francine.

Moi !

Chanal.

Oui, madame ! C’est très humiliant, mais vous n’êtes qu’une honnête femme !

Francine, crispant les mains.

Ce qu’il faut s’entendre dire !

Chanal.

Avoue que j’ai raison !

Francine, avec énergie.

Non.

Chanal.

Si.

Francine, plus énergiquement encore.

Non.

Chanal, avec un haussement d’épaules.

Allons donc ! (Brusquement.) Tiens ! Ose donc me le dire en face que tu as un amant !

Entre le « allons donc » et le « tiens ! ose donc… » sonnerie à la porte d’entrée.
Francine, hésite un instant puis exaspérée de son impuissance, comme prête à griffer.

Oh ! tu m’agaces !

Chanal, triomphant.

Eh ! tu vois bien ! (Lui donnant une tape amicale sur la joue.) Tiens ! t’es une grosse bête !

Francine a un geste d’humeur et gagne la droite, Chanal remonte un peu.



Scène III

Les Mêmes, ÉTIENNE, puis HUBERTIN.
Étienne (1), il entre en tenant un petit plateau, sur lequel est une carte de visite.

Monsieur, c’est un monsieur qui demande monsieur.

Chanal (2), prenant la carte.

Hubertin ! Qu’est-ce qu’il me veut ?… Faites entrer.

Étienne sort pour reparaître presque aussitôt suivi d’Hubertin.
Francine.

Qui est ça ?

Chanal.

Un collège du cercle.

Étienne, annonçant

M. Hubertin !

Il introduit, puis sort.
Hubertin (1).

Bonjour, mon cher.

Chanal (2).

Bonjour, cher ami. (À Francine qu’Hubertin salue.) M. {{PersonnageD|Hubertin|c|un camarade du Sporting… (À Hubertin.) Madame Chanal.

Hubertin, passant au (2) pendant que Chanal redescend (1).

Madame, enchanté…

Francine, entre la cheminée et la table.

C’est moi, croyez bien…

Hubertin.

Si je ne me trompe, madame, il me semble que ce n’est pas la première fois…

Francine.

Vraiment, monsieur ?

Hubertin.

Oui, plus je vous regarde et plus je… Est-ce que vous ne connaissez pas quelqu’un dans ma maison ?

Francine, souriante.

Mon Dieu, monsieur, c’est que j’ignore où vous demeurez.

Hubertin.

21, rue du Colisée.

Francine, vivement.

Non !… non, non !… Vous faites erreur, monsieur.

Hubertin.

Ah ?

Chanal, bien naïvement.

Oui, oui, vous faites erreur, nous ne connaissons personne.

Hubertin.

Ah ? ah ?… Pardon ! Erreur n’est pas compte.

Francine.

… n’est pas compte ; oui, oui.

Elle remonte, puis, traversant la scène par le fond, va par la suite s’asseoir sur le petit canapé contre le piano.
Chanal.

Et qu’est-ce qui me vaut votre visite ?

Il lui fait signe de s’asseoir.
Hubertin, sans s’asseoir.

Mille grâces, je ne veux pas abuser de vos instants. (Changeant de ton.) Vous ne devinez pas ? Les dettes de jeu se payent dans les vingt-quatre heures, et je suis votre débiteur.

Chanal.

Oh ! il ne fallait pas vous déranger pour ça ! Ce sont là des règles qui sont faites pour les professionnels, mais elles ne sauraient avoir force de loi, entre gens qui se connaissent.

Hubertin, se fouillant pour prendre son portefeuille.

Du tout, du tout ! les bons comptes font les bons amis.

Chanal, avec un peu de gêne qu’il s’efforce de dissimuler avec un sourire de bonhomie.

Et puis, vous l’avouerai-je ? J’ai quelques scrupules à considérer la partie que nous avons faite ensemble comme bien régulière. (Confidentiellement et presque à l’oreille.) Il me paraît que nous n’avons pas joué tout à fait à chances égales…

Hubertin, à pleine voix.

Pourquoi donc ça ?

Chanal, lui faisant signe de parler plus bas à cause de sa femme.

Chut ! chut ! (Avec beaucoup de gêne.) Je ne sais pas, mais il me semble que…

Hubertin, bien jovialement et à pleine voix.

Ah ! je vous comprends !… parce que j’étais pochard, hein ?

Chanal, confus.

Oh ! je n’ai pas dit…

Hubertin, très calme.

Laissez donc ! J’ai le courage de mes actes… (À Francine, de la place où il est, et très satisfait.) Oui, madame, j’ai pris l’habitude, tous les jours, à partir de cinq heures… d’avoir ma petite bombe.

Francine, souriant mais avec un ton discret de reproche.

Ah ?…

Hubertin, en manière de justification.

Ce n’est pas du vice chez moi : c’est de l’américanisme !

Francine, s’inclinant devant cette justification.

Ah ! alors !

Hubertin.

Oui, j’ai longtemps fait des affaires en Amérique. Or, là-bas, qui dit « affaires », dit « bars » ; tout se traite au whisky ! Qu’est-ce que vous voulez ?… il a bien fallu que je me mette au diapason !… pour mes affaires !… Seulement, voilà où nous sommes en état d’infériorité, nous autres Français : L’Américain, lui : dix whisky… douze whisky… ça ne lui fait rien !… il jouit d’un privilège ! Moi, malheureusement, j’ai la tête française, — c’est de naissance ! — J’ai pu, peu à peu, naturaliser mon estomac ; mais (Se donnant une tape sur le front.) ma sacrée caboche qui était patriote, n’a jamais rien voulu savoir !… de sorte qu’aujourd’hui, il y a antagonisme entre ces deux parties de mon individu. Mon estomac, qui est devenu américain, une fois cinq heures, réclame ses whisky ; ma tête, elle, se rebiffe : d’où conflit ! Et finalement, comme c’est ma tête qui est la plus faible, c’est toujours elle…

Chanal, achevant pour lui.

… qui faiblit.

Hubertin, approuvant.

Voilà… Mais comme vous voyez, madame, mon cas est tout à fait spécial : on ne peut pas dire que je me pocharde, non, je… je m’américanise !

Francine.

Oui, oui.

Chanal, avec une conviction où perce l’ironie.

Oh ! c’est tout à fait autre chose.

Hubertin, avec un soupir.

Tout de même, ça ennuie bien ma femme !

Francine, souriant.

Mon Dieu, monsieur, je n’aurais pas osé… mais du moment que vous le dites : je vous avouerai que… je la comprends un peu.

Hubertin, se méprenant au sens de ces paroles.

Bien oui, n’est-ce pas ? Voilà une femme qui vous avale dix, douze whisky à la queue leu leu, ça ne lui fait rien ! c’est une américaine, pas vrai ?… elle jouit du privilège… De quoi ai-je l’air à côté d’elle ?… alors n’est-ce pas ? Ça la vexe de voir que moi, ça me fiche par terre… Ah ! c’est toujours embêtant de se trouver dans un état d’infériorité vis-à-vis de sa femme.

Francine, Chanal.

Évidemment, évidemment.

Hubertin, brusquement, changeant de ton et tendant un billet de mille francs à Chanal.

Alors, nous disons que je vous dois trente-cinq louis ? Voici mille francs. Et, pour en revenir à la question de jeu, que votre délicatesse ne se mette pas en émoi ! Je vous assure que quand je suis dans l’état… que vous savez, je suis tout aussi lucide qu’à l’état normal. Je le suis même davantage : je vois double !

Chanal.

Diable ! c’est quelquefois mauvais pour compter les points.

Hubertin.

Du tout ! Je le sais, pas vrai ? Alors, rien de plus simple : je divise par deux.

Chanal.

Ah ! En effet ! en effet !…

Hubertin, gagnant la droite.

Mais dame !

Sonnerie extérieure.
Chanal.

Nous disons mille francs. Je vais vous chercher votre monnaie.

Il remonte dans la direction de son cabinet de travail.



Scène IV.

Les Mêmes, ÉTIENNE puis COUSTOUILLU.
Étienne, annonçant.

Monsieur Coustouillu !

Chanal, arrêté dans son mouvement de sortie.

Coustouillu ? (À Étienne.) Faites entrer.

Étienne sort.
Hubertin, que ce nom a frappé.

Quel Coustouillu ?

Chanal, avec une certaine fierté.

Mais… lui-même ! le seul ! Coustouillu le député, le leader de l’opposition, le fameux tribun.

Hubertin.

Oui ? Oh ! que je serais heureux… ! J’admire tellement son éloquence ! Vous permettez ?

Chanal.

Comment donc !

Francine se lève. À ce moment, suivi d’Étienne qui l’introduit, paraît Coustouillu ; type superbe de tribun aux épaules puissantes, au large plastron ; tête de lion, aux cheveux blonds, ondés et en coup de vent ; barbe blonde et carrée. Mais, contrastant avec cet aspect, une allure profondément gênée, une timidité exagérée que le personnage s’efforce à dissimuler sous un air qui veut être à l’aise et sous des sourires qui ne sont que des rictus. Il tient une superbe botte d’asperges sous son bras gauche.
Chanal.

Entre, mon vieux ! justement on parlait de toi.

Sortie d’Étienne.
Coustouillu.

Ah ? Aha ? (Profondément troublé, il éprouve on ne sait pourquoi le besoin d’aller fermer la porte par laquelle il vient d’entrer. Mais ses mains sont prises, l’une par sa botte d’asperges, l’autre par son chapeau ; pour en libérer une, il met son chapeau sur la tête ! Au moment où il ferme la porte, Étienne ferme de l’autre côté ; il n’arrive qu’à se faire pincer les doigts.) Oh !

Chanal.

Laisse donc, Étienne fermera

Coustouillu.

