La Métaphysique (trad. Pierron et Zévort)/Notes1

Traduction par Alexis Pierron et Charles Zévort.
Ébrard, Joubert (p. 323-372).

NOTES.


LIVRE SEPTIÈME.


Séparateur


Page 3. Premier s’entend dans différents sens : toutefois la substance est absolument première sous le rapport de la notion, et de la connaissance, et du temps, et de la nature. Bekker, p. 1028 ; Brandis, p. 1028 : … ὅμως δὲ πάντων ἡ οὐσία πρῶτον καὶ λόγῳ καὶ γνώσει καὶ χρόνῳ.

Nous avons ajouté, comme on voit, au texte de Brandis et de Bekker. Mais c’est sur l’autorité des manuscrits mêmes de Bekker, sur l’autorité de tous les anciens éditeurs qui donnent ὅ. δ. π. ἡ. o. π. κ. λ., κ. γ., καὶ χρόνῳ, καὶ φύσει et aussi parce qu’il nous a semblé que sans ce mot φύσει il manquait quelque chose à l’idée d’Aristote.

Page 4. Sont-ce là les seules substances ? y en a-t-il d’autres encore ; ou bien aucune de celles-ci n’est-elle substance, et ce titre appartient-il à d’autres êtres ? Bekker, p. 1028 : Πότερον δὲ αὗται μόναι οὐσίαι εἰσὶν ἢ ἄλλαι, ἢ τούτων μὲν οὐθὲν ἕτεραι δέ τινες

La leçon de Bekker, à laquelle nous nous sommes conformés, est celle des anciennes éditions. Brandis, p. 129, intercale entre les mots ἄλλαι et ἢ τούτων μέν, ces autres mots : ἢ τούτων τινὲς ἢ καὶ ἄλλων. Les mss. E et T de Bekker autorisent cette leçon : Post ἄλλαι ET ἢ τ. τ. ἢ κ. ἄλλαι (vel ἄλλων) ; p. 1028. Il n’est pas impossible que telle ait été, en effet, la leçon primitive. Après la généralité seraient venus les cas particuliers ; après avoir demandé si les êtres sensibles sont les seules substances, Aristote a bien pu demander si ce ne serait pas quelques-uns seulement des êtres sensibles, Tούτων τινές. ce qui entraînait ἢ καὶ ἄλλων, car le philosophe s’était posé aussi cette question : Y a-t-il encore d’autres substances ? Cependant, il faut le dire, le membre de phrase rétabli par Brandis n’est guère qu’un embellissement oratoire ; la période, telle qu’il la donne, est mieux cadencée : π. δ. α.μ. ο. ε. ἢ καὶ ἄλλαι, ἢ τούτων τινὲς ἢ καὶ ἄλλων, ἢ τούτων μὲν ο. ἕ. δ. τ. …, mais le sens n’y a rien gagné. C’est-là sans doute le motif qui a fait revenir Bekker à la leçon vulgaire, et aussi l’habitude générale du style d’Aristote ; car si Aristote (et il suffit de lire quelques lignes de ses écrits pour s’en assurer) soigne singulièrement les détails de sa phrase courte et serrée, il ne descend guère aux petits expédients des rhéteurs.

Page 8. Mais la substance réalisée (je veux dire celle qui résulte de l’union de la matière et de la forme), il n’en faut point parler. Évidemment elle est postérieure et à la forme et à la matière, et d’ailleurs ses caractères sont manifestes : la matière elle-même tombe, jusqu’à un certain point, sous le sens. Reste donc à étudier la troisième, la forme. Sur celle-là il y a lieu à de longues discussions. Bekker, p. 1029 ; BRANDIS, p. 131 : Tτὴν μὲν τοίνυν ἐξ ἀμφοῖν οὐσίαν,… ὑστέρα γὰρ καὶ δήλη. Φανερὰ δέ πως καὶ ἡ ὕλη. Περὶ δὲ τῆς τρίτης σκεπτέον· αὕτη γὰρ ἀπορωτάτη.

Nous avons fait tous nos efforts pour que le raisonnement d’Aristote apparût clairement sous les expressions dont nous nous sommes servis pour rendre ὑστέρα et δήλη. Aristote cherche quelle est la substance première ; il ne saurait donc la trouver dans ce qui est composé, car ce qui est composé est postérieur à ses éléments. On n’a pas besoin d’ailleurs d’entrer en discussion sur une chose perçue immédiatement par les sens, et dont toutes les qualités, tous les caractères se révèlent à nous d’eux-mêmes. Les mots φανερὰ δέ πως καὶ ἡ ὕλη, n’ont rien non plus qui doive étonner. Aristote ne dit pas absolument que la matière tombe sous le sens ; il met une restriction : elle y tombe jusqu’à un certain point. Il est évident que la matière, laquelle n’a ni forme, ni quantité, ni qualité, ni rien, en un mot, de ce qui détermine l’être, la matière considérée comme simple possibilité d’existence, échappe à la prise immédiate des sens. Mais il y a une induction, ou, comme dit Aristote au liv. I de la Physique, une analogie qui nous aide à la saisir. La matière a, pour Aristote, des degrés différents ; car il y a dans l’indétermination des degrés, du plus ou du moins. La matière première est à la matière seconde comme celle-ci est à la troisième, comme la troisième à une autre, s’il y en a une autre : la statue sujet, matière de certaines qualités, a pour matière, la matière des corps fusibles ; pour prendre un exemple qu’affectionne Aristote. Or, nous percevons directement la statue ; nous percevons l’airain ; et par analogie, par induction, si l’on veut, nous connaissons la matière de l’airain. Voilà avec quelles restrictions Aristote a dit que la matière tombe sous le sens. Admettons que tel est son caractère ; il faut bien alors commencer par le point sur lequel il y a le plus de contestation. Sur la matière on s’accorde à peu près, au moins en principe, et Aristote l’a abondamment prouvé dans le livre premier de la Métaphysique. Pour la forme, il n’en est pas ainsi : si l’on nie que la forme existe par elle-même, on nie qu’elle soit une essence. Il faut examiner quels sont ses caractères véritables ; ils ne sa manifestent pas d’eux-mêmes aux yeux, ils sont difficiles à découvrir : ἀπορωτάτη. Voyez sur ce passage, Alexandre d’Aphrodisée, Schol., p. 741, Sepulv., p. 183 ; Philop., fol. 26, a ; et aussi St. Thomas, fol. 87, a. Page 15. D’après cela, ou bien aucun des objets composés n’aura ni essence ni définition, ou bien ce ne sera pas une définition première ; nous l’avons déjà fait observer tout à l’heure. Bekker, p 1030 ; BRANDIS, p. 135 : Ὥστε τούτων τὸ τί ἦν εἶναι καὶ ὁ ὁρισμὸς ἢ οὐκ ἔστιν οὐθενὸς ἢ ἔστιν ἄλλμως, καθάπερ εἰρήκαμεν.

Les anciens éditeurs ont lu : ἢ οὐκ ἔστιν οὐδενὸς, ἢ εἰ ἔστιν, ἀλλὰ καθάπερ εἰρήκαμεν. Les deux leçons ont au fond le même sens ; seulement, avec l’ancienne leçon, il faut sous-entendre quelque chose pour compléter la phrase : οὐκ ἔστιν οὕτως, par exemple. Le vieux traducteur latin semble avoir eu sour les yeux un autre texte : Aut non est alicujus, aut si est, alicujus est ; mais on ne sait pas trop ce qu’il veut dire par alicujus est. Bessarion a lu : ἄλλως ἢ καθάπερ : Aut si est, aliter est quam quemadmodum…, ce qui s’écarte peu de la leçon de Brandis ; car Aristote vient de déterminer tout à l’heure le caractère des définitions proprement dites, en même temps qu’il a fait une distinction entre les êtres qui ont une essence et ceux qui n’en ont pas. Mais la leçon de Brandis, outre qu’elle se trouve dans un grand nombre de mss., est formellement indiquée par Philopon : Itaque vel non est ullius lalium definitio, vel aliter est, etc., fol. 26, b ; et Asclépius interprète la phrase dans le même sens que nous avons essayé de le faire en nous servant des mots : Ce ne sera pas une définition première ; ce qui prouve qu’il avait ἔστιν ἄλλως sous les yeux : ὥστε ἢ οὐκ ἔστι τούτων ὁρισμὸς, ἢ, εἰπερ ἐστὶν, ἀνάγκη ἐκ προσθέσεως εἶναι, ὥσπερ εἰρήκαμεν. Schol. in Arist., p. 746. Enfin Sepulveda a adopté cette leçon. Voyez Alex. Sepulv., p. 188.

Page 15. Si l’on dit qu’ils différent, parce qu’il est impossible de dire camus sans exprimer la chose dont camus est l’attribut essentiel, car le mot camus signifie nez retroussé ; alors, ou il sera impossible d’employer l’expression nez camus, ou bien ce sera dire deux fois la même chose, nez nez retroussé, puisque nez camus signifiera nez nez retroussé. BEKKER, p, 1030 ; BRANDIS, p. 135 : Eἰ δὲ μὴ διὰ τὸ ἀδύνατον εἶναι εἰπεῖν τὸ σιμὸν ἄνευ τοῦ πράγματος οὗ ἐστὶ πάθος καθ’ αὑτό (ἔστι γὰρ τὸ σιμὸν κοιλότης ἐν ῥινί), τὸ ῥῖνα σιμὴν εἰπεῖν ἢ οὐκ ἔστιν ἢ δὶς τὸ αὐτὸ ἔσται εἰρημένον, ῥὶς ῥὶς κοίλη· ἡ γὰρ ῥὶς ἡ σιμὴ ῥὶς ῥὶς κοίλη ἔσται.

La leçon des anciens éditeurs diffère beaucoup de celle de Brandis et de Bekker ; ils écrivent : Ὲἰ δὲ μὴ, δ. τ. ἀ. ε. εἰπεῖν, τὸ σιμὸν καὶ ἄνευ τ. π. ο. ἐ. π. κ. αὑτὸ· καὶ ἔσται τὸ σιμὸν κ. ἓν ῥινὶ, τὸ ῥῖνα, σ. ε.ἢ. ο. ε. ἢ. δ. τ.α. ἔ. ε. ῥ. ῥ. κ. Ἡ γὰρ ῥὶς ἡ σιμὴ, ῥὶς [ῥὶς] κοίλη ἔσται. On a été même jusqu’à retrancher le mot ῥὶς une fois, dans le dernier membre de phrase. Sous cette forme, la phrase d’Aristote est à peu près inintelligible. On peut s’en assurer en lisant le passage dans Bessarion ; encore que Bessarion, ou n’ait point trouvé dans ses mss., ou ait de son chef retranché καὶ devant ἄνευ : « Quod si non propterea quod impossibile est dicere simum absque ipsa re, cujus per se passio est, et simum erit concavitas in naso, nasum simum aut non est dicere aut bis erit dictum nasus, nasus concavus. Nasus namque simus nasus nasus concavus erit. » Du moins le vieux traducteur, s’il ne lit pas ἔστι γὰρ τὸ σιμόν, traduit comme s’il lisait καἴ ἐστι τὸ σιμόν : ce qui signifie quelque chose, car ces mots dépendent alors de διὰ τὸ ἀδύνατον εἶναι εἰπεῖν : parce qu’il est impossible de dire… et parce que le mot camus signifie…, quia impossibile est…, et est simum concavitas in naso. Du reste le vieux traducteur, pas plus que Bessarion, pas plus qu’Argyropule, ne fait soupçonner l’existence de καὶ devant ἄνευ. Bessarion seul a conservé, dans sa traduction, le second ῥίς à la fin du passage. Ce mot n’en est pas moins essentiel au sens, et Brandis a dû le maintenir à sa place. N’existât-il dans aucun manuscrit (et il se trouve, suivant Bekker, dans le plus grand nombre), il faudrait encore le mettre à cette place ; la suite du raisonnement l’exigerait de toute nécessité, car on ne peut pas le supposer sous-entendu. Aristote a bien dit quelque part, que τὸ σιμόν et ῥὶς σιμὴ étaient deux expressions synonymes, mais dans le langage vulgaire, et non pas eu égard à l’essence de la chose. Il prouve maintenant que, philosophiquement, on ne doit pas dire ῥὶς σιμή. Et, en effet, à le prendre à la rigueur, il y a pléonasme dans l’expression ; bavardage inutile, comme dit Asclépius dans son commentaire : καὶ διαπλασιάζομεν τὴν ῥῖνα, ὅπερ ἐστὶν ἀδολεσχία. Voyez Schol., p. 746. Par conséquent il faut lire : ἡ γὰρ ῥὶς ἡ σιμὴ, ῥὶς ῥὶς κοίλη ἔσται.

Page 17. S’il y avait identité, il y aurait identité aussi entre la forme substantielle d’homme et la forme substantielle d’homme blanc. BEKKER, p. 1031 ; BRANDIS, p. 136 : Εἰ γὰρ τὸ αὐτὸ, καὶ τὸ ἀνθρώπῳ εἶναι καὶ τὸ λευκῷ ἀνθρώπῳ τὸ αὐτό.

