Albin Michel (p. 224-237).

XVII

la galère insensée

Sous la voûte du château d’avant, derrière l’emplacement réservé pour la manœuvre des pierriers, on avait aménagé deux cabines assez vastes. L’une devait abriter les danseuses qu’on allait chercher à Constantinople. Dans l’autre, avaient pris place les passagers qui avaient obtenu de l’Émir l’exceptionnelle faveur de gagner l’Orient sous la protection de ses armes.

Ces passagers étaient fort peu nombreux. Outre trois marchands de bijoux de Grenade, il n’y avait que le savant Al Birouni et Tawaz, célèbre pour son immense fortune, son amour des arts, les raffinements de sa vie. Al Birouni transportait avec lui la cloche de verre dont il était l’inventeur. Il n’était plus attiré que par le mystère des choses sous-marines. Là vivait, croyait-il, un monde merveilleux dont la faune avait d’étroits rapports avec l’humanité. Il prétendait qu’il y avait sous les eaux des poissons avec des bras et des mains, des monstres aux visages d’hommes et que cet univers était éclairé par une lumière plus éclatante à mesure qu’on descendait. Mais ces profondeurs lumineuses ne pouvaient être atteintes que dans les océans lointains qui baignaient l’Inde et la Chine. Il comptait gagner Alexandrie, car le sultan d’Égypte s’intéressait à ses travaux et lui avait promis de le faire parvenir jusqu’aux Indes à bord d’une de ses caravelles. Il tenterait là son expérience de la cloche de verre.

Quant à Tawaz, il avait partagé sa fortune entre ses deux fils et il leur avait dit adieu. Il se rendait à Nichapour, en Perse. Son seul rêve était de s’asseoir à l’ombre du pêcher qui laissait tomber ses fleurs sur la tombe d’Omar Khayam, dans le cimetière de Hira. Il vivrait désormais dans une petite communauté de Soufis ralliés comme Khayam à la doctrine ismaïlite et qui venaient rechercher l’extase sous le pêcher qui le couvrait.

Auprès d’Al Birouni et de Tawaz, Aboulfedia avait pris place avec son coffre.

Dans le château d’arrière était la cabine de l’Émir de la mer, celle du reïs de la galère, et celle où dormaient les officiers, le trésorier, le moullah, les pilotes et les pages.

Sous le pont étaient entassés les cent cinquante piquiers, avec les caisses qui contenaient les vestes de velours violet chamarrées d’or, les cuirasses damasquinées, les ceintures de cachemire, les bonnets de brocart cramoisi, les cimeterres à poignée d’or, destinés à éblouir les habitants de Constantinople quand l’Émir Daoud se rendrait solennellement au palais du Sultan.

Dans cette partie du navire montait, toute la journée, un obsédant bourdonnement de conversations et de cris qui augmentait le soir quand les bakals faisaient la distribution de viande salée et de pain. Ce bourdonnement s’éteignait peu à peu à l’heure où les étoiles luisaient à travers les voiles triangulaires, faisaient étinceler les râteliers d’armes, les longues coulevrines et le bronze des pierriers. Alors seulement les passagers percevaient, bas, étouffé, puissant, un soupir obscur, une énorme respiration. C’était le ahan ! des forçats de la chiourme qui, enchaînés dix par dix, la tête rasée, les muscles tendus, exhalant une horrible odeur de sueur, peinaient sans relâche sous le bâton des comites et soufflaient, comme s’ils étaient les poumons de la galère et comme s’ils la soulevaient de leur haleine.

Mais il y avait dans la galère, sous la nuit, un autre bruit plus inquiétant. C’était le pas de l’Émir de la mer qui parcourait la galerie extérieure ou suivait la longueur de la coursie, de la poupe à la proue. Il avait l’air, sous son triple turban immaculé et sa longue gandourah de soie blanche, frangée d’argent, d’un cygne humain, prêt à s’envoler.

Le reïs au pied du grand mât, les marins de quart assis sur le pont, les passagers, par leur porte entr’ouverte, regardaient de loin sa silhouette, debout sur la rambarde où il s’immobilisait dans une rêverie qui ne finissait plus. C’est que depuis les premières heures de la navigation, ce n’était plus un secret pour personne que l’Émir Daoud ne jouissait plus de toute sa raison.