Vi ! Vi ! (Il dépose son chapeau sur la petite table au fond puis, se donnant un air dégagé, il va à Chanal la main tendue.) Ça va bien ?

Chanal, qui est placé juste à la hauteur et à un mètre à droite environ de la chaise volante qui est au fond.

Mais pas mal, merci.

Coustouillu.

Ah ?… vivi… (En se retournant pour aller saluer Francine, il donne naturellement dans la chaise qu’il renverse.) Oh !

Il se frotte le genou.
Chanal, railleur.

Naturellement !… Enfin tu devrais la connaître depuis le temps que tu l’accroches chaque fois que tu entres dans ce salon. (En riant, à Hubertin.) Ça finit par avoir l’air d’être de l’adresse.

Coustouillu, qui, pendant ce qui précède, a ramassé la chaise tombée, et ahuri, au lieu de la poser, la conserve pendue à son poignet, très troublé. Hein ? Oui… non… tu sais c’est que c’est le… hein ?

Chanal.

Bon, ça va bien ! Va, ne te trouble pas.

Francine, charitable.

Mais c’est toi qui le troubles toujours ! (À Coustouillu.) Allons ! Monsieur Coustouillu, ne vous occupez pas de ce que vous dit mon mari, et venez me dire bonjour.

Coustouillu, se précipitant.

Oh ! (Dans sa précipitation, avec le pied de la chaise qu’il tient, il accroche et renverse la chaise volante qui est à côté du tabouret du piano.) Oh !

Chanal, pendant que Coustouillu ramasse comme il peut la chaise tombée, sans déposer celle qu’il a en main et va la replacer un peu au-dessus du piano. Là, v’lan ! Non, ne dirait-on pas qu’il vise ?

Coustouillu, de plus en plus décontenancé, esquisse un rire qui sonne faux et va vers Francine, la main tendue, sans s’apercevoir qu’à son poignet pend toujours la chaise volante. Chère Madame… !

Francine, riant et gentiment.

Déposez donc votre chaise, monsieur Coustouillu.

Coustouillu, confus.

Oh ! pardon !

Il va déposer la chaise.
Chanal, à part.

Quel type !

Coustouillu, qui est redescendu, à Francine.

Madame… ! (Il lui donne une vigoureuse poignée de main. Allant à Chanal et lui baisant la main.) Cher ami…

Chanal, narquois.

Non, mon vieux, c’est le contraire.

Coustouillu.
Oh !
Il fait mine de retourner à Francine.
Chanal.

Non, va, ça va bien ! (Le faisant passer (3) pour le présenter à Hubertin qui, depuis l’entrée de Coustouillu est resté bouche bée devant la scène qui se joue devant lui.) Tiens, je te présente monsieur Hubertin qui désire vivement faire ta connaissance.

Coustouillu, enchanté de cette diversion.

Ah ? Aha ?

Hubertin.

Certes ! Permettez-moi, monsieur, de me dire un de vos plus fervents admirateurs.

Coustouillu.

Aha ? Vivi !

Chanal, indiquant la botte d’asperges qu’il a toujours sous le bras.

Mais dépose donc ça !… De quoi as-tu l’air ?

Coustouillu.

Hein ? ah ! vivi.

Il retire la botte de dessous son bras, regarde à droite et à gauche où il peut la déposer et finit par la tendre à Hubertin.
Chanal.

Mais pas à monsieur !

Coustouillu, ne sachant que dire.

Hein ! oui… C’est des euh ! des… des branches, (Se reprenant.) des… des asperges.

Chanal.

Merci ! Je vois bien, je n’avais pas pris ça pour des cannes à sucre ! En voilà une idée de se promener avec ça !

Francine.

Vous aimez donc à ce point les asperges, monsieur Coustouillu ?

Coustouillu, bien angoissé.

Non.

Chanal.

Alors quoi ?

Coustouillu, perdant complètement pied.

Hein ? Euh ! oh ! t’sais c’est… c’est pour… !

Chanal, sans pitié.

Ah ! oui, oui ! pour te donner une contenance.

Coustouillu.

Voilà !… vi !

Chanal.

Ah ? Mes compliments !… Note que ça te va très bien ! mais c’est égal… ! je sais bien qu’à cette époque-ci, c’est une primeur… (Brusquement.) Enfin tu n’es pas fou ? Tu sais que tu es déjà emprunté dans tes mouvements, et tu vas te coller une botte d’asperges sous le bras pour faire des visites… (Coustouillu rit d’un air gêné.) Mais va donc déposer ça dans l’antichambre.

Coustouillu, enchanté de se débarrasser.

Vi.

Il remonte vivement. Apercevant sur son chemin la chaise dans laquelle il s’est déjà accroché, au moment où il arrive sur elle, il décrit un mouvement en faucille pour l’éviter.
Chanal, applaudissant.

Bravo !

Coustouillu, s’efforçant de rire.

Héhé !

Il sort.
Francine, une fois Coustouillu sorti.

Pauvre garçon !

Chanal.

On n’a pas idée d’être timide comme ça !

Hubertin.

J’en suis ahuri ! Devant une assemblée, personne n’est plus à l’aise : c’est un foudre d’éloquence…

Chanal.

… il est là devant nous trois, plus personne.

Hubertin.

Oui…! Il est timide au singulier et audacieux au pluriel.

Chanal.

Voilà.

Francine.

Mais aussi ce n’est pas le moyen de le mettre à son aise que de le taquiner tout le temps.

Coustouillu rentre débarrassé de sa botte d’asperges.
Chanal (3).

Ah ! te voilà ? Tu as déposé ta botte ?

Coustouillu (2), s’efforçant de sourire et sans presque descendre.

Hein ? euh… oui, oui !

Chanal.

Eh ! bien, tu ne te sens pas plus à ton aise comme ça ?

Coustouillu.

Si !… sisi !

À ce moment paraît Étienne, portant la botte d’asperges d’une main et une carte sur un plateau.
Étienne, présentant le tout à Francine.

Pour madame.

Francine, qui est debout à l’angle du piano et du canapé, étonnée.

Pour moi ?

Elle va prendre la botte et la carte des mains d’Étienne qui sort aussitôt. Coustouillu qui est au supplice depuis l’entrée d’Étienne, et voudrait être à cent pieds sous terre, se glisse, en se faisant aussi petit que possible, derrière Francine de façon à venir occuper la place que celle-ci vient de quitter entre le canapé et le piano.
Francine, lisant la carte.

Alphonse Coustouillu !

Elle se retourne vers Coustouillu qui, tout confus, cherche à se dérober, va donner de la jambe contre le bras du canapé, n’a que le temps de l’enjamber pour ne pas perdre complètement l’équilibre et finit par tomber assis sur ce siège.
Francine, le grondant amicalement.

Oh ! Monsieur Coustouillu !

Coustouillu, essayant un air dégagé.

Pffeu ! oh !

Il se relève.
Chanal.

Comment, c’était pour nous ?… Oh ! mon pauvre vieux, et moi qui te blaguais tout à l’heure… parce que tu étais grotesque avec ! C’était pour nous !… Une botte d’asperges au mois de mars ! C’est de la folie, tu sais !… mais c’est très gentil !

Coustouillu, qui est remonté derrière le piano.

Mais non, mais non…

Francine.

Je vais dire, tout de suite qu’on les fasse pour ce soir et vous viendrez les manger avec nous.

Coustouillu très ému, s’incline gauchement ; Francine sort gauche deuxième plan.
Chanal.

C’est ça ! (À Hubertin.) Moi, pendant ce temps-là, je vais vous chercher votre monnaie.



Scène V.

COUSTOUILLU, HUBERTIN, puis FRANCINE.
Coustouillu, toujours debout derrière le piano, attend bien que les deux personnages soient sortis ; alors, se ressaisissant brusquement, il lance comme un regard de défi dans la direction d’Hubertin, donne un bon coup de poing sur le couvercle du piano, puis, allant droit à Hubertin et lui mettant son doigt presque sous le nez, avec une rage débordante.
Coustouillu.

Vous devez me prendre pour un imbécile, hein ?

Hubertin, ahuri de cette sortie intempestive.

Moi !

Coustouillu, gagnant la gauche en arpentant la scène.

Si, si, je sais ce que je dis (Faisant demi-tour sur place.) Eh ! bien il est possible que j’aie pu en avoir l’air ; mais vous saurez que je ne le suis pas.

Hubertin.

Mais monsieur, jamais, je vous assure !…

Coustouillu, esquissant à nouveau son mouvement vers la gauche.

Oui, oui ! ça va bien ! (Revenant sur Hubertin.) Eh bien ! je vous montrerai, moi, que je ne suis pas un imbécile… Je voudrais que quelqu’un vienne me le dire en face !… Je lui ferais voir, moi, si je suis un imbécile.

Il regagne vers la gauche.
Hubertin, exagérément aimable.

Vous ? mais tout le monde le sait bien !

Coustouillu, faisant brusquement demi-tour sur lui-même.

Quoi ? Que je suis un imbécile ?

Hubertin, inconsidérément.

Oui… hein ! Mais non ! Qu’est-ce que vous me faites dire !… Un imbécile vous ! Mais qui pourrait penser ça ?

Coustouillu, regagnant la gauche.

Oui… oh !

Hubertin.

Vous qui soutenez un ministère ou le renversez comme un château de cartes…

Coustouillu, qui est arrivé à l’extrême gauche, se retournant brusquement avec un coup de poing sur le coin du couvercle du piano. Oui. Eh ! bien je l’engage à se tenir le Ministère. Ah ! j’ai l’air d’un imbécile ! eh ! bien je lui ferai voir demain au Ministère si je suis un imbécile ! Ah !… ça me soulagera !

Il remonte nerveusement en passant derrière le piano.
Hubertin, à part.