Les anciens éditeurs ont lu : Εἰ γὰρ τὸ αὐτὸ ἀνθρώπῳ εἶναι, καὶ λευκῷ ἀνθρὼπῷ τὸ αὐτό. Même en admettant la suppression de καὶ après εἰ γὰρ τὸ αὐτό, il faudrait encore donner à cette phrase une autre ponctuation, pour lui faire signifier quelque chose de raisonnable. La virgule doit se trouver après εἰ γὰρ τὸ αὐτό, et non pas après ἀνθρώπῳ εἶναι, à moins qu’on ne sous-entende dans le premier membre καὶ λευκῷ ἀνθρώπῳ, et dans le second, καὶ ἀνθρώπῳ εἶναι  : auquel cas le sens serait le même qu’avec la leçon des nouveaux éditeurs ; mais il faut avouer que cette double ellipse n’est pas fort naturelle. C’est pourtant la nécessité où l’on en est réduit pour comprendre ces paroles de Bessarion : Si enim ipsi homini esse, et albo homini idem, et celles-ci du vieux traducteur, bien qu’au lieu de ipsi homini, qui semble supposer αὐτοἀνθρώπῷ en un seul mot, il traduise : Si enim idem homini esse. Argyropule est tout aussi inintelligible, si l’on n’aide pas un peu à la lettre : Nam, si eadem sint hominis esse, et hominis albi esse, idem erit profecto. Il faudrait, pour être exact, traduire : Nam, si eadem sint, et hominis esse et albi hominis esse eadem erunt ; en admettant la forme scolastique d’Argyropule : hominis esse.

Page 22. Et la santé, c’est l’idée même qui est dans l’âme, la notion scientifique ; la santé vient d’une pensée comme celle-ci : La santé est telle chose ; donc il faut, si l’on veut la produire, qu’il y ait telle autre chose, par exemple l’équilibre des différentes parties ; or, pour produire cet équilibre, il faut la chaleur. BEKKER, p. 1032 ; BRANDIS, p. 139, 140 : … γίγνεται δὴ τὸ ὑγιὲς νοήσαντος οὑτως· ἐπειδὴ τοδὶ ὑγιεία….

Les anciens éditeurs ne donnent pas οὕτως, ils mettent pour la plupart un point après νοήσαντος. Un des mss. de Bekker, le manuscrit S, omet aussi le mot οὕτως. Mais ce mot semble nécessaire pour annoncer le raisonnement ; et, s’il n’est pas absolument nécessaire, encore faudrait-il qu’une ponctuation particulière indiquât que νοήσαντος n’est pas employé dans un sens absolu, qu’on ne veut pas dire que la santé a pour principe une pensée quelconque, mais que ce mot se rapporte à ce qui suit. Du reste tous les mss. de Bekker donnent le mot οὕτως, excepté celui que nous venons de mentionner, et tous les traducteurs latins ont eu soin de la reproduire : Fit itaque sanitas intelligente ita, quoniam… Vieux trad. ; Fit autem sa num intelligente ita…. Bessar. ; Atque sanum efficitur, cum sanitatis artifex hoc intellexerit modo… Argyr. ; enfin ce mot est indiqué dans les paraphrases des anciens commentateurs, et Alexandre détermine avec beaucoup de précision la signification de νοήσαντος dans ce passage : Ergo sanum, inquit, ef ficitur, cum medicus sic intelligit, et quomodo intelligat exponit dicens : exempli gratia, si hoc est sanitas…. Sepulveda, p. 194.

Page 23. Or, la chaleur produite dans le corps est un élément de la santé, ou bien elle est suivie d’une autre chose ou de plusieurs qui sont des éléments de la sanlé. La dernière chose à laquelle on arrive ainsi…. BEKKER, p. 1032 ; BRANDIS, p. 140 : Ἡ θερμότης τοίνυν ἡ ἐν τῷ σώματι ἢ μέρος τῆς ὑγιείας ἢ ἕπεταί τι αὐτῇ τοιοῦτον ὅ ἐστι μέρος τῆς ὑγιείας, ἢ διὰ πλειόνων· τοῦτο δ’ ἔσχατόν τὸ ποιοῦν,….

Du Val fait remarquer, à propos de ce passage, que tous les traducteurs, excepté Bessarion, lisent ἢ εὐθὺς, ἢ διὰ πλεόνων. Il ajoute ensuite : « Iidem interpp. vulgatos codices non mutilos tantum hoc loco, sed et in sequentibus periodis valde depravatos esse ac perversos, sua interpretatione arguunt. Sic enim vertit : Aut statim aut per plura, hoc autem est ultimum quod sanitatis efficit partem. Atque ut ibi caliditas, aut aliquid quod ipsa sequitur, sanitatis est pars, sic et lapides domus et alla aliorum sunt. » Nous ne trouvons pas dans le vieux traducteur l’indication de ἢ εὐθύς. Argyropule suit cette leçon, comme on le voit par la note que nous venons de transcrire ; car c’est d’Argyropule qu’il s’agit dans cette note, et d’Argyropule seul, nonobstant les mots iidem interpp., les mêmes traducteurs, et bien que Du Val ne le nomme pas et se contente du simple mot vertit, sans nous apprendre qui est-ce qui traduit ainsi. Du reste la leçon ἢ εὐθύς nuit à la clarté du sens ; et d’ailleurs Bekker ne l’a pas trouvée dans les manuscrits. Quant à cette grande corruption de texte dans les manuscrits attestée, selon Du Val, par les traducteurs, c’est une pure chimère. Argyropule, dans le passage cité, intervertit, mais voilà tout, l’ordre de deux membres de phrase ; mais le sens reste entier. Il ne faut voir dans cette légère licence qu’une fantaisie excusable. Les manuscrits ne sont en rien intéressés à cette affaire.

Page 27, 28. Y a-t-il donc quelque sphère en dehors des sphères sensibles, quelque maison indépendamment des maisons de briques ? S’il en était ainsi, il n’y aurait jamais production de l’être particulier ; il ne se produirait que des qualités. Or, la qualité n’est point l’essence, la forme déterminée, mais ce qui donne à l’être tel ou tel caractère… BEKKER, p. 1033 ; BRANDIS, p. 143 : Πότερον οὖν ἔστι τις σφαῖρα παρὰ τάσδε ἢ οἰκία παρὰ τὰς πλίνθους, ἢ οὐδ’ ἄν ποτε ἐγίγνετο, εἰ οὕτως ἦν, τόδε τις ἀλλὰ τὸ τοιόνδε σημαίνει, τόδε δὲ καὶ ὡρισμένον οὐκ ἔστιν,….

Nous n’avons pas besoin de remarquer qu’il s’agit de la théorie des idées ; Aristote présente sous une nouvelle forme l’argument du livre premier : Les idées sont inutiles pour la production des essences. Voyez t. I, p. 46 sqq. La seule différence qu’il y ait ici entre le texte de Brandis et de Bekker et la leçon vulgaire, c’est qu’on lisait autrefois ἀλλ’ ὅτι τοιόνδε au lieu de ἀμμὰ τὸ τοιόνδε : là n’est pas la difficulté de ce passage ; elle consiste dans la forme de la phrase. Aristote semble présenter deux cas particuliers d’un même principe ; mais, en réalité, la seconde supposition est la réponse à la question première, à la seule question que se pose le philosophe : Y a-t-il, oui ou non, des idées existant par elles-mêmes ; l’idée d’une sphère, d’une maison ? C’est avec raison qu’Alexandre d’Aphrodisée dit, en parlant du second membre de phrase, qu’Aristote y décide la question : ἐπικρίνει λέγων ἢ οὐκ ἂν ποτε…, respondet, traduit Sepulveda. Voyez Schol. in Arist., p. 752 ; Sepulv., p. 197. Il faut considérer la phrase comme un dilemme. Aristote place son lecteur entre ces deux alternatives : s’il y a des idées, les êtres sensibles ne peuvent pas arriver à l’existence ; et s’il y a des êtres sensibles, il n’y a pas d’idées : sauf à prouver un peu plus loin qu’il faut opter. C’est-là ce qui explique la répétition de ἢ et la tournure interrogative. On dirait de même en français : N’admettons-nous pas ou qu’il y a des idées, ou bien, etc. L’expression τάσδε pour désigner les sphères matérielles n’est pas nouvelle pour nous ; elle n’est pas même une expression philosophique, et on en trouve d’analogues dans la langue commune. Quant à τόδε τι, nous avons déjà indiqué quelque part que cette formule était synonyme de οὐσία. Voyez t. I, p. 12. On voit ici dans quelles limites. Le τόδέ τι n’est pas une essence quelconque : Dieu esτ une essence, mais non un τόδέ τι. Le τόδέ τι se dit de l’essence de ce qui se voit ; de ce dont on peut dire : voilà ; de ce qui peut être montré du doigt, comme l’explique Alexandre. εἰς δεῖξιν πιπτόντων, Schol., p. 752, Sepulv., p. 197 ; enfin de tout ce qui est un produit de la nature ou de l’art, comme le remarque Asclépius, Schol., id ibid.

Le vieux traducteur latin a vu la difficulté, s’il ne l’a pas surmontée. Il traduit : « Utrum igitur est ne quœdam sphœra prœter has, aut domus prœter lateres, aut nunquam facta est ? Si sic, non erat hoc aliquid. » Aut nunquam facta est est un contre-sens ; mais dans si sic, dans ἦν appliqué à τόδέ τι, dans ce non même que le vieil helléniste intercale à propos, comme un souvenir du précédent nunquam, on sent qu’il a aperçu l’intention d’Aristote. Bessarion, Argyropule lui-même, ne donnent pas une idée aussi vraie du sens ; ou plutôt ils n’en donnent aucune idée, Bessarion surtout, ayant mis, ni plus ni moins, l’un et l’autre, des mots latins à la place des mots grecs.

Page 31. Je dis généralement, car il ne faut point chercher en cela une rigueur exacte : l’homme vient de l’homme il est vrai ; mais la femme aussi vient de l’homme. Il faut d’ailleurs que l’animal ait l’usage de tous ses organes : ainsi le mulet ne produit pas le mulet. BEKKER, p. 1034 ; BRANDIS, p. 145 : Οὐ γὰρ πάντα οὕτω δεῖ ζητεῖν ὡς ἐξ ἀνθρώπου ἄνθρωπος (καὶ γὰρ γυνὴ ἐξ ἀνδρός διὸ ἡμίονος οὐκ ἐξ ἡμιόνου)· ἀλλ’ ἐὰν μὴ πήρωμα ᾖ.

La phrase s’arrête pour Argyropule, ou mieux pour Sepulveda, à ἐξ ἀνδρός ; mais c’est que le traducteur en a transposé les deux derniers membres. Il les place immédiatement avant οὐ γὰρ πάντα, et dans un ordre différent de celui où les ont rangés les éditeurs ; διὸ ἡμιόνος ne vient qu’après μὴ πήρωρα ἦ « … et id a quo est semen, univocum est quodammodo, nisi ipsum ortum sit lœsum (sic). Quocirca non ex mulo nascitur mulus. Non enim ita omnia sunt flagitanda,…. » C’est Alexandre d’Aphrodisée qui indique cette correction : τὴν δὲ λέξιν ὑπερβατῶς ἀναγνωστέον οὑτωσίν· ἔστι γὰρ τὸ ἑξῆς « καὶ ὐφ’ οὗ σπέρμα ἐστί πως ὁμώμυνον, ἐὰν μὴ πήρωρα ᾖ· » « διὸ ἡμ. οὐκ ἐξ ἡμ.. » εἶτα « οὐ γὰρ πάντα οὕτω δεῖ ζητεῖν, ὡς ἐξ ἀνθρώπου ἄνθρωπος ἄνθρωπος· κ. γ. γ. ἐ. ἀ. » Schol., p. 754. Voyez aussi Sepulv., p. 199. On peut, comme on voit, défendre cette interversion. Mais le sens n’y gagne pas beaucoup, ou, pour mieux dire, n’y gagne rien ; et comme Alexandre ne dit pas que ce soit là la leçon des manuscrits de son temps, et que c’est probablement une de ses conjectures, ainsi que semble l’indiquer le mot ἴσως dont il se sert une ligne plus haut, il vaut mieux s’en tenir à la leçon des anciens et des nouveaux éditeurs, unanimes sur ce point.

Page 33. Ainsi la chair n’est pas une partie du retroussé ; elle est la matière sur laquelle s’opère la production. BEKKER, p. 1035 ; BRANDIS, p. 146 : … οἷον τῆς μὲν κοιλότητος οὐκ ἔστι μέρος ἡ σάρξ (αὕτη γὰρ ἡ ὕλη ἐφ’ ἧς γίγνεται), τῆς δὲ σιμότητος μέρος.

Les anciens éditeurs lisent : ἀφ’ ἧς γίγνεται. Bekker n’a trouvé cette leçon que dans un seul de ses manuscrits. Du Val repousse vivement l’autre leçon, que Bessarion avait suivie : « Bessario aliam lectionem sequitur et locum planum mirifice obscurat. » C’est-là de la sévérité hors de propos ; c’est le système de traduction qu’il fallait critiquer, et non pas le choix d’une leçon particulière. Bessarion traduit, avec ἐφ’ ἧς, hœc enim materia, in qua fit, ce qui ne s’entend guère, il est vrai ; mais avec ἀφ’ ἦς, il eût traduit ex qua fit, ce qui ne s’entendrait pas davantage. Cette merveilleuse obscurité dont parle ici Du Val, est le caractère distinctif de la version qu’il a préférée. Du reste, il faut l’avouer aussi, il n’y a pas dans la langue latine de mot correspondant réellement à γίγνομαι pris au sens philosophique ; Argyropule lui-même est réduit au mot insignifiant de Bessarion. Il traduit comme ce dernier, et comme le vieux traducteur avant eux : hœc est enim materies, in qua fit. Disons aussi que ἀφ' ἧς, ici, diffère en réalité fort peu, ou même ne diffère pas, pour le sens, de ἐφ' ἧς. Il est vrai, au même titre, que le statuaire pétrit l’argile et lui imprime telle ou telle forme, réalise en elle ou sur elle la conception de son esprit, et que de la matière indéterminée, de cet argile, qui n’était que de l’argile, il tire quelque chose de plus, l’être réalisé, la forme unie à la matière, la statue. On dit, même dans le langage vulgaire : Tirer la statue du bloc. Les anciens éditeurs sont donc, sous ce rapport, en droit de préférer ἀφ' ἧς, comme les nouveaux ont préféré l’autre expression.