Cela avait commencé, disait-on, au moment de la mort de la princesse Khadidja. Pourtant l’Émir avait aimé tant de femmes dans sa vie, à Grenade et dans tous les pays où sa destinée l’avait conduit ! Juana de Montana, la belle captive espagnole pour laquelle il avait refusé des rançons royales ; Djemilé, la poétesse de Fez, qui avait langui d’amour pour lui et était morte de ne plus le voir ; l’Albanaise Validé et la Vénitienne Lucrèce, avaient été ses maîtresses. L’Émir Daoud aimait ardemment et oubliait vite. Le désir qu’il avait pour l’une était rapidement remplacé par le désir qu’il avait pour l’autre. Personne ne comprenait qu’un chagrin d’amour ait pu rendre fou un homme qui devait savoir comme lui de quelles fumées sont tissées les passions.

Le reïs ne dormait guère. C’était lui qui, en fait, commandait la manœuvre de la « Bannière du Prophète ». Mais le commandement suprême appartenait à l’Émir. Celui-ci avait pris le reïs par le bras, comme on sortait du port d’Almeria, et lui avait confié avec un sourire qu’il comptait faire relâche dans la ville de Liampo qui se trouvait sur les côtes de Chine, pour y saluer la femme du gouverneur portugais. Le reïs redoutait, depuis, quelque détermination singulière.

Et qu’allait-il arriver à Constantinople ? Comment se passerait l’entrevue de l’Émir et du Sultan ? Est-ce qu’il ne devait pas essayer d’obtenir pour Grenade des secours en navires et en soldats ? Est-ce que le sort de la guerre n’était pas, en partie, lié à son habileté ?

Les vents furent favorables, les vaisseaux des chevaliers de Rhodes et ceux de la République de Venise furent évités. Par des jours ensoleillés et des nuits paisibles, la « Bannière du Prophète » traversa la Méditerranée, chargée d’espérances et de trésors, avec, à la proue, son cygne blanc découpé sur l’azur.

Plusieurs années après, le Sultan Bajazet se faisait encore raconter l’entrevue qu’avait eue, pendant son absence, son grand vizir Daud-Pacha, avec l’ambassadeur du roi de Grenade, le célèbre marin Daoud.

Il voulait qu’on lui répétât les noms de femmes que celui-ci avait prononcés et qu’on lui décrivît l’étonnement de tout le Diwan quand il fut évident que l’Émir au turban blanc n’était, en somme, venu à Constantinople avec une escorte magnifique, que pour affirmer qu’une certaine princesse Khadidja avait des yeux couleur des plus pures émeraudes.

Et il tenait aussi à être certain que l’Émir Daoud avait versé des larmes quand on lui avait présenté les six danseuses qu’il devait emmener à Grenade pour son maître.

— Toutes celles que j’ai aimées, avait-il dit.

Le sultan Bajazet était un homme austère. Il avait proscrit la musique et la danse de son palais. Il recommandait la chasteté à ses ministres et à ses généraux et toutes les fois que la conversation revenait sur ce sujet, il levait, le doigt et disait :

— Rappelez-vous l’Émir Daoud et le sort de Grenade.

À côté de la cloche de verre, à côté du coffre aux clous de cuivre, Aboulfedia et Al Birouni étaient maintenant seuls dans la cabine du château d’avant.

La « Bannière du Prophète » devait faire relâche à Saint-Jean d’Acre et c’était là qu’ils comptaient, tous les deux, débarquer pour suivre leurs destinées différentes.

Les minarets de Constantinople n’avaient pas encore disparu à l’horizon que tout près d’eux, derrière la cloison de planches qui les séparait de la cabine voisine, avait retenti une musique de luths. Les six élèves du professeur Chosraï chantaient les regrets de leur patrie qu’elles quittaient pour toujours. Elles chantaient d’une voix très douce des poèmes persans où il était question de bien-aimés sveltes comme des tiges de palmiers, de jeunes filles dont les visages ovales comme des miroirs, étaient portés par des cous d’argent et d’amours parfumées comme les roses d’Ispahan et profondes comme les puits de Mossoul qui ne reflètent pas l’image de ceux qui s’y penchent.