Mais qu’est-ce qu’il a ?

Coustouillu, dans le cintre du piano.

Ah ! mais vous ne me connaissez pas ! Je monterai à la Tribune, et savez-vous ce que je dirai la Chambre, eh ! bien je lui dirai mille tonnerres…!

Francine, arrivant de gauche et descendant (2) par le milieu de la scène.

Voilà, c’est fait !…

Coustouillu, brusquement paralysé par l’entrée de Francine.

Euh je… euh ! je… c’est… c’est euh !…

Francine.

Mais qui est-ce qui criait donc comme ça ? (À Hubertin.) C’est vous, monsieur ?

Hubertin.

Non… c’est monsieur.

Francine.

Vous, monsieur Coustouillu ? Ce n’est pas possible !

Coustouillu, essayant de se donner l’air dégagé.

Oui. Oh !… Pffu !

Dans son trouble il a pris machinalement le chapeau de Francine laissé sur le piano et s’évente avec. Il s’en aperçoit peu de temps après, fait un « oh ! » à peine perceptible et repose vivement le chapeau à sa place.
Francine.

Monsieur Coustouillu élevant la voix ! Oh ! je regrette de n’avoir pas vu ça ! pour la rareté du fait…!

Coustouillu, riant jaune.

Oho !

Hubertin, à part.

Quel drôle de personnage !



Scène VI.

Les Mêmes, CHANAL.
Chanal, revenant avec des billets de banque et descendant (3) à Hubertin.

Voici, cher monsieur, vos quinze louis…! avec tous mes remerciements.

Hubertin.

Comment donc ! C’est moi au contraire…! Allons, au revoir, cher monsieur.

Chanal.

Vous partez ?

Hubertin.

Je vous laisse, oui, j’ai des gens à voir pour affaires ; alors, il vaut mieux que je les voie maintenant…

Chanal, achevant sa pensée.

… qu’après cinq heures ?

Il rit.
Hubertin, faisant chorus.

Vous l’avez dit. (Brusquement à Coustouillu, qui pendant ce qui précède est redescendu peu à peu jusque devant le canapé et dont le regard semble fixé sur Hubertin bien qu’en réalité il erre dans le vague.) Monsieur, très honoré d’avoir fait votre connaissance !

Coustouillu dans la lune, ne répond pas.
Chanal, après un temps, à Coustouillu.

Eh !… Eh ! bien, Coustouillu !

Coustouillu, comme un homme qu’on réveille brusquement.

Hé ?

Chanal.

Il faut redescendre, mon vieux. (Indiquant Hubertin.) Monsieur qui est très honoré… et cætera, et cætera.

Coustouillu.

Oh ! pardon !… (Il s’incline.) Monsieur.

Chanal.

À la bonne heure.

Hubertin, saluant Francine qui est au-dessus du piano.

Madame !

Francine.

Au revoir monsieur.

Chanal accompagnant Hubertin sort avec lui. Francine et Coustouillu esquissent le mouvement de sortie. Francine s’arrête sur le pas de la porte, pour les regarder partir. Coustouillu sans précipitation, et par un mouvement arrondi, remonte jusqu’à la petite table du fond sur laquelle il prend son chapeau.
Chanal, reparaissant.

Là ! Eh ! bien va déjeuner Francine !

Francine.

J’y vais.

Chanal, se remettant à son phonographe.

Et puis tiens ! Emmène donc Coustouillu avec toi ! J’ai mon cylindre à faire, ça ne l’amuserait pas.

Francine, qui est passé derrière le piano, emportant ses effets.

C’est ça, venez monsieur Coustouillu, je vous emmène.

Coustouillu, s’élançant.

Ah ?… vi ! vi !

Chanal, moqueur indiquant la chaise que Coustouillu a replacée là précédemment, en plein dans le chemin.

Prends garde à la chaise !

Sortie par la gauche de Francine et de Coustouillu. — On sonne.



Scène VII.

CHANAL, puis ÉTIENNE, puis MASSENAY.

Chanal, qui, pendant ce qui précède, a réglé son phonographe, le met en mouvement, puis se plaçant face au pavillon, recommence son discours. « Ma chère sœur !… ainsi c’est un fait accompli ! de ce jour te voilà mariée !… Ce soir tu connaîtras le grand mystère à quoi rêvent les jeunes filles… »

Sur ces dernières répliques, Étienne tenant à la main un plateau avec une carte a paru au fond, suivi de Massenay. — Celui-ci reste à attendre dans le hall pendant qu’Étienne descend en scène.
Étienne, entrant, à pleine voix.

Monsieur !…

Chanal, furieux, arrêtant d’un coup de main le mouvement de l’appareil.

Allez-vous vous taire, nom de nom ?

Étienne

Monsieur ?

Chanal.

Vous ne voyez pas que je parle ?

Étienne

À qui ?

Chanal.

Est-ce que ça vous regarde ? Pas à vous en tout cas !… C’est à croire que c’est une gageure, ma parole ! Madame d’abord, vous après ! Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez ?

Étienne.

Monsieur, c’est un monsieur qui désire parler à monsieur.

Massenay peu à peu s’est avancé et arrêté sur le pas de la porte laissée ouverte par Étienne.
Chanal, qui ne se doute pas que Massenay l’entend.

Oui. Eh ! bien je m’en fiche de votre monsieur ! Il m’embête ; qu’est-ce qu’il me veut ?

Étienne.

Voici sa carte.

Chanal, prenant la carte.

Et je m’en fiche de sa carte, comme de lui ! Je n’y suis pour personne, vous m’entendez ! Allez lui dire qu’il m’embête.

Massenay, qui sur le pas de la porte a assisté à la scène, — très aimablement.

Je suis vraiment confus, monsieur, de voir que je vous dérange.

Chanal, que cette intervention inattendue fait sursauter et retourner sur soi-même.

Hein ! (Subitement calmé et avec la cordialité la plus grande.) Mais pas du tout, monsieur ! Mais je vous en prie !…

En ce disant, il est remonté (2) jusqu’à Massenay (1) toujours sur le pas de la porte.
Massenay.

Je vous assure monsieur, si vous êtes occupé, je peux revenir.

Chanal, insistant.

Mais du tout ! du tout ! Qu’est-ce qui peut vous faire supposer ?… Comment donc !

Massenay.

On n’est pas plus aimable.

Il passe devant Chanal et redescend dans la direction de la table de droite ; pendant qu’il a le dos tourné, Chanal expédie Étienne en lui faisant en pantomime force remontrances : « Ah ! vous n’en faites jamais d’autres ! » haussement d’épaules puis geste qui signifie : « C’est bien, allez ! » — Sortie d’Étienne.
Chanal, redescend au-dessus et à droite de la table, très empressé.

Et qu’y a-t-il pour votre service ?

Il lui indique le siège à gauche de la table.
Massenay, s’asseyant à gauche de la table.

C’est à monsieur Chanal que j’ai l’honneur de parler ?

Chanal, s’asseyant face à Massenay.

Parfaitement.

Massenay, insistant.

… Monsieur Chanal propriétaire de cet immeuble ?

Chanal.

Oui, enfin… l’immeuble appartient à ma femme, mais étant chef de la communauté…

Massenay.

… cela revient au même. Eh ! bien, voici monsieur : (Déposant son chapeau à sa gauche, sur la table). j’ai vu que vous aviez l’entresol à louer.

Chanal.

En effet, monsieur.

Massenay.

Je cherche justement un pied-à-terre… Cet appartement me conviendrait.

Chanal.

Ah ?… Vous l’avez visité ?

Massenay, très net.

Non, c’est inutile ! Il me convient comme ça.

Chanal, interloqué.

Ah ?

Massenay.

Il est de ?…

Chanal, évaluant son homme.

Il est de… hein ?… euh… trois mille… euh… huit…

Massenay.

Mettons quatre mille en chiffre rond.

Chanal, ouvrant de grands yeux.

Comment ?

Massenay.

Je dis : mettons quatre mille.

Chanal.

Comment « mettons quatre mille ! » ? Vous ne m’avez pas compris, je vous ai dit…

Massenay.

Si, si !… Ça m’est plus commode !… Quatre mille, c’est clair, c’est net ; c’est divisible par quatre, ça fait mille francs par trimestre ; pas de calcul à faire ; on sait toujours ce qu’on a à donner… j’aime mieux ça ! Laissez-moi ça à quatre mille, qu’est-ce que ça vous fait ?

Chanal, accommodant.

À moi. Oh ! rien du tout ! Va pour quatre mille ! je ne veux pas vous contrarier.

Massenay, s’inclinant.

On n’est pas plus aimable !… Maintenant, s’il y a des réparations à faire…

Chanal.

Je m’en charge.

Massenay, froidement.

Moi aussi.

Chanal, interloqué.

Ah ?… Bien !… (À ce moment une réflexion lui vient : il se mord les lèvres, a un hochement de tête comme pour dire : « Je te vois venir mon bonhomme ! » puis, avec beaucoup de ménagement.) Seulement je dois vous avertir d’une chose… À vous voir si arrangeant il m’est permis de supposer qu’une arrière-pensée…

Massenay, bien ingénu.

Quoi donc ?…

Chanal, avec force circonlocutions.

Eh ! bien voilà… Je comprends très bien qu’un homme jeune… Mon Dieu on n’est pas de bois !… Mais je vous l’ai dit, l’immeuble étant à ma femme, sur la question de moralité… dame !… (Plus nettement.) Enfin, aux termes du bail, vous devez habiter bourgeoisement.

Massenay, souriant.

Mais je l’entends bien ainsi.

Chanal, de plus en plus interloqué.

Ah ?…

Massenay.

Je n’ai aucunement l’intention d’amener des femmes du dehors.