Page 46, 47. Par conséquent on ne doit pas dire : Entre les animaux qui ont des pieds, les uns ont des plumes, les autres n’en ont pas, quoique cette proposition soit vraie ; on n’en usera de la sorte que dans l’impossibilité de diviser la différence. Brandis, p. 154 : ὥστ' οὐ λεκτέον τοῦ ὑπόποδος τὸ μὲν πτερωτὸν τὸ δὲ ἄπτερον, κἄνπερ λέγῃ καλῶς· ἀλλὰ διὰ τὸ ἀδυνατεῖν ποιήσει τοῦτο.

Au lieu de κἄνπερ λέγῃ, Bekker donne, p. 1038, ἐάνπερ, et un de ses manuscrits, le manuscrit S, ἐὰν λέγηται. La leçon de Brandis était celle des anciens éditeurs ; la leçon de Bekker est celle que les traducteurs latins, excepté Argyropule, ont trouvée dans leurs manuscrits. Alexandre d’Aphrodisée semble indiquer cette dernière leçon. Schol., p 763 ; Sepulv., p. 209. Mais il faut alors entendre par le mot ἐάνπερ λέγῆ (ou λέγηται, ou même λέγῃ τις), si l’on veut être dans le vrai, parler rationnellement, et non pas, comme le vieux traducteur : Siquidem bene dicit, ce qui est faux ; ni même comme Bessarion : Si bene dicatur, ce qui ne veut rien dire ; il faut en un mot, comme l’a fait Alexandre, ubi supra, paraphraser ainsi ces mots : εἰ μέλλομεν καλῶς διαιρεῖν : c’est ainsi que fait Argyropule : Si dicere quispiam recte velit. Toutefois nous pensons que κἄνπερ exprime mieux la pensée d’Aristote. Il est parfaitement vrai de dire que parmi les animaux qui ont des pieds, il y en a qui ont plumes, et que d’autres n’en ont pas. Cette réflexion a dû se présenter à Aristote, et il a dû faire observer que ce n’était pas de la vérité de ce point qu’il s’agissait, mais de la manière rationnelle de procéder dans la définition.

Page 55. Or, la démonstration s’applique à ce qui est nécessaire, et la définition appartient à la science. BEKKER, p. 1039 ; BRANDIS, p. 159 : εἰ οὖν ἥ τ’ ἀπόδειξις τῶν ἀναγκαίων καὶ ὁ ὁρισμὸς ἐπιστημονικός,….

On pourrait croire qu’il y a hyperbate dans cette phrase, et qu’Aristote a voulu dire seulement, ce qui du reste est vrai, que la démonstration et la définition ne s’appliquent qu’aux choses qui sont nécessaires. Le vieux traducteur le donnerait à entendre ; Bessarion le fait entendre formellement : Si igitur demonstratio et definitio scientifica necessariorum est…. Mais il y a quelque chose de plus dans la phrase d’Aristote, la distinction, par les termes dont il se sert, de la démonstration proprement dite et de la définition. St. Thomas lui-même l’a remarqué, redressant ainsi l’erreur du vieux traducteur : « Si ergo demonstratio est necessariorum, ut probatum est in Posterioribus (St. Thomas désigne par ce mot les Deuxièmes Analytiques. Voyez liv. I, 6, Bekk, p. 74.), definitio enim [est scientifica] id est faciens scire, quæ est quasi medium demonstrationis, quæ est syllogismus faciens scire. » Et Argyropule traduit dans le même sens : « Quod si demonstratio necessariorum est, et definitio ad scientiam attinet. »

Page 56. Si l’on te définissait, on dirait : animal maigre, ou blanc, ou tel autre mot, lequel peut convenir à un autre que toi.

Au lieu de οἷον εἴ τις σὲ ὁρίσαιτο, ζῶον ἐρεῖ qu’on lit dans Bekker, p. 1040, et dans Brandis, p. 159, les anciens éditeurs écrivent εἴ τις σὲ ὁρίσαιτο ζῶον. Nous préférons la première leçon, qui réunit dans le même membre de phrase tous les éléments de la définition de l’individu : animal, maigre, blanc, etc. On peut toutefois défendre la leçon vulgaire. Il y a, selon Aristote, deux manières de considérer l’homme : on peut le considérer ou comme la réunion d’une âme et d’un corps, ou comme une intelligence. Dans le premier cas, on ne peut définir l’homme, par conséquent, qu’en le rapportant au genre animal ; dans le second cas, sa définition serait un peu différente dans les termes. Il n’est donc pas impossible qu’Aristote ait voulu conserver, en parlant de l’individu, cette distinction, et indiquer seulement le cas où le mot animal entre dans la définition de l’homme. Mais il faut remarquer aussi que jamais Aristote, dans la Métaphysique, n’insiste sur la distinction. Toutes les fois qu’il s’agit de l’homme, Aristote le définit en le rapportant au genre animal. Il admet, comme déjà on l’a dû remarquer, la fameuse définition. L’homme est un animal à deux pieds, sans plumes, ζῶον ἄπτερον δίπουν.

Observons en passant que c’est sur l’autorité du passage d’Alexandre d’Aphrodisée relatif à cette phrase, qu’on a contesté l’authenticité des derniers livres du commentaire d’Alexandre, et que c’est sur ce passage même que s’appuie, et avec raison, Ginès Sepulveda, pour les revendiquer en sa faveur.

Aristote dit au lecteur : Supposons qu’on veuille donner ta définition. Le lecteur c’est vous, c’est moi, c’est Alexandre d’Aphrodisée. Vous et moi nous dirions à Aristote : Admettons la supposition ; alors on me définira : animal, etc. Alexandre répond, à la manière antique : Voyons, définis Alexandre ; tu diras : Alexandre est un animal, etc., οἷον εἴ τις ὁριζόμενος τὸν Ἀλέξανδρον λέγει Ἀλέξανδρός ἐστι ζῶον λευκὸν… Schol., p. 768, Sepulv., p. 214 ; voyez aussi t. I de cette traduction, Notes, liv. VI, p. 272. Ce n’est pas autrement qu’Hérodote et Thucydide écrivaient : Ceci est l’exposition des faits historiques recueillis par Hérodote d’Halicarnasse. Thucydide, fils d’Olorus, a écrit, etc.

Page 58. Car il n’y a pas d’unité dans les éléments ; ils sont comme un monceau, avant la concoction, avant qu’ils ne composent quelque chose qui soit un.

Ce n’est pas là la leçon de Brandis, p. 161, ni celle de Bekk., p. 1040. Au lieu de : comme un monceau, οἷον σωρός, ils écrivent οἷον ὀῤῥός, comme du lait. Deux mss., selon Bekker, autorisent leur leçon ; ce sont ses mss. F et E. D’ailleurs, Alexandre d’Aphrodisée l’a connue : ὥσπερ ὁ ὀῤῥὸς πρὶν ἢ πεμθῇ, τούτεστι πρὶν ἢ παγῇ καὶ ὅλως τυρωθῇ. Schol., p. 769 ; Sepulv., p. 216. Mais tous les autres mss., excepté les deux en question, donnent σωρός, c’est Bekker qui le dit : cœteri σωρός. Alexandre d’Aphrodisée ne transcrit pas l’autre leçon comme la seule, ni même comme la bonne ; il remarque seulement, ubi supr., que dans certains exemplaires on la trouve : τινὰ τῶν ἀντιφράφων ἔχει, ayant commencé par expliquer οἷον σωρός. Pour Asclépius, Schol., p. 769, et Philopon, fol. 32, b, ils ne connaissent que σωρός. Ensuite le mot ὀῤῥός ne va pas si bien, ce semble, avec ce qui précède, que le mot σωρός : il s’agit de l’unité dans la pluralité. Enfin, un peu plus loin Aristote, dans un exemple analogue, emploie, et cette fois Brandis, p. 163, et Bekker, p. 1041, conservent, σωρός : Ἐπεὶ δὲ τὸ ἔκ τινος σύνθετον οὕτως ὥστε ἓν εἶναι τὸ πᾶν, ἀλλὰ μὴ ὡς σωρὸς ἀλλ’ ὡς ἡ συλλαβή…. Et encore ailleurs, notamment au liv. VIII, 3, p. 75 de ce vol. : « Ou bien le nombre n’est pas un, mais ressemble à un monceau, etc. » Ce sont là les raisons qui ont décidé notre choix.

Page 62. La cause échappe, surtout quand on ne rapporte pas les êtres à d’autres êtres. Bekker, pag. 104-1 ; BRANDIS, p. 163 : Λανθάνει δὲ μάλιστα τὸ ζητούμενον ἐν τοῖς μὴ καταλλήλως λεγομένοις.

La différence entre cette leçon et celle des anciens éditeurs est insignifiante : nous avons μὴ κατ’ ἀλλήλως, ils donnent μὴ κατ’ ἀλλήλων. Alexandre d’Aphrodisée nous laisse le choix : γρ. ἐν τοῖς μή κατ’ ἀλλήλως, καὶ ἔτι ἐν τοῖς μὴ κατ’ ἀλλήλων. Cod. reg., Schol., p. 771. Toutefois nous préférerions la leçon ἐν τοῖς μὴ κετ’ ἄλλων, des mss. E, S, T, de Bekker ; car il y a dans le mot ἀλλήλων une idée de réciprocité, dont il faut ici faire complète abstraction. Il serait absurde de faire dire à Aristote que l’individu est à l’espèce, comme l’espèce est à l’individu. En tout état de cause nous avons dû traduire comme nous avons fait, comme avaient fait deux traducteurs latins avant nous : quæ non de aliis dicuntur, sont les termes dont le vieux traducteur et Bessarion se sont servis. Nous ne parlerons pas d’Argyropule, qui emploie une expression vague et insignifiante : quæ non accommodate dicuntur. Quant à la leçon ἐν τοῖς κατ’ ἄλλων sans négation, qu’indique encore Alexandre, le commentaire qu’il ajoute pour la rendre supportable nous semble si peu naturel, que nous n’hésitons pas à croire que cette prétendue leçon n’était qu’un effet de la négligence des copistes, qui auraient laissé disparaître la négation indispensable : Ὅταν μὴ καλῶς κατηγορηθῇ, λανθάνει ὅτι τὸ αἴτεον ζητεῖσαι, dit Alexandre, Schol., p. 771 ; Sepulv., p. 219. On ne voit pas ce qui pourrait motiver cet ὅταν μὴ καλῶς.

NOTES.


LIVRE HUITIÈME.




Page 73. …et c’est avec raison, car la composition, le mélange, ne sont pas quelque chose qui s’unit aux êtres composés ou mélangés. BEKKER, p.1043 ; BRANDIS, p. 168 : … οὐ γάρ ἐστιν ἡ σύνθεσις οὐδ’ ἡ μῖξις ἐκ τούτων ὧν ἐστὶ σύνθεσις ἢ μῖξις.

Alexandre d’Aphrodisée fait remarquer avec raison, Schol., p. 774, Sepulv., p. 232, qu’il y a dans les termes d’Aristote quelque chose d’obscur, et comme une ellipse. Ἐκ τούτων doit s’entendre, selon lui, comme s’il y avait μετὰ τούτων, mais il ne nous dit pas pourquoi cette expression est si éloignée ici de sa signification habituelle. On peut trouver la justification de cette expression en traduisant littéralement : « Car la composition ni le mélange ne sont pas hors des choses dont ils sont la composition ou le mélange. » Pour qu’ils soient la composition, le mélange de ces choses, il faut, s’ils ont une existence substantielle, qu’ils entrent dans la composition, dans le mélange, comme éléments : ὧν ἐστὶν ἡ σύνθεσις contient implicitement μετὰ τούτων. Et pour qu’ils entrent comme éléments dans le mélange, il faut qu’ils existent par eux-mêmes, indépendamment des choses mélangées, en dehors des autres éléments, et ἐκ τούτων est justifié. Nous avons tâché de trouver une expression qui donnât à fois et l’idée que représente ἐκ τούτων, et celle de μετὰ τούτων. Page 73. Si donc c’est cette essence qui est cause de l’existence ; si c’est elle qui est la substance, c’est à elle qu’il faut donner le nom de substance. BEKKER, p. 1043 ; BRANDIS, p. 169 : εἰ οὖν τοῦτ’ αἴτιον τοῦ εἶναι, καὶ οὐσία τοῦτο, αὐτὴν ἂν τὴν οὐσίαν λέγοιεν.