Les luths des six jeunes filles tristes avaient, outre les quatre cordes qui correspondent aux quatre tempéraments de l’homme, la cinquième corde ajoutée par le musicien Ziryab et qui était celle qui correspond à l’âme liée au sang. Au son déchirant de cette cinquième corde, l’Émir Daoud reconnut qu’il emmenait avec lui de grandes artistes et il vint s’asseoir auprès d’elles.

Il ne leur parlait pas. Il tournait vers elles un visage illuminé d’extase et quand l’une ou l’autre s’arrêtait de jouer, il se contentait de l’interpeller à voix basse par un nom, Mais ce nom n’était pas leur nom réel qu’il ignorait. D’abord, croyant à une erreur, elles essayèrent de rectifier.

— Je suis Ghazlan, je suis Honeïdah, je suis Mehboubeh, dirent-elles.

Mais l’Émir secoua la tête et continua de dire : Khadidja, Juana, Djemilé, selon qu’il pensait à la Mauresque, à l’Espagnole, à la Marocaine. Alors, elles finirent par s’accoutumer à ces noms et à se tourner vers lui quand il les prononçait, si bien qu’il put se croire bientôt environné par les femmes qu’il avait aimées et bercé par la musique de leurs luths.

On était le soir du troisième jour du mois de Shaban et la chaleur était accablante. Une vapeur épaisse, verdâtre, traînait sur les eaux qui semblaient malades et comme gagnées par un pourrissement venant des profondeurs. Il n’y avait pas un souffle. La galère n’avançait qu’à la rame et elle avait l’air de fendre une masse lourde et putride. Des phosphorescences palpitaient dans le lointain et des poissons volants faisaient de vagues traînées lumineuses. Les galériens semblaient s’incliner pour mourir à chaque effort et l’odeur humaine qui s’exhalait de la coursie était comme une palpable buée. Une angoisse sans cause apparente, née de l’immobilité de la mer et de la présence occulte de la mort, étreignait toutes les âmes.

Al Birouni, après avoir erré sur le pont, redescendait les quelques marches qui faisaient communiquer la galerie extérieure du pont avec sa cabine. Il vit son compagnon de voyage Aboulfedia penché sur le coffre mystérieux sur lequel il n’avait pas cessé de veiller jalousement depuis le départ d’Almeria. Le couvercle en était soulevé et Aboulfedia était perdu dans une contemplation muette.

Du haut des marches, Al Birouni regarda le coffre. Dès le départ, il s’était demandé ce que ce juif haletant et hagard pouvait bien avoir à transporter de si précieux. Maintenant, il le voyait. C’était un objet en or massif, mais en or étrange, prodigieusement ancien et qui dégageait un rayonnement surnaturel. Al Birouni fit un léger mouvement de surprise. Le couvercle du coffre se referma brusquement et Aboulfedia en fit jouer les ferrures.

Al Birouni descendit doucement les marches, s’assit, les jambes croisées et se mit à réfléchir.

Il avait lu dans Flavius Josèphe et dans d’autres historiens juifs et arabes, la description du Saint des Saints, enfermé par Moïse dans le Temple de Jérusalem. Il connaissait les légendes Arabes sur le Talisman transporté par les premiers conquérants Maures et enfermé dans l’Alhambra. Il avait fait des rapprochements entre les deux objets sacrés de ces races différentes. Il se rappela qu’il avait entendu parler d’une confrérie judaïque qui avait pour but de rechercher, en Espagne, l’ancien Tabernacle. Et il lui vint brusquement la conviction que ce gros homme aux petits yeux l’avait découvert à Grenade, l’avait volé et l’emportait vers la terre qui avait été le berceau des Juifs.

Al Birouni savait qu’un initié comme Moïse pouvait, pour des siècles, enclore dans le métal une force magnétique active. Dans cette force, les Arabes avaient pu puiser, depuis les premiers jours. Si on la leur ravissait dans une minute critique, qu’allait-il arriver ? Le Talisman qui avait reposé dans l’Alhambra devait y demeurer. Il ne permettrait pas qu’un juif l’emportât.