Chanal, tenant à y mettre du sien.

Oh ! mon Dieu, vous savez entre nous… il ne faudrait pas prendre non plus au pied de la lettre… Il viendrait une dame, par hasard…

Massenay, protestant avec conviction.

Mais non, mais non.

Chanal.

Je ne dis pas ça pour vous inciter à mal ! mais enfin vous auriez une relation que le concierge n’a pas à savoir… si c’est votre mère ou votre sœur.

Massenay, id.

Mais aucune relation ! pas plus avec ma mère qu’avec ma sœur !

Chanal, se défendant.

Oh ! oh ! croyez bien que je n’ai jamais pensé !…

Massenay, affirmatif.

Je vous certifie que jamais votre concierge ne verra entrer une femme chez moi.

Il se lève, et gagne un peu à gauche.
Chanal, convaincu, se levant également.

Allons, monsieur, mes compliments ! Je vois que nous nous accorderons sans peine ! Dieu merci, si tous les locataires étaient comme vous, le métier de propriétaire serait plus agréable.

Massenay.

Ah bien vous savez ; tel qu’il est, c’est encore tout de même celui qui trouvera le plus d’amateurs.

Chanal, riant.

Hé ! hé ! hé ! (À part, en remontant vers son cabinet.) Il est drôle. (Haut.) Allons, j’ai des baux tout préparés, désirez-vous que nous signions tout de suite ?

Massenay, qui est près du piano.

Volontiers.

Chanal, qui a la carte de Massenay en mains.

Si vous voulez me donner votre nom.

Massenay, de sa place, indiquant du doigt la carte que Chanal tient.

Mais… sur ma carte.

Chanal.

Oh ! c’est juste… (Lisant en marchant dans la direction de son cabinet.) « Émile Massenay. » (S’arrêtant étonné.) Tiens ?…

Massenay, comme un homme habitué à ce genre de remarque.

Non !… homonyme !

Chanal, à qui ce nom évoque un autre souvenir.

Oui, oui, je vois, mais non, c’est…

Massenay, souriant.

Ah ! C’est qu’on me la fait tout le temps !

Chanal, sans l’écouter, cherchant dans ses souvenirs.

« Massenay » ? « Massenay » ? (Brusquement, redescendant de quelques pas dans sa direction.) Vous n’avez pas été élève à Saint-Louis ?

Massenay, avec une jovialité étonnée.

Oui, jusqu’en seconde.

Chanal, ravi.

C’est ça ! Mais moi aussi ! Elle est bien bonne !… Chanal ! tu ne te rappelles pas Chanal ?

Massenay, consultant ses souvenirs.

Chanal ?…

Il est placé de façon à tourner légèrement le dos à Chanal.
Chanal, étourdiment, lui envoyant un bon renfoncement dans le dos.

Mais si, voyons… idiot !

Massenay, instinctivement, se mettant sur la défensive.

Vous dites ?

Chanal, confus.

Oh ! pardon !

Massenay, se remettant dans la situation.

Non, non ! Allez donc !… du moment que nous avons été camarades ! Seulement, n’est-ce pas ? Sur le moment !… la passe a été si rapide !! j’ai été pris au dépourvu… Mais un instant ! le temps de réendosser ma tunique de potache et ça va aller tout seul !… (Prenant du champ et lui envoyant à son exemple une formidable tape dans le dos.) Alors, tu disais donc, idiot ?

Chanal, exultant.

Aha ! À la bonne heure ! Toujours le même !… vieux copain !… (Bien face à lui, en le prenant par les deux revers de sa jaquette.) Je disais donc : Tu ne te rappelles pas Chanal ?

Massenay, cherchant.

Attends donc ! C’est pas un petit dont on disait que le père était cocu ?…

Chanal, bien naturellement.

Mais non voyons, c’est moi !

Massenay, décontenancé par son impair.

Oh ! Oh !… Mais oui que je suis bête ! je le sais bien parbleu, que c’est toi, puisque je suis ici !… Où avais-je la tête ?

Chanal.

À la bonne heure ! Tu me reconnais maintenant. Ah ! vieux copain va !… (Dans un besoin d’expansion, il attire brusquement Massenay à lui en lui faisant un étau de son bras droit passé le long des épaules ; Massenay répond à son élan en lui passant le bras autour de la taille et ainsi, hanche contre hanche, ils arpentent la scène, d’abord vers la droite puis vers la gauche.) Ça me fait plaisir de te revoir…

Massenay.

Mais… moi aussi.

Chanal.

Il n’y a pas, quand on a usé ses culottes ensemble au collège et qu’on se retrouve… eh ! ben tu sais… (S’arrêtant, lâchant Massenay et avec profondeur.) On se crée de nouvelles connaissances dans la vie, mais un camarade d’enfance, ça ne se refait pas !…

Massenay, qui s’est arrêté en même temps que Chanal, gagnant l’extrême gauche, blagueur.

Oui… surtout à notre âge !

Chanal.

C’est vrai ! (Sentimental.) Ah ! c’est loin tout ça !… (Changeant de ton.) Mais tiens, assieds-toi donc ! (Il lui indique le canapé, sur lequel ils s’asseyent tous deux, lui (2) Massenay (1). Une fois qu’ils sont bien assis, Chanal, revenant à ses souvenirs de jeunesse, joyeusement.) Ah ! ce bon Massenay ! Dis donc : tu te rappelles Bourrache ?… qui était si rigolo ?…

Massenay, souriant et intéressé.

Oui.

Chanal.

Je le vois quelquefois.

Massenay.

Ah ?

Chanal.

Il n’a pas changé, figure-toi ! toujours aussi rigolo !

Massenay.

Allons donc !

Chanal.

Oui ! Ah ! il porte la joie avec lui cet homme là… Il est huissier.

Massenay.

Ah !… joyeux en effet !

Chanal.

Eh ! bien et Poteau ? Tu te rappelles Poteau ?

Massenay.

Non.

Chanal.

Mais si : qui avait une sœur qui venait le voir au parloir… (Voyant que Massenay n’a pas l’air de se rappeler, cherchant à lui rafraîchir la mémoire.) Une sœur qui nous faisait de l’œil !… Allons ! voyons !… elle louchait ! Même ça lui permettait de faire de l’œil à deux élèves à la fois… (Désappointé.) Tu ne te rappelles pas, Poteau ?

Massenay.

Pas du tout !

Chanal, n’en revenant pas.

C’est drôle !… (Changeant de ton.) Eh ! bien il est mort.

Massenay, avec un soubresaut comme s’il avait reçu un choc ; puis.

Poteau est mort ?… Oh !… pauvre Poteau !

Chanal, avec conviction.

C’est triste hein ?… à notre âge !

Massenay, avec intérêt.

Oh !… Et de quoi ?

Chanal, avec un geste désolé.

Une affection au cœur…

Massenay, avec compassion.

Au cœur !

Chanal.

Oui… pour une actrice… qui avait trop de tempérament !… C’est ça qui l’a tué : un jour après déjeuner… on lui avait pourtant dit que sur la digestion !…

Massenay.

Aie ! aie aie !

Chanal.

Oui je t’en fiche !… Ah ! ça n’a pas traîné : il a été enlevé… V’lan !… sur le coup.

Massenay.

Sur le coup ! (Douloureusement.) Ah !… pauvre Poteau !

Chanal, hochant la tête tristement.

Ah ! oui… (Il reste un instant rêveur ; soudain, sa figure change d’expression, il regarde Massenay, puis.) Mais au fait qu’est-ce que tu me chantes ?… t’as pas pu le connaître Poteau : c’est à Henri IV que j’ai été avec lui.

Massenay.

Ah ! à la bonne heure ! je me disais aussi… mais alors je m’en fous !… qu’est-ce que tu veux que ça me fasse qu’il soit mort, Poteau ?

Chanal, se levant et gagnant le milieu de la scène.

C’est vrai, puisqu’il était à Henri IV.

Massenay, se levant également.

D’ailleurs je peux dire que du collège, je ne vois plus personne ! Quand on est sur les bancs, on croit qu’on sera amis pour la vie, et puis… chacun va de son côté… Il n’y en a guère qu’un avec qui j’aie conservé des relations… un qui a fait son chemin, celui-là !… D’ailleurs c’est toujours ceux-là qu’on retrouve… ceux-là ou les tapeurs !… Je ne sais pas si tu t’en souviens, c’est le député Coustouillu.

Chanal, gaîment.

Coustouillu ! Ah ! bien je te crois ! (Remontant légèrement dans la direction de la porte de gauche qu’il indique.) Il est ici !

Massenay, qui a suivi son mouvement.

Ici ?

Chanal, redescendant (1).

Oui, en train de tenir compagnie à ma femme. C’est un de mes amis intimes ! Il ne décolle pas de la maison.

Massenay (2).

Allons donc ! Ah ! bien c’est curieux : moi, je suis très lié avec lui, il ne m’a jamais parlé de toi.

Chanal.

Oh ! bien, cependant…!

Massenay.

Ah ! tu le connais ?… Eh ! bien, hein ? le malheureux ! Crois-tu que son amour le met dans un état ?

Chanal, bien naïvement.

Son amour ?… Il a un amour ?

Massenay.

Il ne te l’a pas dit ?

Chanal.

Non !

Massenay.

Comment, mais il ne parle que de ça. Un amour sans espoir.

Chanal.

Ah ! bien par exemple ! Pour qui ?

Massenay.

Ah ! ça ?… Je sais que c’est une femme mariée, mais voilà tout. Coustouillu, c’est la discrétion même : il m’entretient de ses intrigues, mais anonymement.

Chanal.

Il ne m’en a pas ouvert la bouche !… Est-il bête de faire des cachotteries avec moi !… sans compter qu’à lui tout seul il n’arrivera à rien.