Argyropule traduit : « Si igitur hoc causa est ipsius esse atque substantiæ, hoc sane substantiam ipsam dicerent esse. » Cette traduction suppose οὐσίας, mais Bekker n’a trouvé ce génitif dans aucun de ses mss., et tous les éditeurs sans exception donnent καὶ οὐσία. D’ailleurs il y aurait alors une confusion de termes dans la phrase d’Aristote. Ce qui est la cause de la substance, il faut l’appeler non pas substance mais cause de la substance. Il y a, dans la leçon vulgaire, une négation devant λέγοιεν. Bessarion, et plus anciennement le vieux traducteur, ont eu sous les yeux cette leçon : Ipsam utique substantiam non dicent, traduit celui-ci ; ipsam substantiam utique non dicerent, traduit Bessarion. Mais on ne peut plus rapporter cette conclusion à la forme, à cette essence dont il s’agit ; il faut faire tomber le mot αὐτήν sur la matière, dont il a été question plus haut ; ou plutôt sur l’ensemble de la matière et de la forme. Nous avons alors une impropriété de termes : αὐτός se rapporte habituellement au substantif nommé le dernier ; pour désigner ce qui précède, on se sert d’une autre expression. Cette négation, du reste, Bekker ne l’a pas trouvée dans ses manuscrits ; les commentateurs ne l’indiquent point ; Alexandre d’Aphrodisée se contente de dire que, dans ce cas (dans l’hypothèse de la forme, cause unique d’existence), qui dira substance dira forme, et ne dira rien autre chose, Sepulv., p. 224 ; et Philopon répète, en la développant, l’interprétation d’Alexandre : « Clarum ergo, dit Philopon, quod si quis substantiam dicat, nibil aliud quam formam dicit, quam nemo facit, sed fit, et gignitur compositum. » fol. 34, b.

Page 77. Que s’il est possible de produire les mêmes choses avec deux matières différentes, il faut évidemment que, dans ce cas, l’art, le principe moteur, soit le même ; car si la matière et le moteur diffèrent en même temps, le produit aussi sera différent. BEKKER, p. 1044 : εἰ δ’ ἄρα τὸ αὐτὸ ἐνδέχεται ἐξ ἄλλης ὕλης ποιῆσαι, δῆλον ὅτι ἡ τέχνη καὶ ἡ ἀρχὴ ἡ ὡς κινοῦσα ἡ αὐτή· εἰ γὰρ καὶ ἡ ὕλη ἑτέρα καὶ τὸ κινοῦν, καὶ τὸ γεγονός.

Brandis, p. 171, ponctue différemment ; il lit : εἰ γὰρ καὶ ἡ ὕλη ἑτέρα, καὶ τὸ κινοῦν κ. τ. γ. C’est là l’ancienne leçon, sauf le καὶ après εἰ γάρ devant ὕλη, lequel ne fait que rendre plus sensible le défaut de la ponctuation de Brandis. Il est évident que de ce que la matière serait différente il ne s’ensuivrait pas nécessairement qu’il y eût différence entre les moteurs et les produits. Voilà un bloc de marbre et un tronc de bois, la matière n’est pas la même ; or, la même cause motrice, le statuaire, peut en tirer le même produit, une statue. Mais il ne faut voir dans l’ancienne ponctuation qu’une inadvertance première, qui, consacrée comme fait, aura passé successivement des mains d’un éditeur dans celles d’un autre, et trompé un instant la vigilance de Brandis. Nous n’avons pas besoin de dire que les traducteurs n’ont pas manqué de suivre le sens indiqué par la plus simple réflexion.

Page 82. … chacune d’elles est par elle-même un être et une unité, et non point à ce titre que l’être et l’unité soient un genre commun, ni qu’ils aient une existence indépendante des êtres particuliers. BEKKER, p. 1045 ; BRANDIS, p. 174 : εὐθὺς γὰρ ἕκαστόν ἐστιν ὄν τι, οὐχ ὡς ἐν γένει τῷ ὄντι καὶ τῷ ἑνί, οὐδ’ ὡς χωριστῶν ὄντων παρὰ τὰ καθ’ ἕκαστα.

Les anciens éditeurs lisent ἐν γενέσει pour ἐν γένει. Mais Bekker n’a pas trouvé cette leçon dans les manuscrits ; aucun des commentateurs, aucun des traducteurs ne l’a indiquée ; d’ailleurs elle ne s’entend guère, tandis que ἐν γένει s’explique par tout ce qu’Aristote a dit sur l’être et l’unité : l’être et l’unité, selon lui, ne sont point des genres. Argyropule retranche tout ce membre de phrase οὐχ ὡς ἐν γένει τῷ ὄντι καὶ τῷ ἑνί. Il se contente de traduire : « Continuo enim unumquodque istorum, et unum quid, et ens quid etiam est, non lumen a singularibus separabilia sunt. » Si cette omission n’est qu’une correction, rien ne saurait la motiver. Les commentateurs anciens ont eu les mots en question sous les yeux ; car ils examinent quelles seraient les conséquences de l’hypothèse contraire, c’est-à-dire ce qui arriverait si l’unité et l’être étaient un genre : εἰ μὲν γὰρ ἦν γένος ἢ τὸ ὂν ἢ τὸ ἕν, Alex. Schol., p. 777 ; Sepulv., p. 229. Enfin St. Thomas explique nettement le passage : Statim enim unumquodque eorum est aliquid ens et aliquid unum, non ita quod ens et unum sint genera quædam, aut singillatim existentia prœter singularia, quæ Platonici dicebant. » D. Thom. Aq., t. IV, fol. 114, b.

NOTES.


LIVRE NEUVIÈME.




Page 91. Il en est qui prétendent, les philosophes de Mégare par exemple, qu’il n’y a puissance que lorsqu’il y a acte…

Dans quelques manuscrits d’Alexandre d’Aphrodisée, l’expression d’Aristote οἱ Μεγαρικοοί est paraphrasée οἱ περὶ Ζήνωνα. Voyez Schol., p. 778. Sepulveda traduit donc comme il a lu : Megaricos appellat Zenonem ejusque sequaces, p. 233. Mais les manuscrits de Brandis donnent généralement τοὺς περὶ Εὐκλείδην, et en marge d’un ms. qui porte la fausse indication, on lit cette correction étrange, qui peut nous faire juger de l’état de la science historique au moyen-âge : Ἐλεατῶν ὁ Ζήνων, ᾦ φιλόσοφος, Ἐλεαταῖ δὲ οὐκ Μέγαροις, ἀλλ’ ἐν τῇ Ῥώμῃ. Schol., p. 776. Du reste nous devons dire que la même erreur se retrouvait dans le manuscrit de Philopon, lequel, comme on sait, n’est le plus souvent que l’abréviateur d’Alexandre ; et Patrizzi l’a religieusement respectée, fol. 36, b : Megaricos forte dicit Zenonem. Iste enim in Megaris scholam habuit.

Page 99. La puissance et l’acte, pour l’infini, le vide, et tous les êtres de ce genre, s’entendent d’une autre manière que pour la plupart des autres êtres, tels que ce qui voit, ce qui marche, ce qui est vu. BEKKER, p. 1048 ; BRANDIS, p. 182 : ἄλλως δὲ καὶ τὸ ἄπειρον καὶ τὸ κενὸν, καὶ ὅσα τοιαῦτα, λέγεται δυνάμει καὶ ἐνεργείᾳ πολλοῖς τῶν ὄντων, οἷον τῷ ὁρῶντι, καὶ βαδίζοντι καὶ ὁρωμένῳ.

Argyropule, ou Sepulveda, comme Du Val désigne ici le traducteur, reproduit ainsi ce passage : « Atqui alio modo et infinitum ipsum, et vacuum, et quæ sunt istius modi, potentia atque actu dicuntur, et alio modo complura eorum quæ sunt, ut videns, et ambulans, et quod videtur. » Bessanon donne à son tour : « Aliter autem infinitum, et vacuum, et quæcumque hujuscemodi, quam pleraque entium potentia et actu dicuntur, ut quam videns, ambulans et visum. » Du Val conclut de la comparaison de ces deux versions, que le passage est altéré : locus non est sanus, remarque-t-il à propos de cette phrase. Mais tous les manuscrits, tous les textes imprimés donnent la phrase telle que nous la reproduisons, et cette phrase est parfaitement claire ; et, bien mieux, la version d’Argyropule est identique au fond à celle que lui oppose Du Val : toute la différence, c’est que Bessarion suit le texte mot à mot, et qu’Argyropule fait sentir au lecteur que τοῖς πολλοῖς dépend de ἄλλως, en répétant son premier alio modo ; on ne voit donc pas ce qui a pu motiver la remarque de Du Val.

Page 100. Comme toutes les actions qui ont un terme ne sont pas elles-mêmes un but, mais tendent à un but, etc.

Nous avons remarqué déjà que les anciens éditeurs semblaient suspecter l’authenticité de cette fin de chapitre. On ne la trouve point reproduite dans la vieille traduction du XIIIe siècle ; Argyropule ne la fait pas supposer davantage ; et dans la traduction d’Alexandre d’Aphrodisée par Sepulveda on ne voit pas trace de la paraphrase que le commentateur aurait dû en donner. Mais, comme le fait observer Du Val dans sa Synopsis analytica, partie II. p. 102,103, cette fin de chapitre est la suite et la conclusion naturelle de toute la discussion précédente. Après avoir parlé de l’acte en général, Aristote parle des actions, πράξεις, il établit une distinction dont il se servira par la suite, et qui est d’une grande importance, à savoir la distinction des actions ou actes imparfaits, et des actes parfaits ; en un mot il prépare, il fait pressentir la fameuse théorie du mouvement. Du reste, le scrupule des anciens éditeurs et la lacune des anciens traducteurs peuvent s’expliquer aujourd’hui. Alexandre d’Aphrodisée a commenté le passage en question. Mais, des manuscrits de la Métaphysique qu’il avait sous les yeux, les uns le contenaient, les autres ne le contenaient pas. C’est lui-même qui nous apprend cette particularité : τοῦτο τὸ κεφαλαῖον ἐν πολλοῖς λείπει, Schol. in Arist., p. 781 ; Brandis, Metaph., p. 182, en note. Toutefois il ne cherche pas quelle est la raison d’une telle omission. Philopon, qui a aussi commenté le passage, fait la même observation qu’Alexandre : Hœc littera in multis deest, Patrizzi, fol. 37, b ; mais sans plus de détail. De ces manuscrits, déjà différents dans l’antiquité, sont sortis deux familles de manuscrits, les uns qui ont été suivis par le vieux traducteur et par Argyropule, les autres, par Bessarion et par les éditeurs. Sepulveda, ne trouvant point dans Argyropule ni dans ses mss., le passage d’Aristote auquel correspondait la paraphrase, l’aura omise comme une superfluité.

Page 107. Et en effet, s’il n’en était pas ainsi, on pourrait comparer leurs élèves à l’Hermès de Pason ; on ne reconnaîtrait point s’ils ont ou non la science, pas plus qu’on ne pouvait reconnaître si l’Hermès était en dedans ou en dehors de la pierre.

Au lieu de Pason, quelques manuscrits et la plupart des éditeurs donnent Passon, nom tout aussi peu connu que le premier. Brandis dans son édition de la Métaphysique donne Pauson. Aristote cite au chapitre deuxième de la Poétique un certain Pauson ; mais Pauson, selon lui, était un peintre, et il s’agit ici d’un statuaire. Il n’y a pas incompatibilité, sans doute, entre les deux qualités ; toutefois ce n’est que par une hypothèse gratuite qu’on les attribuerait ici au même individu. Brandis, dans les Scolies, p. 783, conserve le nom de Pason, qu’avait donné Sepulveda dans la traduction d’Alexandre. Voici l’histoire, fausse ou vraie, que raconte Alexandre à propos de l’Hermès de Pason : « Le statuaire Pason avait fait un Hermès de pierre de telle façon, qu’on voyait bien un Hermès, mais qu’on ne pouvait dire si cet Hermès était dans la pierre ou s’il était dehors. On ne pouvait dire qu’il fût dehors, puisqu’il eût fallu pour cela que la pierre fût sculptée, et qu’elle présentât des inégalités ; or, le bloc était parfaitement uni, uni comme un miroir. L’Hermès n’était donc pas en dehors. On eût pu dire qu’il était en dedans, si la pierre avait présenté des joints, des sutures : alors c’eût été un Hermès sculpté dans une pierre, puis recouvert, enfermé d’autres pierres fort minces ; l’Hermès fût resté visible par suite de la transparence des pierres minces qui l’auraient couvert, comme ces figures de cire qui restent visibles sous le verre ou tout autre corps transparent dont on les recouvre. On eût pu tirer ces conclusions, s’il en avait été ainsi. Mais la pierre n’était qu’un bloc unique et continu ; il n’y avait aucune pièce de rapport, etc. » Alex., Schol., p. 783 ; Sepulv., p. 240, 241.

Nous n’en savons pas davantage sur cette étrange particularité, ni sur Pason. Et il ne faut pas demander aux commentateurs du moyen-âge de nous éclairer sur ce point. Ils ont cru qu’il s’agissait d’une comparaison entre un certain Passienès ou Paxonas, et Mercure. « … Sequeretur inconveniens, dit Albert le Grand, quod Passienes qui fuit homo iners, et nihil sciens laudabilium, esset adeo perfectus sicut Mercurius, qui tantœ speculationis fuit, quod Deus putabatur esse scientiœ. » Beat. Alb. magn. ord. prœd., t. III, p. 322. St. Thomas, qui lisait avec le vieux traducteur Paxonas Mercurius, fait une remarque analogue : « non videretur differentia inter aliquem sapientem, sicut fuit Mercurius, et aliquem insipientem, sicut fuit Paxonas. « In Metaph., fol.121, b. On ne voit pas où les docteurs scolastiques ont puisé l’idée de cette comparaison bizarre.