Al Birouni se leva et s’apprêta à gravir les marches qui menaient au pont. Mais sans doute Aboulfedia, conscient de son imprudence, avait-il lu ses réflexions et sa détermination dans ses yeux, car il bondit et lui barra le chemin.

Ils n’eurent pas besoin de s’expliquer par des paroles, ils s’étaient compris. Al Birouni n’essaya pas d’appeler. Dans la cabine voisine, le chant des six jeunes filles, joueuses de luth, retentissait comme une prière, comme l’angoissant appel des cœurs que l’amour a brisés et ce chant aurait couvert sa voix. Il tenta d’écarter Aboulfedia. Mais une pensée meurtrière luisait dans les yeux de celui-ci. Les deux hommes étaient face à face, presque collés l’un à l’autre, silencieux et résolus, sentant derrière eux l’immense destin de leur peuple. Ils allaient se saisir à bras-le-corps quand le bruit qu’ils entendirent sur le pont les immobilisa.

C’était une sourde clameur épouvantée, un cri long, continu, l’appel désespéré d’hommes qui voient devant eux, sous la forme la plus inattendue et la plus terrifiante, l’apparition de l’inéluctable mort.

Tous les marins qui échappèrent dans la troisième nuit du mois de Shaban au raz de marée qui ravagea les côtes de Syrie et de Palestine, détruisit les fortifications des chevaliers de Rhodes, et mit à bas le grand phare du port de Famagouste, furent unanimes à le décrire comme une vague unique, une montagne irritée qui précédait les tourbillons du vent et accourait du fond de l’horizon avec une démoniaque vitesse, sur le désert morne, plat, épais des eaux pourries.

Les hommes de quart qui étaient sur le pont de la « Bannière du Prophète », dans la verdâtre clarté de l’hallucinante et équatoriale nuit, n’eurent que le temps de contempler à une extrême hauteur, sur le sommet d’une extravagante muraille liquide, une mobile végétation d’écumes. Ils sentirent que la galère renversée gravissait cette cime avec une vélocité que dix mille rameurs n’auraient pu lui donner et ils entendirent un mugissement sous-marin, venant de l’abîme, comme s’il y avait eu, bien au-dessous de la quille du navire, une gorge profonde d’où était parti ce son affreux.

Ce fut tout pour ceux-là. Il fut donné à quelques autres de percevoir que dans l’arrachement du château d’arrière, ils étaient lancés comme des grains de sable parmi les débris de la rambarde et de ses mantelets, vers de mouvantes profondeurs. Le reïs fut emporté avec le grand mât auquel il s’était accroché. L’homme de vigie tournoya dans l’espace, comme s’il était projeté par une fronde extraordinaire. Les canons s’envolèrent avec leurs affûts, leurs palans et leurs plates-formes. L’eau furieuse, l’eau animée, l’eau multiple, ruissela par le pont cassé, dans la chambre de vogue, descendit en torrent dans la coursie, roulant les comites, assommant les galériens enchaînés à leur banc. « La Bannière du Prophète » ne fut plus qu’un ponton désemparé où tanguait encore une coulevrine, comme un serpent de bronze, où retentissait de ci de là une invocation à Allah ou un cri de douleur.

Alors du château d’avant qui était demeuré intact, sortit l’Émir Daoud, plus pâle que son turban et sa gandourah de soie. Son esprit se réveillait du sommeil dans lequel il avait été plongé. Il arrivait après un long voyage dans le rêve au milieu de cette catastrophe.

Il tenta d’avancer sur le pont en s’accrochant à des cordages, à des fragments de bastingages, à des morceaux de mâts. Il comprit que les lames l’emporteraient, il revint en arrière et pénétra dans la coursie qu’il franchit dans toute sa longueur, avec de l’eau jusqu’aux genoux. Mais arrivé à la poupe, il constata que le timon était cassé, que la galère ne pouvait plus être gouvernée et il entendit le grondement des vagues à travers les chambres de la cale. Ce grondement devenait plus sourd et l’eau montait dans la coursive. Il se décida à la traverser à nouveau pour revenir dans la cabine d’avant.