Massenay, s’asseyant de côté sur la chaise à gauche de la table, de façon à faire face à Chanal et à être adossé à la table.

C’est bien ce qui l’enrage.

Chanal.

Au moins, moi, j’aurais pu lui être de bon conseil… je lui aurais dis ce qu’il y avait à faire ; je connais la femme !

Massenay, curieux.

Tu la connais ?

Chanal, remettant les choses au point.

Je connais la femme… en général ! Enfin, je ne sais pas, j’aurais été le clairon qui sonne la charge ! « Aie donc, là !… en avant marche !… C’est qu’ça donc ! on n’a donc pas de c… cœur au ventre ! » J’aurais même dit la chose plus crûment, mais pour toi, je mets des formes.

Massenay.

Si tu crois que je ne lui ai pas dit tout ce qu’il y avait à dire…

Chanal.

Eh ! bien qu’est-ce qui le gêne ? Le mari ?

Massenay.

D’abord.

Chanal.

La belle affaire ! Quand il y aurait un cocu de plus !…

Massenay.

Écoute, je ne voudrais pas non plus le faire meilleur qu’il n’est… Je crois que le mari n’est que la raison secondaire ; au besoin, il passerait très bien par-dessus… Mais ce sur quoi il ne saurait passer, c’est sa sotte timidité : le malheureux, il n’a pas de chance ! Dès qu’il est amoureux d’une femme, il n’y a plus personne !… Tant qu’il n’est pas arrivé à ses fins, il est comme un idiot, et naturellement, par simple réciproque, tant qu’il est comme un idiot, il n’arrive pas à ses fins… ce qui fait qu’il suffit qu’il soit épris d’une femme, pour être sûr de se brosser.

Chanal.

Pauvre bougre !

Massenay, se levant.

À moins !… à moins que, par une de ces coïncidences inespérées, la femme n’en vienne elle-même à faire les avances ou à le prendre de force.

Chanal.

Ce qui est peu probable.

Massenay.

Oui… surtout avec la femme mariée en question… Il paraît qu’elle ne fait pas plus attention à lui que s’il n’existait pas !… et alors lui, il est annihilé, quand elle est là ; il bafouille, il rougit, il n’ose pas ouvrir la bouche, il ne sait pas où se mettre…!

Chanal, avec bonhomie.

Oh ! ça, tu sais, il est comme ça ici ; alors…!

Massenay, interdit.

Ah ! il…?

Chanal, flairant subitement la réalité.

Eh ! mais, dis donc…!

Massenay, vivement, le comprenant à demi-mot.

Non, non !

Chanal.

Si, si ! (Avec jovialité, en se donnant une tape sur la cuisse.) Ah ! bien, elle serait pommée, celle-là…! La femme mariée : c’est peut-être ma femme.

Massenay.
Ta femme…?
Chanal.
Mais oui !… son trouble devant elle, ses bafouillages : je m’explique maintenant !…
Massenay, affolé de son impair, essayant de le réparer.

Hein ! Mais non ! mais non ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?… En voilà une idée !… Est-ce que j’aurais été te raconter…? Ah ! bien, j’ai fait un joli coup !… si tu vas te fourrer dans la tête, maintenant…! Ah ! là, là… En voilà une gaffe !

Chanal, sans s’émouvoir et avec un bon sourire d’insouciance.

Mais laisse donc ! ça n’a pas d’importance…! Je trouve ça très drôle, au contraire… En somme, quoi ? il est amoureux de ma femme…? eh bien ! où est le mal ?… tant que ça ne va pas plus loin !… et comme ma femme est une femme honnête.

Massenay, avec conviction.

Oh ! oui.

Chanal, très positif.

Oui, toi tu n’en sais rien ; tu dis ça, par politesse ; mais moi, je le dis parce que je la connais… Par conséquent, de ce côté, je suis bien tranquille ; d’autre part, Coustouillu : pas dangereux !…

Massenay, avec conviction.

Oh ! non.

Chanal.

Tant que je le verrai bafouiller avec ma femme, je pourrai être tranquille comme Baptiste.

Massenay.

Oh ! comme tous les Baptistes réunis !

Chanal, ne pouvant s’empêcher de rire.

Oh ! que c’est drôle. Non, Coustouillu amoureux de ma femme !… Ah !… il faut que je lui dise ça pour la faire rire !… (Passant au-dessus du piano pour gagner la porte par où est sortie Francine et appelant :) Francine !

Voix de Francine, à la cantonade.

Quoi ?

Massenay, allant jusqu’au piano.

Oh ! surtout, eh !… pas un mot de tout ça à Coustouillu ! Il ne me le pardonnerait pas !

Chanal.

Voyons ! ça va sans dire… (Riant.) Le pauvre garçon, il en aurait une congestion !

Massenay, riant également.

Comme Poteau.

Chanal, riant.

Oui… (Changeant de ton.) Eh ! là ! hé ! mais préventive, celle-là !

Massenay.

Naturellement !

Chanal, appelant à nouveau.

Eh ! bien Francine !

Voix de Francine.

Mais quoi ?

Chanal.

Eh bien ! viens !

Il redescend entre mur et piano pour gagner le milieu de la scène en passant devant le canapé.



Scène VIII

Les Mêmes, FRANCINE.
Francine, dès le pas de la porte et en décrivant le même trajet que Chanal.

Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Chanal (2).
Ah ! non, tu ne devineras jamais ! Apprête-toi à tomber de ton haut.
Francine (1).

Et pourquoi, mon Dieu ?… (Voyant Massenay qui s’incline.) Monsieur !…

Chanal, qui a vu le jeu de scène.

Ah ! oui, c’est vrai !… mon ami Massenay !… Émile Massenay…

Francine.

Très heureuse, monsieur. Vous portez là un nom…!

Massenay, blagueur, à Chanal.

Voilà, ça y est !

Francine.

Est-ce que vous êtes parent du musicien ?

Massenay, avec un sourire plein d’humilité.

Mon Dieu, non, madame… je n’ai pas cet honneur ! Mon nom s’écrit : A, Y.

Francine, marivaudant.

Je le regrette pour vous.

Massenay, marivaudant.

Mais moi aussi, madame… Mais c’est la faute à l’A, Y.

Chanal, gaîment.

Quoi ? quoi ? « A, Y » ? quoi ? C’est Massenay… tu as l’air étonné… Massenay qui sort de Saint-Louis…

Francine.

Bien oui, tu sais, moi, je n’en sors pas.

Chanal, revenant à ses moutons et contenant avec peine sa joie.

Ah ! non, mais tu ne sais pas ce que je viens d’apprendre ?… tiens-toi bien ! (Ménageant bien son effet.) Coustouillu… (Un petit temps.) est amoureux de toi !

Francine, sur le même ton que Chanal.

Qui est-ce qui t’a dit ça ?

Chanal.

Massenay.

Francine, étonnée.

Monsieur ?

Massenay, protestant.

Oh ! Permets !… Je n’ai pas pu dire une chose que je ne savais pas ! Je t’ai confié que Coustouillu était tellement amoureux d’une femme mariée que lorsqu’il était en sa présence il en devenait complètement idiot… voilà tout… Alors, toi, tu m’as répondu : « C’est ma femme ! » C’est pas la même chose.

Chanal.

Oui, enfin, ça revient au même !… (À Francine.) Eh bien ! hein ? J’espère qu’en voilà une bonne ? Tu ne t’en serais jamais doutée ?

Francine, avec le plus grand calme.

Moi ?… Je le savais !

Chanal, ahuri, bouche bée, regarde Massenay avec de grands yeux, regarde sa femme, puis :

Tu savais qu’il était amoureux de toi ?

Francine, simplement.

Mais dame…

Chanal, même jeu.

C’est pas possible !… Il t’a fait des déclarations ?

Francine.

Jamais !… C’est bien pour ça ?… on peut douter de l’amour d’un homme qui vous dit : « Je vous aime », mais on peut être certaine de l’amour de celui qui fait tout pour vous le cacher.

Chanal, bien naïvement.

Je ne m’étais jamais aperçu de rien.

Francine, avec une gentille ironie.

Oh ! bien toi, tu es un mari !… tu ne peux pas avoir la prétention de voir les choses avant les autres.

Massenay, souriant.

Vous êtes caustique, madame.

Chanal.

Elle a un peu raison dans l’espèce. Oh ! mais maintenant à la réflexion, il y a un tas de choses qui m’ouvrent les yeux… Tiens ! tout à l’heure, les asperges !

Massenay.

Les asperges ?

Chanal.

Oui, et l’autre jour, les brugnons… (À Massenay.) Figure-toi, ma femme n’a qu’à jeter un mot en l’air, devant lui, dire : « Ah ! j’ai vu de beaux brugnons chez un tel !… » Ou « tiens, je mangerais bien des asperges !… » Crac, deux heures après, tu vois revenir mon Coustouillu avec une corbeille de brugnons ou une botte d’asperges…

Massenay.

Vraiment ?

Francine.

Oui, je n’ose plus rien dire.

Chanal.

Et il n’y a pas ! il ne fait ça que pour elle. L’autre jour, j’avais des douleurs dans le ventre, je dis devant lui : « Ah ! j’aimerais bien avoir un cataplasme ! » Eh bien, il n’a pas bronché !… Si ç’avait été ma femme, ah ! là, là !… il l’aurait plutôt posé lui-même.

Francine.

Tu es bête !

Chanal.

D’ailleurs, tu auras l’occasion de l’observer, maintenant que nous allons nous revoir. (À sa femme.) Car, tu ne sais pas : Massenay… je viens de lui louer l’entresol.

Francine.

Allons donc !

Chanal.

Au fait, je vais préparer le bail… tu m’attends cinq minutes ?