Page 111. Mais il est impossible que les contraires existent simultanément, impossible qu’il y ait simultanéité dans les actes divers…

Ce dernier membre de phrase τὰς ἐνεργίας δὲ ἅμα ἀδύνατον ὑπάρχειν, Brandis, p. 189, Bekker, p. 1051, n’a pas été traduit par les traducteurs latins ; et les anciens éditeurs l’ont mis entre crochets, comme étant d’une authenticité douteuse. Brandis et Bekker ont banni avec raison ce scrupule exagéré. Ils ont admis sans restriction dans leur texte une portion de phrase qui ne manque que dans les deux mss., F et T, et qui, loin d’être une répétition oiseuse de ce qui précède, sert à préciser le sens de ces mots vagues : Il est impossible que les contraires existent simultanément, τὰ δ’ ἐναντία ἅμα ἀδύνατον.

Page 112. Pourquoi la somme des trois angles d’un triangle est-elle égale à deux angles droits ? Parce que la somme des angles formés autour d’un même point, sur une même ligne, est égale à deux angles droits. Si l’on formait l’angle extérieur, en prolongeant l’un des côtés du triangle, la démonstration serait immédiatement évidente. BEKKER, p. 1051 ; BRANDIS, p. 1 89 : διὰ τί δύο ὀρθαὶ τὸ τρίγωνον ; ὅτι αἱ περὶ μίαν στιγμὴν γωνίαι ἴσαι δύο ὀρθαῖς· εἰ οὖν ἀνῆκτο ἡ παρὰ τὴν πλευράν, ἰδόντι ἂν ἦν εὐθὺς δῆλον.

Nous n’avons pas besoin de justifier les additions que nous avons faites à la lettre d’Aristote. Traduire littéralement, c’eût été nous rendre inintelligibles. Un triangle de deux droits ne signifie rien en français, non plus qu’un angle allongé le long du côté ; et il n’est pas vrai que les angles formés autour d’un point ne valent que deux angles droits. Il a donc fallu suppléer toutes les ellipses.

Argyropule, et Sepulveda, pag. 244, se sont trompés, à ce qu’il nous semble, sur le sens de ἡ παρὰ τὴν πλευράν : ils ont cru qu’il s’agissait d’une ligne, de la parallèle qu’on mène du sommet de l’angle extérieur pour faire la démonstration de l’égalité de la somme des trois angles avec deux angles droits ; ils traduisent ἡ παρὰ τὴν πλ. par les mots œquidistans a latere. Mais ἡ. π. τ. π.. indique évidemment un angle, l’angle extérieur ; et l’idée de ligne ne se trouve que dans le mot ἀνῆκτο, parce que pour former un angle, lorsqu’on n’a qu’une ligne sur un plan, il faut nécessairement tirer une autre ligne.

Page 112. C’est parce qu’il y a égalité entre ces trois lignes, savoir : les deux moitiés de la base, et à droite menée du centre du cercle au sommet de l’angle opposé à la base.

Les trois lignes en question sont égales comme rayons d’un même cercle. On a alors deux triangles isocèles ; la somme totale des angles à la base de ces deux triangles vaut deux angles droits, et est précisément le double de l’angle au sommet du triangle total. Du reste, la phrase d’Aristote est ici encore plus elliptique, s’il est possible, que tout à l’heure ; c’est une véritable énigme, comme dit Alexandre ; αἰνιγμτωδῶς τὸ παράδειγμα ἐπῆκει. Schol., pag. 785., Sepulv. p. 244.. Voici ses paroles : διότι ἐὰν ἴσαι τραῖς, ἥ τε βάσις δύο, καὶ ἡ ἐκ μέσου ἐπισταθεῖσα ὀρθὴ, ἰδόντι δῆλον τῷ ἐκεῖνο εἰδότι.

NOTES.


LIVRE DIXIÈME.




Page 122. Ainsi, le demi-ton est deux choses : il y a le demi-ton qui n’est pas perçu par l’ouïe, mais qui est la notion même du demi-ton ; il y a plusieurs lettres pour mesurer les syllabes ; enfin la diagonale a deux mesures, et, comme elle, le côté et toutes les grandeurs. BEKKER, p. 1053 : οἷον αἱ διέσεις δύο, αἱ μὴ κατὰ τὴν ἀκοὴν ἀλλ’ ἐν τοῖς λόγοις, καὶ αἱ φωναὶ πλείους αἷς μετροῦμεν, καὶ ἡ διάμετρος δυσὶ μετρεῖται καὶ ἡ πλευρά, καὶ τὰ μεγέθη πάντα.

Brandis p. 194, 195, donne μεγέθη τινὰ ὄντα au lieu de κ. τ. μ. π. ; cette leçon n’est appuyée que par un seul manuscrit, suivant Bekker ; elle est d’ailleurs la suppression d’un terme qui semble nécessaire pour compléter l’idée : ce n’est point assez d’avoir dit, la diagonale et le côté ; toutes les grandeurs, lignes, plans, solides, sont dans le même cas ; toutes ont et une mesure sensible et une mesure intelligible. Il y a même deux sciences des grandeurs ; il y a ce qu’Aristote appelle la Géodésie, qui mesure avec le pied ou la toise, et la Géométrie, qui mesure avec une unité tout intelligible.

Saint Thomas s’est trompé sur le sens de tout ce passage. Il pense que par ces deux demi-tons, Aristote entend les deux demi-tons inégaux, dans lesquels le ton entier se divise, mais dont nous ne percevons pas la différence, l’inégalité, sinon rationnellement. Et pour la double mesure des quantités, il fait observer seulement qu’on ne peut connaître une quantité inconnue qu’au moyen de deux quantités connues. Vοy. fol. 126, b. Mais Alexandre d’Aphrodisée, Schol. p. 787, et Philopon, fol. 40, b, s’expriment autrement : αἱ μὴ κατὰ τὴν ἀκοήν ne signifie pas, selon eux, que ni l’un ni l’autre de ces demi-tons ne soit point perceptible pour l’ouïe, mais seulement qu’ils ne sont pas également perceptibles. Alexandre transcrit même ἀλλ’ οὐχὶ κ. τ. α. « Il y a deux sortes de mesure, dit-il ensuite, la notion de la mesure et la mesure elle-même, par exemple la notion de la coudée, notion qui réside dans notre âme, et la coudée de bois. De même le demi-ton est double ; il y a la notion et l’essence du demi-ton, et le demi-ton qui est perçu par les oreilles, etc. »


Page 139. À moins donc qu’il ne s’agisse d’un continu indéterminé, le peu sera une pluralité…

Nous avons suivi la leçon vulgaire ἐν συνεχεῖ ἀορίστῳ, rejetée par Brandis, p. 204 ; et Bekker, pag. 1056. Les nouveaux éditeurs lisent εὐορίστῳ au lieu de ἀορίστῳ. La correction est appuyée de l’autorité des traducteurs latins, qui semblent tous avoir eu le mot εὐορίστῳ sous les yeux. Alexandre d’Aphrodisée, Schol. p. 791, Sepulv. p. 260, donne et explique les mots ἐν συνεχεῖ ἀορίστῳ ; Philopon de même : nisi quid differat in continue indeterminato. fol. 43, a. Aristote nous apprend, dans le de Generatione II, 2, Bekker, p. 229-30, ce qu’il entend par un continu indéterminé. C’est l’eau, c’est l’air, c’est toute sorte de liquide ou de fluide, tout ce qui n’a pas par soi-même de figure, tout ce qui n’a d’autre forme que celle du contenant. Ἀορίστῳ, du reste, entraîne l’idée d’εὐορίστῳ, comme le font entendre Alexandre et Philopon : Interminabilia enim proprio termina, bene vero terminabilia, aliena, dit ce dernier, transcrivant les propres paroles d’Alexandre. Par la même raison, εὐορίστῳ supposerait l’idée d’ἀορίστῳ. Il n’y a de susceptible de détermination que ce qui est indéterminé.

Page 143. La contradiction est, en effet, l’opposition de deux propositions entre lesquelles il n’y a pas de milieu : l’un des deux termes est donc nécessairement dans l’objet. BEKKER, p. 1057 ; BRANDIS, p. 206 : τοῦτο γάρ ἐστιν ἀντίφασις, ἀντίθεσις ἧς ὁτῳοῦν θάτερον μόριον πάρεστιν, οὐκ ἐχούσης οὐθὲν μεταξύ.

Les anciens éditeurs intercalent entre πάρεστιν et οὐκ ἐχ. ces mots : ἐχούσης οὐδὲν μεταξὺ ἧς ὁνῳοῦν θάτερον μόριον ὃν τὸ ναὶ ἢ τὸ οὐ πάρεστιν. Bekker n’a pas trouvé ce membre de phrase dans ses mss. ; et avant Brandis et Bekker tous les traducteurs l’avaient omis, comme ils ont fait eux-mêmes. Il ne faut voir, dans cette prétendue leçon, qu’une glose de la phrase principale. En effet, il n’y a point d’intermédiaire entre oui et non ; et c’est là ce qui fait que l’opposition par contradiction n’admet pas de milieu.


NOTES.


LIVRE ONZIÈME.





Page 178. Mais s’il existe une autre nature, une substance indépendante et immobile, il faut bien que la science de cette nature soit une autre science, une science antérieure à la physique, une science universelle par son antériorité même. BEKKER, pag. 1064 ; BRANDIS, p. 226, 27 : εἰ δ’ ἔστιν ἑτέρα φύσις καὶ οὐσία χωριστὴ καὶ ἀκίνητος, ἑτέραν ἀνάγκη καὶ τὴν ἐπιστήμην αὐτῆς εἶναι καὶ προτέραν τῆς φυσικῆς καὶ καθόλου τῷ προτέραν.

Les anciens éditeurs et un des manuscrits de Bekker retranchent, devant προτέραν, l’article τῷ, ce qui change beaucoup le sens. C’est supprimer la raison même pour laquelle, selon Aristote, la Théologie est une science universelle, et faire entendre, comme le remarquent Alexandre d’Aphrodisée, Schol., pag. 797, Sepulv. p. 277, et Philopon, fol. 48, a, qu’elle peut être universelle à titre de genre commun. C’est pour empêcher qu’on ne tombe dans cette erreur, c’est pour éclaircir son idée, dit Alexandre, qu’Aristote a ajouté τῷ προτέραν : σαφηνίζων ἐπήγαγε. « τῷ προτέραν. » La Théologie est une science universelle, parce que son objet, c’est le premier être : supprimez l’être premier, il n’y a plus rien dans le monde. Argyropule, et avant lui le vieux traducteur, l’ont entendu comme nous avons fait nous-mêmes. Vieux trad. : et univer- salem eo quod priorem ; Argyr. : atque universalem, hoc ipso quod antecedit.

Page 180. Et si, d’un temps limité, de ce temps qui sépare demain de l’instant actuel, on retranche sans cesse du temps, comme nous venons de faire, on finira par arriver à ce qui est présentement. BEKKER, p. 1065 : καὶ τοῦτον δὴ τὸν τρόπον ἀπὸ πεπερασμένου χρόνου τοῦ ἀπὸ τοῦ νῦν μέχρι αὔριον ἀφαιρουμένου χρόνου ἥξει ποτὲ εἰς τὸ ὑπάρχον.

La leçon de Bekker est celle des anciens éditeurs, et il ne note dans ses mss. aucune variante à cet endroit. Toutefois Brandis a fait subir une mutilation à la phrase. Il supprime ἀπὸ τοῦ νῦν μέχρι αὔριον, soit que l’exemple ne lui ait pas paru assez général, soit pour tout autre motif. Nous sommes loin de trouver plausible la correction de Brandis. Outre l’autorité des manuscrits, et celle des traducteurs latins, lesquels ont tous reproduit les expressions dont il s’agit, n’est-il pas évident que τοῦτον τὸν τρόπον appelle ἀπὸ τ. ν. μ. α. ? De quelle manière, en effet, a-t-on procédé, et sur quel exemple ? Le voici : « Il y aura demain une éclipse, si telle chose a lieu, et cette chose aura lieu à condition qu’une autre aura lieu elle-même, laquelle deviendra à une autre condition encore. » Tous les autres exemples reviennent en définitive à celui-là, comme on peut le voir au livre VI, t. I, p. 218 ; et la généralité du principe ne souffre nullement de l’intercalation des mots condamnés par Brandis.

Page 191. Mais ni l’infini tout entier n’est susceptible d’un tel mouvement, ni la moitié de l’infini, ni une partie quelconque de l’infini. BEKKER, p. 1067 ; BRANDIS, p. 234 : ἀδύνατον δὲ τὸ ἄπειρον ἢ πᾶν ἢ τὸ ἥμισυ ὁποτερονοῦν πεπονθέναι.

Argyropule traduit : at fieri nequit, ut aut totum infinitum grave sit, aut leve, aut dimidium grave. Cette phrase suppose un texte assez différent de celui que nous avons sous les yeux. Mais tous les manuscrits et toutes les éditions donnent unanimement le même texte, à une conjonction près. Bessarion de son côté traduit : Verum impossibile infinitum, aut totum, aut medium, aut quodcumque passum esse ; ce qui nous semble parfaitement inintelligible, vu le vague où Bessarion laisse le mot πεπονθέναι, qui est le point capital de la phrase. Le vieux traducteur, qui lisait ἢ τὸ ἥμισυ, ὁπ. πεπ., fait dépendre ὁποτ. de πεπονθέναι : quodcumque istorum passum esse ; et par istorum, il faut entendre les mouvements dont il a été question dans la phrase précédente. Pour nous, nous pensons qu’il est inutile de conserver ἢ devant ἀποπτερονοῦν ; et ce qui explique πεπ., c’est, dans notre version comme dans celle du vieux traducteur, la phrase qui précède.