Mais le chemin était bien plus long. Il avait à sa droite et à sa gauche les forçats de la chiourme en contre-bas, liés par le pied à leur banc, contorsionnés par l’effort qu’ils avaient fait quand les flots les avaient assommés ou noyés. Ceux qui étaient morts exprimaient, les uns une misère sans nom, les autres une résignation pitoyable, les autres une rage impuissante. Mais il y en avait qui étaient vivants et qui demeuraient enchaînés aux morts. Et ils luttaient désespérément pour briser leurs chaînes et poussaient des clameurs en agitant des tronçons de rames.

Quand la silhouette blanche de l’Émir Daoud repassa au milieu d’eux, ils tendirent les mains vers lui pour s’accrocher à cette forme vivante et libre, et l’Émir, entre ces rangs de créatures allongées au bout d’une chaîne, entre ces tentacules avides, fut obligé d’enrouler les larges manches de sa gandourah pour ne pas être saisi.

Il marchait parmi les figures de pierre des morts, les figures de haine et de désespoir des vivants. Celles-là hurlaient, mais l’Émir ne voyait que la grimace du cri car la voix de l’océan couvrait tous les bruits avec son tumulte et ces hurlements silencieux étaient plus déchirants que les plaintes.

Et l’Émir se demandait si au milieu de ces cariatides nues à qui la douleur et la mort donnaient des poses de démence, il ne suivait pas le sombre chemin qui mène à l’enfer d’Allah. Non, c’était le monde terrestre où il venait de revenir, le monde où des forçats sont rivés à leur banc et luttent dans la terreur tandis qu’ils descendent dans le gouffre de la mort. Ah ! vite retrouver la musique des filles de Perse, celles qui chantent le souvenir de l’amour et portent les noms des bien-aimées !

Et comme il arrivait enfin à la porte de la cabine, d’eux hommes fraternels s’entr’aidaient pour hisser sur le pont le coffre noir aux clous de cuivre. Aboulfedia et Al Birouni, sentant le navire s’enfoncer, s’étaient tacitement réconciliés, car chacun des deux savait qu’il ne pouvait compter que sur l’autre pour essayer de sauver le Trésor pour lequel ils avaient voulu s’entretuer.

Aboulfedia le tirait et Al Birouni le poussait. Entre deux cataractes des vents, entre deux souffles de la mer vomissant des lames, il y eut une seconde d’un miraculeux silence. Dans cette seconde, haletants sur le bois du coffre qu’ils tenaient embrassé, ils perçurent une musique de luth, légère, grelottante, lointaine comme si les Djinns qui dansent autour des puits, par les nuits printanières, dans les vallées du Kouhistan avaient commencé leur ronde.

La galère se dressa debout, au milieu d’un fracas soudain et plongea par l’arrière. L’Émir Daoud, dans le cercueil de la cabine, fut renversé contre des seins tièdes, des visages féminins, les formes retrouvées de celles qu’il avait chéries.

Et par la puissance talismanique enclose dans l’or éternellement vierge du Tabernacle, fut-il donné peut-être à Al Birouni et à Aboulfedia, qui le serraient contre eux, de descendre au fond des eaux dans la lumière surnaturelle de leurs rêves réalisés.

Al Birouni dut contempler à cette lueur les merveilles étranges du monde sous-marin, les sirènes de la Fable errant dans les forêts de madrépores phosphorescents, les scorpènes incarnats chargés d’épines, les tétradons gonflés comme des outres et pareils à des hommes obèses, les poulpes aux tentacules multiples et qui ont des yeux avec des prunelles qui palpitent, tous les monstres, portant avec horreur loin du soleil, les stigmates d’une humanité déchue.

Et Aboulfedia dut voir apparaître, par delà les infinis verts, les glauques miroitements des bas-fonds marins, la coupole azurescente, les cinq colonnes en bois de Sittim et le voile couleur d’hyacinthe cramoisi du Temple de Jérusalem.