Massenay.

Je t’en prie !…

Mouvement simultané des trois personnages. — Chanal remonte dans la direction de son cabinet. — Francine remonte un peu dans sa direction, Massenay gagne à gauche jusqu’au piano.
Chanal, au moment d’entrer dans son cabinet.

Tenez-vous mutuellement compagnie, je reviens dans un instant…

Il sort en refermant la porte sur lui.



Scène IX

FRANCINE, MASSENAY.
Un temps pendant lequel Francine regarde son mari s’en aller, tandis que Massenay, debout à l’angle du piano et du canapé, et tournant le dos à Francine, manipule un bibelot quelconque comme un homme qui occupe son attente.
Francine, brusquement toute radieuse, aussitôt que la porte est retombée sur Chanal.

Tu as loué l’entresol ?

Massenay, se retournant à sa voix.

Oui.

Francine, se précipitant dans ses bras.

Ah ! chéri ! chéri ! comme c’est gentil !…

Massenay.

Dis que ce n’est pas une bonne idée ?… Je t’ai vue si troublée hier d’être venue chez moi, rue du Colisée ; si tremblante à penser que peut-être on t’avait aperçue…

Francine.

Et comme j’avais raison !… Regarde un peu : Juste un ami de mon mari qui demeure dans la maison.

Massenay.

Non ?

Francine.

Oui !… et qui est venu tout à l’heure… Il m’a vue entrer ou sortir… alors, la fâcheuse gaffe !… heureusement, mon mari n’y a pas fait attention ; mais vois-tu tout de même si…

Massenay, rétrospectivement angoissé.

Ne m’en parle pas ! Oh ! mais maintenant plus rien de tout cela à craindre !… plus de risque d’être vue, d’être compromise ; (Appuyant sur chaque mot souligné.) tu n’auras plus à sortir de chez toi, nous nous aimerons, ici !… dans la maison. C’est bien plus pratique !

Il l’embrasse dans le cou.
Francine, pendant qu’il l’embrasse.

Oh ! oui ! Et plus convenable pour mon mari !… Oh ! mon chéri, que je t’aime !

Massenay.
Ma Francine !
On frappe à la porte de gauche, les deux personnages s’écartent brusquement l’un de l’autre ; vont s’asseoir, Massenay sur le canapé, Francine à gauche de la table, et prennent l’air correct de gens en visite, puis :
Francine, d’une voix détachée.

Entrez !

La porte s’entrebâille et Coustouillu s’insinue timidement.
Massenay, de sa place, comme s’il poursuivait une conversation commencée.

Il est certain qu’aux Galeries Lafayette… le sort des demoiselles de magasin…



Scène X

Les Mêmes, COUSTOUILLU.
Coustouillu, avec un sourire contraint.

Heuheu ! je… je suis toujours là…

Francine.

Ah ! c’est vous, monsieur Coustouillu ?… Entrez !

Coustouillu, descendant.

Pardon…

Il va s’asseoir sur le bord du tabouret de piano.
Massenay, que Coustouillu n’a pas encore aperçu.

Bonjour, Coustouillu !

Coustouillu, se dressant comme mû par un ressort.

Toi ? toi ? qu’est-ce que tu fais ici ?

Massenay, jovialement.

Eh bien ! tu vois ; je suis venu rendre visite à mon ancien camarade de collège Chanal…

Coustouillu.

Ah ?… Ah ?…

Massenay.

Il m’a fait l’honneur de me présenter à madame Chanal.

Coustouillu, complètement décontenancé.

Ah !… vivi ! (Présentant.) M. Massenay !… Madame Chanal !

Massenay.

Non, je te dis qu’il m’a présenté. C’est fait !

Coustouillu.

Ah ?… vivi !…

Massenay.

Pourquoi as-tu l’air si troublé ?

Coustouillu, affolé, en songeant aux confidences qu’il a pu faire à Massenay.

Moi… C’est faux !… Je te défends… Qu’est-ce que tu vas croire ?… Ce n’est pas elle !…

Massenay, de l’air le plus innocent.

Quoi « ce n’est pas elle » ?

Francine.

Ce n’est pas moi qui quoi ?

Coustouillu.

Hein, euh ! non ! rien !… rien !

Il s’effondre, la gorge sèche, sur le tabouret du piano.
Francine, après un temps, en le voyant assis.

Vous… vous vous apprêtiez à sortir, monsieur Coustouillu ?

Coustouillu, bien hagard.

Non !… non !…

Francine, après un petit temps, insistant.

Ne vous gênez pas pour nous, si vous avez affaire dehors…

Coustouillu, fait de la tête signe que non, toujours avec son sourire gêné, puis.

Je… je peux remettre.

Francine.
Ah ?… Ah ?
Coustouillu fait signe que « oui », puis, ayant le sentiment de sa gaucherie, il cherche une position qui lui donnera l’air à l’aise ; pour ce faire, oubliant qu’il est sur le tabouret, il laisse aller son corps en arrière, pour s’appuyer sur un dossier imaginaire, de sorte qu’il manque de perdre l’équilibre (ce jeu de scène doit être très discret). — Moment de gêne général, Francine tousse ; puis Massenay ; on ne sait que dire. — Coustouillu, gêné par son chapeau, ne sachant où le mettre se le pose sur la tête, puis presque aussitôt, s’apercevant de sa bévue, le retire précipitamment, en regardant anxieusement si aucun des personnages ne l’a vu. Il le place sur son genou, en faisant un soutien pour son bras ; puis aussitôt que le dialogue suivant s’engage, il l’écoute, le sourcil froncé comme quelqu’un qui concentre toute son attention, approuvant de la tête, le visage successivement tourné vers la personne qui parle.
Francine, se décidant à rompre le silence.

Qu’est-ce que nous disions donc, monsieur Massenay ?

Massenay, saisi par cette brusque question.

Ce que nous disions ?… Euh ?… Qu’est-ce que nous pouvions bien dire ? (Regardant Coustouillu et frappé d’une inspiration.) Ah ! oui, vous me disiez, madame, que vous aviez remarqué un melon chez Potel et Chabot et qu’il vous avait fait envie.

Francine.

Moi !

Massenay.

Si vous le permettez, madame, en sortant d’ici, je cours chez Potel et je vous le rapporte.

Francine, qui devine sa pensée.

Oh ! Monsieur, c’est trop aimable.

Massenay n’a pas achevé sa phrase, que Coustouillu se dresse sur son séant ; rapidement et brusquement, de ses deux mains repousse le tabouret près du piano, et remonte comme une flèche vers le fond.
Francine, hypocritement.

Eh ! où allez-vous donc, monsieur Coustouillu ?

Coustouillu, tout en courant.

Rien ! rien ! je reviens !… je reviens…

Il sort précipitamment.



Scène XI.

FRANCINE, MASSENAY.
Un temps pendant lequel les deux personnages regardent la sortie de Coustouillu, puis se regardent réciproquement et éclatent d’un rire joyeux.
Massenay.

Et voilà ! C’est pas plus malin que cela.

Francine, avec une admiration d’enfant, allant se loger dans ses bras.

Oh ! comme tu as de l’esprit !

Massenay (1).

L’amour rend ingénieux.

Francine (2), se pelotonnant contre lui.

Je t’aime.

Massenay, l’embrassant.

Ma chérie !

Francine.

Si tu savais comme je suis heureuse depuis vingt-quatre heures !… (Avec une souriante confusion.) depuis que c’est fait. J’ai envie de crier mon bonheur à tout le monde, (Sourire avantageux et reconnaissant de Massenay.) aux passants… aux domestiques… à mon mari…

Massenay, qui, après chacune de ces désignations, les yeux mi-clos pour mieux savourer son bonheur, la bouche souriante, a approuvé d’autant de hochements de tête, approuve encore une fois machinalement, puis brusquement se ravisant. Ah ! non.

Francine.

Ne crains rien, c’est des envies qu’on a, mais qu’on ne se passe pas !… (Sentimentale.) et pourtant, il y a des moments où ça me brûle de lui raconter ! c’est si lourd à garder un secret ! Et puis, je me dis que ça le rendrait furieux, qu’il me ferait une scène et qu’en me faisant une scène, il serait bien forcé de me parler de toi… Et c’est si bon d’entendre prononcer le nom de celui qu’on aime…

Massenay, plus à la réalité.

Oui, je ne dis pas, mais c’est égal !…

Francine, se levant et avec un soupir.

Oh ! je sais, je n’ai pas le droit : (Tout en remontant jusqu’à mi-scène dans la direction du cabinet de son mari, et les regards dirigés de son côté.) il ne faut pas penser qu’à soi dans la vie, mon mari aurait de la peine, et il ne le mérite pas ; car enfin, le pauvre garçon, ce n’est pas sa faute tout ça ! il n’y est pour rien !

Massenay, qui est remonté pendant ce qui précède en passant derrière le piano et se trouve au-dessus à ce moment.

Mais non, il n’y est pour rien.

Francine, avec regret, gagnant le piano.

Ah ! quel dommage qu’on ne puisse pas avoir un amant sans tromper son mari.

Massenay, redescendant (2).

Bien oui, mais ça…!

Francine, un genou sur le tabouret de piano.

Ça gâte la moitié du plaisir.

Massenay, allant à elle.

Alors, tu as des regrets ?

Francine, se retournant vivement face à lui.

Des regrets, moi ? Oh ! regarde dans mes yeux si j’ai des regrets…!

Massenay, avec élan se rapprochant d’elle.

Chérie !

Il jette un regard du côté de la porte du cabinet de Chanal pour s’assurer qu’ils ne sont pas observés.
Francine.