Page 193. Le changement est, dans les êtres qui changent, le passage, ou bien d’un sujet à un sujet, ou bien de ce qui n’est pas sujet à ce qui n’est pas sujet, ou bien d’un sujet à ce qui n’est pas sujet, ou bien de ce qui n’est pas sujet à un sujet. BEKKER, p. 1067 ; BRANDIS, p. 235 : μεταβάλλει δὲ τὸ μεταβάλλον ἢ ἐξ ὑποκειμένου εἰς ὑποκείμενον, ἢ οὐκ ἐξ ὑποκειμένου εἰς οὐχ ὑποκείμενον, ἢ ἐξ ὑποκειμένου εἰς οὐχ ὑποκείμενον, ἢ οὐκ ἐξ ὑποκειμένου εἰς ὑποκείμενον

Les anciens éditeurs ne donnent pas le deuxième cas, celui de la double négation du sujet. Ils lisent du reste : Μετ. τ. μετ. ἢ ἐξ ὑπ. εἴς ὑπ., ἢ ἐκ μὴ ὑπ. εἰς ὑπ., ἢ ἐξ ὑπ. εἰς μὴ ὑπ. Argyropule supprime aussi une des trois suppositions, mais c’est la troisième, le passage du sujet à ce qui n’est pas un sujet. D’une manière ou de l’autre, c’est mutiler la phrase, comme le montre assez le développement qui suit, et qui suppose les quatre cas en question. Le vieux traducteur et Bessarion, qui avaient sans doute de meilleurs mss. qu’Argyropule, donnent la version de la phrase complète, telle que nous la retrouvons dans Brandis et Bekker.

Page 195. Quelquefois c’est une expression affirmative qui désigne la privation, comme dans ces exemples : nu, édenté, noir. BEKKER, p. 1068 ; BRANDIS, p. 236 : καὶ δηλοῦται καταφάσει, οἷον τὸ γυμνὸν καὶ νωδὸν καὶ τὸ μέλαν.

Un manuscrit de Bekker, le ms. A, donne λευκόν au lieu de νωδόν, et c’est la leçon qu’a suivie Argyropule dans sa traduction : atque nudum et album ac nigrum affirmatione significantur. On ne peut expliquer la présence de ce mot que par la relation des termes blanc et noir ; celui-ci aura pu à la rigueur attirer celui-là, bien qu’il ne réponde pas au dessein d’Aristote. Nous avons préféré toutefois la leçon de tous les éditeurs et du vieux traducteur, qui a lu évidemment νωδόν, la leçon suivie par Bessarion, lequel traduit comme s’il y avait τυφλόν : velut nudum et cœcum et nigrum ; le mot τυφλόν est dans le même cas que νωδόν, c’est la privation exprimée sans négation.

Page 197. Or, cela même qui devenait, absolument parlant, devenait aussi dans une certaine circonstance, devenait quelque chose ; pourquoi donc n’existait-il point encore ?

C’est la leçon des anciens éditeurs que nous avons suivie dans ce passage, ou plutôt le texte indiqué par Bessarion. Les premiers ont lu : εἰ δὴ καὶ τοῦτο ἐγίγνετό ποτε, διὰ τί οὐκ ἦν πω τότε γιγνόμενον ; Aristote vient de dire précédemment que, pour qu’un être soit réellement, il faut ou qu’il devienne ou que déjà il soit devenu quelque chose, qu’il prenne ou qu’il ait pris une forme déterminée. Il suit de là que la supposition faite précédemment, à savoir d’une γένεσις γενέσεως, d’un devenir de devenir, contient une contradiction : à raison de la première γένεσις, l’être n’existe pas, puisque ce qui devient c’est non pas quelque chose de déterminé, mais une γένεσις ; et à raison de la deuxième γένεσις ; il existe, puisqu’il devient quelque chose. Pourquoi donc, ajoute naturellement Aristote, s’il existait déjà n’existait-il point encore ? Quant à la leçon de Brandis et de Bekker, nous n’avons pas pu parvenir à en saisir nettement le sens : ils lisent : εἰ δὴ καὶ τοῦτ’, ἐγίγνετό ποτε, ὥστε οὐκ ἦν πω τότε γιγνόμενον. Argyropule a suivi encore une autre leçon, ou plutôt il aura traduit fort librement ce passage obscur : Quare nullum erat fiens simpliciter, sed aliquid fiens, atque jam fiens, et hoc aliquando fiebat, quare nuridum erat tunc fiens.

Page 198. L’enseignement ne saurait avoir pour but l’enseignement : il n’y a donc pas de production de production.

Οὐ γὰρ ἔσται μάθησις ἡ τῆς μαθήσεως γένεσις : mot à mot, la production de l’enseignement n’est pas un enseignement. L’enseignement, en effet, a pour but la connaissance de la chose enseignée et non point l’enseignement. Les anciens éditeurs donnent simplement οὐ γὰρ ἔσται μάθησις μαθήσεως, ce qui s’entend également bien, et dans le même sens. C’est la leçon suivie par le vieux traducteur et par Bessarion ; Argyropule a suivi l’autre leçon : Non enim generatio perceptionis erit perceptio ; quare neque generationis erit generatio.

NOTES.


LIVRE DOUZIÈME.




Page 203. Il y a trois essences, deux sensibles dont l’une est éternelle et l’autre périssable ; il n’y a pas de contestation sur cette dernière : ce sont les plantes, les animaux ; quant à l’essence sensible éternelle, il faut s’assurer si elle n’a qu’un élément, ou si elle en a plusieurs. BEKKER, p. 1069 ; BRANDIS, p. 240 : Οὐσίαι δὲ τρεῖς, μία μὲν αἰσθητή, ἧς ἡ μὲν ἀίδιος ἡ δὲ φθαρτή, ἣν πάντες ὁμολογοῦσιν, οἷον τὰ φυτὰ καὶ τὰ ζῷα. Ἡ δ’ ἀίδιος ἧς ἀνάγκη τὰ στοιχεῖα λαβεῖν, εἴτε ἓν εἴτε πολλά.

Alexandre d’Aphrodisée semble avoir eu sous les yeux un texte un peu différent, car il fait observer que ces mots ἧς ἀν. τ. σ. λαβ. se rapportent dans cette phrase et à l’essence sensible éternelle, et à l’essence sensible périssable. Schol. p. 798-99, Sepulv., p. 283. Cela vient probablement de ce que les mots ἡ δ’ ἀίδιος, qui déterminent le rapport de ἧς ἀν. τ. σ. λ. manquaient dans ses manuscrits. Sepulveda a été obligé de les supprimer, pour faire concorder le texte avec la paraphrase. Du reste, nous préférons la leçon vulgaire à celle qu’autoriserait le passage d’Alexandre, parce que, comme le remarque Thémistius, les principes et les éléments des êtres sensibles ont été examinés dans les livres précédents, in prœcedentibus sermonibus sumuntur, Paraph. fol 2, Schol. pag. 799 ; tandis que le mot ἀνάγκη semble indiquer ce qu’on doit faire plus tard, et qu’Aristote consacre réellement un chapitre tout entier du livre XII, le 8e, à l’examen de la question relative aux êtres sensibles éternels.

Page 205. C’est là l’unité d’Anaxagore, car ce terme exprime mieux sa pensée que les mots : Tout était ensemble.

Au lieu de : βέλτιον γὰρ ἢ ὁμοῦ πάντα, les anciens éditeurs lisent : β. γ. ἦν ὁμοῦ π., ce qui est en contradiction avec l’intention même d’Aristote : pourquoi, en effet, se serait-il servi de l’expression τὸ ἕν, si la formule habituelle d’Anaxagore eût ete préférable ? tandis que le rapprochement des doctrines d’Anaxagore avec celles d’Empédocle au principe duquel Aristote donne formellement ailleurs le nom d’unité, liv. III, t. 1. pag. 89, 90, motive suffisamment le changement opère dans les termes. Du reste, tous les traducteurs latins ont entendu comme nous faisons ce passage. Bessarion va même jusqu’à mettre le μίγμα d’Empedocle et d’Anaximandre dans le même cas que l’ὁμοῦ πάντα d’Anaxagore, et suppose qu’Aristote le transforme aussi en τὸ ἕν : Melius namque quam cuncta simul et quam mistura Emped. et Anax. ; mais la construction de la phrase s’oppose à une pareille interprétation, et le βέλτιον ne tombe grammaticalement que sur ὁμοῦ πάντα. Le texte véritable est donc βέλτιον ἤ, ou plutôt βέλτιον ἦν ἤ, et la variante s’explique par la disparition dans les mss. de l’un de ces deux mots qui ne diffèrent que par l’accent.

Pages 205, 206. C’est là ce que dit Démocrite : Tout était à la fois en puissance, mais non pas en acte. Ἦμῖν πάντα δυνάμει, ἐνεργείᾳ δ’ οὔ.

Démocrite fut, comme on sait, le premier philosophe qui donna en prose l’exposition suivie d’un système. Ces paroles ont bien l’air d’être un extrait textuel du livre de Démo- crite ; ἡμῖν surtout est frappant, et le mot ἦν, au lieu de l’infinitif usité en pareil cas, lorsqu’on rapporte seulement les opinions et non pas les paroles, ne laisse guère de doute à cet égard. « D’après la forme de cette phrase, dit M. Cousin, De la Met. p. 182, en note, il semblerait que Démocrite est le premier auteur de la formule de la distinction du τό δυνάμει et du τὸ ἐνεργείᾳ, et Aristote aurait dû le dire plus expressément. » M. Cousin pense qu’Aristote a bien pu, comme il l’a fait plus haut pour Anaxagore, transformer les expressions originelles de Démocrite, quelles qu’aient été ces expressions ; mais cette opinion, qui justifierait Aristote d’une sorte d’ingratitude, peut-elle prévaloir contre l’évidence grammaticale ?

Pages 209, 210. Les causes et les principes sont différents pour les différents êtres sous un point de vue, et sous un autre point de vue ne le sont pas. Si on les considère…

Brandis, pag. 242, confond, pour ainsi dire, ces deux phrases en une seule, au moyen de la suppression d’un des cas indiqués dans la première et d’une interversion dans les termes. Il lit avec l’un des mss. : Ἔστι δὲ τὰ αἴτια καὶ αἱ ἀρχαὶ ἄλλα ἄλλων, ἔστι δ’ ὡς καθόλου λέγῃ τις… Du reste, le sens général reste au fond le même qu’avec le texte que nous avons préféré. Nous lisons avec les anciens éditeurs : τὰ δὲ αἴτ. κ. α. ἀ. ἄ. ἄ. ἔστιν δ’ ὡς οὓ, ἂν καθόλου λέγῃ τις… leçon que Bekker a maintenue dans son édition, sauf le mot οὔ qui lui a paru redondant ; et en effet, le sens reste complet même sans οὔ : Τ. δ. α. κ. α. ἀ. ἄ. ἄ. ἔ. ὡ., ἔ. ὡς ἂν. κ. τ. λ. Bekk. pag. 1070.

Page 220. Il y a donc aussi quelque chose qui meut éternellement ; et comme il n’y a que trois sortes d’êtres, ce qui est mu, ce qui meut, et le moyen terme entre ce qui est mu et ce qui meut, c’est un être qui meut sans être mu, être éternel, essence pure et actualité pure.