Et dire pourtant que je ne voulais pas ! que je faisais des manières… Au fond, tu sais, je n’en pensais pas un mot… (Jouant machinalement avec un des bibelots qui sont sur le piano, pour se donner une contenance.) Mais, n’est-ce pas, on a reçu des principes, on ne peut pas comme ça, dès qu’on vous le demande… Il faut un temps moral… (Lâchant le bibelot et bien face à Massenay.) Heureusement tu as été tenace…

Massenay, d’un air conquérant.

Aha !

Francine.

Ah ! quand tu veux quelque chose, toi !…

Massenay, id.

Tiens !

Francine.

Oh ! C’est moi qui aurais été vexée si tu avais lâché !…

Massenay, qui était en train de jeter un nouveau coup d’œil sur la porte du cabinet de Chanal, vivement.

Oh ! mais j’aurais pas lâché !

Francine, suppliante.

Oh ! non, n’est-ce pas ?… (Changeant de ton.) D’abord si tu avais lâché, tant pis pour ma pudeur de femme !… Je t’aurai couru après.

Massenay.

Voyez-vous ça !… Si j’avais su !…

Francine, les yeux baissés, jouant machinalement avec le phonographe.

Au moins… tu ne me méprises pas ?

Massenay.

Moi ! moi, te mépriser !

Francine, id.

Songe que c’est la première fois !…

Massenay, ravi.

Oh ! oui, oui c’est ça… Promets-moi… Promets-moi que jamais tu n’as trompé ton mari…

Francine, avec une conviction profondément sincère.

Jamais !…

Massenay, après avoir jeté un nouveau coup d’œil sur le cabinet de Chanal.

Promets-moi que tu ne le tromperas jamais !

Francine, avec énergie.

Je te le promets !… Ah ! je t’aime.

Massenay.

Ah ! tu me rendras fou !

Francine, traversée par un frisson sensuel.

Ah !

Secouée par ce mouvement nerveux, sans s’en rendre compte, elle a donné un choc au phonographe que machinalement elle était en train de manipuler ; et l’instrument se met en mouvement sans que ni l’un ni l’autre s’en aperçoive. Le dialogue suivant s’échange bien à proximité du pavillon.
Francine, exaltée.

L’amour, l’amour, il n’y a que ça !

Massenay.

Les poètes l’ont dit.

Francine, brusquement.

Quand nous reverrons-nous, comme hier ?

Massenay.

Eh bien ! quand ?

Francine.

Ce soir ?

Massenay, approuvant.

On peut.

Francine.

À tout hasard je me suis ménagé une sortie… J’ai prévenu mon mari que je dînais chez maman et que j’irais avec elle au théâtre. Donc, jusqu’à une heure du matin…

Massenay.

Parfait ! Ah ! seulement, pour ce soir, il faudra en passer par le 21 de la rue du Colisée…

Francine.

Bah ! Aujourd’hui que je suis plus aguerrie…

Massenay.

Et puis en amour, comme en amour !

Francine.

Je t’adore ! (On entend tousser Chanal dont la silhouette apparaît derrière le vitrage de son cabinet.) Oh !

Ils s’écartent vivement l’un de l’autre. Francine s’assied sur le tabouret de piano, Massenay à gauche de la table[2].
Massenay, affectant de converser tranquillement.

… Il est certain qu’aux Galeries Lafayette… le sort des demoiselles de magasin…



Scène XII.

Les Mêmes, CHANAL.
Chanal, son bail à la main.

Dis donc !

Massenay.

Hein ?

Chanal.

Quelle durée, ton bail ?

Massenay.

Quelle durée ?… (Avec tendresse, regardant Francine.) Quatre-vingt dix ans !

Chanal, riant.

Tu es fou !… Veux-tu trois ans ? Veux-tu six ans ?

Massenay, même jeu.

Oh ! ce n’est pas assez…

Chanal.

Eh ! bien, douze ans ?… renouvelable tous les trois ans à ta volonté seule, ça te va-t-il ?

Massenay.

Soit, pour commencer…

Il se lève.
Chanal, remontant en emportant son bail.

Bon ! Cinq minutes !… Continuez à causer…! (Au moment d’entrer dans son cabinet, avec la grosse malice de l’homme qui croit n’avoir rien à craindre.) Mais faites attention, je vous écoute !

Il rentre dans son cabinet dont il laisse la porte ouverte ; il s’assied à son bureau, ce qui le présente dos au public. — Un temps, pendant lequel Massenay s’assure que Chanal ne peut le voir, puis sur la pointe des pieds va jusqu’à Francine qui s’est levée un peu avant. Émoustillé, il veut lui prendre la taille.
Francine, se dérobant et passant au 2, vivement à voix basse.

Attention ! mon mari !

Massenay, à voix basse également.

Oui !

Il gagne l’extrême gauche d’un petit air indifférent ; en se retournant ses yeux tombent sur le canapé ; aussitôt, le diable le tentant, il fait signe à Francine de venir s’asseoir à côté de lui. Geste de Francine signifiant « Je ne peux pas ! Mon mari ! » — Geste de Massenay « Mais si voyons ! » — Geste de Francine tout en se dirigeant vers le canapé « Vous n’êtes pas raisonnable ! » — Geste de Massenay « qu’est-ce que ça fait ! » Ils s’asseyent côte à côte, lui (1), elle (2) ; se prennent les deux mains, les yeux plongés dans le regard l’un de l’autre. — Massenay, dans un élan amoureux, l’attire vers lui et l’embrasse longuement et silencieusement sur les lèvres.
Chanal, sans se retourner.

Eh ! bien, mes enfants, c’est tout ce que vous avez à vous dire ?

Francine, vivement.

Si ! si !

Chanal.

Allez ! Allez ! Vous ne me dérangez pas…

Massenay.

Justement, nous avions peur…

Chanal.

Mais non ! Mais non ! Je suis à vous tout de suite !

Geste de Francine : « Vous voyez, là ! » — Geste de soumission de Massenay.
Francine, bas.

Allons, parlez !

Massenay.

Mais quoi ?

Francine.

N’importe quoi ! (Haut pour donner le change à son mari.) Alors, c’est un beau lycée que le lycée Saint-Louis ?

Massenay, sur un ton lyrique, en désaccord complet avec les propos qu’il tient.

Oh ! oui, superbe !… Il fut fondé… (Il l’embrasse dans le cou, ce qui coupe son discours.) par Hubert d’Harcourt, d’où son nom primitif, (Baiser.) de lycée d’Harcourt, qu’il ne quitta qu’en dix-huit cent… (Baiser.) vingt-huit, pour prendre celui de lycée Saint-Louis… (Il se hausse un peu tout en parlant pour voir si Chanal ne le voit pas.) qui est son nom actuel…! Dans le grand vestibule d’honneur (Baiser.) deux portes de bois sculpté, portant le nom de ses fon… (Baiser.) dateurs, rappellent à la génération actuelle…

Éclat de rire de Chanal qui arrête brusquement les épanchements des amoureux ; Massenay n’a que le temps de se précipiter sur le fauteuil à gauche de la scène, à peu de distance du canapé.
Chanal.

Ah ! ça, qu’est-ce qui te prend d’avoir ce ton élégiaque pour faire l’historique du lycée Saint-Louis ?

Massenay.

Moi… ?

Chanal, descendant en scène.

Oui toi ! Tu ne t’entends pas ? Tu dis : (L’imitant.) Dans le grand vestibule d’honneur, deux portes de bois sculpté… portant gravé le nom de ses fon-on-on-dateurs. Tu en as plein la bouche… C’est ridicule.

Massenay, qui s’est levé et remonte derrière le piano.

Oui ?… Je ne m’étais pas aperçu…

Chanal.

Tu l’aimes donc bien notre lycée ?

Massenay, au-dessus du piano redescendant vers Chanal et sa réponse à l’adresse de Francine.

Mais oui !

Chanal, lui tendant les deux baux.

Allons, tiens, voilà les baux ; je les ai signés, tu n’as qu’à en faire autant.

Massenay, prenant les baux et se dirigeant (3) droit à la table.

Bien ! Tu as une plume ?

Chanal (2).

Mais non, voyons !… Ah ! tu as une façon de faire les affaires, toi ! Examine ça à tête reposée ; et si nous sommes d’accord, tu n’as qu’à m’en renvoyer un exemplaire avec ta signature.

Massenay, mettant les baux dans sa poche.

Comme tu voudras ! (Prenant son chapeau.) Allons, je ne veux pas abuser de ton temps davantage.

Chanal, lui serrant la main.

Mais tu n’abuses pas ! et tu sais, ravi de t’avoir revu.

Massenay.

Tout comme moi ! (À Francine qui s’est levée.) Madame, très honoré de vous avoir été présenté.

Pendant qu’il parle, comme Chanal est tourné de son côté, Francine en profite pour lui envoyer un baiser par-dessus la tête de son mari ; après quoi :
Francine, cérémonieuse.

J’espère, Monsieur, puisque nous devons être voisins, que nous ferons plus ample connaissance.

Aussitôt que Francine a pris la parole, Chanal a fait volte-face de son côté, et Massenay rend aussitôt sa politesse à Francine en lui envoyant un tas de petits baisers derrière le dos de son mari. Sur la fin de la phrase, Chanal se retourne juste à temps pour surprendre Massenay les doigts sur les lèvres. Celui-ci, sans se démonter, transforme son geste en celui de friser sa moustache.
Massenay, s’inclinant.

Je l’espère aussi. (Saluant.) Madame !… (À Chanal.) Adieu, toi, à bientôt !