Nous avons essayé de rétablir la suite des idées dans ce passage où le texte des anciens éditeurs est évidemment corrompu, et où la critique de Brandis et de Bekker ne nous semble pas être arrivée à des résultats fort satisfaisants. Les anciens éditeurs ont lu : Ἔστι τοίνυν τὶ,καὶ ὃ κινεῖ. Ἐπεὶ δὲ τὸ κινούμενον καὶ κινοῦν, μέσον [τοίνυν] ἔστι, τι ὃ οὐ κινούμενον κινεῖ, ἀίδιον καὶ οὐσία καὶ ἐνέργεια οὖσα. Brandis, p. 248 et Bekker, p. 1072 : Ἔστι τοίνυν τι καὶ ὃ κινεῖ· ἐπεὶ δὲ τὸ κινούμενον καὶ κινοῦν, καὶ μέσον, τοίνυν ἔστι τι ὁ οὐ κινούμενον κινεῖ, ἀίδιον καὶ οὐσία καὶ ἐνέργεια οὖσα. Avec l’un ou l’autre texte le sens est le même ; Aristote appellerait μέσον, l’être qui meut sans être mu, l’essence éternelle et immobile. Mais sont-ce bien là les caractères du μέσον péripatéticien ? Ne désigne-t-il pas plutôt par cette expression les astres mus par le moteur immobile, et moteurs des êtres inférieurs ? M. Cousin pense, de la Métaph., p. 196, 197, en note, qu’Aristote a en vue l’αὐτὸ ἑαυτὸ κινοῦν : mais il n’est question dans la Métaphysique d’un pareil principe, que pour faire remarquer que Platon n’en peut tirer aucun parti ; et ce n’est pas un principe péripatéticien. Aristote établit dans la Physique qu’il n’y a que trois termes dans l’ordre des choses du mouvement, l’être mu, l’être mouvant, et l’être mouvant et mu : Τρία γὰρ εἶναι ἀνάγκη, τό τε κινούμενον καὶ τὸ κινοῦν καὶ τὸ ᾧ κινεῖ· τὸ μὲν οὖν κινούμενον ἀνάγκη μὲν κινεῖσθαι κινεῖν δὲ οὐκ ἀνάγκη· τὸ δ’ ᾧ κινεῖ καὶ κινεῖν καὶ κινεῖσθαι. Phys. ausc. VIII, 5 ; Bekker, p. 256. Aussi bien approuvons-nous l’interprétation que M. J. Simon a donnée du passage de la Métaphysique : « Sunt igitur tria : quod movetur et non movet ; quod simul movet et movetur ; et motor immobilis. » De Deo Aristotelis, p. 13. Seulement il faut alors lire ainsi le passage : Ἔ. τ. τ. κ. ὃ κινεῖ· ἐπεὶ δὲ τὸ κινούμενον, καὶ κινοῦν, καὶ μέσον, τοίνυν ἔστι τι ὁ οὐ κιν. κτλ. Cette correction, fort légère d’ailleurs, puisqu’il ne s’agit que d’une virgule à déplacer, n’est point arbitraire. Elle est indi- quée par Alexandre et Philopon : ὑποστικτέον εἰς τὸ « καὶ μέσον », dit le premier, Schol pag. 804, Sepulv. p. 295 ; et Philopon, fol. 50 b : interpungendum : reproduisant le mot même d’Alexandre. Et c’est-là le texte qu’a eu sous les yeux le vieux traducteur : « Est igitur aliquid et quod movet ; quoniam autem quod movetur et movens et medium. Igitur est aliquid quod non motum movet sempiternum, etc. ». Ce que St.-Thomas développe dans le même sens que nous venons d’indiquer. Ainsi τοίνυν ἐστί τι, ou plutôt ἔστι τοίνυν τι, comme plus haut, n’est que l’explication de ces paroles : « Il y a donc aussi quelque chose qui meut ; » c’est la détermination de la nature même du moteur.

Page 226. Il est donc évident qu’autant il y a de planètes, autant il doit y avoir d’essences éternelles de leur nature, immobiles en soi, et sans étendue.

« Selon Aristote, dit M. Vacherot, les êtres de ce monde supérieur, les astres, sont les principes de toute vie, de toute action et de toute pensée, pour les êtres de la région inférieure, et tout est placé ici-bas sous leur direction. Dans le monde céleste, plus de matière ; et, comme la forme n’est que le principe final tombé dans la matière, plus de forme proprement dite. Les astres sont des actes purs (ἐνέργεια) ; Aristote les nomme encore ψυχαί, mais jamais εἶδη, ou μορφαί. Il les pose comme des substances simples, et les distingue nettement des substances complexes qu’on appelle sujets individuels, et qui sont propres à la sphère que nous habitons. Les astres étant immatériels sont, par conséquent, incorruptibles, éternels et sans étendue.

« Comment Aristote a-t-il été conduit à cette singulière opinion ? Ce qui frappe le plus l’observateur dans le monde physique, c’est la variabilité des phénomènes, et cette transformation incessante qu’on nomme la vie et la mort. Or, tout cela, on ne peut l’expliquer, si l’on n’admet une substance matérielle, sujet invariable des modifications qui varient sans cesse. Voilà pourquoi la matière joue un si grand rôle dans l’explication des phénomènes physiques. Ce qui frappe, au contraire, dans le monde céleste, c’est le caractère de régularité et d’immobilité des êtres qui l’habitent. Un seul changement est à remarquer, c’est le changement d’espace. Là, point de génération ni de corruption, point de changement de forme, de quantité, de qualité, etc. Aristote n’avait besoin du principe matériel que pour expliquer le changement local, c’est-à-dire le simple mouvement. Voici donc à quoi se réduit l’intervention de ce principe dans le monde céleste :

« Les substances qui l’habitent sont en elles-mêmes pures de toute matière. De plus, elles déterminent leurs divers mouvements par une force qui leur est propre (ψυχαί). Mais si elles étaient abandonnées à leur propre impulsion, leurs mouvements seraient sans règle et sans but. Or, il est de fait qu’une règle, qu’un but uniforme dirige tous leurs mouvements ; il faut donc que l’une et l’autre viennent d’ailleurs. Elles sont donc dépendantes, sinon dans leur nature, au moins dans leur action ; c’est seulement sous ce rapport qu’elles tombent sous la condition de la puissance et de la matière. Ainsi les astres, tout en étant doués d’un mouvement spontané, obéissent au mouvement universel imprimé par un moteur étranger et supérieur. » Théorie des premiers principes, p. 48, sqq.

M. Ravaisson, Essai, t.1, p. 103, 104, remarque aussi tout ce qu’il y a de bizarre dans la théorie en question. Mais il résout la difficulté d’une autre manière :

« Le dogme, dit-il, qui couronne la théologie d*Aristote, est l’unité du moteur immobile et éternel ; or, dans ce chapitre (le 8e), se trouve une théorie longuement déduite, selon laquelle à chaque sphère céleste correspondrait un moteur immobile et éternel. Comment concilier ces deux doctrines ? L’antiquité ne s’en est pas mise en peine : elle attribue à Aristote l’hypothèse d’une hiérarchie de dieux régulateurs des mouvements célestes, hypothèse toute dans le génie pythagoricien et platonicien, et qui répugne absolument à la philosophie péripatéticienne ; mais l’antiquité n’est pas le temps de le critique. Au contraire la contradiction manifeste du XIIe livre avec lui-même a frappé à tel point les savants modernes[1], qu’ils ont rejeté le livre tout entier comme apocryphe ; résolution un peu téméraire, pour un livre qui porte d’ailleurs tant de signes évidente d’authenticité, qui forme la clef de la Métaphysique, et qui n’a pu être conçu et écrit que par Aristote ou un plus grand qu’Aristote.

« La difficulté peut se résoudre en considérant le XIIe livre comme inachevé. Tout le passage où il est question de la pluralité des moteurs immobiles n’est, selon nous, qu’une hypothèse qu’Aristote propose un instant et qu’il entoure de tous les arguments dont elle paraît s’appuyer, afin d’y substituer immédiatement la vraie doctrine, la doctrine de l’unité. Seulement il s’est contenté d’exposer la première théorie, sans la faire précéder ou suivre d’un jugement en forme, qui servit à distinguer clairement ce qu’il rejetait de ce qu’il voulait établir ; c’est ce qu’il eût fait en mettant la dernière main à son ouvrage. »

On sait déjà que nous rejetons cette dernière hypothèse ; elle nous semble peu naturelle, et l’opinion des anciens, bien qu’on lui fasse ici son procès, est encore de beaucoup la plus plausible. Nous persistons dans l’interprétation que nous avons donnée plus haut de ta théorie du mouvement selon Aristote. Voyez Introduction, p. LXXXVIII et LXXXIX.

Page 229. Quant au nombre des sphères, ces deux mathématiciens sont d’accord pour Jupiter et pour Saturne ; mais Callippe pensait qu’il faut ajouter deux autres sphères au soleil et deux à la lune, si l’on veut pendre compte des phénomènes, et une à chacune des autres planètes. BEKKER, p. 1073 ; BRANDIS, p. 252… τὸ δὲ πλῆθος τῷ μὲν τοῦ Διὸς καὶ τῷ τοῦ Κρόνου τὸ αὐτὸ ἐκείνῳ ἀπεδίδου (Scil. ὁ Κάλλιππος), τῷ δ’ ἡλίου καὶ τῇ σελήνης δύο ᾤετο ἔτι προσθετέας εἶναι σφαίρας, τὰ φαινόμενα εἰ μέλλει τις ἀποδώσειν, τοῖς δὲ λοιποῖς τῶν πλανήτων ἑκάστῳ μίαν.

Devons-nous entendre par là, dit M. Cousin, dans sa note sur ce passage De la Métaph., pag. 207, sqq., que Callippe ajoutait deux sphères au soleil et à la lune, ou seulement deux sphères pour le soleil et la lune, c’est-à-dire une à chacun ? Alexandre d’Aphrodisée est pour ce dernier sentiment : « quod dicit Aristoteles (soli autem atque lunæ duas insuper sphæras addendas esse censebat) perinde est ac si diceret, utrique singulas : nam cum Eudoxus soli et lunœ sphaeras sex esse dixisset, Callippus vero octo, haud dubie illis singulas adjiciebat. » Simplicius[2] pense de même qu’Alexandre d’Aphrodisée : « Soli autem et lunæ putavit duas sphæras esse apponendas… ut sint quatuor. » Saint Thomas adopte cette opinion en la rapportant à Simplicius. Mais Philopon pense différemment : « Callippus autem soli duas alias adjiciebat, et lunæ duas alias, ut uterque quinque haberet. » Il semblerait que Philopon insiste à dessein sur cette phrase pour montrer qu’il se sépare de l’opinion d’Alexandre d’Aphrodisée. Cependant, outre l’autorité de Simplicius, cette opinion a pour elle plusieurs considérations importantes : 1° Alexandre d’Aphrodisée se livre à plusieurs conjectures sur l’erreur de chiffres qu’il signale dans le texte, et il cite des hypothèses déjà proposées sur ce sujet : n’aurait-il pas plutôt recouru à l’explication que Philopon adopta dans la suite et qui se présente si naturellement à l’esprit, s’il avait cru y trouver quelque probabilité ? 2° Alexandre d’Aphrodisée et Simplicius, mais le premier surtout, affirment que Callippe ne donnait que quatre sphères au soleil, et ils l’affirment de manière à faire penser que son système leur était connu par une autre voie. Il est vrai que du temps de Simplicius, l’ouvrage de Callippe était déjà perdu, puisque Simplicius attribue cette perte à l’ignorance où l’on était alors des motifs pour lesquels Callippe avait proposé cette addition ; mais peut-être, en se plaignant de l’obscurité qui régnait sur ce point-là, montre-t-il que le reste du système était mieux connu. Cependant d’autres motifs et plus directs nous ont décidé pour l’opinion de Philopon ; 1o Le texte lui-même. Il faut bien qu’il s’agisse de deux sphères pour le soleil et de deux sphères pour la lune ; car autrement que signifierait cette opposition entre le soleil et la lune et les autres planètes ; τοῖς δὲ λοιποῖς τῶν πλανητῶν ἑκάστῳ μίαν ? Cela veut dire évidemment que les autres planètes n’ont qu’une sphère, tandis que le soleil et la lune en ont chacun deux. 2o Aristote termine ce chapitre par une énumération des diverses sphères, et il pose d’abord huit sphères régulières d’une part et vingt-cinq de l’autre. Il est évident que les huit sphères appartiennent à deux astres, et les vingt-cinq autres à cinq astres. Mais quels sont ces deux astres qui n’ont que huit sphères ? C’est le soleil et la lune, suivant Alexandre d’Aphrodisée, Simplicius et saint Thomas  ; c’est Jupiter et Saturne suivant Philopon. Or, ce ne peut être le soleil et la lune ; car alors quelles seraient les cinq autres planètes ayant chacune cinq sphères ? Suivant Eudoxe, Jupiter, Saturne, Mars, Mercure et Vénus ont chacun quatre sphères ; Callipe s’accorde avec Eudoxe, comme le dit expressément le texte, pour Jupiter et pour Saturne ; c’est-à-dire qu’il leur laisse à chacun quatre sphères seulement ; et il ajoute une sphère à Mars, à Mercure et à Vénus, ce qui fait cinq sphères à chacun, en tout quinze sphères ; il reste le soleil et la lune pour compléter le nombre vingt-cinq que donne le texte. Il faut donc qu’ils aient chacun cinq sphères comme le veut Philopon, et non pas quatre comme le veulent Alexandre et Simplicius ; car quinze sphères d’une part et huit de l’autre ne donnent que vingt-trois, tandis que les résultats du calcul de Philopon s’accordent avec ceux d’Aristote. 3o Aristote confirme encore l’opinion de Philopon d’une autre manière, lorsqu’il vient à énumérer les sphères mues en sens inverse. En effet, nous savons que ces sphères sont égales en nombre aux sphères régulières, moins une ; et nous savons aussi que la lune n’a que des sphères régulières. Or, Aristote pose d’abord six sphères à mouvement inverse pour les deux premiers astres ; cela suppose huit sphères régulières, c’est-à-dire quatre à chacun. Les deux premiers astres (et tous les commentateurs s’accordent sur ce point) sont Jupiter et Saturne. Restent donc, puisque la lune ne compte pas, quatre planètes, à savoir, le soleil, Mars, Mercure et Vénus. Mars, Mercure et Vénus ont chacune cinq sphères régulières de l’aveu de tout le monde, c’est-à-dire quatre sphères à mouvement inverse ; pour les trois, douze. Pour compléter le nombre seize donné par le texte, il faut de toute nécessité que la quatrième planète, qui est le soleil, ait aussi quatre sphères à mouvement inverse, c’est-à-dire, cinq sphères régulières, comme le veut Philopon. 4° Enfin, après avoir énuméré toutes les sphères, Aristote en fait monter le nombre à cinquante-cinq, et il ajoute : Si de ce nombre on retranche les sphères que nous avons ajoutées au soleil et à la lune, il reste quarante sept. Alexandre d’Aphrodisée, en faisant la soustraction, ne trouve que quarante-neuf, et il en conclut qu’il y a une erreur ; seulement il ne sait s’il doit l’attribuer à Aristote ou à des copistes. Si l’on adopte le sens de Philopon, il faudra l’attribuer à Alexandre lui-même, qui, en n’ajoutant d’abord qu’une sphère au soleil et une à la lune, tandis que, suivant Philopon, il en fallait ajouter deux à chacun, se trouve nécessairement en arrière de deux unités. Le calcul de Philopon au contraire est, ici encore, très conforme à celui du texte ; car Aristote a ajouté, d’une part, au soleil et à la lune quatre sphères régulières, de l’autre, au soleil seulement quatre sphères à mouvement inverse, en tout huit sphères. Si de cinquante-cinq sphères on en retranche huit, il reste quarante-sept.

NOTES.


LIVRE TREIZIÈME.




Page 251. L’animal en tant que femelle et en tant que mâle est une modification propre du genre ; toutefois il n’y a rien qui soit ni femelle ni mâle indépendamment des animaux.

Brandis, p. 264, donne seulement : ἐπεὶ καὶ ᾗ θῆλυ τὸ ζῷον καὶ ᾗ ἄρρεν κεχωρισμένον τῶν ζῴων. Quelque chose manque évidemment à cette phrase, et comme Brandis n’indique pas qu’il ait fait à cet endroit une correction, il y a là une erreur typographique assez considérable. Il faut lire avec les anciens éditeurs, et avec Bekker, p. 1078 : ἐπ. κ. ᾗ θ. τ. ζ. κ. ᾗ ἄρρεν, ἴδια πάθη ἔστιν, καίτοι οὐκ ἔστι τι θῆλυ οὐδ’ ἄρρεν κ. τ. ζ. La répétition du mot ἄρρεν a été cause de l’erreur. Au lieu de κεχωρισμένον, quelques éditeurs lisent κεχωρισμένων, variante sans nulle importance : que le mâle et la femelle n’existent pas indépendamment des animaux, ou les animaux indépendamment du mâle et de la femelle, c’est tout un ; il n’y a d’autre différence que l’interversion grammaticale.

Pages 256, 257. En effet, la conséquence de cette doctrine, c’est que ce n’est pas la dyade qui est première, mais le nombre ; c’est que la relation est antérieure au nombre et même à l’être en soi ; et toutes les contradictions avec leurs propres principes, où sont tombés les partisans de la doctrine des idées.

Brandis lisait : συμβαίνει γὰρ μὴ εἶναι πρῶτον τὴν δυάδα ἀλλὰ τὸν ἀριθμόν, καὶ τούτου τὸ πρός τι καὶ τὸ καθ' αὑτό…, p. 267 ; comme avaient lu les anciens éditeurs. Mais avec καὶ τὸ καθ’ αὑτό., il y a au moins la moitié de la conclusion d’Aristote qui est fausse. Il n’est pas contraire aux principes platoniciens que l’être en soi ait la priorité sur tout le reste : c’est même là le principe de la doctrine platonicienne et de toute doctrine un peu réaliste. Nous sauvons cet inconvénient en adoptant la leçon de Bekker, p. 1079 : καὶ τοῦτο τοῦ καθ’ αὑτό, laquelle se justifie par la suite des idées, car il est véritablement contraire aux principes platoniciens que le καθ’ αὑτό soit postérieur au πρός τι ; et par les mss., car deux des mss.{{lié}de Bekker la donnent formellement ; enfin par une autre phrase de la Métaphysique, dans cette réfutation des idées du livre premier, dont celle-ci n’est guère que la copie : συμβαίνει γὰρ μὴ εἶναι τὴν δυάδα πρώτην ἀλλὰ τὸν ἀριθμόν, καὶ τὸ πρός τι τοῦ καθ' αὑτό, καὶ πάνθ' ὅσα τινὲς ἀκολουθήσαντες ταῖς περὶ τῶν ἰδεῶν δόξαις ἠναντιώθησαν ταῖς ἀρχαῖς. Brandis, p. 28, 29 ; Bekker, p. 990.

Pages 262, 263. Il en est qui admettent deux sortes de nombres, les nombres dans lesquels il y a antériorité et postériorité (ce sont les idées), et le nombre mathématique en dehors des idées et des objets sensibles.

Nous transcrivons ici l’excellente note de M. Ravaisson sur cette phrase. Οἱ μὲν οὖν ἀμφοτέρους φασὶν εἶναι τοὺς ἀριθμούς, τὸν μὲν ἔχοντα τὸ πρότερον καὶ ὕστερον τὰς ἰδέας, τὸν δὲ μαθηματικὸν παρὰ τὰς ἰδέας καὶ τὰ αἰσθητά. M. Trendelenburg, Platon, de id. et num. doctr., p. 82, trouve ceci en contradiction avec ce passage de l’Ethique Nicom., I, 4 : Οὐκ ἐποίουν ἰδὲας ἐν οἷς τὸ πρότερον καὶ τὸ ὕστερον ἔλεγον· διόπερ οὐδὲ τῶν ἀριθμῶν ἰδέαν κατεσκούασαν. En conséquence il propose d’ajouter une négation dans le passage de la Métaphysique, et de lire : τὸν μὲν μὴ ἔχονται. Brandis (Ueber die Zahlenlehre, etc. Rein. Mus., 1828, p. 563 ) défend l’ancienne leçon, avec raison, ce nous semble. Mais nous ne pouvons admettre la solution qu’il donne de la contradiction que M. Trendelenburg avait cru trouver entre les deux passages cités plus haut. Selon Brandis, dans le premier Aristote attribue aux nombres idées la priorité et la postériorité, en ce sens qu’ils ont entre eux un ordre de dérivation logique et essentielle ; et dans le second, au contraire, il en exclut la priorité, en ce sens qu’ils ne se constituent pas mutuellement et ne sont pas facteurs les uns des autres. On pourrait répondre que cette explication ne rend pas compte de l’opposition établie formellement dans la phrase du XIIIe livre entre le nombre idée et le nombre mathématique ; car les nombres mathématiques ont aussi entre eux un ordre de dérivation logique et essentielle. — La suite du XIIIe livre nous fournit une explication plus simple : dans les différents nombres idées les unités sont essentiellement différentes ; elles sont, d’un nombre à un autre, dans le même rapport que ces deux nombres : ainsi les unités de la dyade sont antérieures par essence à celle de la triade, et il en est de même des nombres qui en sont respectivement composés ; la dyade idéale en soi a donc une antériorité d’essence et de nature (τὸ κατὰ φύσιν καὶ οὐσίαν πρότερον) sur la dyade contenue dans la triade idéale, dans la tétrade idéale, etc. C’est ce qui nous paraît résulter surtout avec évidence de la phrase suivante, Brandis, p. 276 : Καὶ ἡμεῖς μὲν ὑπολαμβάνομεν ὅλως ἓν καὶ ἕν, καὶ ἐὰν ᾖ ἴσα ἢ ἄνισα, δύο εἶναι, οἷον τὸ ἀγαθὸν καὶ τὸ κακόν, καὶ ἄνθρωπον καὶ ἵππον· οἱ δ’ οὕτως λέγοντες οὐδὲ τὰς μονάδας· εἴτε δὲ μὴ ἔστι πλείων ἀριθμὸς ὁ τῆς τριάδος αὐτῆς ἢ ὁ τῆς δυάδος, θαυμαστόν· εἴτε ἐστὶ πλείων, δῆλον ὅτι καὶ ἴσος ἔνεστι τῇ δυάδι, (si la triade est plus grande que la dyade, elle contient un nombre égal à la dyade). Ὥστε οὗτος ἀδιάφορος αὐτῇ τῇ δυάδι. Ἀλλ’ οὐκ ἐνδέχεται, εἰ πρῶτός τις ἔστιν ἀριθμὸς καὶ δεύτερος, οὐδὲ ἔσονται αἱ ἰδέαι ἀριθμοί. Cf. Br., p. 273. — Les nombres mathématiques, au contraire, ne diffèrent pas les uns des autres en qualité, mais en quantité seulement, et par l’addition successive d’unités nouvelles (XIII, Br., p. 273), d’où il suit qu’ils ne sont pas singuliers comme les nombres idées (XIII, 272), et qu’ils n’ont pas de formes différentes d’eux-mêmes  : car la forme c’est la qualité. De là la phrase citée plus haut de l’Ethique Nicom. Elle s’explique parfaitement par les deux suivantes qui termineront cette longue note : Ἔτι ἐν ὅσοις ὑπάρχει τὸ πρότερον καὶ ὕστερον, οὐκ ἔστι κοινόν τι παρὰ ταῦτα, καὶ τοῦτο χωριστόν. Eth. Eudem., I, 8). Ἔτι ἐν οἷς τὸ πρότερον καὶ ὕστερόν ἐστιν, οὐχ οἷόν τε τὸ ἐπὶ τούτων εἶναί τι παρὰ ταῦτα (Metaph., III, 2 ; Br., p. 56.



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NOTES.


LIVRE QUATORZIÈME.




Page 293. Si l’on a un homme, un cheval, un Dieu, l’animal sera probablement la mesure, et le nombre formé par ces êtres sera un nombre d’animaux. BEKKER, p. 1088 : εἰ δ᾽ ἄνθρωπος καὶ ἵππος καὶ θεός, ζῷον ἴσως, καὶ ὁ ἀριθμὸς αὐτῶν ἔσται ζῷα.

Ce texte est celui de Brandis, p. 291, sauf la virgule après ἴσως, que Bekker a ajoutée, mais qui n’est pas indispensable. Les anciens éditeurs ont lu : εἰ δ᾽ ἄνθρ., καὶ ἵπ., καὶ θεός, καὶ ζῷον ἴσως… ; Bessarion traduit : Quod si homo, et equus, ac Deus, animal, numerus quoque eorum fortassis animalia erit, ce qui suppose … καὶ θεός, ζῷον ἴσως… Le texte des anciens éditeurs exige une correction, parce qu’on ne peut pas composer un nombre en ajoutant à trois unités déterminées une unité indéterminée ; celui de Bessarion contient lui-même un difficulté assez grave : si l’homme, et le cheval, et le dieu, sont certainement des animaux, ce n’est pas peut-être ni probablement (ἴσως) que leur nombre sera un nombre d’animaux, c’est nécessairement. Le texte nouveau, au contraire, s’accorde parfaitement avec ce membre de phrase : εἰ ἵππος τὸ μέτρον ἵππους, καὶ εἰ ἄνθρωπος, ἀνθρώπους : à εἰ ἵππος, εἰ ἄνθρωπος, correspond le ζῶον ἴσως, tournure dubitative aussi, et qui contient, comme ces expressions, la mention de la mesure dont il s’agit présentement.

Page 297. « Il est impossible, disait Parménide ; qu’il y ait nulle part des non-êtres. » BRANDIS, p. 294 : οὐ γὰρ μήποτε τοῦτ’ οὐδαμῆ εἶναι μὴ ἐόντα.

La leçon de Bekker, p. 1089, est fort différente de celle de Brandis. Il lit :

Οὐ γὰρ μήποτε τοῦτο δαῇς, εἶναι μὴ ἐόντα.

Il a emprunté cette correction probablement à Heindorf ou à Stallbaum. On trouve, en effet, un passage de Platon, Sophist., p. 237, qui contient la sentence de Parménide ; les modernes éditeurs de Platon en ont jugé le texte corrompu : Parménide est un poète, et dans les mots que lui prêtent Aristote et Platon, il n’y a pas trace de quantité. Ils ont mis en un vers la ligne de prose qu’ils trouvaient dans les manuscrits. Mais, comme le fait observer avec raison Simon Karsten, Parmen. Eleat. reliq, p. 130, l’ensemble du passage de Platon, et ses expressions formelles même, auraient dû les dissuader de ce dessein. Platon dit, en effet : Παρμενίδης δ’ ὁ μέγας… ἀρχόμενός τε καὶ διὰ τέλους τοῦτο ἀπεμαρύτρατο, πεζῇ τε λέγων καὶ μετὰ μέτρων·

Οὐ γὰρ μήποτε τοῦτο οὐδαμῆ (φησὶν) εἶναι μὴ ἐόντα,
Ἀλλὰ σὺ τῆς δ’ ἀφ’ ὁδοῦ διζήσιος εἶργε νόημα.


Il y avait donc dans les paroles qui étaient le commencement et la fin des discours des Parménide, prose et vers : le vers c’est ἀλλὰ σύ… ; la prose, οὐ γὰρ μήποτε… : pourquoi donc dénaturer le passage, sous prétexte de correction ? D’ailleurs Simplicius qui cite le même mot de Parménide, Phys., fol. 29, b ; 31, a ; 53, b, avec des variantes, ne donne nulle part un vers, à οὐ γὰρ μήποτε, et les commentateurs de la Métaphysique ont expliqué le passage d’Aristote tel que le donnent les manuscrits, et, d’après les manuscrits, les éditeurs anciens et Brandis ; indiquant même que ce qui en fait la difficulté, c’est la répétition de la négation : οὐ, μήποτε, μηδαμῆ. Voyez Alexandre, Schol., p. 825 ; Philopon, fol. 63, a. C’est donc à tort aussi que Du Val, lequel n’a rien changé au texte, pense qu’il y a des fautes

Version audio - II
Version audio - XXI
  1. Buhle, Vater, L. Ideler.
  2. Dans son commentaire sur le De Cælo, Simplicius cite et développe, à propos du chap. 7 du liv. II, le passage qui nous occupe.