Francine espiègle lui a envoyé, toujours derrière le dos de Chanal, un dernier baiser, mais celui-ci en le déposant sur le plat de la main et soufflant dessus dans la direction de Massenay. L’air produit par le souffle frappe le cou de Chanal.
Chanal, porte la main à son cou et regarde en l’air derrière lui pour voir d’où vient ce vent ; puis :

À bientôt. (Il remonte, accompagnant Massenay. — apercevant Étienne dans le hall.) Reconduisez monsieur ! (À Massenay amicalement.) Au revoir.

Massenay répond par un petit salut de la tête, et sort suivi d’Étienne.
Francine (1), à Chanal (2) qui redescend en se frottant les mains, aussitôt Massenay sorti.

Très bien, ton ami !

Chanal, flatté dans son amitié.

N’est-ce pas ?… (Après un petit temps.) Qu’est-ce que tu penserais d’avoir des relations avec lui ?

Francine, ne pouvant réprimer un petit sursaut de surprise.

Hein ?… (Se reprenant et très Sainte-Nitouche.) Mais… je veux bien, mon ami.

Chanal.

Ça te va ? Eh bien alors, il n’y a plus qu’à marcher.

Francine.

Il n’y a plus que ça… comme tu dis, mon ami.

Chanal.

Ah ! bien ! tu sais, tu me fais plaisir… Si ! Si ! parce que s’il ne t’avait pas plu… On ne sait jamais avec les femmes… Oui… oui… Je te remercie.

Francine, avec ironie.

Il n’y a vraiment pas de quoi, mon ami.

Chanal, allant à son phonographe.

Là ! Et maintenant, pour l’amour de Dieu ! laisse-moi finir mon cylindre !

Francine (2), remontant.

Ah ! bien alors, je te dis adieu, parce que je vais sortir ; et comme je dîne chez maman et que je ne rentrerai pas avant dîner…

Chanal.

Ah ? (Moqueur.) Madame Benoiton ! Allons va ! (Il l’embrasse.) Ne rentre pas trop tard.

Francine.

Tout de suite après le théâtre ! Maman me remettra chez moi.

Chanal.

Bon, bon ! va.

Francine sort de gauche.



Scène XIII.

CHANAL seul, puis ÉTIENNE, puis COUSTOUILLU.
Chanal, tout en changeant les diaphragmes du phonographe.

Voyons, où en suis-je avec tout ça…! Tiens, mon cylindre est au bout ! Je n’ai donc pas arrêté le mouvement…? Ah ! je fais du bon travail…! voyons ?

Il remonte vivement l’instrument (juste ce qu’il faut) ; puis le met en mouvement après avoir appliqué le diaphragme répétiteur sur le rouleau. Ceci fait, pour mieux entendre, il prend du champ en gagnant sur la droite.
Le phonographe[3].

Ma chère sœur, ainsi c’est un fait accompli.

Chanal, qui suit sur son papier.

Bien.

Le phonographe.

De ce jour te voilà mariée.

Chanal.

Oui !

Le phonographe.

Ce soir tu connaîtras le grand mystère à quoi rêvent les jeunes filles… (Voix de Francine.) L’amour, l’amour il n’y a que ça !

Chanal, relevant une tête ahurie.

Quoi ?

Le phonographe.

(V. de M.) Les poètes l’ont dit. (V. de F.) Quand nous reverrons-nous comme hier ?

Chanal, sursautant.

Mais c’est la voix de ma femme !

Le phonographe, que Chanal écoute avec des yeux sortant de la tête.

(V. de M.) Eh bien ! quand ? (V. de F.) Ce soir ? (V. de M.) On peut. (V. de F.) À tout hasard, je me suis ménagé une sortie.

Chanal, flairant enfin l’affreuse vérité.

Nom de Dieu !

Le phonographe.

J’ai prévenu mon mari que je dînais chez Maman…

Chanal, haletant, la voix rauque.

Oui !… Oui !

Le phonographe.

Et que j’irais avec elle au théâtre ! Donc, jusqu’à une heure du matin…

Chanal, s’épongeant le front avec son mouchoir.

Oh ! assez ! assez !

Le phonographe.

(V. de M.) Parfait ! Ah ! seulement, pour ce soir, il faudra en passer par le 21 de la rue du Colisée…

Chanal.

21 rue du Colisée ! Ah ! c’est le ciel qui les trahit !

Le phonographe.

(V. de F.) Bah ! aujourd’hui, je suis plus aguerrie…

Chanal.

Assez ! assez !

Le phonographe.

(V. de M.) Et puis, en amour comme en amour.

Chanal, dans sa rage, envoyant son mouchoir dans le pavillon du phonographe pour le faire taire.

Mais assez, nom de Dieu.

Le phonographe, étouffé par le mouchoir.

Je t’adore !

Chanal, arrêtant le mouvement d’un geste rageur.

Ah ! l’infâme ! (Se précipitant vers la porte de gauche et appelant.) Francine !… Francine !… (Descendant entre le piano et le mur.) Elle ne répondra pas, la criminelle !… la récidiviste… ! (Remontant après avoir fait le tour du piano.) Étienne !… Étienne !… Eh ! bien, Étienne !

Étienne, accourant.

Monsieur ?

Chanal, sur le pas de la porte du fond, ne tenant plus en place.

Madame ? Où est madame ?

Étienne, avec calme.

Madame vient de sortir, Monsieur.

Chanal, le faisant pirouetter et le poussant dehors.

Bon, c’est bien, allez-vous-en ! (Étienne disparaît, littéralement escamoté. — Chanal très agité, arpentant la scène, descend à droite.) Parbleu, partie ! Elle ne tenait plus en place ! (Arrivé à droite, gagnant la gauche.) Elle avait hâte d’aller le retrouver, son amant !… Oh ! si je les tenais tous les deux !… Et lui… lui, quel est-il ?… (s’arrêtant à l’extrême gauche pour réfléchir.) Voyons, voyons dans ceux qui viennent ici ?… (On sonne extérieurement.) Oh ! non !… non ! ce n’est pas possible…! Et pourtant, si !… Ah ! le jésuite !… avec ses timidités de comédie… C’est Coustouillu, parbleu !… Le voilà, le dessous des asperges !… C’est Coustouillu… Ah ! le gredin !…

À ce moment, Étienne paraît introduisant Coustouillu porteur d’un superbe melon.
Coustouillu, l’air radieux, allant droit à Chanal, tendant son melon de ses deux mains.

C’est… c’est moi !

Chanal, comme un tigre prêt à bondir sur sa proie, mais avec une rage contenue.

Fous le camp !

Coustouillu, ahuri de cet accueil et avec un sursaut de recul.

Quoi ?

Chanal, marchant sur lui, et avec plus de violence dans la voix.

Fous le camp, je te dis.

Coustouillu, id.

Mais je t’apporte un melon.

Chanal, lui arrachant le melon des mains.

Oui ! Eh bien, voilà ce que j’en fais de ton melon !

Il le jette au fond. Étienne qui ne s’est pas empressé de s’en aller, étonné qu’il est de la scène à laquelle il assiste, est précisément à la porte du fond, de sorte qu’il se trouve juste là pour recevoir le melon en plein estomac.
Étienne.

Oh !

Chanal, sur le même ton rageur.

Je vous demande pardon, je ne l’ai pas fait exprès. (Marchant sur Coustouillu.) Va !… Va ! 21 rue du Colisée.

Coustouillu, qui ne comprend pas et reculant à mesure que Chanal marche sur lui.

21 rue du Colisée ?

Chanal, id.

Oui, oui, où elle t’attend !

Coustouillu, reculant toujours.

Qui ça ?

Chanal, marchant toujours sur lui de façon à le faire passer devant la table, puis remonter derrière.

Mais ma femme, bon apôtre !… Allez consommer l’adultère !…

Coustouillu.

L’adultère ?

Ils sont arrivés ainsi au fond.
Chanal.

… Ami félon !… traître ! je te chasse, va-t’en !… (Coustouillu veut risquer une explication que Chanal lui coupe en éclatant.) Mais vas-tu foutre le camp, nom de Dieu ! (Il le précipite dehors. — À Étienne qui ahuri est resté là, dans l’extrême fond gauche, à écouter la scène.) Étienne ! vous voyez cet homme… si jamais il remet les pieds ici, flanquez-le dehors à coups de pied quelque part !… Allez ! (Gagnant son cabinet pendant que la toile tombe.) Ah ! ça soulage !

Rideau.



  1. Note : Cette indication n’est mise que pour se conformer à la réalité ; mais de fait, à la scène, comme il pourrait arriver que le dit diaphragme enregistreur ne puisse graver d’une façon distincte les paroles prononcées, il est préférable d’avoir des cylindres gravés d’avance ; dès lors c’est le diaphragme répétiteur que l’on adapte dès le lever du rideau, en s’arrangeant de manière à ne pas le laisser porter sur le cylindre en mouvement, dans les moments où le phonographe est censé enregistrer et au contraire en établissant le contact lorsqu’il s’agira de faire parler l’instrument ; c’est à l’artiste seulement à donner aux moments voulus l’illusion qu’il opère le changement de diaphragme alors qu’en réalité c’est toujours le même qui sert. Il est très important de répéter le plus longtemps possible avec le phonographe qui servira à la représentation afin que le comédien qui a à jouer avec, en possède l’usage absolu, de façon à pouvoir obvier à toute surprise et à tout dérangement.
  2. Ne pas se préoccuper du phonographe qui continue à marcher jusqu’à ce qu’il s’arrête de lui-même.
  3. Si par hasard le diaphragme était mal placé, et si le phonographe n’attaquait pas tout de suite ou trop avant dans le discours, l’artiste ne devrait pas se démonter, il ajouterait quelques répliques telles que « allons bon qu’est-ce qu’il a ?… » « Eh ! bien, quoi ? il est rouillé ? » ou bien « je le reconnais bien, il n’est jamais pressé ! attends un peu ! » et il irait froidement arranger l’instrument.